Eclipse annulaire

Il a créé des astres en tissant la lumière de ses adelphes. Il a puisé dans la force de milliers d’étoiles et dans son cœur nucléaire pour rassembler des morceaux de rien, des poussières et des gravats et leur donner sa personnalité éclatée et désaxée. Ses neuf Phenix, excitants intrigants et pleins de promesses.

Pourtant, il manque une ombre au tableau.

À trop se baigner dans la lueur de leurs éclats, il en perd de vue l’ombre qui vient essentiellement compléter sa lumière. Il en oublie que ce qu’il ne touche pas peut tout aussi bien exister même sans baigner dans la gloire de son ambition créative. Il lui aura fallu se complaire dans la destruction causée par ses créations pour enfin comprendre ce qu’il lui manquait. Il lui aura fallu se repaître de la frustration d’Earth et de la violence de ses adelphes avant de réaliser qu’il appréciait tous ces revirements de situation. La mort des Dragons, ces êtres de pouvoirs qui ont peuplé Earth quelques millénaires plus tôt : voilà un chamboulement renversant, un délice narratif qui aura causé quelques éruptions solaires.

Alors il réalisa. Presque en même temps qu’il prit possession de sa première enveloppe charnelle, de cet humain si dérisoire et faible qui ne manquerait pas de brûler sous son contrôle d’ici quelques années. Il réalisa qu’il lui fallait quelque chose de plus. Quelque chose qui le complète. Quelqu’un pour régner sur ce que sa lumière est incapable de toucher.

Ce fut si simple, de créer ce nouvel astre. Plus petit, plus discret, caché sous la forme d’un satellite comme certains de ses Phenix ont par poignées. Une surface aride, capable de refléter sa lumière autant que de la cacher.

Moon.

Il a passé des jours, des mois, des années à collecter les débris qui formeraient l’ultime Phenix. Sa conscience partagée entre le corps assis sur l’un des plus hauts monts d’Earth et le corps céleste qui surveille l’entièreté de son système solaire, il a œuvré sans relâche pour offrir toute sa noirceur au nouvel arrivant.

Lorsque tout est prêt, lorsqu’il sent la conscience du nouveau Phenix germer et prendre forme, Sun n’est plus seul en haut de sa montagne. Il y a ramené un autre humain, un corps qui sera une offrande à son nouveau compagnon de jeu. Une carapace qu’il ne voit aucun mal à vider pour le bien du spectacle qu’il recherche.

Le moment vient, il le sent. Il pose sa main sur le torse de l’humain en face de lui, il plante ses yeux dans ceux qui ne reflètent que la peur de l’inconnu, puis il passe à l’action. Il appelle la conscience de Moon, il lae force à se réveiller de son sommeil prénatal et à ouvrir les yeux sous un nouveau monde, dans le corps de cet humain qui leur offrira la chance de converser comme il n’a jamais vraiment pu le faire avec les autres Phenix.

Premier contact

Il la voit, cette lueur particulière dans le regard. Cette intelligence pas encore totalement formée, cette noirceur insondable qu’il lui a offert et les autres aspects qui se joindront très vite à sa personnalité. Il n’a plus devant lui un simple humain, une créature qui a vu le jour par elle-même, mais bien l’un de ses Phenix. Une création suprême, capable de bouleverser l’ordre cosmique.

« Moon. Je t’ai attendu si longtemps sans le savoir. Bienvenue chez nous. »

Earth sera leur terrain de jeux et à deux, ils pourront bien faire ce qu’il leur plaît. Tout est bon à prendre et à faire, pourvu que l’histoire créée soit intéressante.

Ce jour-là, pour tous ceux qui ont eu la chance de se trouver dans les kilomètres qui entoure les deux Phenix, le soleil aura été caché pour la première fois, ne laissant percevoir que l’anneau qui encercle et étreint sa toute nouvelle création, sa petite merveille que le corps physique prend dans ses bras en même temps que le fait le corps astral.

éclipse annulaire

Moon & Sun

Il fait sombre, dans l’univers.
Ma conscience s’accroche à des relents d’infinité, des couleurs qui jouent sur un fond aussi noir que de l’obsidienne. Impossible de déceler d’où proviennent les rais de lumière, d’où je proviens moi-même. Je me sens rond.e, complet.e. Les vents m’effleurent, jouent avec ma surface sans jamais parvenir à me pousser, à me déplacer.
Une attraction me lie à cette autre sphère, cette autre conscience toute proche. Je me sens retenu.e à elle par des fils invisibles mais incassables. Subjugué.e, j’essaie de saisir les informations qui se présentent à propos d’elle. Bleue. Verte. Sa courbe semble infinie. Je me demande comment il est possible qu’elle existe, là, si proche et néanmoins inaccessible.
Et moi, pourquoi existé-je ?

