you get lighter the more it gets dark ☾ moon & sun & mercure

tw : désintégration & mort d'Alaric, déréalisation, PTSD, mention de la mort d'un enfant

« Vous m’excuserez donc de ne pas vous raccompagner, je crois que vous connaissez la sortie. »
J’échange un regard avec Sun. Pas surprise, pas réellement – s’il y a une chose que j’ai apprise, c’est que les enveloppes de Mercure ont souvent un tempérament capable de chercher querelle même aux plus anciens d’entre nous. Man adelphe cherche la rébellion comme les moucherons volent pour s’approcher de la lumière ; sauf qu’iel peut parfois oublier que cette fois, c’est ellui la lumière, et ce sont les corps les moucherons.
Les yeux clairs de l’Originel me rendent mes interrogations.
« Mon avocate est prête à me faire libérer et je ne suis pas sûr qu’une évasion soit bonne pour mon dossier. Si je vous suis je deviendrai une clandestine, je perdrai le peu de vie qu’il me reste et d’utilité que votre portée cosmique trouve dans mon existence. Ne croyez pas que j’ignore ce qui se passera pour moi quand vous recommanderez à mon hôte de changer de refuge. »
Cette fois-ci, il m’est difficile de ne pas me laisser aller à sourire. Charmante et déterminée, lucide sur la condition qui l’anime : mortelle, mais qui se revendique appartenant à une Histoire dont elle voudrait être l’actrice. Je saisis instantanément ce qui a attiré Mercure.

Un pli barre le front d’Alaric, témoignage de la perplexité – et du mécontentement – de Sun. Nous avions abordé ensemble cette éventualité, la possibilité que notre échappatoire soit nié, et je sais que man Créateur·ice n’aura pas ma patience ici. Aussi, je range ma main tendue dans la poche de mon uniforme et, avec un sourire qui se veut doux, je m’adresse à la jeune femme plus qu’à man scintillant adelphe.
« ’Ton hôte’, Gabrielle, est trop futé·e pour nous écouter, Sun et moi. Quoi que nous lui suggérions, iel agira comme bon lui semble et, si je lae connais un petit peu, je sais qu’iel ne t’abandonnera pas. » Je fais un pas vers la silhouette rousse, les ombres lovées derrière moi, tandis que je te sens, Hécate, frémir un peu au fond de moi. Je sais. Je sais que je ne suis pas lae plus à même, parmi les miens, de considérer qui tu es. Je sais que je prends sans vergogne, sans rien te donner en retour. Je suis loin d’être lae meilleur·e de toute mon immortelle engeance. Mais si je devais en choisir un·e qui s’élève de ce point de vue-là, c’est à n’en pas douter Mercure qui prendrait la tête de la course. « Mercure est bien meilleur·e que nous, et je ne l’imagine pas choisir, sciemment, de détruire son enveloppe. »
Harassée par cette preuve d’humilité dont j’ai trop rarement l’habitude, je m’étire avec négligence pour dénouer ces muscles encore raides d’avoir été dans le froid du camion. En quelques pas, je rejoins la porte de la cellule et reste, attentif·ve, sur le seuil.
« Si tu redoutes trop ce qui t’arrivera en nous suivant, je peux volontiers le comprendre. Je ne t’y obligerai pas. »
Sur ma gauche, je sens Sun se tendre à l’idée que toute cette mission n’ait servi à rien. D’un geste, je l’arrête. Iel m’a appris bien des choses, au cours de ces siècles à danser entre ombres et lumières passagères. Mais iel n’est pas lae seul·e à m’avoir éduqué·e et sur le sujet des mortel·le·s, Mercure m’a instruit le respect. La leçon a mis du temps à être bien assimilée et j’espère que, derrière les yeux vindicatifs de Gabrielle, man adelphe sera un peu fier·e.
« Sun, nous devrions y aller, avant que quelqu’un se rende compte de quelque ch… »

Le temps se comprime.

Un sifflement résonne sans que j’en comprenne la provenance, semblable au son d’une fléchette lancée depuis une sarbacane. Tout·e à ma concentration sur cet·te adelphe qui nous repousse, je n’ai pas le temps de saisir d’où peut provenir ce bruit étrange.
Sun est plus rapide que moi.
Avant que je comprenne comment, iel s’interpose près de moi, les mains en avant, et inonde d’une lumière sourde les nouveaux arrivants. Gardiens d’une prison éphémère, ils avançaient silencieusement à la lisière du long couloir par lequel nous sommes arrivé. Leurs armes sont pointées sur nous, et je n’ai pas le temps de me demander ce qui a bien pu nous trahir que je comprends enfin le bruit que j’ai entendu quelques instants plutôt.
Une seringue hypodermale, filant droit vers moi à la vitesse d’un météore – propulsée le long du canon de l’un de nos nouveaux assaillants. Le corps de Sun s’est interposé, me permettant de l’esquiver. Hélas, la minuscule aiguille a tracé un rayon de feu dans son cou.
« Sun ?! » ai-je à peine le temps de glapir avant qu’il ne soit, immanquablement, trop tard.

