Pact with the devil [Amarantis]

Tu n’aimes pas les casinos.
Ils t’ont toujours paru vulgaires avec leurs néons tapageurs, leurs tapis épais et leurs affreux bruits. Ceux des machines. Ceux des joueurs. Ceux de la misère du monde tassée dans une salle entre les bandits manchots, se raccrochant à un espoir idiot de se refaire, de gagner, de devenir riche. Avec la facilité de ceux qui n’ont jamais eu à se soucier de leurs finances tu méprises cette foule grouillante d’insectes désespérés et leurs illusions pathétiques.
Ils ne te font même pas pitié, non : tu voudrais avoir tout loisir de te laisser aller à un accès de rage dans le bâtiment que tu traverses, tu rêves de briser son plafond d’un revers d’ailes et de semer la destruction au milieu des parieurs. Tu voudrais voir le temple du faux s’effondrer entre tes griffes.

Mademoiselle Santo.

Dans ta main, un verre d’un alcool ambré dont tu n’as que faire et que tu ne boiras pas. Sur ton visage, une neutralité que tu veux polie -et qui l’est bien plus que le rictus dégoûté que tu pourrais offrir à la maîtresse des lieux.
Tu la suis dans son bureau, observant sans te cacher ce que tu penses être les hommes de main d’Amaranta. Tu notes vaguement leurs positions, leurs airs professionnels. C’est un réflexe qui ne devrait pas être utile cette nuit mais il vaut mieux être d’une prudence exemplaire lorsqu’on entre volontairement dans l’antre d’autrui.

Non, tu ne fais pas confiance à mademoiselle Santo. Elle n’est pas l’un des tiens. Elle n’est même pas vraiment une dragonne, pas à tes yeux, alors pourquoi lui accorderais-tu une once de bonne volonté ?
Tout ce qu’elle est, c’est utile -et toi tu es bien assez intelligent pour jouer à des petits arrangements politiques même si tu aimerais en être débarrassé. C’est pour cette raison que tu t’installes dans la chaise la plus proche, posant ton verre sur le bord du bureau. Le bout de tes doigts a laissé des traces de givre contre la surface transparente.

Je ne suis pas du genre à jouer, en effet.

Ni au poker, ni à la roulette, ni dans tes alliances. Tu n’es pas certain que ce soit le cas de la jeune femme qui te fait face.

L’un de mes fils, poursuis-tu avec l’intention de prouver ton affirmation précédente, m’a informé que vous étiez capable de vous procurer des marchandises que personne d’autre n’a en ville. Je suis venu voir de mes propres yeux de quoi il en retourne.

Pas pour jouer à de petits jeux vicieux, pas pour passer un bon moment. Qu’elle le comprenne bien dans tes mots comme dans ton ton parfaitement plat : tu n’es pas là pour l’amuser.

Le coffre, le code, la mise en scène. Tu observes tout ceci d’un oeil aussi froid que l’air qui t’entoure, te contentant de ton habituel immobilisme face à l’objet que mademoiselle Santo sort de sa boîte à malice. Si elle souhaitait une réaction, une admiration ou un choc, elle devra repasser.
Ce ne sont pas trois pierres rouges et son assurance qu’il s’agit d’une pièce rare qui vont t’impressionner.
Ce n’est pas non plus un tableau peint de main d’homme qui atteindra le coeur sous ta glace. Tout au plus y jettes-tu un regard, notant distraitement l’usage d’un vert pâle assez délicat dans les tiges des fleurs avant de t’en détourner. Les bouquets que tu déposes sur la coiffeuse de ta femme tous les matins valent plus à yeux que la pâle imitation de nature barbouillée sur cette toile.

Mon fils a le bon sens de ne pas m’importuner avec ses propres affaires.

Es-tu surpris ?
Un peu. Tu devras avoir une discussion sur les bonnes manières avec ton aîné, lui apprendre à ne jamais s’endetter auprès de personne. Il ne faudrait pas que cette mauvaise habitude devienne une faiblesse pour la famille. Il ne voudrait pas découvrir ce qui se passerait s’il ne remettait pas ses affaires en ordre, non plus.

J’espère que vous êtes aussi intelligente que lui, mademoiselle Santo. Vous me semblez trop bien placée pour vous abaisser à marchander des tapis.

Bien sûr que tu vois où tout ceci pourrait en venir : les faveurs d’un père en échange de l’oubli des égarements d’un fils. Dans une autre famille, peut-être que tout ceci aurait fonctionné. Tu te serais précipité au secours de ton héritier, patriarche bienveillant que tu aurais été, et la jeune femme aurait eu ce qu’elle voulait de toi… Mais personne n’a jamais fait l’erreur de te qualifier de “bienveillant”, et tu ne voudrais pas qu’elle fasse celle de te croire réceptif au chantage.

Je ne suis pas là pour acheter de la décoration pour une chambre d’amis ou des bijoux pour ma femme, vous pouvez ranger votre verroterie. J’ai besoin de quelque chose qu’on ne trouve pas aussi facilement qu’un pauvre gribouillis à accrocher sur le mur. Si vous pouvez me le procurer, je saurais vous payer grassement de la manière qui vous plaira. Si vous n’en avez pas les capacités, je préfèrerais que vous ne me fassiez pas perdre mon temps et que vous ne m’importuniez pas avec les errements de mes fils. Nous comprenons-nous ?

Tu serais agacé de devoir recommencer à chercher quelqu’un à qui acheter ce que tu désires, mais tu es patient. Tu le ferais. Tu partirais du casino sans même une seconde pensée si mademoiselle Santo ne faisait pas mine de se montrer raisonnable et utile.
D’ailleurs tu as déjà la main sur le bord de l’accoudoir de la chaise, le corps penché en avant comme pour te lever et quitter la pièce le plus vite possible.

Pouvez-vous obtenir des biens d’ordre surnaturel, ou vous contentez-vous de marchander des choses humaines auxquelles je ne vois aucune utilité ?