Mal de dos. Mal de crâne.
Encore l’une de ces journées harassantes qui paraissaient de plus en plus interminables à mesure que les heures avançaient. Odalie avait fermé le magasin tardivement, et la nuit était déjà tombée lorsqu’elle s’aventura dans les rues de la Nouvelle Orléans.
Elle avait envie de changer d’air, ce soir.

Washington.
La sirène avait encore le tournis d’avoir nagé un peu trop vite, mais voilà que la capitale déroulait devant elle ses longs bras lumineux. Même pour les humains, c’était un soir de fête : tous semblaient s’être donné le mot et bravaient le froid pour se rassembler en terrasse des bars.
Un bar en particulier attendait la brune, niché dans un recoin de la ville et peuplé de bon nombre de surnaturels.
Mais Odalie n’avait pas envie d’être une Surnaturelle ce soir. Elle voulait juste être belle.

Le déconseil de la Nuit serait l’endroit parfait pour ça.
Avant d’entrer, elle échangea un regard complice avec son reflet dans la devanture de l’établissement. Silhouette parfaite. Comme toujours.
Poussant avec délicatesse la porte du bar, elle sentit une bouffée de chaleur inonder son visage et envelopper son corps. Déposant son manteau à l’entrée, elle se dirigea paresseusement vers le comptoir pour y commander un cocktail.
« Un Sex on the Beach, s’il vous plaît ! »
Le bartender lui apporta sa commande en un battement de cœur. Avantage indéniable d’attirer le regard. Se tournant vers le reste de l’endroit, Odalie savoura tous ces yeux qu’elle sentait braqués sur elle. Elle savait l’effet qu’elle produisait. Et elle l’encourageait. Oui, regardez-moi. Désirez-moi. C’était tout ce dont elle avait besoin ce soir-là.
Les saveurs de l’ananas, mêlées à la pêche et la canneberge, explosaient contre son palais.

Avant même qu’elle ne puisse s’en rendre compte, la brune avait déjà presque une dizaine de cocktails à son actif. Plusieurs autres consommateurs étaient venus lui parler, mais elle ne se souvenait plus déjà. Elle ne voulait pas s’en souvenir. Leurs discours, c’était si … ennuyeux. Leurs mots, leurs phrases, leurs langues rendues pâteuses par l’alcool. Non. Elle ne voulait pas de ça.
Assez ivre pour ne plus ressentir la fatigue. Pas assez pour stopper le tourbillon insoutenable de ses pensées. Odalie se décida à employer une autre méthode.
Danser.

La musique était trop forte, comme souvent dans ce genre de bars qui tentent de s’improviser boîtes de nuit sans disposer du matériel adapté. La musicienne en elle s’agaça quelque peu. Mais ce soir, elle voulait laisser la violoncelliste au placard et laisser sortir l’adolescente. Elle tâcha donc d’oublier ces considérations et se laissa bientôt porter par le rythme des basses.

Les yeux mi-clos, la belle sentit son bassin onduler sur les morceaux qui s’enchaînaient.
Elle se concentra sur ces sensations. Ce fourmillement dans ses membres. Les vibrations de l’air autour d’elle. Le frottement doux de son débardeur sur sa peau. La cadence à laquelle ses cheveux se balançaient dans son dos. Le balancement de son collier entre ses seins. Les corps en sueur qui la frôlaient en permanence.
Ivre de cette communion par la danse, Odalie finit par rouvrir les yeux. C’est alors qu’elle lae vit, à quelques pas de là où elle se tenait. Grand.e, élancé.e, un visage grave entouré d’une chevelure bouclée dans laquelle elle eut instantanément envie d’enfouir ses mains …
Oui. Ce serait ellui.
La sirène s’était rapprochée d’ellui en dansant, sans véritablement percevoir où elle allait. Maintenant qu’elle avait les yeux ouverts, elle lança son sourire le plus enjôleur à l’inconnu.e. Sourire qui avait déjà fait ses preuves. Sourire qui lui avait ouvert bien des portes. Bien des draps, surtout.
Et c’était là précisément son objectif de la soirée.
Souriant, donc, elle regarda lascivement l’autre s’approcher d’elle. Les traits de son visage se faisaient plus précis. Un élégant bouc dévorant le bas de ses joues, l’inconnu.e tenait fixés sur elle des yeux clairs d’une intensité redoutable. Des yeux qui épousaient ses courbes et sa danse.
Odalie sourit de nouveau. Elle plaisait.

