I'm trying to figure how you feel ♦ NovarcadiAU

What if you never left ?
What if we kept on blowing glass, added a drop of color ?
What if you were by my side the whole time I needed you ?

Nova-Blue, c’est sans conteste la partition la mieux écrite qu’elle ait eu la chance de lire. C’est une suite de notes qui monte tout en douceur, c’est une fine écriture dans les marges, ajoutées par l’innocence d’une enfant qui ne veut rien oublier, c’est ces moments de silence qui sont aussi importants que le son des instruments. C’est la sensation de calme et d’apaisement quand elle ferme ses yeux, c’est l’impression que si tout le reste du monde est désaccordé, si le diapason d’Arcadia n’est pas à la bonne fréquence pour eux, il l’est pour Nova-Blue.

Deux notes en parfaites harmonie.

Son amie la plus chère.

Elle ignore les bruits de couloir, au lycée. Elle ignore les chuchotements sur son passage ou même les gens qui lui crient des injures. Ils sont si simples à noyer sous le poids de ses pensées, sous le châle de son indifférence totale à tout ce monde qui existe en dehors d’elles. La plupart du temps, il n’y a personne au lycée, elle navigue dans des couloirs vides, elle écoute les leçons provenant de spectres à la voix monocorde et elle les note avec diligence. Elle laisse les journées s’égrainer sans y porter plus d’attention que ça. Et parfois, elle entrouvre les yeux pour celles qui sont supposément ses amies, celles qui lui permettent de se sentir un tant soit peu inclue, même si ce n’est qu’une façade. De toutes manières, sa vie entière est déjà planifiée.

Elle deviendra policière, Arcadia. Elle appliquera les règles comme on le lui demande, elle aidera ceux qui sont comme elle et qui pourraient avoir besoin d’une main tendue. Elle vivra près de chez Nova-Blue, peut-être avec elle si son amie ne trouve personne avec qui partager sa vie. Elle aura sans doute un animal, parce qu’il parait que ça aide à se raccrocher à la réalité, d’avoir un animal dont s’occuper. Peut-être un chat. Elle ne se voit pas élever un chien, ça lui parait trop compliqué. Et un oiseau risquerait de chanter en même temps qu’elle, de briser ses mélodies et ça ne lui plairait pas.

Elle a tout prévu, Arcadia, et le lycée arrive heureusement à son terme. Des années entières loin de Nova-Blue, dans un établissement différent à cause d’un système mal fichu qui a décidé de les séparer d’un côté à l’autre de la ville pour les supposées plus belles années de leur vie. Mais ça ne fait rien.

Il y a des émotions partout autour d’elle. Il y a des demandes, il y a des déclarations, il y a des raz-de-marée, parce que le bal de fin d’études arrive à grands pas et que tout le monde semble ne penser qu’à ça. Pour Arcadia, c’est vite vu : pour ne pas avoir à refuser de déclarations ou de demandes, elle a décidé d’avance qu’elle irait avec Nova-Blue. C’est bien plus simple ainsi. On lui pose moins de questions.

Mais il y a plus de ragots et de bruits autour d’elle.

Rien qui ne l’empêche de survivre, de patienter jusqu’au fameux jour, d’aller chercher Nova-Blue chez elle, même, en empruntant la voiture de son oncle.

Elle a fait un effort, Arcadia. Elle est restée en chaussures plates, mais elle les a accordées à sa longue robe mauve. Le mauve, c’est toujours à côté du bleu sur la roue des couleurs. Le mauve, il garde toujours sa place entre le bleu et le rouge, il s’impose un peu, il rappelle sa présence sans aucune violence. Le mauve, il est doux et agréable, il apaise et il calme, il est sage et serein.

Le mauve, il est drapé autour d’Arcadia qui retient sa robe pour l’empêcher de toucher le sol tant qu’elles ne sont pas arrivées à la salle du bal, tant qu’elle attend Nova-Blue en écoutant les yeux fermés les différents bruits qu’elle entend venir de derrière la porte.

Elle arrive, Nova-Blue. Arcadia pourrait reconnaître le timbre de ses émotions entre mille, alors ce n’est qu’une formalité de se concentrer dessus parmi les quatre âmes qui peuplent son chez elle.

Arcadia ?

