To act is to protect oneself [Erance I ]

Je voulais rentrer chez moi. Retrouver ma sœur, ma nièce. Rester là où je me sais en sécurité. Je ne comprends pas encore comment j'ai pu en réchapper. Et je comprends encore moins pourquoi je suis parti avant la fin de mes soins. Je suis inconscient et d'une incroyable bêtise. Mais je veux rentrer chez moi. Je suis sûr que ma famille pourra mieux faire. J'en suis persuadé.

Et quoi que je veuille penser. J'ai peur. Xas ne peux pas rester tout le temps avec moi, c'est normal, et je ne veux pas rester seul. En bas, je pourrais rester avec les miens. Je pourrais faire quelque chose. Je ne veux pas rester à la surface.

J'ai mon pendentif provisoire autour du cou, je le tiens fermement dans ma paume. La mer n'est pas loin, je la sens, elle m'appelle.

Mais l'odeur de la pluie me perd et je me retrouve dans une ruelle qui ne me plaît pas. Elle ressemble a celle d'il y a quelques jours. Ca ne me va pas.

Un bruit dans mon dos, je me tourne et a un mouvement brusque en arrière. Le sifflement d'une lame.

Encore ?

Putain de merde, je vais jamais survivre à la surface !

Un autre assaut, je recule brusquement. Un impact sur ma joue, mes pensées s'entrechoque et ma tête par sur le côté.

Erreur. La plaie se rouvre. La douleur m'aveugle. Le sang coule. Merdemerdemerde. Je tombe à genoux. Il y a quelqu'un d'autre. Il y a cette ombre élégante et mon visage rencontre le pavé. Ma main a quitté mon pendentif pour sentir le sang s'accumuler sur les membranes qui relient mes doigts.

J'ai mal, j'ai froid, j'en ai marre.

Je perds connaissance.

Est ce que Xas va encore apparaître comme par magie ?

Non.

Je rouvre les yeux. J'ai mal. Et ce n'est pas Xas à côté de moi.

Je papillonne. Tout est douloureux. Il y a une odeur, il y a quelque chose sur mon cou. Mes doigts viennent l'effleurer pour trouver un bandage. Encore une âme pure à la surface ? Je préférerais ne pas avoir à les rencontrer si c'est pour devoir vivre cette souffrance, je ne veux pas frôler la Mort pour rencontrer quelqu'un d'autre...

C'est une femme. Sa voix est douce et attire mon regard à elle.

Je pince les lèvres. Je n'ai pas su me défendre encore une fois. Je ne suis pas un faible petit poisson !

Mais je dois pourtant la remercier...

Mais après. Une nouvelle question m'est posée et j'ouvre les lèvres.

Aucun son. Evidemment. Mes cordes vocales ne vibrent pas. Il n'y a que la douleur... Encore. Merde. Encore.

Cette situation me frustre, mes sourcils se froncent et mes lèvres se pincent.

Elle me présente ses doigts. Je n'y avais pas pensé, elle est intelligente.

Mes doigts palmés rencontrent les siens. Je réfléchis une seconde avant de descendre son annulaire et son auriculaire droits. Mes mains ne me permettent pas de faire ça.

Je me redresse alors, j'essaye en tout cas. Le monde chavire, mon visage se couvre de sueur. Merde. Qu'est ce que j'ai fait ? J'abandonne l'idée de me relever et me laisse tomber en arrière avec une grimace de douleur.

Même ça, juste grogner de douleur, j'en suis incapable ? Ca me désespère.

Je réfléchi une seconde. Je ne connais pas de mot, je ne sais pas comment m'exprimer sans son. Je suis perdu.

Je mime alors : un crayon, ma main comme morceau de parchemin.

Je me mélange. Ma main se pose sur le bas de mes lèvres et s'avance. C'est tout ce que je connais. C'est tout ce que je sais faire.

« Merci »

Est ce qu'elle comprendra ? Comment lui faire comprendre ? Je sens mes mots m'échapper sans que personne ne puisse les entendre.