Un délicieux chatouillement s’éveilla dans son bas ventre tandis que son interlocuteurice s’adressa à elle avec un clin d’œil.
« Bonsoir. » répondit-elle simplement.
Ce scintillement sous les paupières. Oui, elle plaisait. La brune savoura cette certitude en silence, continuant seulement à se laisser porter par le rythme de la musique. Leur duo semblait enveloppé dans un air qui se faisait plus dense, plus épais.
Les yeux mi-clos, Odalie constata que l’inconnu.e continuait à la dévorer des yeux, s’attardant sur les parties les plus courbées de son anatomie.

La sirène attendit quelques instants qu’ielle prenne de nouveau la parole. Elle se sentait à l’aise dans ce silence éloquent qui s’était installé entre elleux. Je te plais, tu me plais. On sait tou.te.s les deux ce qui va survenir. Alors …
Se penchant pour murmurer d’une voix langoureuse à l’oreille de saon nouvel.le partenaire, elle osa.
« Si vous continuez ainsi à me déshabiller du regard, je risque d’attraper froid. »

Le corps d’Odalie se tenait désormais immobile, en équilibre sur le bout des orteils, s’élevant juste assez pour murmurer à l’oreille de l’inconnu.e. Arrêt d’image sur la piste de danse. Et quel arrêt. La sirène sentait une douce chaleur pulser dans son ventre et se répandre dans tout son corps.
Un arrêt infime. Minuscule. Une seconde, peut-être moins. Juste assez pour avoir le temps de respirer le parfum de l’autre. L’alcool, la transpiration, mais aussi quelque chose d’autre … du musc, peut-être. Quoi qu’il en soit, la fragrance s’avérait des plus agréables.
Et puis la brune se remit à onduler au rythme d’une musique qui semblait emplir tout son crâne.
Odalie ne pensait plus. Elle ne réfléchissait plus. Elle ne calculait plus. Elle existait simplement, dans la permanence de cet instant infini où le jeu avait débuté. Car après tout, il était évident pour elle qu’il ne s’agissait que d’un jeu. Un jeu où tout le monde finirait avec un lot identique : plaisir immense, exquise nudité et petit déjeuner le lendemain matin avec un air embarrassé.
L’inconnu.e avait clairement manifesté son désir de jouer. Une seule question dès lors subsistait : jusqu’où ?

La belle obtint rapidement sa réponse tandis que son interlocuteurice s’approcha d’elle à nouveau. Leurs corps désormais en contact se mouvaient à l’unisson. Elle sentit ses seins se durcir, certainement bien visibles sous un débardeur blanc qui ne laissait plus grand-chose à l’imagination.
Conservant l’attitude détachée qui faisait son charme, Odalie se pressa distraitement contre saon partenaire de la soirée. L’érection de ce dernier ne semblait pas l’embarrasser outre mesure, puisqu’il continua un instant à la dévisager. Et puis …
Les mots de l’inconnu.e provoquèrent une déflagration dans le bas ventre de la sirène. Il lui sembla que tout en elle vibrait, prenait feu et devenait glacé simultanément.
Iel jouerait encore un peu.
Odalie plongea un instant ses iris dans le regard clair de son compagnon. Des iris lumineux qui semblaient abriter une fragilité, une fêlure. Quelque chose de brisé et qui appelait inlassablement. Qui l’appelait, elle. Comme un appât qu’il aurait tendu avec ses cils.
Si la sirène avait pu penser, elle aurait sans doute relevé dans l’attitude de ce.tte inconnu.e ce je ne sais quoi qui évoquait la sorcellerie. Mais Odalie avait depuis longtemps dépassé ce stade. Elle ne voyait plus que ce visage qu’elle aurait voulu caresser, que ces vêtements qui tomberaient bientôt au sol, ne sentait plus que la chaleur du corps de l’autre en écho à la sienne.
« Moi ? Voyons, je ne me permettrais pas d’insister … » ronronna-t-elle, sa poitrine collée à celle de l’étranger.e.
Négligemment, comme par inadvertance, elle laissa sa main droite courir au creux des reins de son acolyte. Elle effleura de bout des doigts un dos dont les muscles semblèrent tressaillir à son contact. Le t-shirt, bien qu’épousant à la perfection le torse de saon propriétaire, était de trop.
Et pourtant …
Pourtant, Odalie ne voulait pas gagner tout de suite. Elle ne voulait pas qu’iels gagnent tout de suite. Elle voulait encore jouer. Jouer avec ce.tte sorcier.e, ce.tte inconnu.e, cette personne rencontrée au cœur d’une nuit qui transpirait jusqu’à lors la banalité.

