Nightmares of my future possess my mind ○ Nova-Blue

Nightmares of my future

possess my mind

Tucson, 2005

Elle pensait que Béa, ce serait sa sœur pour toute la vie.

Elle pensait que Nova-Blue, ce serait son amie pour toute la vie.

Elle peut-être encore naïve, Arcadia. Les adultes lui disent qu’elle est mature, qu’elle a grandit plus vite que les autres, qu’elle fait toujours attention aux autres, qu’elle est adorable, qu’elle est un exemple pour les autres enfants, qu’elle est parfaite. Ce qu’ils oublient, c’est que c’est encore une enfant, du haut de ses seize ans.

Elle a toute l’attention du monde, mais pour toutes les mauvaises raisons. Et pas toujours par les bonnes personnes.

Elle pensait que Nova-Blue, ce serait une vraie amie, un de celles qui ne l’abandonneront pas et en qui elle serait sûre de toujours trouver un pilier. Elles étaient si similaires, deux enfants qui font de leur mieux pour agir exactement comme il le faut, pour être de petits modèles de vertu qui marchent bien droit sur les lignes tracées par les adultes. Quand elle capte ses sentiments, Arcadia, elle a parfois l’impression de reconnaître certains de ses traits en elle. C’est finalement tout ce dont elle avait besoin, à l’origine, pour la considérer comme une amie.

Puis il y a eu toutes les fois où elles ont été l’une chez l’autre, où elles se sont vues après les cours. Elle ne se souvient plus vraiment qui d’elles a été la première à trouver l’autre, à lui parler, à choisir que oui, ce serait avec cette enfant-là qu’elle s’amuserait. Elle s’est réveillée un beau jour avec cette amie dans sa vie, et elle ne pouvait qu’accepter, suivre le mouvement, être contente d’une compagnie qui avait l’air aussi sincère.

Nova-Blue, elle est gymnaste mais elle n’est pas exactement comme les cheerleaders dont Arcadia a rejoint les rangs deux ans plus tôt. Elle brille moins, au yeux des autres, Arcadia s’en rend bien compte, et pourtant c’est ce qui la rend intéressante pour la petite Zouwu.

Elle est bloquée derrière sa vitre, Arcadia, et Nova elle est un peu comme ça, du verre poli face aux pierres précieuses que sont ses autres amies. C’est rassurant. C’est agréable.

Mais un pilier de verre, ça se casse au moindre choc, et Arcadia n’a aucune idée de ce qu’elle a fait pour que les fêlures commencent à apparaître. Elle a l’impression qu’elles sont arrivées du jour au lendemain, elle n’a aucun souvenir d’avoir fait quelque chose de mal, dit quelque chose qui ait déclenché un surplus d’émotions négatives à son encontre chez Nova.

Mais elle sait aussi que quand elle déclenche des émotions négatives chez quelqu’un, elle ne s’en souvient pas souvent. Pas quand c’est assez important pour entacher leur relation, en tous cas.

Elle doit être bien désespérée, cette petite adolescente toute menue, pour avoir fait tout le chemin de son collège à celui de Nova-Blue et avoir séché son entraînement de cheerleader dans le même temps. Elle a traversé la ville, elle a traversé la brume, elle a attendu devant le muret de l’établissement.

Attendu d’entendre la sonnerie retentir, de voir le flot d’adolescents pour en décortiquer les visages un par un jusqu’à reconnaître celui de son amie. Celui de Nova-Blue, superstar de la gym, supernova qui est passée dans sa vie et qui donne l’impression de continuer sa route maintenant, pour une autre galaxie peut-être.

Elle la voit. Elle l’approche. Elle n’a pas préparé de texte, elle n’est pas vraiment prête à quoi que ce soit de toutes façons. Qu’est-ce qu’elle va lui dire ? Qu’elles ne se parlent plus autant, qu’elle a l’impression que Nova-Blue n’est plus intéressée par leur amitié ? Et si la réponse est que oui, Nova-Blue ne veut plus d’elle ?

Elle ne sait pas.

Elle ne sait pas grand-chose, finalement.

Mais ça ne l’empêche pas de tapoter l’épaule de son amie, de lui sourire comme s’il n’y avait rien de grave puisque c’est sa spécialité, de percer avec grande peine le brouhaha des autres élèves avec sa petite voix toute douce.

« Hey, Nova-Blue. Désolée je te prends un peu de court mais j’avais mon après-midi de libre. On peut traîner un peu ? »

Traîner. C’est ce que disent les autres jeunes, et même si elle n’affectionne pas particulièrement le terme, c’est sûrement le plus simple à utiliser. C’est beaucoup mieux que de demander à parler. Et comme ça, elle a vraiment l’air d’une adolescente comme les autres, elle se fond dans la masse comme elle sait si bien le faire.

Ne pas faire de vague.

Ne pas briser le verre.

Âge : 31 ANS (28/08/1990)〖 grandie trop vite et sans prévenir

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nova-blue & arcadia

TW : harcèlement scolaire

décembre 2005

Interdite, tu fixes à tes pieds ce qui vient de tomber de ton casier.
Il y a quelques gloussements dans ton dos tandis que tu regardes, gênée, la dentelle et le tissu rose qu’on avait placé là pour toi. Ta nuque te semble soudain raide, et tes pouces viennent machinalement serrer les bretelles de ton sac comme un minuscule parachute qui pourrait te sauver d’ici.
Les rires s’intensifient, t’entends un la coincée derrière toi, la lèche cul et d’autres surnoms. Un sourire triste éclaire tes traits. Ils sont jaloux, t’essaie de te dire, ils sont jaloux parce que tu réussis, parce que tu as des meilleures notes et déjà presque un corps d’adulte. T’as quinze ans mais tu vaux mieux qu’eux, c’est ce à quoi tu te raccroches tandis que ta vision est trouble sur le string qui est tombé par terre.
D’un geste souple, tu récupères tes cahiers et les glisse dans ton sac à dos, à côté des affaires de gym dont t’as besoin pour l’entrainement. Chaque matière a une couleur spécifique, la même depuis l’école primaire ; ça t’aide à te repérer, et ça t’apaise un peu de ranger les matières par couleurs de l’arc en ciel. C’est un petit bout de ciel bleu sur l’étagère de ton bureau, quand tout le reste est grisaillant à force d’être monotone. C’est une illusion de contrôle dans un monde où chaque chose t’échappe, où l’habitude est un refuge beaucoup plus que la nouveauté.

