Speechless [Kotalaska II]

C’est comme si un camion venait de me renverser au milieu de mon salon.

C’est pas tant une douleur soudaine que l’impression d’être arrachée à la réalité, au présent. Les chansons le disent pourtant, mais je m’attendais pas à ce que des yeux aient un tel impact : c’est comme voir de l’extérieur une autre revivre ma vie. Le bleu de ses yeux me ramènent immédiatement à des nuits sombres, des cris et des pleurs, une trahison et un rejet. Le ciel, la mer et toutes celles qui portent fièrement cette couleur se moquent de moi en me montrant les milles autres potentialités qu’on aurait pu vivre. Le vert scintillant qui se cache près de sa pupille brille d’autant plus près du sourire solaire d’Alaska, et la joie de l’avoir retrouvée, qu’elle est acceptée de venir vivre avec moi, que nous soyons à nouveau le soleil et la lune, tout ce bonheur semble fané, gâché à l’aune d’une lueur si éblouissante. Le gris, enfin, du contour de ses yeux, me renvoie aux éternels ennuis, à l’impossibilité qui se révèle aujourd’hui comique de l’oublier.

Ma bouche se tord, hésitant que proférer. Un cri de peur ? Une insulte bien sentie ? Une attaque plus perfide sur les quelques poils blancs que je crois déceler dans sa barbe ? Un sanglot ? Tout semble bien inutile face à lui. J’arrive même pas à garder mes yeux sur son visage pour déceler les émotions que je ramène chez lui tant regarder sa blondeur superbe et toujours candide me donne envie de vomir. Je regarde seulement mon étoile, mon Alaska avec une détresse absolue et murmure sans un son : Pardon... avant de me ruer hors de la pièce.

J’avais pourtant si bien commencé cette soirée. J’étais resté stoïque quand Orpheus et Isra m’avait envoyé des SMS pour me dire qu’ils ne pouvaient pas venir, j’avais préparé un houmous incroyable qui, je pense, devrait me permettre de fonder un nouveau business, j’avais fait la conversation à toutes les connaissances d’Alaska, de façon, je trouve, brillante et intéressante. J’avais créé une image de respectabilité si brillante qu’il avait seulement fallu de la comète Gabriel pour la faire éteindre. Pauvre soleil Alaska qui devrait briller seul, mais j’admets ne plus trop y penser.

Je me retrouve dans ma chambre face à la fameuse ceinture que j’avais gagné la nuit de notre séparation. Je l’attrape et la sers contre moi, prostré sur mon lit dans le noir, la porte encore entre-ouverte. Tant pis si je rate tout avec lui, avec elle, avec tout le monde. Tant pis si je suis trop nulle pour les gens, tant pis s’ils me haïssent tous : j’aurai toujours l’or qui rappelle ma réussite.