J'ose | American Idiot

j'ose

⋆ Now you be the mother and I'll be your fool I'll hide myself deep inside Your crimson pool The muddy water runs Beneath your folds You won't let me breathe; You won't let me go Now you'll be the stranger and I'll be the white-skinned son You'll blacken my innocence With sugar and opium

TW : racisme, mention du 11 septembre, islamophobie, vision du monde très américano-centrée, sexisme

Les études de physique n’avaient pas été concluantes.
Mes notes me l’avaient confirmé, lentement et sûrement, au fur et à mesure de l’année. Elles dégringolaient gentiment, me laissant entrevoir une réorientation, une démission, un changement, tous ces mots qui m’effrayaient et que je taisais auprès de ma mère. J’avais perdu un an, dans un vide global, sans réellement d’amis à part des compagnons de paillasse qui passaient plus de temps à la nettoyer qu’à vouloir faire ce qui était dit. Tout semblait lent, pesant. La physique n’avait ni insecte, ni papillon, et les calculs d’ingénieur étaient aussi stimulants que les toiles de poussière qui s’amassaient au fond de la salle. Rongeant mon crayon, la paroisse m’avait contacté.

Je m’étais confessé plusieurs fois sur mes inquiétudes quant à l’avenir. Je voulais étudier les insectes, les compositions moléculaires. Je m’étais trompé. Peu à peu, l’idée se faisait un chemin dans mon crâne. Je m’étais trompé. C’était dur à accepter. Je m’étais trompé. J’avais gaspillé du temps sur une bête erreur. La physique, c’était pas de la biologie, de loin. On m’avait dit que ça gagnait mieux. Je me voyais déjà grand ingénieur physicien à prévoir des plans sur la comète pour des voitures volantes. J’aurai été prix nobel et plein d’autres choses.
Mais non, parce qu’Ambrose Atkins s’était trompé.
La mâchoire serrée, la nourriture avait le goût de cendres et mes échecs la rendait bien raide.

On m’avait envoyé en Afghanistan.
La paroisse avait pris en charge les billets et l’hébergement. J’étais partie avec Sarah, la petite sœur d’un quaterback à l’université. Pendant le trajet, j’ai essayé de lui parler du passage des larves au stade de chenilles. Elle n’a pas été intéressée. Elle avait dit exactement onze mots, dont « je vais aux toilettes ». J’ai demandé l’heure. Elle ne me l’a pas donné. Les heures sans Internet m’ont paru longues.
Je n’ai pas voulu replonger dans mes cours de physique. J’avais peur que le papier veuille me couper les doigts, la main, et un peu le coeur. De son côté, Sarah restait la porte de ma propre prison. J’ai fini par me tourner les pouces, tandis que mes articulations faisaient des drôles de bruits et que l’enfant de la place 17B s’égosillait. J’aurai été curieux d’aller constater l’état de ses cordes vocales, après coup.

Quand l’avion a atterri, Sarah n’a pas plus parlé, et moi non plus. Nous étions en terre inconnue, et les autres parlaient une drôle de langue qui n’étaient pas de l’anglais, ni même de l’espagnol, ou  encore même du français. La première mission du jour était de tracter pour notre réunion d’accueil. Paraissait que depuis le 11 septembre, les relations entre les Etats-Unis et l’Afghanistan étaient particulièrement tendues. A la paroisse, on nous a dit qu’on pourrait mourir. Je l’ai pas dis à maman, tout comme je ne lui ai pas dis ma réorientation, ma perdition, mon échec ou quoique ce soit. Pour elle, je partais en vacances avec Sarah de la paroisse, la sœur du quatterback. Quand je suis parti, elle a paru heureuse. C’était l’essentiel. Parait que notre corps est ramené au pays natal si on meurt ici. Alors, il était difficile de croire que les deux pays s’entendaient si mal. Si tout se passait si mal, ils prendraient mon corps d’américain pure souche pour en faire un drapeau, l’exposer, en faire un exemple.
J’étais sourd aux explications diplomatiques, tout ce qui m’importait était de ramener un maximum de personnes à notre réunion d’accueil. La guerre faisait rage, et il semblait qu’on pouvait aider par ici sans fusil ni armes.
Moi, ça me faisait chier. J’étais très bon tireur sur CS;GO. J’aurai certainement pu aider un peu, devenir un héros de film. Il n’y a pas d’héros de film pacifiste. On ne sauve pas le tracteur Ryan mais bien le soldat.

Devant leur étrange église, il y a beaucoup de personnes. On me dit de ne pas y aller, que c’est pas l’endroit. Moi, j’y vais. C’est un signe du destin, parait-il. Fièrement campé sur mes jambes trop hautes, je parle anglais, et les autres me répondent avec de drôles de sons. Moi, on m’avait dit que tout le monde parlait anglais partout dans le monde, que c’était la langue universelle. Je plisse les yeux. L’expérience est étrange.

« Party, fiesta, tu sais, danser, musique, boom boom. »

Je tends mon tract et rapidement, une foule s’ameute autour de moi. Mes lèvres se tordent dans une barre de fer mal équilibrée quand je souris. J’ai bien fais de pas les écouter, les autres. J’étais au centre de quelque chose, avec des tas de personnes à convertir pour venir à notre soirée d’accueil. Ils allaient nous rejoindre, trouver notre paroisse incroyable, revenir, repartir, et ce serait génial.
C’était sans compter sur ce type, avec une gueule de militaire, un habit de militaire, et soudainement, je me suis mis en tête de le détester parce qu’il était le soldat à sauver et pas le paroissien. Tentant de garder contenance, j’entends des bribes d’anglais et mon visage s’éclaircit. Il est américain, comme moi. Il a un drôle d’accent, mais s’il sait parler anglais, c’est déjà ça de gagné. Nous allons pouvoir communiquer, dans l’universalité et cette diplomatie que je crois comprendre.

« Bonjour soldat ! Heureusement que vous arrivez, je me demandais où était notre interprète ! »

Extatique et ignorant totalement le danger de la situation, je m’approche et lui tend des tracts. La foule devient de plus en plus bruyante, mouvante, et grouille comme un essaim. De mon côté, je ne suis qu’une chenille prête à me faire bouffer.

« On fait une cérémonie d’accueil ce soir au Centre Évangéliste, t’es invité ainsi que toutes les personnes ici, mais ils comprennent rien à l’anglais ces cons. J’essaie de leur expliquer avec des bruits mais même ça, ils comprennent pas. T’as moyen de leur expliquer un peu ? »

Alors que je finis ma phrase, un homme m’attrape le col pour me traîner en arrière. Pris au dépourvu, mon crâne percute le sol et un bruit blanc emplit mes tympans. Le soldat semble flou, et si je plisse un peu les yeux, il aurait presque des allures d’ange.