bless the rains down in Africa ☾ moon & venus / hecate & creed

Nous ne sommes que huit dans l’univers, Hecate.
Tu pourras chercher, fouiller, creuser, tu ne trouveras que cela. Nous sommes les huit seuls corps célestes à être dotés d’une conscience, et de la capacité même de marcher sur la croute terrestre. Cela nous rend … extraordinaires, sans doute, mais surtout singulièrement seuls.
Tu n’ignores rien de la solitude, toi non plus. J’ai lu à travers tes paupières les cauchemars qui troublent ton être. Les formes grises, mouvantes et lâches retombant dans le Purgatoire. Cette enfance piétinée, balayée d’un seul geste sans que tu n’aies pu recourir à quelque malice que ce soit. C’est à peine si tu conserves des souvenirs de ton créateur, de tes adelphes, de quoi que ce soit avant le vide. Un vide tournoyant, ténébreux et vertigineux, du genre qui enserre les poignets et ne les laisse pas s’échapper.
Ce que tu as fait, au sortir de cette folie douce, lorsque tu as donné la mort, peu en auraient eu le courage. Tu prétends l’avoir fait par peur, par terreur de la solitude, mais je pense que tu t’es trompée. Il n’y a pas de solitude plus grande que celle que tu t’es infligée.

Regarde toi, les mains vides et la poitrine creuse, à avoir la peau qui frissonne dès qu’une faible brise nous effleure. Qui as-tu pour meubler tes jours, ma sombre reine parmi les ombres ? Tes enfants, qui au mieux tendent à s’éloigner, au pire cherchent à saper en toi ta certitude d’être une bonne mère et d’avoir fait ce que tu pouvais ? Ton époux, dont la carne crasse a préféré baiser une autre pendant que tu pleurais votre enfant perdu ? Ce Chasseur imbécile, qui joue à te tourner la tête pour que tu ne sentes pas sa lame pointer ? Tes clients, peut-être, qui ne se doutent pas une seconde que si tes pouvoirs ont changé c’est par la force de mes larmes ?
Tu n’as personne, Hecate.
Alors cesse de vouloir guider nos pas. Tu m’as donné ton consentement, tu m’as donné les pleins pouvoirs sur cette carcasse qui est la notre, ne t’avise pas de les reprendre maintenant. Nous sommes une, et cette (L)une est moi. Je sens bien que, depuis quelques jours, tu voudrais refaire surface, donner des explications. Depuis le sauvetage de Mercure, à vrai dire. Tu sembles récalcitrante à l’idée que ton visage soit associé à mes hauts faits.
Sauf que c’est mon visage, maintenant, ma brune.
Je te l’ai expliqué, nous ne sommes que huit. Jamais je n’aurais laissé un.e des mien.ne.s pourrir dans votre vieille bâtisse à Blackwater. Jamais je …

Une impulsion, forte et soudaine, me porte à regarder autour de nous. L’un.e de mes adelphes est là, j’en ai la certitude profonde. Et c’est précisément la raison pour laquelle je dois garder le contrôle du corps qui nous sert de vaisseau, Hecate. Si je te le laisse, nous sommes seul.e.s, chacun.e avec nos propres doutes. Si tu peux me laisser tes pas, il n’y a que toi qui n’aie personne.
Je tourne la tête vers ce corps que je ne connais pas.
Bien sûr, il ne s’agit pas de Sun, ni de Mercure ou Jupiter. Et il y a un moment déjà qu’Earth se cache de nos yeux à tous. Alors …
« Venus ? »
J’arbore un franc sourire, laissant apercevoir tes dents. Cela fait un moment que je n’ai pas croisé la planète sœur, vraisemblablement occupée à faire le bien où qu’elle se rende.
Mes yeux détaillent ce nouvel être que man adelphe a choisi d’habiter : peau foncée, muscles bien dessinés, regard troublant … alors que je vais pour prendre la parole à nouveau, je te sens résister encore, fixée sur ce petit pendentif qu’iel porte autour de son cou. Ce n’est qu’un collier, Hecate, un collier avec un peigne de Venus dont le pourtour est peint en mauve. Cela n’a rien à voir avec toi.
Ou alors, peut-être que si ?
Ta remontée à la surface est si bruyante que je ne peux tenter de l’éviter encore. Je te sens m’écraser à terre et chuchoter d’un souffle rauque :
« Creed ? »

Tu as la voix embuée d’être longtemps restée silencieuse. Comme prisonnière d’une boule de verre à l’arrière de ton propre encéphale, tu te contentais de regarder les évènements avec un œil docile et secret. Et ça pourrait rester comme ça longtemps. Tu pourrais continuer à te laisser écraser indéfiniment, je le sais. Tu as en toi ce germe infâme de l’auto dépréciation, celui qui te pousse à éviter tous les miroirs et à refuser les commandes d’une vie qui est pourtant la tienne.
Si tu es sortie, en cet instant, c’est parce que tu as reconnu le coquillage au cou de Creed.
Vous étiez des enfants, alors. Vous marchiez les pieds nus le long de la mer de vos vacances en hurlant de surprise et de joie à chaque fois qu’une vague vous éclaboussait. Dès que l’un de vous trouvait quelque chose, quoi que ce soit de digne d’intérêt, vous criiez le nom de l’autre pour qu’il puisse venir le voir aussi. Le soir venu, vous rentriez avec vos trouvailles plein les poches dans la voiture insalubre de sa mère ou de la tienne, narrant à renfort de grands cris votre journée au bord de l’eau.
Vous étiez des enfants, alors.

Désormais, Creed n’a plus rien d’un enfant.

Un sourire triste ourle tes lèvres. Il ne te reconnait pas, et c’est bien normal. Là où mes adelphes et moi-même sentons toujours cette vibration qui nous appelle à nous trouver, vous n’avez pas cette … fonctionnalité. Tu as changé de corps, de forme, de regard aussi certainement. Du petit garçon de dix ans qui a quitté l'Allemagne de l'Ouest ne restent que des bribes de souvenir que tu caches sous les monticules de la femme que tu es devenue.
Frissonnante, soudainement, tu bafouilles comme tu le peux.
« E-eh bien, peut-être que je … c’est possible que je me trompe. M-mais je crois que … » Pétrie par l’émotion, tu es contrainte de reprendre une respiration. Cela fait si longtemps que tu n’as pas nagé à ma surface que tu ne sais plus par où aller. « Tu t’appelles Creed Goodman, n’est-ce pas ? Tu es né en Allemagne, il y a un peu plus de trente ans. Tu avais un cousin, Markus, qui avait cinq ans de plus que toi et qui a disparu lorsque tu avais à peu près six ans. »
Enfoui dans les ombres de l’oubli et de l’exil, Markus. Tu as crié comme un malade qui cherche un remède à ses maux, un assoiffé qui croit encore que de l’eau le désaltèrera.
« J-je sais que c’est difficile à croire, m-mais … Markus, c’est moi. »

La révélation déstabilise les eaux troubles de notre mental. Pas assez pour te laisser couler à nouveau, mais juste assez pour reprendre le dessus. Mes yeux se voilent et je fixe à nouveau man adelphe.
Les larmes n’ont plus aucune place, et les hésitations non plus. Ma voix est droite et mon sourire, carnassier.
« Eh bien, Venus, il semblerait que nos vaisseaux soient liés par la chair. Qu’est-ce-que tu dis de ça ? » et je pars dans un rire sincère face à la duplicité de cette étrange situation.