Arcadia, oui. Ce prénom dans lequel elle se sent souvent trop peu à l’aise, qui ne signifie pas grand-chose pour elle. Ce prénom qui prend toute son importance quand elle entend la voix de Nova-Blue l’appeler et qu’elle tourne la tête dans sa direction. Elle était tant prise dans son observation empathique, dans l’excitation de celle qu’elle présume être Scarlett et dans la tendresse de Nova, qu’elle n’en a pas entendu les pas qui foulaient l’escalier.

Elle se sent voyeur dans l’âme, Arcadia, prise en flagrant délit face au regard de son amie à qui elle sourit en voyant cette fois-ci non pas son âme, mais sa robe toute en dentelle et en délicatesse. C’est presque étrange de la voir comme ça, elle a plus l’habitude de son justaucorps et de ses tenues de tous les jours, surtout ces jours-ci où le temps qu’elles ont eu ensemble a été limité par les cours et la fin d’année scolaire.

Elle est radieuse Nova-Blue, apprêtée comme elle est. Elle a l’air heureuse aussi, et c’est suffisant pour qu’Arcadia ait envie de l’imiter en se prêtant au jeu elle aussi. Elle laisse tomber sa robe, tant pis si elle touche le sol, elle veut être une princesse elle aussi pour accompagner son amie. Alors elle tourne, elle montre que sa robe aussi peut être magique sous son apparente simplicité, quand les volants se surélèvent le temps de son tour et que le dégradé de mauve se révèle. Elle n’a jamais été aussi colorée, mais ça lui plait bien de se prêter au rôle d’une jeune fille normale pour une fois.

« Si j’avais su, j’aurais choisi une robe plus élaborée. La tienne a l’air faite pour toi en tous cas, t’es superbe. »

Sans surprise. Nova-Blue est grâcieuse, impressionnante. Elle se tient toujours bien droite même quand elle croule sous le poids des responsabilités et de la frustration. Arcadia voit bien tout ce qu’il se passe en elle, ce qui s’accroche de plus en plus fort autour de son cœur depuis des années. Elle comprend que son amie est en proie à la plus grande des douleurs, sous tous ses sourires et tout ce qu’elle cache par une apparence impeccable. Arcadia n’a pas ce problème, au moins. Elle est trop vide pour comprendre toutes ses angoisses.

Pourtant, c’est dur. C’est dur, de voir son amie tomber en morceau jour après jour en n’étant pas là pour reboucher les fissures. Elle aimerait tricher, utiliser ses capacités qu’elle a pourtant trop refoulé, apaiser son amie. Mais chaque fois qu’elles se voient, il est déjà trop tard. Nova-Blue n’a plus besoin d’aide, la plupart du temps, quand elles sont ensemble. C’est quand elles sont éloignées, quand Nova porte tout le poids du monde sur ses épaules que les dégâts surviennent et qu’Arcadia ne peut rien faire. Rien d’autre que d’en contempler l’ampleur et essayer de minimiser la chute. Souffler du verre coloré dans les fissures de son âme.

En attendant, tout ce qu’elle peut faire, c’est lui proposer une soirée aussi parfaite que possible. Sûrement qu’elles ne seront pas à leur place dans la salle de bal, malgré leurs tenues de combat. Elles ne sont jamais vraiment à leur place, toutes les deux, même si Arcadia est très douée pour en donner l’impression et que Nova-Blue ne se laisse jamais abattre.

« Viens vite, j’aimerais arriver avant l’heure. »

Elle ne peut pas s’éterniser là. Elle aimerait être en avance. C’est rassurant d’être en avance, ça permet d’attendre le moment parfait pour entrer, ça permet d’avoir le contrôle sur toute la situation. C’est toujours comme ça dans son planning, tout est planifié dix minutes plus tôt que ça ne devrait l’être pour toujours être capable de rebondir. Et après dix minutes à attendre Nova-Blue, elle est contente de pouvoir la guider jusqu’à une voiture parfaitement banale, parfaitement clichée de la banlieue américaine. Trop grosse pour leurs physiques de fin d’adolescence, trop imposante pour elles qui sont habituées à limiter les vagues. Mais c’est leur citrouille ce soir, et Arcadia n’a pas de couvre-feu.

Alors la soirée, elle leur appartient. À elle et à Nova-Blue.

C’est difficile de ne pas quitter la route des yeux avec une amie comme Nova-Blue. Le regard d’Arcadia est constamment attiré par les détails de sa robe, la manière dont bougent les mains de Nova quand elle parle, toutes ses petites mimiques et les émotions qui vont avec. Elle n’aime pas son pouvoir, Arcadia, parce qu’elle ne comprend pas les gens qui l’entourent. Mais elle comprend Nova et elle a l’impression que sa joie est contagieuse, que tout ce qu’elle ressent fait écho à ce qu’il se passe dans l’esprit de la zouwu. Et ça lui fait un bien fou.