Aussi retira-t-elle sa main d’un geste vif, presque brusque.
Les deux se dévisagèrent, l’air vaguement surpris.
Puis Odalie déposa sur une joue rougie par la soirée un léger baiser. Du bout des lèvres seulement, un doux contact à la commissure exacte de la bouche de l’autre. Comme une provocation. Comme un défi. Comme si elle avait voulu lui dire « Tu en veux plus ? Viens me chercher … »
Et c’était ce qu’elle attendait. Qu’iel vienne la chercher.
Avec une douce vitesse, elle s’éloigna de l’inconnu.e et se fraya un chemin jusqu’au bar, slalomant entre les humains et surnaturels ivres qui ne cessaient d’improviser des chorégraphies disgracieuses sur un sol bien trop collant.

Odalie s’adossa au bar, et attendit.
Ici, la sirène n’avait nulle part où aller. Personne à qui se fier. Elle n’était personne, excepté dans le regard de l’autre. S’iel ne venait pas la chercher, elle rentrerait simplement à la Nouvelle Orléans par là où elle était arrivée.
Une vague inquiétude s’empara d’elle soudain.
Qu’est-ce qui lui avait pris de quitter la piste de danse de la sorte ? Alors même que tout semblait si bien s’annoncer ? Bien sûr, elle connaissait la réponse. Le jeu. La traque. Le jeu. Dès que leurs corps se retrouveraient nus face à l’autre, la partie seraient terminée, jouée d’avance. Elle avait besoin de sentir le doute, le risque, encore quelques instants.
Mais pas trop longtemps.

Toujours au bar, cherchant sans le chercher l’inconnu.e du regard, la sirène se promit que, dès qu’iel la retrouverait, elle dirait oui. Peu importait sa proposition, peu importait qui était cette personne, où est-ce qu’iel habitait, ce qu’iel faisait dans la vie. Peu importait qu’il soit humain, surnaturel, ait peur de l’engagement ou soit déjà marié avec 5 enfants.
Odalie lea désirait. Elle lae voulait.
Alors dès que l’autre la retrouverait, elle dirait oui.

Chose qui ne tarda pas trop à se produire. Odalie vit soudain sortir de la foule la chevelure bouclée et le sourire malhabile de saon partenaire de danse. Le charisme discret et maladroit de ce dernier éveilla de nouveau quelque chose de chaud et de mouvant dans son bas ventre. Oui.
Lorsqu’iel s’adressa à la brune, celle-ci lui accorda le sourire le plus éblouissant qu’il lui était possible de fournir.
« Oui. »
Et, avant de bouger, avant de l’attraper par la main, par le bras, avant de lae toucher à nouveau pour retrouver le frisson électrique et le désir brûlant que l’inconnu.e avait réveillé en elle, elle se permit d’ajouter son prénom.
« Odalie. »

Morgan. Morgan. Morgan. Morgan. Morgan.
Le nom roula dans l’oreille d’Odalie, rebondit contre les parois de son crâne, résonna parmi toutes les autres pensées. Morgan. Comme la fée, la sœur du roi Arthur. Morgane l’enchanteresse, la dame d’Avalon. Morgan. Le « hmm » du délice, le r et le g plus durs et gutturaux. Morgan.
Morgan qui la tenait en otage entre l’appui de son corps et la froideur sale du bar, son bras caressant les reins de la sirène comme par inadvertance. Morgan dont le visage se faisait soudainement si proche du sien. Odalie sentait son haleine tiède, elle sentait le désir qui transpirait par chacun des pores de leurs peaux à tou.te.s les deux.
Il aurait été si facile d’utiliser son pouvoir. Embrasse-moi. Mais … ç’aurait été comme tricher. Et hors de question de tricher avec ellui.
Bientôt elle oublia jusqu’au rebord du comptoir qui lui sciait le dos, tandis qu’un.e Morgan nettement plus sûr.e de lui jouait de sa bouche, de ses dents, au creux du cou de la sirène. Odalie s’appliqua à retenir le gémissement qui montait dans sa gorge. Pas ici. Pas maintenant.
Les sensations explosaient en elle : la main contre son dos, les lèvres dans son cou … le désir en devenait presque douloureux. Il lui en fallait plus.
Enfin, Morgan redressa la tête et l’embrassa.
Un baiser fougueux et juste, qui semblait vouloir dire « oui, je te veux, pour moi, ce soir, pour nous, maintenant. » Un baiser trop retenu, qui explosa comme un feu d’artifice tandis qu’Odalie glissa ses mains dans les épais cheveux de l’autre et passa une jambe autour de la sienne. Un baiser qui lui donna le frisson, la chair de poule et le vertige à la fois.
Ce genre de baiser. Oui.
Quelque chose pulsait dans le bas-ventre de la brune. Quelque chose d’impérieux et de rugissant, d’animal et d’impatient. Odalie sentit la paume de Morgan glisser paresseusement le long de sa cuisse, remontant progressivement de ses hautes chaussettes à sa peau nue jusqu’à se frayer un chemin sous la jupe qu’elle portait ce soir-là.
Un instant, la belle oublia le déconseil de la Nuit, le bar auquel elle était toujours accoudée, elle oublia jusqu’à son nom. Elle sentit que cette nuit leur appartenait et qu’elle ne devait plus craindre que celle-ci s’achève. Elle avait gagné. Ils avaient gagné.
Lorsque le baiser s’interrompit, lae bel.le inconnu.e qui n’en était plus vraiment un.e glissa à la sirène une de ces invitations sans équivoque à laquelle elle répondit d’un souffle :
« Allons-y. »
Se détachant à contrecœur de saon compagnon de jeu, la brune se redressa avec élégance. Sa jupe, un brin froissée, était remontée sur ses cuisses et sa chevelure ondoyante devait en avoir pris pour son grade.
En quelques lents gestes graciles, Odalie renfila son manteau et son écharpe, tentant d’apaiser quelque peu les palpitations dans sa poitrine et dans son abdomen.