Quand Papa t’a dit qu’elles allaient venir vivre avec vous, t’as eu le cœur dans les chaussettes. Tu sais que c’est pas un bon père. Il est pas en mesure de prendre soin de toi ; mais tout ça, tu le lui pardonnes. Tu fais tes devoirs en rentrant de la gym, tu fais à manger pour vous deux. Il laisse traîner ses affaires avant de s’écrouler sur le lit ; toi, Nova, tu le bordes, tu l’aides. Ça a quelque chose de valorisant d’avoir quelqu’un d‘autre à aider. Et tant pis si ça devrait être l’inverse, si ça devrait être à lui de s’occuper de toi. Votre équilibre, il est précieux, rempli de gestes mécaniques qu’il te fait plaisir d’exercer.
Depuis qu’elles sont là, t’as l’impression que rien ne va.
Le salon s’est rempli de jeux dont tu n’es pas propriétaire. Emeraude a rangé ses assiettes dans les placards de votre cuisine, sa brosse à dents dans votre verre, et dans ses sourires mielleux tout ce que t’entends c’est qu’elle voudrait être ta mère. Comme si c’était possible de remplacer ce qui est perdu. Et puis, quoi ? Après, Silver sera votre père, tes jouets seront vos jouets, et l’adulte que tu es devenue s’encombrera d’une préado ?
Impossible. Ton souffle est court dès que t’entends les cris de Scarlett résonner, qu’ils soient de joie ou de colère. Tes poings se serrent lorsqu’elle vous pique une crise à table parce qu’elle n’aime pas les brocolis. Peut-être qu’il y avait pas de couleurs, quand vous étiez que tous les deux. Mais ça t’allait bien d’être la seule à draper la maison de bleu. Maintenant, y a aussi du rouge, de l’émeraude et tous ses rayons. Ça te fout la mort de te dire que t’as perdu un point d’ancrage.
Ton regard se porte sur la photo, dans ton casier. Papa, Maman et toi. Le seul arc-en-ciel qui existe, le seul que t’aurais voulu garder. Maintenant t’es obligé de te farcir l’écarlate d’elle au quotidien, et le rose fluo presque oscène qui vient de tomber à tes pieds.

Impossible.
Tu jettes un regard furtif à la ronde ; les coupables ne se cachent même pas. D’un claquement sec, le casier se referme et tu marches vers la sortie, doigts crispés sur ton sac à dos jusqu’à ce que les jointures blanchissent. T’as qu’une seule envie, c’est d‘arriver à l’entraînement pour enfin te sentir vivante, être libérée de la maison et du collège dans le même temps. Tu marches d’un pas pressé, assuré, au milieu de la foule de collégiens qui rigolent et chahutent ensemble.
Statue de verre au milieu des autres adolescents, tu gardes le menton bien haut, cherchant loin de leurs cœurs de pierre la force dans ton unicité.

Une main se pose sur ton épaule, et tu étais si concentrée pour chasser les rires de ta tête que tu mets une poignée de secondes à reconnaître Arcadia. Elle a l’air un peu triste, un peu confuse, et sans doute un peu étonnée. Arcadia, quoi.
Un grain de sable dans les rouages, un remous dans le verre d’eau fraîche, une bulle qui monte à la surface pour te rappeler un ailleurs qui semble s’être dérobé. Tu mets un masque sur ta face, esquisse un air plus-que-parfait ; hors de question que tu laisses croire que quoi que ce soit ait pu t’atteindre.
« Bonjour, Arcadia. »
T’exprimes pas ta reconnaissance d’avoir une alliée dans la foule, parce que si elle vient jusqu’à toi, c’est sans doute pas pour te sauver. Personne n’est là pour te sauver, tu peux pas compter sur les autres pour prendre soin de toi à ta place. C’est une leçon que, bien trop jeune, tu t’es vue apprendre par cœur.
Tu jettes un coup d’œil à ta petite montre bleu pâle.
« Je dois être à la gym dans environ 45 minutes, donc j’ai pas trop le temps de traîner. » Ton ton n’est ni sec ni aimable, simplement factuel et grave. « Mais si tu veux, on peut marcher toutes les deux jusque là-bas ? »
Parce qu’elle a une odeur d’enfance, Arcadia, de celle qui s’est évaporée à mesure que les ans passaient. Elle a un parfum d’un passé que tu ne rattraperas jamais, et que tu voudrais rassembler pour en recoller les morceaux. Le verre brisé de l’insouciance repose, éclaté, à vos pieds.

Et si tu lui tends trop la main, elle verra que tu t’y es coupée.

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Raz-de-marée.

Arcadia essaie de se connecter à Nova-Blue, de capter ses émotions, de se donner un avantage dans cette bataille perdue d’avance. Mais se connecter à elle, c’est se connecter à toute la foule d’adolescents qui passe autour d’elle. C’est accepter de recevoir les émotions qu’elle garde à la lisière de sa conscience, qu’elle refuse de capter quand elle parvient à ignorer son empathie.

Se connecter à Nova-Blue, c’est chercher un morceau de verre dans une tempête d’émotions. Jalousie. Tristesse. Fierté. Joie. Déception. Colère. Envie. Tristesse. Tristesse. Angoisse. Amour. Colère. Amusement. Moquerie. Haine. Tristesse. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide.

Elle n’arrive pas à trouver Nova-Blue, parce qu’elle n’arrive pas à se trouver elle-même au milieu de ce vacarme. Elle panique, elle perd pied, elle se rattrape à son pilier et elle sent une fissure s’ajouter à la mosaïque de leur amitié.

Elle peut autant se reposer sur Nova-Blue que sur ses propres capacités.

Pas du tout.

Ou presque. C’est en tous cas ce que lui explique sa froideur apparente. Pas d’effusion de joie sur son visage. Pas d’hésitation dans ses phrases. Simplement les faits. Ces faits sur lesquels Arcadia aime tant se reposer, mais pour lesquels elle fait une exception quand sa meilleure amie est concernée.