Son rire est discret quand Nova lui tend la main et l’invite à descendre de la voiture. Sa peau rendue chaude par le contact avec le volant. Scarlett les laisse déjà et Arcadia ne va pas s’en plaindre. Cette soirée, elle leur appartient à toutes les deux. Elle a confiance en cette pensée quand elle monte les marches avec Nova, quand elle a son bras accroché au sien et qu’elle a l’impression de pouvoir conquérir cette salle de bal. Elle la présentera sans le moindre problème aux filles de son lycée, cette merveilleuse Nova-Blue qui est sa meilleure amie et la plus belle âme qu’elle ait touché.

Mais une goutte d’eau vient troubler la tranquillité de leur lac. Les ondes se répercutent. Arcadia, toujours à l’écoute des émotions de Nova, sent que quelque chose remue sous la surface. Une inquiétude. Une peur de cet inconnu qui ne l’est qu’aux yeux d’Arcadia. Ce Kevin.

Nova lui dit de partir devant et elle n’en a pas envie. Elle s’exécute pourtant. Elle lâche son bras, laisse sa main glisser contre celui de Nova pour lui rappeler qu’elle est là pour elle, s’éloigne. Mais il n’y a que son corps qui s’éloigne et qui va saluer d’autres personnes, juste derrière les portes de la salle. Sa conscience, elle, reste fixée sur son amie. Sur ses émotions, sur la manière dont elle boue de plus en plus. Ça la détruit, Arcadia, alors pourquoi est-ce qu’elle reste là, à sentir son amie souffrir sans rien faire ?

Peut-être parce qu’elle a peur. Peur de ce qu’elle affronte. Peur d’aggraver les choses, parce qu’elle les connait les Kevins et leur ton mielleux et que quand elle prend le risque de rembarrer les siens, ceux de son lycée, ça ne finit jamais très bien. Alors peut-être que c’est pour le mieux, si elle reste éloignée.

Peut-être.

Sauf qu’elle ne peut pas tenir bien longtemps. Elle sent le désarroi, elle sent le dégoût, elle sent la tristesse insondable, elle sent les larmes lui monter alors qu’elles doivent déjà être arrivées aux yeux de Nova. Jamais empathique, sauf pour elle. Pour Nova, Arcadia a l’impression de pouvoir ressentir toutes les émotions du monde. Et elle déteste la douleur qui monte dans sa poitrine.

« Je reviens, désolée. »

Elle ne laisse pas la cheerleader lui répondre, elle a déjà tourné les talons. Nova-Blue a besoin de son aide et c’est plus important que tout le reste. Elle repousse les portes, elle cherche les environs du regard. Elle voit la robe bleue qui s’agite au vent alors que des pas rapides l’éloignent. Alors elle court aussi, Arcadia. Elle a bien fait de mettre des baskets pour conduire, parce qu’elle n’aurait jamais pu courir en talons et que rejoindre Nova-Blue au plus vite est un impératif.

Quelques secondes. C’est tout le temps qu’elle laisse à Nova pour rester seule dans son petit coin de sécurité entre la voiture et le mur. Quelques secondes mais c’est déjà trop et après ça, elle vient la prendre dans ses bras. Elle se moque que ce ne soit pas confortable quand Nova est recroquevillée comme ça, elle se moque du monde entier parce qu’elle a ce besoin impérieux d’être avec Nova. De la réconforter coûte que coûte.

Elle la fait relever la tête, elle lui offre son front pour le coller contre le sien. Elle se bat avec son pouvoir, celui qui lui permet de calmer les gens mais qu’elle n’a presque jamais utilisé. Il n’y a qu’une seule personne qui le mérite réellement, que sur Nova-Blue qu’elle accepte de l’utiliser parce qu’elle veut à tout prix l’apaiser, l’aider à aller mieux.

« J’aurais pas dû te laisser seule. Je suis désolée Nova. Mais je suis là. » Elle se répète, elle veut que sa voix l’atteigne, elle veut la faire se sentir aimée comme elle le mérite. « Je suis là Nova. »

Elle est là et il n’y a personne d’autres autour d’elles. Pas pour l’instant. Elle ne sait pas combien de secondes de répit elles auront mais elle compte profiter de chacune d’elles. Elle pourrait être en colère contre Kevin, elle pourrait vouloir venger son amie, mais il n’y a rien de tout ça dans le cœur d’Arcadia. Elle n’a pas la place pour tout le spectre des émotions humaines et si elle doit en choisir une, elle choisira toujours l’amour.

