MIDNIGHT SUN II 屮 love will tear us apart

Sol avait fait un rêve étrange. Mais était-ce réellement un rêve ?
Elle courait dans un labyrinthe dont les coudes se désincarnaient dès qu’elle arrivait à leur hauteur. Alors, le vertige la prenait et, incapable d’avancer, elle entendait une meute de loups hurler sous ses pieds nus et froids. Avant de comprendre comment, elle tombait ventre contre terre, front collé à une boue si moite qu’elle en devenait du cellophane, et s’embourbait dans ses promesses sans parvenir à se relever. Le nez écrasé, elle sentait la pierre heurter son dos trempé avec la lourdeur de tous les bâtiments écroulés dans l’histoire du monde.
Un hurlement déchirant remplissait tout l’air, et la voix amère de Sören lui hurlait que c’était sa faute. La terre collée contre les paumes, Sol sentait la présence tremblante de Chiara, explosifs à la main, et la voyait tour à tour mage et démone, terroriste et amie précieuse.
Sol avait fait un rêve étrange. Mais c’était plutôt un cauchemar.

Lorsque ses paupières se soulevèrent pour venir crever celles de Xas, elle eut un sourire angoissé. Ne pas l’inquiéter. Il avait assez à penser. Depuis le sérum, depuis l’été, tout s’effilochait entre leurs doigts comme une tapisserie délavée. Lorsqu’elle voulait fermer le poing, elle ne retrouvait dans sa paume qu’un amas de peluches informes.
Ne pas l’inquiéter. Ne pas lui faire porter son angoisse et la violence de ce deuil-là lorsqu’il avait déjà le sien. Ne pas étaler sur ses traits les plissements et l’air trop épuisé ; demeurer debout pour eux deux. Solal envisageait sa fuite comme la plus unique solution, la seule manière de soutenir ce qui déjà se délitait. Il devait profiter de sa jumelle, c’était logique et normal ; si Altaïr et elle avaient eu plus de temps, ils auraient certainement fait de même.
‘’Hi, handsome.’’ lui sourit-elle du mieux qu’elle put.
Mais les courbes de son visage revêtaient déjà la tourmente avant qu’elle n’ait ouvert les yeux. Quelque chose clochait, et les mâchoires du labyrinthe venaient la faucher sous les draps. Elle se serait perdue pour lui s’il l’avait laissée essayer.
Écartant de quelques doigts fins une mèche de cheveux de ses traits, elle signa avec inquiétude.
‘’Is everything alright ?’’

Is everything alright ?
Peut-être que ça faisait longtemps que plus grand-chose n’était alright. Accablés par le poids des jours, sans doute leurs échines étaient-elles toujours destinées à se vouter, à s’écraser sous la masse triste des jours qu’ils ne pourraient plus vivre. A mesure que le temps passait, elle voyait Abraxas s’éteindre, se ternir et pourtant sourire comme s’il pouvait donner le change dans les prunelles de l’immortelle.
Le voyage, bien sûr, le préoccupait, mais elle le connaissait trop bien pour s’arrêter à la surface. Plus profondément dans son crâne, des idées noires se remuaient et elles ne sortiraient pas seules. Du bout des doigts, avec une patience infinie, Solal devrait aller chercher le motif de ses inquiétudes, déchiffrer le langage secret des peurs de cet homme qu’elle aimait. Les rouages de son esprit mystérieux créaient toutes sortes de scénarii que, metteuse en scène appliquée, Sol se plaisait à déjouer.
Mais, parfois, ça ne suffisait pas.

Sol haussa un sourcil surpris lorsqu’il évoqua son tracas pour elle. Elle ? Ses journées se développaient comme une photo instantanée ; elle devait s’agiter longtemps avant d’enfin en voir le sens. Mille âmes esseulées l’appelaient et, bien souvent, elle ne pouvait parvenir à les apaiser. Les funérailles avaient certes creusé ses traits à la pioche, mais elle n’était en aucun cas la plus à plaindre. Bien plus haute qu’elle sur la liste, le deuil esseulé d’Artemis pour qui la blonde ne pouvait rien à part faire des chocolats chauds.
About me? signa-t-elle à son tour.
Avec douceur, la djinn prit la main d’Abraxas pour la caler sur sa poitrine, là où elle avait su apprendre qu’il sentait mieux les vibrations. Difficile de dire si cela l’aidait réellement, mais elle se sentait apaisée à l’idée qu’en plus de ses gestes, son ange ait accès à sa voix.
Souriante à travers ses angoisses, elle bougea en même temps qu’elle parlait.
« I know you won’t believe me if I ask you not to worry. But… » elle prit une grande inspiration. « I’m not gonna pretend I’m not sad. I am. I… I wish things had gone differently. But I’ll be okay. You do not need to worry about me. If anyone, worry about Artemis. I know you’re not in a good place with her right now, but… she needs all the support she can get. »
Sa tirade terminée, elle vint chatouiller le nez d’Abraxas avec le sien, juste assez pour le faire sourire. Si tant était qu’il puisse sourire. Puis, les traits toujours soucieux, elle osa.
« Could you tell me more about why you’re worried? »