Au moins, elle ne la rejette pas entièrement. Pas entièrement, non. Elle lui offre un peu plus d’une demi-heure de son temps, elle lui offre un trajet ensemble, comme si ça remplaçait les après-midi à parler, à traîner, à parler, à s’entendre et se voir. Mais qui est-elle, Arcadia, pour la forcer à manquer un entraînement juste parce qu’elle a peur ?

Qui est-elle, Arcadia ?

Elle n’est personne. Ce n’est pas triste, ce n’est pas désespéré, c’est factuel. Tout est factuel, dans ce monde.

Dans leur (?) monde.

« Oui, ce serait super. »

Super. Son visage sourit un peu malgré elle, ses lèvres bougent sans son accord et ne disent pas les mots qu’elle s’attendait à prononcer.

On pourrait sécher nos entraînements ensemble, Nova-Blue. On pourrait faire une folie, juste une fois, faire ce qu’on ne fait jamais et briser la routine qui nous permet de survivre. Juste une fois. Pour essayer de panser une amitié écharpée.

Ses jambes s’activent, ses pieds suivent ceux de Nova-Blue. Elle sait où il est son gymnase, de toutes façons. Elle l’y a déjà accompagnée plus d’une fois, à une époque où elle le faisait avec plaisir, où elle venait soutenir sa meilleure amie qui se découvrait une vraie passion. Elle a toujours été envieuse, Arcadia. Parce que quand elle a commencé à s’entraîner pour être cheerleader, elle l’a fait pour être amie avec les plus populaires. Pour se fondre dans la masse. Elle n’avait pas spécialement d’intérêt. Alors que quand Nova-Blue s’entraînait sur les tapis, son bout de verre devenait un prisme et ses émotions un arc-en-ciel.

Elle se demande si en assistant à son entraînement du jour, elle retrouverait cette vision.

Combien de pas avant qu’elle ne se raccroche à nouveau un tant soit peu à la réalité ? Combien de pas avant qu’elle n’entende sa voix sortir de sa bouche ?

« Ca va en ce moment ? J’ai l’impression que t’es pas trop au top. »

Pitié, dis-moi que c’est à cause de Scarlett, d’Emeraude. Pitié, dis-moi que je n’ai pas tout ruiné sans savoir comment. Et si c’est le cas, permet-moi de recoller quelques morceaux.

Par pitié, Nova-Blue, j’ai déjà perdu une sœur, et je suis pas prête à en perdre une deuxième.

Âge : 31 ANS (28/08/1990)〖 grandie trop vite et sans prévenir

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Arcadia, c’est ta meilleure amie.
Quand tu es arrivée à Tucson, c’était la rencontre des atomes, les verres qui rentrent en résonance. Elle roulait un peu trop les r et toi curieusement pas assez. Vous vous êtes débattues avec la grammaire et l’anglais, avez croisé vos regards vides pendant que vous compreniez rien.
Vous avez passé des récrés juste à jouer l’une avec l’autre, baragouinant sans vous comprendre. Les autres enfants vous appelaient les nouvelles, mais ça n’avait aucune importance d’être nouvelles puisque vous étiez nouvelles à deux. Tu avais 7 ans et elle 8 ; elle avait redoublé une classe mais tu l’admirais pour l’aînesse que ces treize mois lui conféraient.
Puis vous avez trouvé les mots, et vos sourires ont fait voler en éclats le mur de l’incompréhension qui vous séparait, invisible.

Arcadia, c’est ta meilleure amie.
C’est elle qui a attendu avec toi jusqu’à minuit quand t’as perdu ta première dent de lait et que tu voulais voir la petite souris. C’est elle avec qui vous avez investi dans les mêmes colliers moches sur le marché de Noël de Tucson, ces affreux colliers BFF avec un cœur séparé en deux. C’est elle qui surgissait, un dimanche, avec la féroce envie de grimper à vélo jusqu’en haut de la colline, simplement pour meubler votre royaume de créatures en verre trempé, indestructibles et redoutables, qui seraient votre armée d’enfants. C’est elle, ta reine adjointe d’endroits secrets, ta partenaire de coloriages.
C’est elle, la seule à qui t’a parlé de ta mère quand elle est morte.
C’est elle qui est venue te voir après l’enterrement, après la visite des services sociaux. C’est elle qui t’apportait les spécialités de sa mère qui savait que t’avais du mal à toujours mieux faire la cuisine. C’est elle qui t’a expliqué qu’en fait, sa mère c’était pas sa mère, et que peut-être bien que ça sœur avait jamais été sa sœur. Vous vous êtes inventé des contes féériques, des nymphes qui venaient la chercher pour la faire grimper sur le trône. Et toi, toi sa plus fidèle, la plus loyale de ses sujets, tu peignais ses cheveux de jais pour en faire des coiffures royales.

Arcadia, c’est ta meilleure amie.
Sauf que vos sujets sont rangés, avec vos peluches, au placard. Ta vie a pris un tournant brut qui t’a amputée d’un bout d’enfance, comme un verre à pied morcelé qui ne pourrait tenir debout qu’en s’enfonçant dans son support. Subitement, t’es devenue adulte. Avec tout ce que ça a de nul, sans tout ce que ça a de bon.
Quand vous êtes rentrées au collège, vous vous êtes jurées loyauté malgré les quelques kilomètres entre vos deux établissements. Lors des compétitions de gym, elle faisait semblant d’encourager Beatriz, mais tu savais très bien qu’au fond elle aurait voulu que tu gagnes. Alors, parce que ça fait du bien d’avoir quelqu’un de son côté, vous vous êtes accrochées très fort pour jamais vous perdre de vue.
Arcadia, c’est ta meilleure amie. Elle ne connaît pas tes histoires, elle les a vécues avec toi.