« Je sais pas ce qu’il s’est passé avec Kevin mais on s’en fiche. On s’en fiche de tous les autres, ok ? S’il y a que ça on peut rester à l’extérieur, on est pas obligées d’aller au bal. C’est qu’un prétexte pour moi, parce que je veux juste passer la soirée avec toi. »

Elle garde les yeux fermés, leurs fronts collés l’un à l’autre, elle cherche d’autres mots rassurants, elle cherche le moyen de faire comprendre à Nova à quel point elle est tout pour elle, si précieuse et unique. Ce serait tellement plus facile si son amie aussi était une zouwu. Elle n’aurait pas besoin de parler, juste de ressentir.

L’apaisement quand elles sont ensemble. La joie quand elle la voit heureuse. La fierté d’être son amie. L’envie de l’être pour toujours et de ne jamais la laisser.

Elle l’aime, Nova-Blue. Elle l’aime d’une manière impossible à mettre en mots parce qu’elle a l’impression que c’est plus profond que tout autre sentiment. Mais elle ne sait pas se l’expliquer à elle-même, alors plus que jamais les mots lui manquent.

« Je veux juste te voir heureuse. »

Parce que si Nova-Blue doit pleurer, Arcadia préfère que ce soit de rire. Et en attendant, elle sèche ses larmes. Elle lui prête ses mains qu’elle pose délicatement sur la peau chaude de ses joues pour que ses doigts récupèrent les quelques gouttes qui y coulent. Elle ne sait pas réconforter les gens, Arcadia. Elle est maladroite, mal à l’aise avec les autres, seulement capable de jouer le rôle de leurs attentes pour leur faire plaisir. Mais avec Nova, elle essaie. Elle n’a pas d’autre choix.

Les pouces d’Arcadia courent sur les joues de Nova-Blue, ils en caressent les pommettes délicates comme s’il s’agissait du plus doux des tissus et qu’ils devaient absolument empêcher les larmes de l’imbiber de tristesse. Leurs fronts se touchent, leurs regards se croisent et Arcadia n’a jamais eu la sensation d’être aussi proche de Nova. Elles ont passé la moitié de leurs vies ensemble, à s’apprivoiser et à regarder le monde depuis leur petit perchoir. Pourtant c’est maintenant qu’elle la comprend le mieux, qu’elle ressent le mieux ses émotions. En cet instant où sa plus tendre amie lui semble brisée en un millier de morceau, lancée au sol comme une vieille assiette alors qu’elle est digne de la plus fine des orfèvreries.

Les mots qui sortent de sa bouche sont horribles. Arcadia l’entend parler et soudainement toutes ses émotions prennent sens. Elle ne sait pas qui c’est, ce Kevin, mais elle sait qu’elle aimerait le lui faire payer, lorsque sa meilleure amie ira mieux. Il y a quelque chose qui s’enfonce dans la poitrine d’Arcadia, ce pieu de glace qui lui signale que quelque chose ne va pas, qu’il y a quelque chose de plus qui l’attriste dans le discours de Nova-Blue. Avant que la glace ne fonde sous la chaleur de ses compliments sanglotants et désespérés.

Elle ressent chacun d’eux avec la puissance d’une éruption. Elle n’est pas habituée à ressentir tant de choses, Arcadia, alors quand la sincérité et la tristesse de Nova-Blue pénètrent son esprit avec toute la force du désespoir, elle a l’impression qu’il y a trop de choses qui se passent en même temps. Elle surcharge, elle ne comprend pas, elle a presque envie de fuir, s’enfouir sous une douce couche de glace pour observer le monde d’une certaine distance. Mais elle ne le contrôle pas plus qu’avant et elle est bien là.
Elle est présente, elle fait face à Nova-Blue et elle se dit que peut-être, elle, elle ne serait pas contre l’idée d’embrasser son amie.

La pensée la traverse, pendant un instant. Elle sait que ce serait plus facile que tout. Qu’il n’y aurait rien de plus à faire que de s’avancer un peu plus, de pencher la tête de quelques centimètres. C’est une pensée terrible, une pensée qui va à l’encontre de tout ce qu’elle devrait faire alors que Nova-Blue lui dit à quel point elle est blessée qu’on puisse penser ça d’elle. Pire que ça, mais ça quand même.