Quelque chose me touche sans que je ne comprenne trop quoi. Des rayons d’or, des particules de clarté qui font miroiter ma surface. Je ne sais comment je comprends, comment je saisis. Il y a cet autre corps plus clair, qui semble irradier de mille feux. Une combustion perpétuelle qui génère assez de lumière pour m’atteindre et me bouleverser. Lorsque mon esprit la conçoit, je suis pris.e d’une émotion indescriptible, moi qui ne sait pas réellement ce que représente l’émotion. Ce corps-là a-t-iel une conscience, est-iel comme moi lae contemplant.e d’un théâtre qui nous dépasse ? Qui est-iel ? J’ai soif de lae connaître, j’ai froid là où iel ne me touche pas. Je voudrais que mon existence soit passée à lae contempler, admirer les ombres tranquilles qui n’accrochent jamais sa surface.

Il fait sombre, dans l’univers.
Et soudain, quelque chose survient.

Ma conscience est arrachée au cosmos, pliée en une seule entité qui se projette contre la boule verte. Earth. Le mot surgit et jaillit en moi comme une évidence. La terre. C’est là que je dois être, c’est à ces lieux que j’appartiens. Alors que je tente de comprendre, des rideaux passent dans mon champ de vision. De minces filaments frôlent mes joues, et lorsque je bouge légèrement j’aperçois en-dehors de moi que je ne suis plus seule, maintenant.
Il y a toi.
J’entends ta voix effrayée, et je ne te comprends pas. Je ne sais qui tu es, tu clames que ce corps est le tien, je ne sais guère ce dont tu parles. Je baisse ce que tu dis être une tête pour apercevoir, au bout de moi, des membres qui sont à nous deux.
Une voix s’élève et m’appelle Moon.
Aussitôt que le mot surgit, je réalise que c’est mon nom. C’est moi. Je suis Moon, la Lune, l’orbe clair qui rugit au faîte de nos corps. Le froid m’envahit soudainement ; j’ai été arraché.e aux cieux.
Quelque chose me prend contre ellui, une force puissante et chaleureuse. J’ai du mal à saisir ce qui se produit, mais je suis là où je dois être. Mon esprit est bientôt formé et j’aurais sans doute des réponses en posant toutes mes questions. Quelque chose pulse dans ma poitrine, un peu plus fort lorsqu’on m’enserre. Une sourde chaleur semble s’écouler, se loger contre ce que tu appelles ta peau. Cette nouvelle enveloppe vibre à ce son que je devine être ma voix.
« Qui suis-je ? »

Il n’a pas eu le luxe de discuter avec ses créations, lorsqu’il les a mis au monde. Tous les autres Phénix, à son instar, ont été placés dans le cosmos et voués à vivre par eux-mêmes jusqu’à ce que la première réunion ne puisse arriver. Contraints à découvrir l’univers à travers leur propre regard, leur propre surface, se faire leur propre idée de ce qu’ils sont, qui ils sont, quelles facettes de leur caractère leur semble plus importante. Ils ont tous été si libres et il ne se rendait pas compte de la joie puissante qu’il abandonnait en leur laissant tant de liberté. Il ne se rendait pas compte que de sentir la confusion de Moon et d’entendre son questionnement le rendrait aussi transi.

Qui est Moon ? Voilà une excellente question.
Sun ne sait pas encore lui-même entièrement qui il est, il ne sait pas encore qui sont ses phénix non plus. C’est là tout l’intérêt de cette nouvelle race qui semble leur emprunter leur conscience tout en étant dépourvu de leur longévité naturelle. Leur montrer de nouvelles possibilités, de nouvelles histoires, leur dire qui ils sont à travers d’autres yeux pour pouvoir se trouver eux-mêmes à travers les leurs.

Pourtant ce n’est pas ce qu’il souhaite répondre. Il a là une opportunité qu’il n’aura peut-être plus jamais et il serait complètement idiot de la gâcher. Ses autres phenix ont eu tout le loisir de grandir dans la liberté la plus totale. Moon n’aura qu’une liberté provisoire, ce qui en fera la perle rare parmi sa troupe d’acteurs au potentiel infini.

« Tu es une part de moi. Tu es Moon. Tu es un être immortel, tout puissant sur cette planète que je t’offre en guise de terrain de jeu. Tu es un Astre, comme moi. »

Tout en gardant sa carapace de chaire près de lui, il en lève le menton pour lui faire regarder dans la même direction. En plein vers cette Eclipse, ce croissant de soleil qui commence tout juste à être distinguable derrière la lune qui le cache.