Arcadia, c’est ta meilleure amie.
Alors tu comprends pas pourquoi c’est si dur, pourquoi t’arrives pas à être enjouée de la voir débouler dans ton quotidien comme vous l’avez fait tant de fois. Tu te rappelles que, y a un an ou deux, vous auriez couru le long de la route, pour arriver chez l’une ou l’autre, et vous auriez négocié avec les adultes pour qu’on vous laisse dormir ensemble, toutes les deux dans le même lit, à vous murmurer des secrets comme on se confie des promesses.
Tu comprends pas à quel moment ça s’est produit, mais quelque part dans l’âge adulte y a plus eu de place pour les amis. Vous marchez en silence sur la route que vous connaissez bien, mais vos créatures faites en verre n’étaient que des châteaux de sable, sur lesquels la pluie a tombé jusqu’à les réduire à néant. Si après la pluie vient le beau-temps, t’attends toujours ton arc-en-ciel, tandis qu’Arcadia tente vainement de lancer la conversation.
Pourquoi vous êtes comme ça, maintenant ? A dire des mots vides comme des vases et des phrases en ballon de baudruche ?
« Non non, ça va. » tu mens comme une arracheuse de dents. Elle a toujours su quand tu mentais, mais ça t’empêche pas d’essayer. « Juste, y a beaucoup de travail, avec le collège et la gym et Silver. »
Ça fait un moment que tu ne l’as pas appelé Papa.
« J’ai pas trop le temps, tu vois. »

Tu sais pas de quoi t’as pas le temps, exactement. De ‘traîner’ avec elle ? De t’excuser ? De l’écouter ? T’as l’impression d’être une adulte, et elle c’est encore une enfant. C’est ce que tout le monde te répète. Que t’es si mature pour ton âge, que t’es grande, maintenant, Nova-Blue. Il s’agirait d’arrêter de se complaire dans l’enfance.
T’aimerais tellement être une adulte que t’en oublies que t’as quinze ans. T’as pas à porter sur ton dos le poids d’un univers tremblant qui n’attend qu’un pas de travers pour t’écraser contre le sol. Mais ça, tu n’as pas envie d’y penser.

Comme tu ne songes pas qu’Arcadia, c’est toujours ta meilleure amie.

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C’est une adulte, Arcadia. C’est une phrase d’adulte ça, de juste demander comment ça va. C’est d’une banalité sans nom, c’est toute la définition de sa vie depuis qu’elle est arrivée à Tucson. Toute sa vie, excepté pour les moments avec Nova-Blue. La plupart d’entre eux, en tous cas. Bien sûr, elle n’était pas toujours entièrement là, elle n’arrivait pas toujours à connecter à l’enfance de Nova après qu’on lui ait enlevé la sienne de force en même temps que ses parents. Mais elle faisait bien semblant, et à force elle a fini par ne plus faire semblant.

C’est une adulte, Arcadia, mais Nova-Blue c’était un peu la seule à la rattacher à l’enfance, à la faire se sentir de son âge. Elle avait pas vraiment besoin d’être mature avec elle, parce que son année d’avance faisait la moitié du travail pour elle. Certains autres élèves trouvaient que ça en faisait une ratée. D’autres, que ça en faisait une personne stylée. Elle aurait aimé dire qu’elle se moquait de leurs avis mais c’était faux. Ca l’est toujours.

Elle a besoin de leur avis, de se sentir acceptée et aimée. Et Nova-Blue, elle était vraiment heureuse avec elle. Elle pouvait le sentir, Arcadia. Et même si son cœur n’arrivait jamais à émuler entièrement sa joie, elle pouvait en moins lui en prendre une partie, peindre quelques motifs sur la vitre de la cathédrale qu’est son cœur, dans laquelle résonne l’écho de leurs rires d’enfant au beau milieu d'un vide trop compliqué à remplir.

Quand elles s’éloignent du troupeau et qu’elles sont plus que toutes les deux, c’est beaucoup plus simple d’écouter les émotions de Nova-Blue. Ou en tous cas ça le serait si Arcadia était encore suffisamment en contrôle pour ça. À la place elle donne un coup de pied dans un caillou, avec à peine assez de forcer pour le faire partir un mètre ou deux sur le côté et rebondir contre un mur.

J’ai pas trop le temps, tu vois.

Arcadia, quand elle n’a pas le temps pour Nova-Blue, elle en fait. Elle trouve un truc à déplacer, elle réorganise son planning tant bien que mal pour pouvoir passer un moment avec elle. Elle pensait que c’était ça, être meilleures amies : toujours avoir du temps pour l’autre quand il y en a besoin.

Mais bon, c’est pas comme si Arcadia avait un problème majeur qui nécessitait la présence de Nova.

Elle a juste besoin de son pilier, de sa meilleure amie. Parce que si elle n’a plus ses parents, si elle n’a plus Bea, si elle n’a plus Nova, alors il lui reste qui exactement ?

Les filles populaires du collège. Les quelques garçons qui lui tournent autour parce que oui, elle est un peu plus adulte que les autres. Les amitiés factices, les gens qui sont trop éloignés d’elle. La collection de pierres précieuses qui jouent dans la cour du collège, alors qu’elle attend toujours qu’on la ramasse, qu’on en fasse une perle même si elle n’est que de verre elle aussi. Si Nova-Blue a réussi à devenir un prisme, pourquoi est-ce qu’Arcadia n’a toujours aucune forme, elle ?

La vie est injuste, c’est simple.

Elle a beau grandir, elle a beau être une adulte, il n’y a pas de souffleur pour faire d’elle un beau vase ou une décoration utile.

Elle prend la poussière, Arcadia.

« Ouais, j’comprends. »

Le problème, c’est pas Scarlett. Le problème, c’est qu’elle a plus le temps pour elle. Pourtant, elles sont même pas encore au lycée. Elles étaient sensées avoir encore une demi-année avant de vraiment mettre leur enfance de côté.

Les fêlures continuent d’apparaître sous les yeux d’Arcadia et elle s’éloigne de plus en plus. De loin, comme ça, elle ne voit que le pilier en verre. Elle ne voit plus les traits qui le zèbrent, qui montrent les défauts. De loin, il n’y a plus de problème, puisqu’ils ne peuvent plus l’atteindre.

« Sinon, mon oncle a enfin pu s’acheter sa nouvelle télé. Si t’as un moment un jour tu pourrais passer, on se ferait une soirée films. »

Quitte à ne plus pouvoir en imaginer ensemble, peut-être qu’elles pourraient en regarder. Elles sont adultes, mais elles sont encore un peu adolescentes. Ce serait normal de faire une soirée pyjama, à leur âge. De ne pas s’échapper encore entièrement d’une enfance étiolée par les responsabilités et par les compliments des adultes qui les trouvent aussi matures.

