Il y a eu un temps où les courses de Noël, la période des fêtes en général, était une joie. Avant le divorce, avant le séisme, avant que tout ce qui est doux et sucré ne tombe en poussière dans sa bouche. Chiara a tout essayé ; le réveillon chez sa mère, chez son père, elle a essayé d’envoyer péter les deux et de le faire juste avec Sol, elle l’a fait chez les Delacroix, elle l’a fait à la Rose Noire. Mais jamais la satisfaction ne revient, car partout où elle va, elle n’est que spectatrice. Il y a eu un temps où elle a eu quelque chose à donner, où l’exercice de trouver le bon cadeau, la bonne attention pour la bonne personne lui a apporté un véritable plaisir – ça fait longtemps que les fleuristes ont compris ce qui se cache derrière le plaisir d’offrir : la jubilation de voir juste, de taper dans le mille, d’apporter exactement ce qu’il faut à l’exact bon moment. Un plaisir pas tout à fait altruiste, en somme. Mais même avec tout son égoïsme, cette année, Chiara est une tombe pillée, une coquille vide, sans rien à donner.

Elle avait prévu de faire les courses cet après-midi ; hors de question de se retrouver dans les magasins le dernier samedi avant Noël avec l’intégralité de la population de Washington. Mais impossible de décoller du canapé, paralysée par ce tableau Excel toujours vide, sans aucune idée assignée aux noms sélectionnés. Sauf pour Sol, évidemment, qu’elle commande toujours des mois à l’avance et qu’elle stocke dans son placard dans le plus grand secret. Cette année elle n’est pas sûre de tomber juste – trop peur d’être à côté de la plaque, d’avoir laissé son fiel empoisonner une de leurs plus fidèles traditions. Il faudra bien que ça suffise.

L’actrice entend frapper à la porte, une fois, deux fois, trois fois, sans pour autant se lever. Il va falloir se résoudre à vivre sur ce canapé, désormais, et à se désagréger jusqu’à devenir une sorte de lichen de forêt sur le tissu rêche. Elle se redresse subitement en entendant ladite porte s’ouvrir et se refermer – si c’était Sol, elle n’aurait pas frappé – avant de croiser le regard hébété d’Isis, la jeune sœur de sa djinn. Automatiquement, et sans véritablement fondement, sa présence l’irrite ; peut-être plus parce que maintenant on la regarde, parce qu’Isis, sans le vouloir, la place sur la scène et la force à jouer plutôt qu’à végéter sur les planches. « Puisque Sol le dit, j’imagine que tout va bien du coup » elle ronchonne avant de s’affaisser de nouveau sur le canapé. Quelle plaie, de n’être jamais tranquille nulle part.

Isis a l’air d’une biche prise dans les feux d’une voiture, au milieu du salon, ce qui a le malheur d’agacer Chiara encore plus. « Fais comme chez toi, t’as pas besoin de moi pour savoir où sont les trucs » Après tout, n’a-t-elle pas vécu ici un temps, avant d’être chassée par la négativité et la mauvaise humeur constante de la capricieuse actrice ?  

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