Merde. J'ai peur. Ca m'angoisse, ça m'écrase la poitrine, mon souffle s'emballe. Je ne sais pas quoi faire pour me faire comprendre.

Une sirène sans voix.

A quel point est ce que j'ai raté ma vie ?

Je ne comprends pas.

Je me sens faible et inutile. Je ne suis ni un humain, ni même une sirène. Est ce que je mérite encore mon nom de famille ? Que dirait mère ? Et ma sœur ? Est ce que je peux quand même rentrer à la maison ?

Pas tout de suite en tout cas. Mon sang continuera de couler. Je me sens totalement perdu. Coincé entre deux mondes sans savoir si l'un d'eux m'acceptera.

Mais elle, cette femme en face de moi... Elle semble m'accepter. Elle m'a récupéré, elle m'a sauvé... Je suppose que je suis chez elle ? Je ne me sens pas en danger, je ne me sens pas menacé... C'est vraiment la dernière chose dont j'ai besoin, je sais pas comment mes nerfs auraient tenus si j'avais été conscient, dans la rue, le sang coulant sur les membrane de mes doigts.

Et pourtant... Ca m'énerve. J'aurais voulu tous les défoncer. Un par un.

La jeune femme se détourne et je suis ses mouvements des yeux. Mes sourcils se froncent. Une partie de moi est incroyablement méfiante mais l'autre essaye de rationaliser. Si elle m'a sauvé, ce n'est pas pour m'assassiner avec une tisane.

N'est ce pas ?

La fameuse tisane qui a une odeur que je ne connais pas. Il y en a tellement, des odeurs que je ne connais pas... La chaleur sur mes doigts est très agréable et me détends légèrement.

Je porte la tasse à mon nez pour la humer sans quitter la demoiselle des yeux. C'est pas bon ? C'est dommage, l'odeur est vraiment douce.

Je n'aurais plus mal ? Ca vaut le coup d'essayer. Peut-être que je pourrais essayer de forcer un peu, voir si on entend quelque chose, si j'ai pas mal ? Peut-être que c'est juste la douleur qui me bloque.

Putain d'optimiste. J'ai fait de la merde pour bien moins et maintenant que j'ai tout brisé j'espère réparer le plus important ? Idiot.

Je le porte finalement à mes lèvres et bois. C'est chaud dans ma gorge. Et c'est vraiment pas bon, je me sens grimacer de dégoût. Mais je le finis.

Je secoue la tête comme si ça pouvait me débarrasser du goût et le vertige revient avec ses étoiles. J'aurais pas du faire ça.

Elles volent assez longtemps pour que je mette du temps avant de comprendre les mots d'Erin. Erin donc.

Je capte enfin ce qu'elle me tend... Ce que je lui ai demandé en fait. Mes doigts un peu tremblants récupère les objets. Les avoir en main m'offre la sensation de quelque chose de normal et tangible. Est ce qu'il faudra que j'en ai toujours un avec moi maintenant ? C'est encombrant et franchement pas pratique. Comment je vais avoir une vraie conversation avec quelqu'un ? Un débat ?

Le langage des signes, tout le monde ne le connaît pas, moi le premier. Il faudra que j'apprenne. Est ce que Xas voudra bien apprendre à le lire pour moi ? Ca me paraît beaucoup de travail pour rien. Je vais devenir un putain de fardeau.

Peut-être qu'il ne voudra plus me parler... Qu'il me laissera pour deux bonds. Pour les mensonges et pour les difficultés à communiquer. C'est pénible.

Je ne dois pas penser à ça maintenant.

C'est un souci pour après, quand j'arriverais à me débrouiller tout seul. Quand je marcherais sans vaciller, quand les étoiles retourneront à leur place... Faites que ce soit vite.

Je griffonne un peu maladroitement sur le papier, l'écriture, ça n'a jamais été ma force.

« Lance »

Simple, rien d'autre.

Enfin si, je pose ma paume sur ma poitrine et esquisse un sourire maladroit, il tire sur ma peau, j'aime pas.

Je baisse la tête en salutation.