Après tout, si Arcadia est aussi mature qu’on le dit, pourquoi est-ce qu’elle a encore envie d’être une enfant avec Nova-Blue ?

Âge : 31 ANS (28/08/1990)〖 grandie trop vite et sans prévenir

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La première fois que vous êtes allées faire du shopping toutes les deux, ton père vous avait déposées en marge du centre commercial. Il t’avait donné un peu d’argent et une deadline. Tu te rappelles comme vous aviez trouvé un plan à l’entrée, prévu tout votre itinéraire pour rentabiliser le temps passé sur place avant qu’il ne revienne vous chercher. Vous aviez essayé un milliard de paires de lunettes, mis des vêtements qui ne vous allaient pas et que vous achetiez quand même juste pour vous sentir adultes et mangé des barbe à papa en parlant des projets d’avenir que vous aviez pour votre vie. T’avais eu l’impression d’être grande, alors, tandis que toutes les devantures dardaient leurs néons clairs sur toi.
La dernière fois que vous êtes allées faire du shopping, vous y êtes allées en bus. Les enseignes vous paraissaient minuscules, et surtout toujours identiques. Vous avez marché dans les allées de vos longues jambes d’adolescentes, en regardant de toutes jeunes filles être aussi excitées que vous, avant. Elle s’ennuyait dans les magasins qui te plaisaient, et les librairies t’ont vite soulée. Arcadia ne supporte plus le bruit des gens, et tu ne supportes plus le silence. Vous êtes ressorties avec des choses dont vous aviez pas besoin, et t’as renoncé à la barbe à papa pour pas manquer ton entraînement.

La première fois que vous vous êtes retrouvées à la récré, vous étiez timides, mal à l’aise. Vous ne parliez pas la même langue, vous avez couru en cercle autour de la cour pour éviter le bruit incessant en faisant comme si vous étiez des aventurières qui sautaient dans une mer infestée de crocodiles prêts à vous mordre les mollets.
La dernière fois que vous vous êtes retrouvées à la récré, tu t’en souviens même pas. C’était al fin d’année, vous avez dû passer un long moment assise, à l’ombre, à vous faire des promesses de toujours en sachant très pertinemment que vous pourriez pas les tenir.

La première fois que t’as pas su comment lui parler, c’était juste après l’avoir rencontrée, en réalisant que l’espagnol et le français ça n’avait rien à voir et que, même en baragouinant, vous arriviez juste à vous piquer des fous rires de vos incompréhensions mutuelles.
La dernière fois que t’as pas réussi à lui parler, c’est maintenant.
Y a des milliards de fois entre, mais il paraît qu’on se souvient jamais de ce qu’il y a au milieu. Quand tu dévisages Arcadia, tu vois seulement la petite fille et celle qu’elle est devenue maintenant. Tout le reste, les soirées pyjamas, les moments où vous vous cachiez pour pas que les adultes vous retrouvent et vous obligent à vous séparer, les plans sur la comète de projets de vie toutes les deux, le haras que vous ouvririez pour être toute la journée avec des chevaux ou bien le studio de danse où vous enseigneriez toutes deux, tout ça … c’est tombé dans des oubliettes, dans ton cerveau trop fatigué par la montée des phéromones et l’âge adulte qui s’annonce.
Arcadia, c’est ta meilleure amie, et tu pensais que ça rimait avec toujours alors ça te fait tout bizarre qu’aujourd’hui ça devient parfois. t’as l’impression que vous vous êtes égarées, vous avez endossé des costumes gigantesques et vous marchez sur des échasses pour pas vous planter des tessons de verre dans la plante des pieds.
Essoufflées, épuisées de courir après l’arc-en-ciel du passé, vous vous dites qu’en marchant de l’avant vous retomberez sur du beau temps. Alors, vous faites semblant.

Tu fais semblant de sourire quand elle te propose des soirées films, parce que ça fait tellement longtemps que ton sourire n’est plus sincère que tu saurais plus comment faire.
« Oh, trop chouette ! Et je pourrai demander à mon père de te faire du popcorn, si tu veux ? Je sais que ta tante en fait aussi, mais je trouve que le sien est meilleur. »
Ton regard s’éclaire, à tel point que tu sais plus trop si le masque c’est d’être adulte ou bien de redevenir enfant. T’aimerais faire les deux à la fois mais on t’a bien dit que c’était pas possible, Nova-Blue. On peut pas choisir d’être enfant quand on est déjà une adulte.
Puis, à l’idée d’une soirée tranquille avec Arcadia chez son oncle, ta mine se rembrunit tout de suite.
« Enfin, je sais pas trop s’il voudra. En ce moment, dès que je vais ailleurs que le collège ou la gym, il veut que j’emmène Scarlett avec moi. Pour qu’on fasse connaissance, et qu’on devienne de vraies sœurs. »
Tu évites le regard d’Arcadia.

T’as pas envie qu’elle découvre que, pour toi, ta sœur, c’était elle, et que tu veux pas la partager avec une inconnue nouvelle.

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Qu’est-ce que c’est, une sœur ?

Arcadia s’est souvent renseignée sur la question. Elle a lu des dizaines de livres à ce sujet. Des romans, des biographies, des livres sociologiques. Elle a lu Arcadia parce qu’elle ne se sent pas capable de réfléchir à ce sujet par elle-même. Parce que la première sœur qu’elle a eu, elle a brisé le lien qu’elles avaient en étant trop différente. En choisissant l’obéissance plutôt que sa rébellion, en étant trop calme pour pouvoir la suivre dans son effervescence de sentiments.

En brisant leur famille et en renvoyant leurs parents loin d’elles.

Beatriz est sa sœur biologique, oui. Mais leur relation s’arrête là. Parce que sa vraie sœur, celle qui l’a comprise, aimée, aidée, soutenue toutes ces années, c’est Nova-Blue. C’était une telle évidence quand elle a ajouté le Blue à la suite de son prénom qu’Arcadia n’y a pas réfléchi à deux fois et l’utilise à chaque occasion. Nova-Blue, c’est le bleu de la patience, du calme, c’est celle dont les émotions ne font pas peur à Arcadia. C’est la seule personne dans cette ville avec qui elle se sente en paix. Le bleu du ciel, le bleu de l’océan, le bleu de l’infinité.

