lego ninjagoI'm just as broke as the day I was born

T'as pas envie d'être là, London. En fait, quand tu y réfléchis un peu, t'as envie d'être nulle part. Avant, il y avait des lieux que tu pouvais appeler maison, mais la guerre est passée par là et à présent ton seul foyer, c'est les cendres que les explosions ont laissées. T'as pas envie d'être là mais t'as nulle part où aller, rien que l'horizon lointain que tu fixes quand tu cours, quand tu fuis, toujours. Tu fais plus de rugby, London, mais t'es toujours ailière au fond, occupée à poursuivre un ballon que tu n'attrapes jamais.

T'as pas envie d'être là, London, avec Millie qui parle trop fort à côté de toi et répète en boucle le mot patinoire comme un disque rayé qui aurait abusé de RedBull. T'as pas envie d'être là, avec Jason et ses pieds bien trop grands qui embarrassent le gérant avant qu'il ne finisse par trouver une paire de patins adaptés. T'as pas envie d'être là, avec Randall qui a fait une crise légendaire pour venir et qui tient la main de Kate, l'éducatrice qui a organisé la sortie, normalement prévue pour des ados, pas pour un gamin de neuf ans. T'as pas envie d'être là avec les dingues et les paumés, quand bien même t'es dingue, quand bien même t'es paumée. T'as envie d'être seule, à des milliers de kilomètres, sans comptes à rendre à personne.

T'as pas envie d'être là, London. A choisir, t'aurais préféré être ailleurs, mais tu sais bien qu'une fugue, ça se prépare, que si tu veux pas que la police te choppe, tu dois agir au bon moment. T'as mis ce qu'il fallait dans ton sac et tu vois bien que Steven te scrute, qu'il te lâche pas d'une semelle, l'éduc qui a lu ton dossier avec le mot fugueuse surligné en orange fluo. T'aurais pu rester au foyer, attendre une autre sortie, plutôt que d'affronter cet enfer verglacé, mais au foyer, il y a Willow et ses poings un peu lestes, Willow qui saisit chaque opportunité pour te rappeler que t'es pas digne d'exister. Les adultes font rien, ou du moins pas assez, et si face à d'autres brutes, tes pouvoirs chaotiques t'ont parfois protégée, cette fois-ci les jets d'eau n'ont fait que raviver la flamme meurtrière dans ses yeux écarquillés. Elle t'a pris en grippe, parce que t'étais nouvelle d'abord, parce que t'étais un monstre, ensuite. Alors aussitôt que tu as eu une ouverture, une fenêtre entrebâillée, tu as sauté sur l'occasion, London, quand bien même c'est sur une terre hostile que tu t'es réfugiée. Une patinoire. Fuck my life.

T'as pas envie d'être là, London, au milieu des décorations kitsch et des lumières qui saturent tout, à écouter les chants de Noël qui s'échappent de toutes les enceintes. T'as pas envie d'être là à regarder leurs sourires, à écouter leurs rires, alors que tout te rappelle un bonheur que tu as cru atteindre mais qui ne sera jamais tien. T'as pas envie de fêter Noël qui approche, rappel trop douloureux d'un temps où décembre rimait avec famille, avec joie, avec Shail. Maintenant sa mort plane sur les célébrations et tu n'as plus le cœur à la fête. Et ça te donne presque la nausée de voir qu'eux la font sans problème. Qu'ils sont heureux et insouciants alors que toi t'as traversé l'Enfer et t'es revenue sans Eurydice. Qu'ils arrivent à faire des feux de joie sur les cendres que la guerre a laissées. Qu'ils s'amusent, et ce sera peut-être ta chance, ce soir, celle de disparaître dans la foule sans attirer les regards.

T'as pas envie d'être là, London, et pourtant c'est bien toi, la nymphe maudite par l'eau qui se tient au bord de la patinoire comme si ta vie en dépendait. Tes pieds refusent de t'obéir et doucement les émotions montent en un beau cocktail molotov qui finira par exploser. Steven t'a proposé son aide mais t'as refusé avec hargne. Hors de question qu'il te colle aux basques, peu importe si t'es pas douée. Peu importe si dès que tu lâches un peu le bord pour te fondre un peu dans le mouvement, tu te rattrapes immédiatement au manteau du mec devant toi, risquant de vous faire tomber tous les deux.