Le froid des rues de Washington lui mordit le nez et les joues. Inconsciemment, les deux amants pressèrent le pas, si bien que les 5 minutes promises par Morgan s’avérèrent nettement plus courtes.
L’absence de bruit et la fraîcheur nocturne avaient partiellement dégrisé la belle. Si le désir était toujours là, emmitouflé dans sa jupe portefeuille et ses chaussettes en laine montantes, le flux des pensées reprenait doucement.
Un instant, Odalie envisagea de dévoiler qu’elle était une Surnaturelle, une sirène. Un seul regard échangé avec Morgan suffit à l’en dissuader : iel s’en moquait. Elle s’en moquait. Ils s’en moqueraient toute la soirée, et toute la nuit qui suivrait.
Peu importait leurs appartenances, leurs races même. Ce soir, ils ne seraient que deux corps, deux êtres qui se désiraient et se combleraient dans les replis d’un lit trop vaste pour y demeurer seul. Ce soir, elle serait belle, iel serait beau, ils seraient ensemble, et cela suffirait.

Morgan finit par ralentir devant un immeuble et, quelques étages plus haut, sortit de sa poche un trousseau de clés dépareillées.
Rendu.e maladroit.e sans doute par l’alcool, iel ne parvint guère à insérer la clé adéquate dans la serrure de son appartement.
Odalie se glissa derrière ellui, collée à son dos, et caressa doucement le torse de son hôte à travers son haut ajouré.
« Tu t’en sors ou … »
La sirène dut se mettre sur la pointe des pieds pour susurrer la fin de sa phrase à l’oreille de saon amant.e.
« Il va falloir qu’on fasse l’amour sur le palier ? »
Joignant le geste à la parole, elle défit d’une main le bouton du jean de Morgan qui lui répondit à peine. Son autre main parcourait toujours un torse prêt à recevoir bien des baisers … dès qu’ils auraient ouvert cette satanée porte.

Vibrante du désir qu’elle provoquait, du désir qu’elle ressentait, Odalie se tenait toujours plus collée au dos de Morgan. Ce.tte dernier.e répondit à sa provocation en se montrant plus entreprenant.e encore : un léger mouvement de bassin, et la sirène sentit au creux de sa main toute la dureté d’un membre rendu ivre de désir. Comme une réponse à la moite tiédeur qui régnait entre ses propres cuisses.
Alors que lae sorcier.e parvenait enfin à faire pénétrer le panneton de sa clé dans la serrure, la brune rougit presque de l’indécente proposition que venait de lui faire son hôte :
« J’avoue ne pas y tenir plus que ça … » fit-elle d’une voix lascive. « Et puis, qu’en penseraient les voisins ? »
Sans attendre de réponse à sa rhétorique question, Odalie entreprit avec une lenteur à peine surfaite d’embrasser la nuque et le haut du dos de Morgan à travers le tissu. Lorsque la porte s’ouvrit enfin et que les amants d’un soir entrèrent dans la pénombre d’un appartement washingtonien, leurs lèvres se retrouvèrent de nouveau pour ne plus se quitter. Comme scellées par une promesse commune et réciproque, l’espoir permanent et sublime de ce qui allait se produire. Leurs langues se mêlèrent, laissant d’aventureuses mains faire le discours à leur place, et la sirène en oublia tout.
Elle oublia le Peaches Record et sa journée harassante. Elle oublia La Nouvelle Orléans. Elle oublia Washington. Elle oublia le Déconseil de la Nuit. Elle oublia l’alcool. Elle oublia la danse. Elle oublia qu’elle était une sirène. Elle oublia tout, jusqu’à son nom, jusqu’à son existence, tandis que seul demeurait l’instant partagé entre leurs corps tendus d’excitation.
Leur traversée de l’appartement parut interminable et si courte, alors que se défaisaient sous leurs mains les atours provisoires sous lesquels iels avaient choisi de paraître. Un effeuillage en règle, trajectoire chaotique dont le seul intérêt ce soir était leur destination : la chambre.