D’une amitié infinie qui atteint pourtant sa fin. Elles montent la colline à vélo, ces deux adolescentes presque insouciantes, sans se rendre compte qu’elle arrivent à la fin de montée. Quand elles redescendront à toute vitesse, il n’y aura que l’océan pour les accueillir en bas de la pente. Et peut-être bien que l’une d’elle s’y noiera.

C’est Nova-Blue qui lui a fait découvrir son film préféré. Little Women, parce que c’est ce qu’elles étaient encore à l’époque, même si ça n’avait pas vraiment le même sens. Elle se souvient encore de quand elles étaient bien au chaud sous leur couverture commune, à s’imaginer à la place d’une fille ou l’autre, à se transporter dans une autre époque. Arcadia avait cette envie irrésistible de devenir Jo, de pouvoir coucher des mots sur le papier elle aussi. Mais elle n’a jamais été très douée. Nova-Blue lui disait que si, que ça deviendrait encore mieux avec la pratique, mais elle se trompe. Arcadia a toujours été douée pour lire, pas pour créer.

Il en va de même pour les sentiments.

Et encore une fois, c’est Nova-Blue qui l’a aidée à les développer malgré ses difficultés. C’était elle, la loupe qui passait ses expressions au peigne fin pour bien la comprendre, jusqu’à ce qu’elle n’en ait plus besoin. C’était elle, la loupe qui magnifiait Arcadia, qui concentrait le soleil pour allumer la plus petite des flammes dans le cœur éteint de la zouwu.

Alors, quand Nova-Blue ment, Arcadia voit sous ses yeux la fissure se créer dans la loupe.

Dans le pilier de verre.

Dans le prisme.

Nova-Blue sourit, elle feint l'enthousiasme. Il y en a un peu, au fond. Mais il est si teinté, rendu si opaque par d’autres émotions qu’Arcadia ne connait que trop bien. Sa voix hurle que ce serait trop chouette. Son cœur marmonne qu’elle ne sait pas trop. Puis l’enthousiasme finit par disparaître entièrement.

Scarlett.

Celle qui deviendra la vraie sœur de Nova-Blue.

C’est peut-être le coup de trop dans le cœur d’Arcadia, le clou qui s’enfonce dans le cercueil de ses émotions. Est-ce qu’il y a encore quelque chose à sauver entre elles ?

« Ah, oui, je comprends. »

Elle ne comprend pas.

Parce que Nova-Blue, sa sœur c’est toi. Parce qu’elle t’a tant encouragée aux compétitions de gym, alors que celle qui partage son sang attendait son tour en te regardant avec défi. Parce qu’elle a déjà brisé sa famille une première fois et que tout ce qu’il lui reste, c’est cette amitié qui était si précieuse à ses yeux.

Il n’y a plus d’espoir dans les yeux d’Arcadia, ça ne sert à rien de faire semblant de toutes manières.

« Eh ben… Si il faut vraiment tu peux toujours l’amener avec toi. C’est pas si grave qu’on soit à trois. Je pourrai peut-être rencontrer Scarlett aussi. Elle est sympa quand même ? »

Il n’y a plus d’espoir dans les yeux d’Arcadia, mais il y a encore une braise dans son cœur. Pas encore complètement éteint par la vague qui s’est abattue dessus.

Elle n’attend qu’une seule chose. Que Nova-Blue lui assure que non. Qu’Arcadia ait l’impression d’être irremplaçable, qu’elle veuille bien que ce soit elle, sa vraie sœur et que Scarlett n’aura droit qu’à la seconde place.

Il n’est peut-être pas trop tard pour tout arranger, même si la guerre est déjà fini et qu’il n’y a plus que les cadavres de leurs sentiments vaincus au combat à ramener à la maison.

Jeu 23 Mar 2023 - 17:48

nightmares of my future possess my mind

nova-blue & arcadia

De vraies sœurs.
Est-ce qu’on peut devenir la sœur de quelqu’un ? La partie rationnelle de toi sait bien que non. Être sœurs, ça s’établit par le sang, par la génétique. Être sœurs, c’est sortir du même ventre, avoir vécu la même enfance, les mêmes galères, porter les mêmes gènes, l’ADN d’une identité dont on se sent parfois geôlier. Scarlett n’a rien de tout ça. C’est qu’une gamine qui crie pour qu’on la remarque. Pour que tu le remarques. Mais tu veux pas la remarquer, toi, tu veux pas lui accorder l’attention qu’elle demande, parce que si tu le fais, alors Emeraude a gagné. Et ça, c’est inadmissible.
La partie émotive de toi a envie de lui rétorquer que si, devenir sœurs, c’est possible. Qu’il n’y a pas que les gènes qui font les familles, et que cette complicité de celles qui ont tout partagé, tu peux la retrouver ailleurs. Cet ailleurs, il est devant toi, il est une Arcadie rêvée, un pays où vos rires sont lois et vos cœurs en deviennent les rois. Cet ailleurs, c’est Arcadia.
Il n’y a qu’elle qui puisse prétendre être ta vraie sœur, et tu es persuadée que ça restera le cas jusqu’au moment où vous mourrez.

Pourtant, tu sens déjà que sous vos pieds la patinoire était en verre, qu’elle a pas supporté le poids que vous mettiez dans votre lien et que, sous vos orteils tremblant, elle est en train de s’effriter.
« Non, c’est pas une bonne idée … » tu lances en baissant le regard. Les fissures sont invisibles à l’œil nu, mais pourtant le sol se dérobe et à mesure que vous marchez tu sens ta gorge de plus en plus nouée. « Elle prend toute l’attention en permanence, ce serait relou pour tout le monde. Je suis sûre qu’elle est pas capable de manger du popcorn sans en mettre partout. »
Et ce n’est même pas un mensonge. Arcadia ne supporterait pas Scarlett. Elle la trouverait trop bruyante, trop égoïste, trop maladroite. Elle la maudirait pour ses cris de rire et de colère, se recroquevillerait devant l’énergie dont la plus jeune de vous fait preuve. Ce tourbillon de flammes, elle l’a déjà avec Beatriz ; pas besoin de lui rajouter ça.
Mais y a une voix plus insidieuse qui se glisse tout contre ta nuque. Et si Arcadia supportait Scarlett ? Si elle se mettait à rire, elle aussi, à mettre du popcorn partout ? Si elles se reconnaissaient l’une en l’autre et finissaient par te laisser sur le côté, avec Bea qui passe son temps à tenter de te provoquer ?
Tu sais pas ce qu’il y a de pire.
Observer sous tes yeux troublés ton amie être mal à l’aise, ou bien la voir être plus heureuse avec Scarlett qu’avec toi-même. Égoïstement tu sais bien que tu le supporterait pas si elles devenaient meilleures amies et que tu restais sur le carreau.
Alors, quitte à perdre Arcadia, tu te dis qu’il vaut mieux une sœur, même non-choisie, plutôt que zéro. Que ça te semble plus rentable de tenter d’amadouer Scarlett que de l’introduire auprès d’elle et de risquer que tout explose entre tes mains décomposées. Tu préfère une sœur de seconde place plutôt que de risquer le coup et que celle qui règne en ton cœur se fasse la malle avec le temps.