« Arte is a tough nut to crack. »
Un sourire fugace étira les traits de la blonde. La louve donnait le change avec une aisance formidable, faisant croire à ceux qui l’aimaient qu’elle continuait à courir – qu’Abraxas ne voie pas plus loin, ou qu’il ne veuille pas voir plus loin, n’avait rien de très surprenant. Solal l’admirait tant pour ça ; pour cette volonté d’avancer, de continuer, quitte à s’écorcher les rotules sur le chemin d’une vie brisée. Elle, elle ne savait que s’arrêter, s’appesantir dans une tristesse qu’elle tâchait d’éviter aux autres, se dissimulait derrière des sourires pour ne pas avoir à, enfin, prendre le taureau par les cornes. « I’m worried that you’re not truly letting me know the extent of your… feelings, about all of this. I know that sometimes you feel like you can’t let anything show, to protect other people. » En plein dans le mille, la voix rauque lentement insinuée dans les défauts de la carapace, les imperfections qu’elle tentait pourtant de gommer avec lui.
La culpabilité étreignit violemment la djinn. Elle avait beau se répéter, en boucle, qu’elle n’avait pas besoin d’être parfaite dans les yeux de ceux qui l’aimaient, elle se heurtait continuellement à cette voix impitoyable qui lui murmurait chaque fois, lorsqu’elle n’était pas en mesure de pouvoir être la meilleure, qu’elle était la pire des personnes.
Avant qu’elle n’ait pu s’excuser, Abraxas reprit la parole.
« But also, I’m wondering whether it’s because there’s something more to it, something you might be afraid to tell me about what you might still have felt or feel about Milo? »

Le nom du zouwu se retrouvait là, creusant une tranchée sur les traits de l’homme qui partageait sa couche, et Sol se demanda encore quand est-ce-que tout ça s’arrêterait. Le vide béant dans sa poitrine à chaque fois qu’il était évoqué, la marée noire de pensées grises qui l’assaillaient dès qu’elle songeait à lui et qui, maintenant qu’il était mort, ne trouverait jamais le repos.
« What do you mean? » fit-elle dans un sourire perdu. Sans crier gare, les larmes menacèrent de perler dans l’arabesque de ses cils. Elle les contint avec une grâce qu’elle n’était pas tout à fait sûre d’avoir la force de tenir longtemps. « I… »
Que dire, face au soupçon à peine voilé, l’amertume qui venait d’éclore entre leurs visages sur les draps ? Elle la sentait, la fleur nauséabonde qui rongeait l’encéphale du sorcier, le nénuphar qui grandissait jusqu’à l’empêcher de respirer.
Une seconde s’étala entre eux. Un minuscule battement d’aiguille dans laquelle il se démultiplia jusqu’à occuper tout l’espace. Hésitation, brèche dans laquelle la douleur s’engouffrait encore tandis qu’elle voyait, en face d’elle, les yeux sombres devenir plus troubles.

« I’m not afraid to tell you things, Xas. » argua-t-elle d’une voix faible, quand tout son corps hurlait la gêne de se retrouver ainsi clouée au pilori de ses anxiétés. « I just… I guess I always thought he would forgive me, someday. That we’d talk about it, now that it’s all in the past, and… yeah, I guess I was waiting for him to forgive me so that I can forgive myself. » D’une main tremblante, elle essuya la larme qui se perdait contre sa tempe. « It’s never going to happen, now. So… yeah. I’m sad. I’m grieving not only Milo, but the possibility of Milo forgiving me someday for all the pain I brought to him. »
Elle se faisait mal, à rire au travers de ses larmes comme pour vouloir donner à voir ce qu’elle ne ressentait même pas. Tournesol fané sur les draps, elle voulait paraître légère quand chaque mot signé était lourd dans l’intimité de leur lit.
« Is that… weird? »