« Non, non non non non … » Sous nos yeux arrondis d’horreur, l’estafilade enfle et se déchire. En une fraction de seconde, elle est devenue un rai de lumière qui consume les mondes tout entiers. Je vois le blond fixer ses mains, trembler de tout ce qu’il lui reste. « Odalie… »
Avec un dernier soubresaut, les yeux clairs viennent heurter les miens, se revêtent de la douce lueur qu’ont toujours eu les regards de Sun. La lumière s’intensifie mais je plisse les yeux, je m’accroche, refusant de le laisser partir. Un sourire bienveillant s’étire et profère ses dernières paroles. « On se retrouvera bientôt. Ne les laisse pas avoir Mercure aussi. »

Et puis, plus rien.

Dans une odeur de chair brûlée, le Créateur vient révéler sa forme la plus originelle. Un oiseau de flammes se déploie. Sa chaleur, d’ordinaire rassurante, m’effleure de son souffle roussi. Je sens mon visage se cramoisir tandis que mon regard tremblant se pose une dernière fois sur lui.
Quelque chose de dure heurte mes genoux. Il me faut un petit moment pour comprendre que c’est le sol. Ta conscience rejaillit comme un météore, une étoile filante à l’aune de ce trop lourd chagrin, et ton cri se fond dans le mien.
« NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON »
Tu hurles, Hecate, tu hurles à m’en cisailler les tempes parce que ce n’est pas la première fois que quelqu’un tombe devant tes yeux. Une vague me submerge et me contraint de céder la place. Il n’était pas qu’une enveloppe. Il avait une famille, lui aussi, bien que moins ancienne que la tienne ou la mienne. Il avait une famille, un corps, un cœur, un avenir qu’on lui a volé et pour la première fois, Hecate, pour la première fois tu me hais. Tu me hais pour les vies que j’ai prises, celles que j’ai arpentées sans respecter la moindre seconde les édifices qui s’y étaient bâtis. Tu me hais pour la détresse dont je fais preuve vis-à-vis de cellui qui renaîtra, quand je ne pense pas une seconde à celui qui a disparu.
Et Alaric Bachmann n’est plus.
Pour lui, il n’y aura plus de levers de soleil mais un sempiternel coucher. On pourrait célébrer son enterrement, si seulement il y avait un corps. Alors seulement je réalise que je ne savais rien de lui – incapable de dire d’où il vient, où il allait, ce qu’il faisait. Y a-t-il une épouse, un époux, qui l’attend quelque part ce soir ? Nous ne nous en sommes pas préoccupés avant de l’entraîner sans peur dans cette aventure illégale dont nous sommes les seul·e·s responsables.
Ta haine se déverse à gros bouillons en moi et, sous le choc, nous nous mettons à pleurer. L’oiseau de feu s’est éloigné mais tu vois des écailles, du sang, et le corps de ton dernier-né brisé dans les rues de Seattle. Tes blessures s’ouvrent, purulent et deviennent soudainement les miennes alors que je me recroqueville, le front presque sur les genoux et les bras en travers du ventre.
Je suis désolé·e, Hecate.

Tout a été si rapide, à peine quelques battements de cils et pourtant il ne reste rien. Tu voudrais qu’on remonte le temps, tu voudrais qu’on fasse quelque chose. Hecate, je te demande pardon ; il est des choses que même mes ombres ne sont pas capables de dénouer. Alaric Bachmann n’est plus, parce qu’un être plus fort que lui a préféré nous protéger. J’aimerais te dire qu’il cherchait à te préserver, toi, mais ce serait un trop lourd mensonge de songer que Sun a pensé à autre chose qu’à san protégé·e.
Des gémissements émanent de ma gorge et j’ai mal en des parties d’âme dont j’ignorais qu’elles existaient.
J’essaie de me redresser un peu, de me dire qu’il ne faut pas que ce soit en vain, mais ma vision est trouble, brouillée ; seule tâche de couleur, Gabrielle, que tu te mets à appeler.
« Faites quelque chose … »  tu gémis entre deux sanglots. J’essaie de reprendre la main, mais tu t’adresses à man adelphe comme si ta vie en dépendait. « Mercure … Mercure, s’il vous plaît … »