Arcadia, c’est ta meilleure amie. Le bien le plus précieux du monde. Alors tu veux la protéger d’autres meilleures amies potentielles. Et tu ne réalises même pas qu’en faisant ça tu te bannis, inconsciemment, d’un quotidien que vous étiez prêtes à tenter. Tu te rends pas compte, Nova-Blue, que si la glace s’ouvre à vos pieds c’est que quelqu’un vient la creuser, et que si tu regardes tes bras c’est toi qui portes le piolet.
Tu soupires en cherchant tes mots.
« Faut que tu me croies, Arca. C’est pas pour t’embêter, c’est juste … oui, elle est sympa, enfin je crois, mais elle est … elle est pas comme nous. Elle bouge tout le temps, supporte pas de rester assise, elle court dès qu’elle a l’occasion et elle parle tellement fort que parfois j’ai la migraine. Ça, puis elle a deux ans de moins que nous, enfin … c’est plus simple comme ça. » Tu es triste sans vraiment comprendre pourquoi. « Mais je demanderai à Silver, pour la soirée film. J’ai vu qu’il y avait Narnia qui sortait bientôt, on pourrait peut-être même aller le voir au cinéma ?

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Ven 24 Mar 2023 - 22:05

Nightmares of my future

possess my mind

Ce devrait être une bonne nouvelle, quand Nova-Blue lui assure que Scarlett serait insupportable. Elle devrait en être ravie, Arcadia, parce que ça signifie bien qu’elle lui est supérieure, qu’elle a sa place dans le cœur de Nova à un point que la nouvelle sœur ne pourrait même pas rêver d’atteindre. Pourtant, ce n’est rien de tout ça. C’est l’aveux qu’elles ne pourront pas se voir, une fois de plus.

Arcadia est en bord de piste et elle ajoute une barre sur le tableau pour compter à chaque fois que Nova fait un tour sans s’arrêter devant elle. Elle en fait des formes, elle s’assure que s’il y a tant de barres, c’est simplement pour réussir à faire quelque chose de jolie au final, de tracer un dessin qu’elles seules comprendront et qui les réunira le jour où Nova-Blue s’arrêtera enfin. Mais Nova-Blue continue de marcher vers son gymnase, vers Scarlett, vers un endroit inaccessible à la zouwu qui se retrouve face à un tableau entièrement blanchi. Il n’y a plus la place d’ajouter d’autres traits.

Le dessin ne ressemble à rien.

À la surface de ses pensées, il y a les émotions de Nova qui grattent, qui essaient de se frayer un chemin jusqu’à sa conscience pourtant inatteignable. Si elle sentait son angoisse, sa peur, elle pourrait peut-être comprendre que Nova l’aime réellement, qu’elle la considère autant comme une sœur que la réciproque est vraie. Mais elle n’a rien de tout ça. Elle n’a que des faits, des paroles qui s’additionnent les unes aux autres et qu’elle trie le regard vide pour mettre du sens dans ce qui n’en a pas.

Les faits sont là.

Nova-Blue ne peut plus passer de temps avec elle.

Elle essaie de se rattraper pourtant. Elle continue de parler mais elle ne fait qu’ajouter d’autres dossiers à la pile qu’examine Arcadia. Scarlett est sympa. Elle est différente d’elles. C’est plus simple de s’en tenir éloigné. En le reliant à un autre dossier, elle comprend le sous-texte : c’est plus simple de se tenir éloignées, point final. Que ce soit de Scarlett ou de Nova-Blue, elle n’a plus le droit de s’approcher. Alors quand Nova lui propose d’aller au cinéma, le sourire d’Arcadia lui parait plus faux encore que les précédents. C’est un effort surhumain que de forcer son corps à bouger par lui-même dans ces moments innommables.

« Ce serait super oui. La bande-annonce avait l’air bien. »

Mais il y a toujours la même ombre aux couleurs de coucher de soleil, sur leur tableau. Il y a cette lumière rouge qui passe au travers de la mosaïque qui entoure leur petit monde qu’elles partagent toutes les deux.

« Tu penses qu’elle bougera et parlera fort même au cinéma, Scarlett ? »

Parce que ça lui paraît évident qu’elle sera là. Parce qu’elle ne voit plus vraiment d’autres alternatives mais qu’elle est prête à prendre la mosaïque teintée de rouge si c’est pour la faire tenir un peu plus longtemps. Elle en oublierait que le rouge, c’est le feu qui s’approche et qui menace de les brûler toutes les deux.

« Enfin sinon, on peut dire à ton père que c’est moi qui t’invite avec mon argent de poche. Il me ferait pas payer la place… » ..De Scarlett. Il ne la lui ferait pas payer, mais peut-être qu’il la paierait lui-même.

C’est un feu de forêt, il arrive lentement mais c’est indéniable : Scarlett arrive et les encercle. Arcadia n’a aucune échappatoire.

Impossible de finir sa phrase.

Impossible de regrouper ses pensées.

Elle n'a plus d'idées, alors qu'elle a déjà compris la fin du film mais qu'elle doit rester jusqu'au bout pour voir son nom dans la liste des actrices. Peut-être qu'il y aura une scène cachée après le générique pour lui annoncer une suite et la faire espérer un futur moins noir. Moins vide.