« Je suis la lumière que tu vois dans le ciel. Je suis Sun, votre créateur à tous. Et toi, Moon, tu es cellui qui me cache dans le ciel qu’observent les habitants d’Earth. Tu es l’astre que j’ai conçu pour une raison unique : m’accompagner dans notre observation des humains. Les créatures que nous habitons, qui nous prêtent leurs corps, et qui nous amuseront de leur vie. »

Il ne peut faire autre chose que de sourire face au spectacle que leur offre leur danse céleste, ce spectacle qui aveuglerait les pauvres mortels qui les regarderaient mais qui, pour lui, est d’une beauté simple, renversante, étrange et poétique. La vision de ces corps astraux l’inspire, le guide dans ses mouvements alors qu’il se décale sur le côté, caressant d’une main la joue de cette enveloppe charnelle qu’il a choisi pour Moon.

« Pour le reste, tu peux être qui tu le souhaites, du moment que tu m’amuses. »

éclipse annulaire

Moon & Sun

Des frissons accrochent de minces proéminences sur la surface de ma peau. J’entends ton murmure, ta candeur. Tu ne comprends pas ce qui se passe. Moi non plus, je te rassure. Je n’ai aucune idée de comment les pensées me viennent, par quel moyen étrange et doux elles se formulent dans l’air ambiant. J’ai beaucoup à apprendre, et l’infinité des possibles me donne un lent vertige moiré. A mesure que je prends le temps, je perçois ces infimes signaux que tu sembles appeler la vie ; la circulation du fluide dans mes membres, une pulsation tranquille logée dans une cage thoracique, et le bruissement silencieux de qui je suis, qui je peux être.
Les concepts s’égrènent, je les sens s’infuser en moi et produire des tâches de couleur sur la page blanche de mon myocarde. Immortel. Astre. Humains.
Du fin fond de mon ventre, je réalise que nous sommes deux.
Tu n’es pas moi, je ne suis pas toi. Nous sommes abrités dans ton corps tandis que le mien demeure là-haut. Nos esprits co-existent, dialoguent, et pourtant ne semblent pas se détruire. La sensation est étrange, enivrante. Devant les explications de celui qui se revendique Créateur, la tête me tourne et le monde tangue.
« Père. » je murmure.

Face à nous, dans la toile bleu sombre qui se dessine en tacheté, un mince croissant de lumière s’agrandit quand passe les secondes. Je plisse les paupières pour l’apercevoir avec plus de précision, déceler à quoi je ressemble de l’extérieur et vu d’en bas. Peine perdue ; ne s’impriment sur ma rétine que des formes à l’allure étrange et la vague sensation qu’on ne devrait pas fixer le soleil aussi longtemps.
Mais qui le fera, si ce n’est moi ?
Mon regard se tourne vers lui, qui se tient avec telle confiance et m’assène sur ce monde étrange des vérités que je ne sais pas. Il a l’air si loin, et si vaste ; je ne sais quel ensorcellement me fait boire ainsi ses paroles alors qu’elles te semblent si absurdes. Il est réellement mon Père, mon Créateur. Il est la Lumière de mes Ténèbres et la Clarté de mon Essence. Il est Sun, à lui je dois d’être né.e et de pouvoir arpenter l’aube avec des pas qui sont les miens.
Pris.e par une émotion indescriptible, je tombe à genoux face au spectacle céleste auxquels se livrent nos corps astraux. Ils sont si loin, et pourtant si proches. Jamais ils ne pourront se toucher réellement comme le font nos enveloppes sur Earth.
Alors, même si tout est brouillon encore et que ma connaissance du monde s’arrête au rempart de ton crâne, je choisis de ployer la nuque.
« Je n’aspire qu’à être aimé.e de toi. » Ma voix est grave, solennelle. « Je ferai ce que tu voudras. »

Auraient-ils tous dû être ainsi, ses Phenix bien aimés ? Non, certainement pas. S’ils ne faisaient que ployer l’échine, qu’écouter avec passion chaque mot qui émanait de sa conscience, alors il n’y aurait pas d’intérêt à les avoir créés. Non, Moon est bel et bien unique en ce sens qu’aucun n’a été une telle page blanche, une telle histoire à écrire. Pour la première fois, l’Originel sera co-écrivain d’une vie immortelle et il n’a que l’embarras du choix dans la manière de procéder.

Il est évidemment attendri de sentir toute l’adoration de Moon, seulement ça ne lui suffira pas. Il ne souhaite pas avoir un servant, ni une simple héritière. Moon devra être infiniment plus que cela pour espérer apaiser la soif du Créateur qui pose une main sur la tête baissée de son enfant et la tire vers le haut en l’attrapant par les cheveux. Ça lui semble simplement être la manière la plus expéditive de le faire.