Je récupère le carnet pour recommencer à écrire et je recommence le geste :

« Merci d'être venue m'aider, je te vous dois la vie »

J'ai une nouvelle moue un peu gêné et lui laisse le temps de déchiffrer mes pattes de mouche.

La suite me fait écarquiller les yeux. Elle est recherchée ? Je suis pas en sécurité alors ? Bordel.

Je fronce les sourcils et joue du stylo à nouveau.

« Ils me sont tombés dessus, je cherche encore la raison mais sinon, c'est moi qui les cherches. Je veux leur faire la peau pour ce qu'ils m'ont prit. Je ne les laisserais pas s'en tirer comme ça »

Je me rends compte que la mine du stylo a traversé le papier alors que ma colère m'échauffe de la tête au pied.

Je vais les tuer.

Je boue de colère, de rage destructrice contre tout ceux qui oseront me contrarier d'une quelconque manière. Je me fustige pour être aussi faible, assis dans ce lit, la gorge muette et le cou brûlant de douleur. Tout me débecte et je sais que je pourrais même en vouloir à celle qui m'a sauvé la peau il n'y a pas une journée, qui est gentiment à mes côtés. Je devrais bien la remercier d'une manière ou d'une autre.

En attendant, je tente de me débarrasser de ce goût âcre qu'a laissé la tisane sur ma langue. Je rumine un peu, joue de ma langue pour déglutir. Mes doigts tripotent nerveusement le stylo. Je n'arrive pas à lâcher mes yeux du trou que j'ai fait dans la feuille.

Je l'entends, Erin, je l'entends me parler de vengeance, m'appeler presque à la raison tout en me disant qu'elle ne me stoppera pas. Personne ne pourra me stopper ! Personne ne pourra faire ça ! Je massacrerais quiconque se mettra en travers de mon chemin de vengeance. Sauf Xas... ? Et Aspen ? Il n'y a pas grand monde... Ou personne, à part eux, qui pourra calmer ma colère.

Je me rends compte que mes lèvres bougent. Un réflexe. Un réflexe qui m'énerve. Mon poing se serre sur la feuille et la froisse entre mes doigts. Le bruit qui atteint mes oreilles remplace le grondement de rage qui ne sortira plus jamais de mes cordes vocales.

J'en oublie ce que je voulais dire. Sûrement quelque chose comme « Si, je te dois beaucoup, Erin. C'est important ».

Je la regarde s'éloigner de moi et en profite pour calmer mes nerfs. Je souffle et tente de me concentrer, de … Je sais pas... De faire en sorte que ça ne retombe pas sur Erin. Elle a rien demander. Putain que c'est dur !

Je fixe finalement des yeux la bouteille d'eau qu'elle ramène. Je me rends alors compte que ma gorge n'est que du papier de verre. Je jette un œil à Erin et prends le verre dans ma main tremblante et la porte à mes lèvres.

L'eau glisse dans mon gosier et soulage tout. Comme si je retournais à la maison. J'ai un soupir silencieux. Un soupir de soulagement.

Avant de sentir la rage revenir comme un tsunami.

Mon poing écrase le verre en plastique vide et je déverse mes mots silencieux, je hurle en silence ma colère destructrice. Tout reste vide. Il n'y a rien.

Je sens des larmes de frustration, de fureur baigner mes yeux.

Et mes lèvres continuent de déverser mes paroles vides et inaudibles.

Et je pleure en silence. Évidemment.

Toute ma vie sera en silence maintenant.

Je récupère le stylo et griffonne sur le papier qui s'imbibent doucement de mes larmes.

« Je suis désolé. Je ne veux pas qu'on me voit comme ça, c'est pathétique. »

Mes doigts tremblent.

« Je ne resterais pas sans défense. Je trouverais le moyen de remplacer ma voix, coûte que coûte. »

Je lève les yeux sur elle et lui présente à nouveau mon morceau de papier. Mon regard est déterminé.

« Qu'est ce que tu peux m'apprendre ? »

Je pourrais me lever maintenant pour me remettre sur pied et commencer à apprendre à me défendre sous sa supervision.