Âge : 31 ANS (28/08/1990)〖 grandie trop vite et sans prévenir

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nova-blue & arcadia

Ce qui serait réellement super, ce serait de faire un échange. Tu donnes Scarlett aux Barbosa, tu prends Arcadia en échange. Tu es certaine qu’avec elle, il n’y aurait pas de dispute pour le lit du haut dans les lits superposés. Et puis même, sans doute que vous n’auriez même pas besoin de lits superposés ; vous dormiriez dans le même lit, face à face la tête sur les oreillers blancs, et vous glousseriez bêtement jusqu’à vous endormir, tranquilles. Sans doute qu’elle aimerait les mêmes céréales que toi, celles qui n’ont pas de jeux pour enfants dessinés sur la boite. Vous iriez à la gym ensemble, et il n’y aurait que le collège qui vous séparerait vraiment.
Alors, tu prendrais un carnet spécial et tu noterais dans la journée plein d’anecdotes exprès pour elle. Pour que, le soir en la voyant, tu puisses lui redire toutes ces choses qui t’ont fait penser à elle.
Voilà, ce qui serait super.

L’idée d’aller au cinéma avec elle et Scarlett, de faire des sorties avec elle et Scarlett, ça te semble pas super du tout. Ça ressemble même à ton pire cauchemar, d’imaginer ton siège dans le noir assise entre elles deux. Scarlett, qui met du popcorn partout et qui s’esclaffe à chaque drôlerie comme si elle était seule au monde. Arcadia, vaguement paniquée, qui essaie de se faire petite pour ne pas qu’on se rende compte qu’elle est avec cette gamine insupportable. Et toi, au milieu. Prise entre deux feux. Le cul entre deux chaises. Le cœur entre deux sœurs.
Tu as beau l’aimer, Arcadia, c’est pas un amour qui fait le poids face à ce que veulent les adultes. Emeraude et Silver ont été clairs, très clairs ; vous êtes une famille, maintenant. C’est vous quatre, tous les quatre, tout le temps. Que tu ne sois pas d’accord, ça va rien changer. Que tu refuses, et ils vont juste te forcer. Tu vas devoir te plier, docile. Le feu, ça rend le verre plus souple pour le tordre sans se briser.
Vous êtes arrivées à la fin, à ton gymnase pour la soirée.

Presque trop heureuse de pouvoir fuir cette discussion, tu lances d’un ton un peu enjoué.
« Écoute, je pense que ce serait cool ! On peut s’appeler pour se redire ? Là, il va falloir que j’y aille, sinon je vais être en retard pour l’entraînement. »
Tout ignorer. Le regard fissuré qu’elle te jette comme si tu venais de la larguer. Le son de ton propre myocarde qui s’éclate petit à petit. Les craquelures qui se sont formées sans que tu n’aies assez de feu pour pouvoir les combler toi-même.
Tu déposes un baiser sur sa joue, aussi gracile qu’un papillon.
« En tous cas ça m’a fait plaisir de te voir. »
C’est un truc de grandes personnes, ce genre de formules de politesse. Tu es devenue une grande personne, tandis que le verre de l’enfance s’est éclaté depuis longtemps et que tout les tessons, par terre, ne sont que des blessures de plus. La petite fille en toi s’indigne et insiste pour que tu sèches le cours, que tu fasses l’école buissonnière en allant manger des kinder avec celle qui sera toujours ta sœur.

T’es plus une enfant, Nova-Blue.
D’un petit geste de la main, tu salues Arcadia encore avant de lui tourner le dos pour pénétrer dans le gymnase.

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Nightmares of my future

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Elle le voit arriver, le gymnase. Il détonne sur le canevas bleu qui leur sert de ciel. C’est lui, l’iceberg du jour, celui sur lequel elles vont faire naufrage pour cette fois. Elles y survivront. Sûrement qu’elles prendront un bateau de sauvetage, chacune un différent, et qu’elles navigueront jusqu’au prochain navire. Jusqu’au prochain naufrage. Sur le chemin, Nova aura fait un peu mieux connaissance avec Scarlett et Arcadia aura appris un peu mieux à ne pas faire de vague. Parce que l’équilibre est trop précaire et qu’elle pourrait tomber à l’eau à tout moment. Il n’y aurait pas de planche pour la sauver.

Elle dit que ce serait cool, mais ce que sa voix dit, c’est que le gymnase est cool. Cool de les séparer, parce qu’Arcadia tombait à court d’idées pour paraître encore proche d’elle de toutes manières. Elle doit faire le plein pour la prochaine fois qu’elle essaiera, s’écharpera les doigts et regrettera une fois de plus. Mais si elle n'essaie pas, alors personne ne le fera. Parce que Nova-Blue a l’air de préférer la fuite. Peut-être même que c’est elle qui a raison.

Le baiser sur la joue, la phrase lancée comme celle qu’elle dirait à la grand-tante qui a passé l’après-midi à boire le thé avec les adultes et qu’elle a aperçu un bref instant, tout parait si faux, si maîtrisé pour être doux alors que le verre craque sous leurs pieds et qu’en-dessous, les requins sont affamés.

« Oui, on s’appelle. À la prochaine. »

Les mots lui écorcheraient la gorge si elle s’entendait les prononcer. Elle est désespérément seule. Elle est seule sur le trottoir lorsque les minutes défilent et que Nova-Blue n’est plus là. Que d’autres passent à côté d’elle sans vraiment s’inquiéter de voir cette gamine à l’air vide fixant l’horizon. Elle est seule lorsque la sonnerie de son téléphone la tire de sa transe plus d’une heure plus tard pour que la voix d’une tante inquiète lui demande où elle se trouve. Qu’elle lui réponde qu’elle est au gymnase, mais qu’elle est en route pour rentrer. Qu’elle ne perdra plus de temps de toutes façons parce qu’il n’y a plus grand-chose pour la détourner de son chemin.

Elle ne sait pas si elle l’a appelée, Nova-Blue, dans ce « plus tard » qui ne veut rien dire du tout. Elle ne sait même pas si elles sont allées au cinéma ensemble. Sûrement que non, sinon elle imagine qu’elle s’en serait souvenu. Ou bien Scarlett était là et Arcadia a préféré ignorer cet évènement que de remarquer à quel point sa place était prise, maintenant.

C’est la vie.
Arcadia doit grandir. S’intégrer. Oublier la mosaïque d’un passé en morceaux.

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