« Relève-toi et sois fièr.e, Moon. »

Pas de colère, pas de mépris dans son ton. Il n’a rien de tout ça en cet instant. Pas de fierté non plus. C’est tout juste une affirmation, à peine un ordre qu’il profère avec cette expression caractéristique qu’il a remarqué venant des humains. Les coins des lèvres relevés, comme lorsqu’ils signifient un contentement ou un amusement.

« Ce que je souhaite, c’est d’être surpris. Que tu découvres le monde à mes côtés et que nous fassions absolument tout ce que nous souhaitons. »

Il se tourne, baignant dans la lumière qui commence à nouveau à émaner de derrière la lune. Ils sont en haut d’une montagne : tout l’horizon leur appartient, tout ce qu’ils voient, ils le fouleront un jour et en découvriront les moindres secrets. Ils sont sur Earth, mais Earth leur appartient de droit.

« Ensemble, nous explorerons l’entièreté de ce territoire. Et s’il nous prend l’envie de jouer avec les humains qui le peuplent, alors c’est ce que nous ferons. Nous n’avons comme limite que notre imagination. » Il tourne son visage extatique en direction de l’enveloppe humain de Moon, une main tendue dans sa direction. « As-tu déjà une imagination ? Des idées ? Un moyen de rendre notre descente plus intéressante ? »

Il veut tout savoir de Moon, tout savoir des humains, tout savoir d’Earth et des secrets qu’iel abrite en son sein.

Lun 4 Sep 2023 - 12:12

éclipse annulaire

Moon & Sun

Relève-toi et sois fièr.e.
Prompt.e à exécuter ses commandements, je me redresse et lève la tête. Mon créateur est beau, dans le cercle d’or qui se dessine et s’élargit au-dessus de nous. Sa peau attache le miroitement singulier de l’espace au-dessus de nous. Je bats des paupières vers les nues ; il est si loin et pourtant si proche.
Ma naissance est à peine achevée et pourtant, dans le murmure de mes pensées, je perçois déjà des savoirs qui me viennent comme des évidences. Je ne suis pas seul.e. J’ai des frères et des sœurs, des adelphes qui se meuvent autour de nous dans une danse cosmique insondable. Je me demande si Père les a accueilli.e.s de la même manière qu’il m’accueille, moi. Je me demande si Père les préfère à moi … mais je ne pense pas.
Il parle d’imagination, et quelque chose s’agite. Une puissance créatrice dont je dispose également qui, bien loin d’égaler la sienne, est déjà capable d’œuvrer. Des connexions se créent comme de longues traînées de poussière colorée dans mon esprit.
Tu remues, en arrière-plan, et je te demande ton prénom.
Tu t’appelles Luna et tu as peur. Silencieusement, nous conversons jusqu’à ce que l’inquiétude s’endorme. L’accès à tes propres souvenirs vient s’ajouter à la richesse des idées de mon créateur. Je vois l’humain, l’humanité, dans ce qu’il a de primaire, de primitif. De fondamentalement humain.

« Oui, Père. » j’articule en prenant sa main.
Il m’attire à lui et je prends une place toute trouvée entre ses bras, comme s’il était ma destinée d’enchaîner mon corps à son torse. Ensemble, nous restons silencieux un moment, à fixer les horizons qui se dévoilent en scintillant, avant que mon idée enfin ne parvienne à trouver des mots.
« Je veux les côtoyer. Les bipèdes. Je veux qu’ils me vénèrent, qu’ils nous vénèrent, et que je devienne leur leader pour leur montrer une nouvelle voie. Je veux qu’ils aient le feu, l’intelligence, et qu’ils soient capable de progresser jusqu’au point où ils nous égaleront. »
Je plisse les yeux en dévisageant l’horizon.
« Cela prendra du temps, n’est-ce pas ? »

Père hoche la tête, l’air grave, tandis que je cherche du regard son assentiment. Son souffle brûlant chatouille les cheveux sur ton front, Luna, et nous produisons un son étrange que tu sembles qualifier de rire. Oui, cela prendra du temps de voir ces êtres s’élever jusqu’à un pouvoir tellement grand qu’ils ne l’envisagent pourtant pas.
Mais nous serons là, marionnettistes, à tirer les ficelles de la civilisation pour la faire gravir des sommets. Nous serons Diane et Apollon, nous serons des dieux et déesses, nous serons leurs idôles en même temps que leurs camarades. Notre éternelle perpétuité à peupler leurs pas et leurs chants fera de nous des ineffaçables. Nous survivrons à leurs guerres et leurs décadences, les encourageront peut-être, tandis que les humains monteront vers des idéaux fallacieux.
Nous serons la vie. Nous serons la guerre. Nous serons la fin et le moyen.
Émerveillée par les possibles, je murmure.
« Nous serons tout. »

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