Lorsqu’ils atteignirent enfin le sanctuaire brisé qui accueillerait leurs fantasmes pour la nuit, l’un.e comme l’autre ne portaient plus que leurs sous-vêtements respectifs. Odalie vit les yeux de saon amant.e glisser sur ses courbes, ses seins, s’arrêter un instant sur le pendentif rempli d’eau salée qui trônait fièrement sur son plexus solaire.
La brune eut un sourire qui n’était pas une excuse. Oui, sirène elle était, sirène elle resterait, mais cette nuit pour ellui elle serait simplement une femme.
Du regard, profitant d’un instant où leurs bouches désolidarisées la laissaient respirer, la belle explora dans la pénombre le corps à demi-nu de saon amant.e du soir. De larges tatouages recouvraient l’un de ses avant-bras, ses côtes, s’enroulaient autour de ses jambes et au creux de son dos. Un lien entre le corps de Morgan et son âme. Cette âme fêlée et aventureuse qu’Odalie pouvait dévisager à travers le miroir des yeux du sorcier.
Bientôt elle se retrouva sur le dos dans un lit à moitié fait, le corps de l’autre au-dessus d’elle, sa pression douce et chaude éveillant toujours de nouvelles sensations dans le bas-ventre de la jeune femme. Ses mains affolées de désir parcouraient sans rougir les muscles noueux du dos de saon amant.e, ses côtes affleurant la surface de sa peau, ses cheveux bouclés. Elle lae sentit jouer avec ses seins, gestes experts et désinhibés : iel savait très bien ce qu’il faisait.
Et puis, les mouvements, les baisers de Morgan s’interrompirent. Iel se redressa de quelques centimètres, la dévisageant en se mordillant la lèvre inférieure. Ce regard clair, empli de doutes et de désir, se faisait soudain question. Interrogation.

Sans répondre d’abord à ce muet questionnement, Odalie détailla d’une fine caresse le visage du sorcier. Ces longs cheveux sombres aux larges boucles, ces traits fins à peine mangés par un bouc élégamment taillé. D’un doigt, la sirène suivit la courbe de ses sourcils, descendant sur une tempe, caressant une pommette lisse pour retrouver de son pouce les lèvres enjôleuses qu’elle avait tant baisées.
« Tu es magnifique. » murmura-t-elle.
Et elle le pensait.
Sans attendre de réponse, de réaction venant de saon amant.e, sans elle-même répondre à la question que son regard posait, elle l’embrassa de nouveau, enfouissant une main dans son abondante chevelure pour laisser l’autre se perdre au creux des reins de Morgan. Jeu négligent et couru d’avance, elle fit traîner sous l’élastique de son caleçon un ou deux doigts provocateurs avant de retirer d’un geste fluide le morceau de tissu récalcitrant qui séparait encore leurs peaux.
Morgan lui apparaissait enfin entier.e, dans l’exquise splendeur de toute sa nudité.
De nouveau, la sirène sourit, sans toutefois désolidariser ses lèvres de celles du beau sorcier. Usant de son corps frémissant comme d’un levier, elle le bascula sur le côté ; ainsi les deux surnaturels se retrouvèrent sur le flanc, l’un face à l’autre, jambes mêlées dans une épicurienne étreinte qui durerait une partie de la nuit.
Consciente de l’inéquité de la nudité de Morgan face au tissu léger qui recouvrait toujours son entrejambe trempée, Odalie décida sciemment d’ignorer toute protestation. Néanmoins les lèvres désireuses de la sirène assoiffée explorèrent avidemment la peau délicate de saon amant.e, les mains bien ancrées sur son fessier ferme et attentif. De longues et délectables minutes s’écoulèrent, durant lesquelles la belle navigua de sa bouche sur les rivages du torse de Morgan, ses épaules, ses côtes, son ventre … s’arrêtant un fugace instant sur deux tétons dressés qui n’attendaient que son approbation, descendant plus encore vers un nombril frissonnant qui n’aspirait qu’à être embrassé.
D’une main, elle acheva de pousser le sorcier sur le dos et s’assit sur lui, au niveau de ses genoux, pour continuer à assaillir un abdomen déjà fébrile de chatouilleux et brûlants baisers. La descente amorcée s’acheva bientôt aux limites d’une toison pubienne effleurant le menton de la brune.
Redressant la tête avant de poursuivre ses expériences buccales de la nuit, elle chercha du regard l’approbation de saon partenaire.
« Je peux ? » susurra-t-elle, le souffle court.
Nul besoin de préciser l’objet de sa question. Iel savait. Gémissant et vibrant sous ses doigts et sous ses lèvres, Morgan savait depuis le départ quelle était sa destination, l’arrivée terminale de sa sensuelle exploration. Il lui suffirait d’un « oui », d’un signe, et la montée crescendo du désir depuis la piste de dance du Déconseil de la Nuit arriverait à son paroxysme.

