Everything is blue | GaBlue I

C’est affreusement banal, dehors.
Les rues sont les mêmes, les magasins sont les mêmes, les gens eux-mêmes semblent les mêmes. A se promener dans Phoenix, on aurait du mal à se dire qu’une guerre fait rage dans tout le pays, que le compteur de morts s’affole et que vous voici face à la plus meurtrière des époques. Non. Tout est banal, et ennuyeux, et tu t’attends presque à entendre le camion de glace au coin de la rue. Hélas, tout ça n’est qu’une façade. Une épaisse couche de poussière recouvre l’intégralité de la ville. De toutes les villes. La banalité est devenue une apparence et la monstruosité, banale.
Des frissons glacés escaladent la lame aigue de ton échine. Il ne fait pas froid et, pour vous guider, tu sais qu’il faut rester concentrée. Si ton regard croise celui des autres, ce n’est pas qu’ils veulent te tuer. Ils sont terrifiés, autant que toi. Peut-être même plus, pour ceux d’entre eux qui n’ont pas la chance d’avoir les armes pour se défendre. Alors, même s’il suffirait d’un fou qui lise la hargne dans ta poitrine et la retourne contre toi, tu gardes la tête haute, le buste fier.

Gabrielle et toi marchez en silence, échangeant à peine quelques mots lorsqu’il faut prendre un embranchement. N’importe quelle parole te donne la sensation d’être de trop, qu’elle pourrait résonner à l’infini et enfler comme une gigantesque menace qui reviendrait vous étouffer. T’en serais presque à révéler tes serpents juste pour te sentir moins seule, mais ce serait un aveu de ton identité et t’es pas sûr que ce soit le plus pertinent.
Lorsque votre destination se dresse devant vous, une sorte de grande bâtisse toute bétonnée, c’est la sorcière qui prend les devants et finit par frapper à la porte. Les doigts noués autour des bretelles de ton sac-à-dos, tu te prends à espérer qu’il puisse servir de parachute d’urgence au cas où les choses tournent mal parce que là, sincèrement, t’as un mauvais pressentiment.
L’homme qui ouvre est torse nu, nonchalant, et s’adresse à vous avec un accent d’amérique latine traînant autant que ses yeux sur vos deux silhouettes. Pour ponctuer la répartie de Gabrielle, tu hausses les épaules, les mains vides, avec un air désolé pour ce gars qui semble attendre sa livraison Domino’s comme le Messie.
On est de la Résistance.
Tu serres les dents. Peut-être pas le meilleur move de révéler direct votre allégeance alors que vous soupçonnez la petite clique d’appartenir au camp de Sapphire. Mais bon.

A l’instant où vous franchissez le pas de la porte, tu croises le regard totalement paniqué de Gabrielle et t’essaies de faire bonne figure. La vérité, c’est que t’es pas vraiment en meilleur état. Nerveusement, tes yeux se posent sur toutes les issues du hall d’entrée. Il y a ce canapé -qui met un canapé dans son entrée ?-, avec une femme suffisamment badass pour faire pâlir les plus grands catcheurs de votre époque posée dessus. La porte, derrière vous, émet un grincement singulier avant de se refermer.
Face à vous, de part et d’autres du canapé, des escaliers métalliques mènent au premier étage où se trouve une porte entrebâillée. Sur votre gauche, une autre porte, fermée celle-ci. Tu essaies de te construire mentalement une représentation de l’appartement et des différentes pièces, mais il te manque trop d’éléments.
Et puis, alors que tu essaies de te reconcentrer sur la discussion, le bruit d’hommes de main qui s’activent t’indique que, de toute façon, vous allez pas repartir d’ici avant que eux ne l’aient décidé. Ou qu’ils soient morts.

« Dis-moi, sorcière, qu’est-ce qui me fait dire que c’est pas toi qui sers l’autre merde Nightshade ? »

La voix de votre interlocutrice est aussi agréable qu’un couteau à dents qui racle le fond d’une casserole. Tu te demandes combien de ses sbires se sont chiés dessus rien qu’à entendre ses avertissements ; à vrai dire, t’es pas loin de suivre leur sort.
Tu pensais vraiment que t’étais prête, Nova-Blue ? Le destin est en train de te montrer que t’aurais pas pu avoir plus tort, et que t’aurais certainement mieux fait de rester derrière ta fenêtre.
« Écoutez … » tu essaies de venir en aide à la rousse, en lui coulant un regard de sororité. « Si on est tous et toutes d’accord pour dire que c’est Sapphire l’ennemi, on va peut-être pas perdre du temps à essayer de chercher la petite bête. »
Tu lèves tes mains désarmées dans une tentative d’apaisement.
« J’étais humaine jusqu’à il y a peu, croyez-moi que j’ai aucune envie de voir l’humanité réduite en esclavage à la botte des autres races. On a déjà assez morflé comme ça. »
Alors que tu tentes un sourire qui puisse acheter leur confiance, tu réalises que tu t’es jetée dans leur piège. Tu viens de révéler ta précédente humanité ; tu viens aussi de révéler que tu ne l’es plus. Il leur reste assez peu de calculs à faire pour déduire que tu es une gorgone, et … Putain de merde.
Ils savaient déjà que Gabrielle était une sorcière.

Le temps que tu réalises ce qui se passe, c’est trop tard. L’un des zouwus derrière vous passe un bandeau de tissu noir par-dessus ton champ de vision et te tire violemment en arrière. Incapacitée de ton pouvoir de pétrification, tu atterris le dos contre son torse ; le gars s’empresse de refermer ses deux bras autour des tiens pour que tu ne puisses plus bouger. Tu sens son souffle contre ton oreille, son odeur de transpiration te prend dans le nez et la gorge. Alors que tu tousses, il serre plus fort.
« Toi.» tu l’entends prononcer juste à côté de ton crâne. « Rends-toi, sinon c’est fini pour elle.»
Affolée, tu tentes de te débattre ; en vain. Contre ta tempe gauche, le contact froid du métal t’immobilise soudainement. Une arme. Une arme pressée contre ta peau.
Balbutiante, tu tentes un :
« G-Gabrielle ?! »