may you never be broken again ❁ borée & zephyr

TW : mention de violences familiales

Même s’il avait arrêté de compter, le chiffre restait imprimé dans sa mémoire. Cinq ans. C’était le funeste anniversaire de la première fois où Ophion avait levé la main sur lui. Il se souvenait encore du choc et de la stupéfaction. S’ils n’avaient jamais eu grand-chose depuis sa naissance, il avait toujours cru qu’ils auraient au moins leur famille. Un père, une mère, deux sœurs et un frère. Le bruit de la claque et la sensation des doigts collés à sa joue restaient ancrés en lui. Ce jour là, le premier pan de sa famille avait commencé à s’effondrer jusqu’à ne plus rien représenter aujourd’hui pour lui. Il avait compté au début, il avait perdu le fil maintenant.

Les claques se transforment en poings qui laissent la place aux pieds ou à n’importe quel objet à portée de main. Les rougeurs deviennent des bleus qui finissent par devenir des entailles ou des os brisés. Viennent ensuite les cicatrices, ces rappels constants que le monde a un jour basculé, ces traces indélébile qui parsème sa peau pâle et courent jusqu’au plus profond de son âme. Il avait appris à se soigner, avec le temps, au moins physiquement. Il avait aussi appris à reconnaître les blessures. Une gifle faisait rougir la peau, un poing donnait un bleu, une bague pouvait couper. Les détails étaient toujours différents mais le résultat le même.

Il encaissait, se persuadant avec le temps que peut-être, il méritait chaque blessure. Se confortant en se disant que tant qu’il prenait, le reste de la famille était à l’abri. Il ne pouvait pas grand-chose pour eux, mais il pouvait au moins faire ça. Il se persuadait que les plus jeunes n’y voyait que du feu et que sa mère faisait semblant de ne plus voir. Restait Borée, à qui il ne pouvait rien cacher réellement, mais c’était le lot des grandes sœurs, elle le lui avait assuré un jour.

Pourtant, aujourd’hui, c’était sur elle que la violence avait laissé sa trace et la vue de sa lèvre tuméfiée lui glaça le sang. Est-ce que les coups avaient trouvé une nouvelle victime ? Elle mentit devant les enfants, mais il savait qu’elle cachait quelque chose et il avait besoin de savoir. Il avait appris à se déplacer discrètement dans la maison pour être sûr de ne pas croiser Ophion. Il se posta derrière elle adossé à la porte de la salle de bain, attendant qu’elle le remarque. Attendant de savoir si elle lui dirait la vérité, à lui.

« Comme d’hab. » Il lui répond en haussant les épaules. Il restait évasif la plupart du temps. Borée était la seule à être au courant pour ses activités avec Joah. Il n’avait pas pu lui cacher et il savait qu’elle ne le trahirait pas. Ils avaient besoin de l’argent. Pourtant il n’entrait pas dans le détail. Il avait besoin d’imaginer qu’il était toujours un petit frère idéal pour elle. Qu’il ne lui causait pas trop de soucis. Il ne voulait pas qu’elle s’inquiète pour lui. Elle s’inquiétait déjà bien trop pour tout le monde. « Ca va ta lèvre ? » Il demande en pointant la coupure du bout du menton. « Tu t’es pas loupée. » Il ne veut pas la brusquer, il ne veut pas l’attaquer de plein fouet. Mais il a besoin de savoir. Ils ont toujours eu ce lien spécial et elle sait qu’il sera toujours là pour lui. Qu’elle le veuille ou non. « C’est Ophion ? » Il demande d’un ton aussi calme que possible, tentant d’éradiquer toute émotion de sa voix, pas totalement sûr de la réaction qu’il pourrait avoir s’il apprenait que leur père avait levé la main sur elle.

TW : mention de violences

La douceur de sa peau le fait frissonner. Plus jeunes, ils passaient leur temps collés l’un à l’autre, entourés plus tard de Notos et Euros. Ils prétendaient avoir trop froid pour rester éloignés. Mais ils s’étaient habitués l’un à l’autre. Au delà de la chaleur qui émanait de leur corps, c’étaient leurs âmes qui se réchauffaient de la présence de l’autre. Dans la grande solitude que la vie dessinait devant eux, ils étaient des lueurs d’espoirs, des points de repère et de repos dans une tempête trop agitée. En grandissant, les étreintes c’étaient espacées. Ils s’aimaient toujours, mais l’adolescence avait ce don de rendre tous les rapports étranges et encore plus les contacts physiques. A l’école, on s’était moqué de lui, une fois, parce qu’il serrait sa famille dans ses bras avant de rentrer en classe. Un grand garçon ne montrait pas aussi facilement ses sentiments. Il fallait être cool, dur et ne pas montrer que parfois, on souffre et on a besoin d’entendre que tout ira bien. C’est ridicule, il se dit, alors que la main de sa sœur frotte son dos et que la chaleur de leur relation l’entoure d’une couche protectrice. Borée a toujours eu cet effet sur lui. Celui de l’apaiser, de lui faire voir le bon côté des choses alors même qu’il était persuadé qu’il n’y en avait que des mauvais.

A son tour il serre ses bras autour d’elle. Au diable les apparences. Dans l’intimité de la petite salle de bain familiale, il n’y a pas de faux semblants. Pas de camarade trop bête pour comprendre l’importance d’un câlin et la différence qu’il peut faire. Zephyr a grandit. Et s’il n’y avait que ça qu’on pouvait lui reprocher, sa vie serait plus douce. Dans leur étreinte, il sent la présence d’autre chose. Le timbre chevrotant de sa voix alors qu’elle s’excuse, comme si c’était de sa faute. Personne ne la touchera parce qu’il irait de se pas la venger, elle n’avait pas besoin de lui promettre autre chose. « C’est pas de ta faute, Bo. C’est moi. J’aurais dû te protéger. » Il dit sans quitter sa place au creux de son cou. Il aimerait la protéger sans jamais savoir de quoi. Il se battrait contre des fantômes ou des idées pour elle. Juste pour s’assurer qu’ils ne viennent pas se mettre sur sa route. Même s’il aurait préféré qu’elle lui donne un nom, pour pouvoir se battre pour de vrai et lui montrer qu’elle n’avait pas besoin de pleurer, tant qu’il serait à ses côtés.

D’un geste souple, il se recule, pose une main sur sa joue, scrute le haut de sa lèvre sans oser toucher pour ne pas lui faire plus mal. « T’as pas besoin de me mentir tu sais. Je peux t’aider. T’as pas besoin d’être seule. » Parce qu’elle lui ment et il ne lui en veut pas pour ça. Il aurait fait pareil. C’était leur mode de fonctionnement. C’était à qui protégerait le mieux l’autre, comme si il y avait une fierté à en tirer quand leurs deux vies n’étaient remplies que de misères. Leur fierté c’était ça, cette complicité qui avait toujours eu sa place entre eux. Cette amour qui n’avait jamais disparu sous les coups et les désillusions. « C’est Joah ? » Il lui demande en retirant sa main et en croisant son regard. Il l’a entendu dire son nom et la traiter de salope par la suite. Il n’y avait pas mille Borée à Detroit, il aurait eu du mal à parler de quelqu’un d’autre. « Je le connais un peu. Je l’ai entendu dire ton nom. » Il précise devant son air étonné sans donner plus de détails. Il n’avait rien fait en l’entendant l’insulter de la sorte et il s’en voulait maintenant. Il avait eu peur. Sous ses grandes promesses d’être plus fort, il s’était senti terrifié et avait fait comme s’il n’avait rien entendu. Parce que malgré son envie d’être un sauveur, il n’était qu’une victime de plus.