Se consumant sous le feu de son propre érotisme, Odalie laissa grimper à ses oreilles la voix de saon amant.e. Rauque. Essoufflée. Suppliante, presque. Le sorcier implorait presque, il aurait pû crier grâce qu’elle n’aurait pas agi autrement.
Avec une insoutenable langueur, la belle fit durer l’instant gracile, suspendu entre leurs peaux, dévisageant son compagnon. Dans le regard de la sirène dansait le défi. Ce défi, ce jeu, que tous deux savaient bien gagné d’avance. Puisqu’ils en étaient là. Peau contre peau. Puisqu’ils étaient complices, ce soir, sur les draps froissés de Morgan, dans un crime qu’aucun dieu, jamais, n’osât punir.
Alors, se rendant coupable des actes tendancieux qu’elle n’avait que suggéré, la sirène ouvrit la bouche pour y laisser entrer cette part de Morgan que le désir gonflait à l’infini. Frémissant, gémissant, le sorcier se dénoua au rythme des humides allées et venues qui lui infligeait la pécheresse.
Se dénouer, c’était bien là le terme. Odalie sentit sous ses doigts, entre ses lèvres et contre sa langue les vibrations d’un corps qui attendait le sien depuis bien trop longtemps. Ainsi entreprit-elle de gommer leur soirée. Gommer cette tension insupportable entre eux, gommer leur interminable périple à travers les rues trop froides de Washington, gommer tous les instants précédents celui-ci pour que l’évidence se fasse : leurs corps étaient faits pour s’entremêler ce soir comme s’ils s’étaient toujours connus.

Guidée par les râles et soupirs de saon partenaire, Odalie prit un malin plaisir à jouer sa partition à contretemps. Oui, elle accordait sa mélodie avec celle de Morgan. Mais elle le faisait légèrement à contretemps, laissant flotter entre les notes cet instant de délicieuse latence où le désir s’enflamme. Iel souhaitait augmenter la cadeance, elle commençait par ralentir avant de réaccélérer. Iel voulait changer d’instrument, la sirène jouait quelques instants encore. La musique de leur étreinte devenait harmonie, et chacun de leurs gestes répandait sous la nuit claire la glorieuse symphonie de tous ces gens qui s’aiment.
Car n’est-ce pas aimer, que de saisir un instant au vol la possibilité d’un soir, d’une nuit, d’un matin, l’écho d’une mélodie que l’on écrirait à deux avant de repartir ? N’est-ce pas aimer que d’attraper ces yeux, cette main, ce rire et de les célébrer entre des draps violine avant que de les laisser s’envoler ? Evidemment, Odalie savait qu’elle ne reverrait probablement plus Morgan, que ces fugaces heures resteraient des instants gravés avec délice dans le feu de leur mémoire mais qu’ils ne revivraient jamais. Et pourtant, pourtant la sirène savait aussi qu’il n’y avait rien de plus pur, de plus amoureux en somme, que de dire … je sais que tu ne m’appartiens pas et que demain, après des heures à goûter la sueur sur ta peau, je te laisserai repartir pour toujours. Mais ce soir ton corps est mien, je suis responsable de ton plaisir et je te promets que jamais je ne te laisserai l’oublier.