Elle ne comprend pas pourquoi elle pense à ça, à ce moment-là.

Elle ne comprend pas la moitié des idées qui lui passent par la tête en temps normal, mais encore moins celle-là.

Qu’est-ce qu’elle est sensée faire ?

Elle ferme les yeux. Elle parle calmement.

« Je sais que j’essaie toujours de me faire bien voir. À l’école. En ville. Devant ta famille ou la mienne. Je sais que j’essaie de jamais faire de vagues parce que c’est beaucoup plus simple. Mais… »

Est-ce qu’elle devrait rouvrir les yeux ? Est-ce qu’elle devrait reculer son front, arrêter de caresser les joues de son amie ? Est-ce qu’elle devrait arrêter de laisser son âme se mêler à la sienne, en capter les essences et les émotions profondes ? Elle ne sait pas. Elle n’arrête fait rien de tout ça.

« Mais au fond si je devais choisir, le seul avis qui m’importe vraiment dans ma vie, c’est le tien. Je sais que toi tu me vois vraiment comme tu le dis et je pourrais pas être plus heureuse qu’en entendant ça. Les autres, dans un an on les verra plus. On pourra partir aussi loin qu’on veut et aller dans une ville où on viendra pas nous embêter. » Elle rouvre lentement les yeux, finalement. C’est bien la seule chose qui change. Parce qu’elle a besoin de lire le regard de Nova-Blue, parce que son âme n’est pas suffisante. « Tout ce que je veux, c’est qu’on reste proches toute notre vie. »

C’est le mieux qu’elle puisse dire, sans vraiment comprendre ni même trouver les mots qu’elle aimerait prononcer. Elle aimerait faire plus pour elle, arrêter de lui répéter la même chose mais avec des mots différents et une intensité un peu plus prononcée que la première fois. Elle aimerait, elle aimerait, elle aime, et lorsqu’elle avance ses lèvres c’est seulement pour embrasser la joue de Nova-Blue avant de laisser sa tête revenir en arrière et ses mains glisser sur les épaules de son amie. Elle aimerait. Mais elle se contente de sourire, ses propres yeux humidifiés de larmes qu’elle attribue à la tristesse ressentie chez Nova-Blue et non pas à la manière dont elle enfoui ses propres sentiments en s’en rendant à peine compte, pas tout à fait consciente de leur existence.

« Alors est-ce que tu veux bien danser avec moi, juste ce soir ? Un seul éclat avant de revenir au calme et de ne plus se faire remarquer. »

C’est peut-être tout ce à quoi elles auront droit mais Arcadia refuse de s’en priver. Que ce soit sur le parking, dehors sur le côté du bâtiment pour être encore plus à l’abri des regards ou même en plein milieu de la foule. Elle s’en moque, elle veut simplement partager cette seule soirée avec Nova-Blue avant que les prochaines soient plus paisible, composées de pop-corn, d’histoires à dormir debout et de confessions amusantes. Elle veut juste être normale, et pour elle, être normale ça veut dire participer à ce bal avec la personne la plus chère à ses yeux. Juste une fois.

Juste une.

Il doit y avoir un glas qui sonne quelque part.

Le glas de la révélation, le glas qui amène le changement par son tintement miraculeux, qui montre que les choses peuvent bouger. Celui-là même qui baigne la ville d’un son clair, qui apaise les cœurs, qui apporte à Arcadia les réponses à toutes ses questions.

Il doit y avoir un glas qui sonne, quelque part.
Mais pas ici.
Pas totalement.

Il résonne à l’arrière de ses pensées, dans un brouillard lointain qu’elle n’arrive pas encore à percer. Il résonne comme les paroles de Nova-Blue, dont les phrases s’emmêlent maladroitement. Ca la gênerait pas. D’accord, mais est-ce que ça lui plairait ? Est-ce qu’elle serait seulement indifférente ? Il y a tant de paramètres dans cette équation, tant de choses à prendre en comptes qu’Arcadia n’arrive pas à trouver la valeur de ce X mirobolant.

Le X, c’est là où se trouve le trésor, habituellement.
Le X, peut-être que c’est simplement Nova-Blue.

Elle se fait pirate, mathématicienne, archéologue, elle fouille partout où elle le peut, Arcadia, alors que son regard reste figé dans celui de Nova comme si elle y cherchait une réponse. Combien de minutes sont passées ? La soirée est-elle déjà finie ? Arcadia cherche tant à s’inventer des métiers qu’elle en oublie le temps qui passe. Pire, elle en oublie quelque chose de fondamentale.

Arcadia, elle est Violoncelliste. Elle s’accorde aux autres pour que les sons résonnent en harmonie. Elle sait écouter les sons, alors pourquoi est-ce qu’elle n’écouterait pas ce glas ?

« Blue ? »

Le nom part tout seul. Elle n’a pas le temps de le retenir, il est déjà là, posé entre elles, entre leurs visages déjà si proches qu'il passerait presque d’une bouche à l’autre, sans faire d’effort, en un souffle. Elle pourrait s’arrêter là. Elle pourrait changer sa question, dire autre chose, nier, affirmer que non, elle n’est pas lesbienne d’elle.

Il y a ce glas qui résonne et qu’elle entend, accompagné de tambours fracassants venant de sa poitrine. C’est à elle de les accorder et d’en faire une mélodie.

Les yeux de Nova-Blue posent mille questions, mais Arcadia n’en a plus qu’une seule.

« Est-ce que je peux t’embrasser ? »

Là, dans ce parking, cachées de tous ? Jamais elle n’aurait rêvé cette scène, mais elle ne s’est jamais permise de rêver d’une scène similaire de toutes façons. Les lèvres de Blue avaient toujours été hors d’atteinte. À travers le mur de la salle de bal, la musique résonne et Arcadia n’en entend pas une note.

Tout ce qu’elle entend, c’est les tambours qui lui rappellent sa peur de tout perdre, de se tromper, de mal interpréter ses sentiments ou les mots de son amie.

Les tambours battent à tout rompre.
Il n’y a plus d’orchestre, plus de cacophonie ; seuls priment les battements d’un cœur qui est prêt à s’envoler, à sortir de la poitrine d’Arcadia alors qu’elle a peur. Peur d’avoir mal interprété, peur de se tromper, de jeter en l’air toute une amitié. Excitation à l’idée qu’elle ait peut-être raison. Que ce soir, elle pourrait goûter aux lèvres interdites de Nova-Blue, de la seule femme qui ait un tant soit peu d’intérêt dans un monde sans couleurs.

Un carillon s’ajoute aux tambours. Le rire de Blue, ce rire maladroit, emprunt de joie et de compréhension. Les tambours s’y accordent, à ce tintement céleste. Ils accélèrent, mais leur rythme se fait moins saccadé, plus limpide. Ils se mêlent au glas qui berce les oreilles d’Arcadia et étend ses lèvres de plus en plus grand.

Sourire incontrôlable en comprenant petit à petit que Nova-Blue s’apprête à acquiescer.

Elle balbutie ses premiers mots, elle butte contre l’acceptation, mais Arcadia attend. Elle est patiente. Patience récompensée dans l’instant suivant, doux mots d’acceptation qui glissent jusqu’aux oreilles de la zouwu.

Pour une fois, elle s’autorise à ressentir.
Pas les émotions de Nova, qui sont assez claires dans son regard.
Pas les émotions de ceux qui les entourent, qu’elle préfère garder en périphérie, loin d’elle et de son empathie.

Leurs lèvres se joignent et pour une fois, Arcadia s’autorise à ressentir ses propres émotions.
Son amour pour Nova-Blue.
Sa joie de ne pas s’être trompée cette fois-ci.
Son espoir pour un futur plus coloré, plus brillant.
Le réconfort que lui apporte son cœur alors qu’il ne s’arrête pas de battre, qu’il continue encore et encore, comme s’il voulait rejoindre celui de la jeune femme aux lèvres froides et encore humides de larmes.

La prochaine fois, elles s’embrasseront dans la lumière. Sans tristesse, sans peur. Seulement avec amour. Avec tendresse. Avec la satisfaction irréelle de trouver une petite place pour elles deux dans un univers qui ne les a jamais vraiment acceptées.

« J’aimerais recommencer. Mais après avoir dansé. »

Leurs fronts à nouveau collés, Arcadia ne sait plus comment arrêter de sourire. L’euphorie est addictive, puissante. Trop pour être contrôlée.

Pourtant, elle finit bien par prendre la main de Nova-Blue.
Elle finit bien par l’attirer dans la salle, sur la piste.
Elle finit bien par danser avec elle, par prendre la place qu’elles méritent : pas au devant de la scène, pas directement sous les projecteurs. Seulement aux abords, mêlées aux autres. Perdues dans une marée humaine, mais ensemble.
Toujours ensemble.