Voilà les pensées qui traversaient l’obscur encéphale de la brune : qu’elle aimait, qu’elle aimerait, cette nuit de tout son soûl, et que jamais sans doute elle ne connaîtrait d’autre forme d’amour.
Cela lui suffisait amplement et, tandis qu’elle sentait monter crescendo l’exaltation de saon partenaire, elle releva la tête, rompant entre leurs corps le contact fébrile. Sur ses lèvres un goût étrange qui, bien loin de la répugner, lui arracha un sourire.
Reprenant un souffle rendu bien trop court par les mouvements de sa nuque, Odalie se redressa, sa poitrine brûlante tendue par la somptueuse luxure qui l’animait enfin.
« Est-ce-que tout va bien ? » murmura-t-elle plus qu’elle ne questionna.
Question rhétorique, inutile, dont elle connaissait bien sûr la réponse. Mais la brune aimait s’entendre dire qu’on la trouvait désirable, elle aimait lire sur le visage de ses amants la brûlure de l’envie, elle aimait sentir les caresses redorer peu à peu son orgueil d’enfant frêle.
Avec délectation, la belle vit transparaître dans les yeux de Morgan tout ce qu’elle aimait tant lire, ces désirs inconsommés qui restaient à venir. Et, dans le vide intolérable qu’elle avait mis entre eux, un millier de baisers semblaient la rappeler contre ellui.

Paresseusement, sa respiration haletante ayant retrouvé un semblant de régularité, Odalie quitta le lit pour se poster debout aux pieds du sorcier. Elle avait presque froid, une fois quittée l’étreinte qui l’unissait au beau brun. Un frisson délicat parcourut sa peau moite, recouvrant tous ses membres d’une apparence granuleuse.
Elle eut un regard pour Morgan. Comme une longue caresse qui partit de la cime de son crâne bouclé, dévala un visage sublimement grave et doux, effleura des iris la peau claire d’un torse désormais chéri pour atterrir sur des jambes et sur ce qu’elles hébergeaient de plus précieux. Dressé, tendu, prêt à ne pas en rester là.
D’un geste à la lenteur calculée, elle retira la maigre couche de tissu jaune qui la séparait encore de la nudité, apparaissant enfin dans le glorieux rayonnement de toute sa beauté.
« Ce sera sans doute mieux comme ça, non ? » glissa-t-elle avec malice.

Ses yeux ancrés dans le regard clair de saon interlocuteurice nocturne, elle glissa de nouveau sur les draps violacés, retrouvant le visage plongé dans la pénombre du sorcier auquel elle prévoyait de tout donner.
D’un doigt aventureux, Odalie remonta la courbe d’un bras délicieux qui frémit sous son contact. Sa paume brûlante d’envie se retrouva bientôt dans la nuque de Morgan, qu’elle pressa adroitement jusqu’à retrouver ses lèvres.
Leur étreinte, désormais rendue égale par leurs tenues respectives, se fit plus douce. La sirène éperdue laissa ses mains jouer encore une mélodie nouvelle sur le corps de saon amant.e. A des années lumières du reste de l’univers, Odalie et Morgan montèrent vers cet endroit où vont les corps lorsqu’ils entrent en fusion et que l’on ne repère plus là où s’arrête l’un, là où début l’autre. Vertige. Délice. Puissance.

Elle en voulait plus.

Désolidarisant une fugace seconde sa bouche enhardie des lèvres du sorcier, Odalie susurra sans complexe, avec la simplicité de ceux qui savent qu’ils seront entendus :
« J’ai envie de toi. »

Odalie était un violoncelle et la nuit était son archet.
Cet objet de bois et de métal, sobrement bigarré, exposé dans un coin d’un appartement ou d’un magasin de musique. Instrument étrange et fascinant, avec ses courbes délicates et la volute élevée en son faîte comme un défi lancé à l’aveugle infinité. Violoncelle inutile et sans âme jusqu’à ce que les cordes vibrent, poignet agile du musicien comme un papillon en plein vol, traçant de ondoyantes allées-venues sur les cordes de son instrument. Odalie était un violoncelle et Morgan était son archet, tirant de son corps les délices qui faisaient trembler tout son être.
Odalie était un hautbois, la voix rauque d’avoir trop respiré, Morgan la parcourait de ses mains et de ses lèvres pour que la traverse le vent de l’existence. Odalie était une harpe, délicate figure élancée à la mélodie insolite, et lae sorcier de la pulpe de ses doigts habiles venait tirer un concerto. Odalie était un accordéon, qu’iel venait presser contre ellui, peau contre peau, et chaque nerf sur le passage de l’autre se transformait en musique.
Odalie était violoncelle, hautbois, harpe, accordéon, et lorsque la musique de la nuit atteignit son point d’orgue elle devint symphonie. Vibrante et multicolore, se détachant de sa portée pour s’élever dans les airs, enrouler tous leurs êtres et s’échapper des volets à demi-clos dans la cour sombre de l’immeuble. Alors, les couronnes flamboyantes des prêtresses incas et les madres dans leurs chales rouges enveloppées d’argent, ces ivresses dérisoires qui fleuraient bon le camphre, et tous ces autres autour dans leurs mornes exils, rien n’existait plus qu’elle, qu’ellui, que leur étreinte et les nuances torrides de leur allegretto.
Odalie était jouissance.
Et puis silence. Ce silence intolérable qui succède à la musique. Cette noirceur insupportable qui vient après les délices, les esquisses silencieuses qui avaient duré toute la nuit. L’espace, le temps, la réalité même en avaient été abolies. La sirène reposait là, sur des draps comme sur un radeau à la dérive, laissant se décanter en elle les ultimes flammèches du désir qui aurait dû la consumer … si elle ne l’avait pas consumé en premier.
Dans cette semi-conscience où laissent les orgasmes, au cœur d’une nuit fauve comme un serein marasme, la brune laissa les heures apporter le sommeil tandis que tous les cœurs battaient à ses oreilles.

Emergeant sans lourdeur d’un sommeil dépourvu de songes, Odalie laissa les rais du soleil, entre les volets, caresser un instant la bruneur de ses cils. Un léger frisson sur sa peau tiède, elle avait très vaguement froid. Morgan avait dû quitter le lit et retourner arpenter sans elle cet appartement plus vaste que ce qu’elle avait exploré la veille dans le noir. Ce picotement sous les paupières, prunelles refusant de s’habituer à la lumière nouvelle d’une journée encore vierge. Tout évoquait le réveil simple de celle qui s’était plongée dans le sommeil du juste.
Paresseusement, la musicienne se redressa dans le lit dont les draps trop froissés avaient adopté cette étrange posture de ceux qu’on a malmenés. Quelque part, de l’eau coulait. Ses vêtements de la veille avaient été déposés à côté du lit, sur un meuble que la sirène encore au radar identifia comme une commode.
Pas envie de remettre tout de suite ses affaires de la veille, Odalie s’improvisa styliste et s’enveloppa telle une antique vestale dans les draps qui avaient accueillis ses plaisirs de la veille. Elle sourit. La soirée avait été agréable. Très agréable. Le lendemain avait beau s’être levé, elle ne ressentait aucune honte. Aucune gêne. La pièce à demi-plongée dans la lumière entourait son corps gourd encore d’une aura de lumière.
Sans réfléchir plus avant, elle sortit en s’étirant de la chambre à coucher …
… pour tomber face à un Morgan, cheveux dégoulinants, une simple serviette de toilette nouée en bas du dos. Elle renoua d’un sourire avec ces yeux profonds et cet air de capturer le monde qui l’avaient séduite la veille.
Frottant encore ses yeux embués par la nuit, elle se contenta d’un modeste.
« B’jour. »
La sirène avait bien dormi et, à en juger la position du soleil, suffisamment longtemps. Son esprit peinait quelque peu à démarrer, à saisir la vivacité du monde, plongé encore dans cet état de délicieuse stase qu’est le temps du réveil. Pourtant les informations parvinrent à l’orée de sa conscience, quelque part. Juste assez pour formuler une réponse cohérente.
« Plutôt café … pour manger j’sais pas trop, on peut regarder ensemble après ma douche ? »
Sans en attendre plus, elle marcha d’un pas léger jusqu’au sorcier pour déposer sur sa joue un chaste baiser avant de filer sous l’eau tiède.
Chasser les derniers accords et le sommeil trop lourd. Raviver les connexions neuronales et l’acuité de son intellect. La sirène resta longtemps sous le flux chaud, son élément coulant sur elle comme une chape de protection. Elle se sentait extraordinairement bien.

Sortant sans hâte de ces instants de grâce, Odalie tombe sur un peignoir en éponge couleur du ciel dans lequel elle s’enroula sans demander d’autorisation. Après tout, c’était ellui qui lui avait proposé de prendre une douche.
Orientée par l’odeur matinale de la caféine infusée, la brune trouva le chemin de la cuisine où un Morgan toujours en serviette semblait l’attendre paresseusement.
« Hey. » sourit-elle, désormais un peu mieux réveillée. « Tu as de quoi faire du pain perdu ? »
Elle avait envie de pain perdu, alors, savait-on jamais, autant prendre la peine de demander. Qui ne tente rien n’a rien. A vrai dire, elle eut un sourire en imaginant san interlocuteurice avec un petit tablier en train de lui préparer à déjeuner. Enfin. Pour le pain perdu, elle l’aiderait s’il le fallait.
Après tout, il y avait des choses qui se faisaient bien mieux à deux.