J'prends l'mauvais côte de la vie et j'lui casse les côtes - Cesar

TRIGGER WARNING : relations toxiques, écart d'âge dans une relation, mention de drogues, d'armes à feu, de morts et d'enterrement, gaslight, manipulation, violence physique et violence conjugale

La naissance d’un être d’exception.

C’est ce que raconte un patriarche tirant trop sur la bouteille lorsqu’il doit présenter son unique fils aux yeux du monde. Joah a toujours été vénéré par son père : il devait être tout ce qu’il n’a lui-même pas été capable d’être. Il devait accomplir les plus grandes choses qu’il soit donné à l’homme de contempler. Il devait faire entendre son nom au monde.

Tout cela depuis ce petit appartement de Birmingham où les bouteilles s’empilent trop et où la présence de la mère prend rapidement des airs d’absence.


C’était une évidence, que les parents se séparent. Aussi évident que les réponses aux contrôles que réussit Joah haut la main. Ses notes ne chutent jamais, contrairement à l’estime qu’il a pour son père alcoolique et décadent.

Joah n’a que cinq ans mais il est déjà capable de se rendre compte que si son père l’admire à cet âge-là, c’est bien qu’il y a un problème ; c’est bien qu’il n’a rien pour lui, cet adulte aux travails allant et venant et aux sous que l’on compterait presque sur une main. Non, Kellen Rockefeller n’a jamais été un modèle ni un homme appréciable. Un honnête contraste avec Catherine. Lorsque le divorce a été prononcé, c’était évident que ce serait elle qui obtiendrait la garde.

Un travail étrangement stable en tant que détective privée, les fonds pour acheter à elle et son enfant une petite maison en banlieue, et surtout, un dossier longuement préparé pour faire tomber son mari alcoolique qui n’apporte rien de plus que des dettes.

Une vie banale pour Joah, l’enfant qui devait déjà apprendre à cacher la misère à l’école. Parce qu’être le petit intello de la classe paraissait plus simple que de recevoir la pitié des adultes.


La vie ne pourrait pas être plus banale.

Il ne se passe rien de plus qu’une succession de scènes ennuyantes, répétitives, horripilantes. Parfois, Joah met un petit peu de piment dans sa propre vie. Le poing qu’il met dans le visage d’un camarade, c’est un petit grain de poivre. Le portefeuille volé à son professeur et déposé, sans argent, dans le sac d’un autre camarade, c’est une pincée de curry.

Il n’aime pas tant que ça les épices, ni la cuisine, mais il aime définitivement la sensation de pouvoir et de contrôle qui vient avec un plan sans faille. Lorsqu’il frappe, il s’assure de ne pas avoir de témoins. Il se frappe aussi en retour, à un endroit plus visible mais moins douloureux, pour clamer la légitime défense. Lorsqu’il vole, il en prend tous les bénéfices et fait toujours en sorte qu’un coupable soit désigné, pour qu’aucune fouille ne dure assez longtemps pour le désigner.

Joah, c’est ce petit génie aux airs parfaits, mais que de moins en moins de gens peuvent supporter à force d’être mêlé à des histoires louches. Il peut toujours berner les adultes qui fondent devant sa gueule d’ange et ses notes impeccables, mais les adolescents se font passer le mot. Très vite, son terrain de jeu devient miné et danser entre les dangers lui procure plus de satisfaction qu’il ne pouvait le penser.


Pourtant un jour, tout s’arrête. Joah a seize ans, il a fini ses études secondaires haut la main et avec une année d’avance. Il ne doute pas qu’il aurait pu faire mieux, s’il l’avait souhaité. Ça ne coïncidait simplement pas à ses plans.

La disparition de sa mère non plus, ne coïncidait pas.

Sa mère, c’est celle qui lui a mis des habits sur le dos. Qui lui a offert ce journal intime auquel Joah tient tant, qui ne l’a pas traité comme un roi mais comme un réel enfant, avec ses failles et ses problèmes. Même si elle ne pouvait pas tout savoir de lui, il n’y avait personne que Joah aime autant que cette mère absente qui ne se montrait qu’un soir sur deux avec une viennoiserie et un sourire éclatant.

Cette mère qu’il ne reverra peut-être plus jamais, maintenant qu’elle est partie.

Detroit n’est pas une très belle ville. Ni agréable à vivre, ni bien peuplée. C’est un de ces points qui ne devraient pas exister sur une carte, et pourtant c’est là qu’il a choisi de s’installer. Parce qu’il préfère encore vivre chez une tante éloignée que de se faire l’affront d’entrer à nouveau dans la maison de son père.

Il ne compte pas y vivre bien longtemps, de toutes manières. Tout juste le temps de se faire un peu d’argent et de pouvoir vivre seul et bien loin de la grisaille.

La sortie du lycée est définitivement le meilleur endroit pour commencer son commerce. Il a encore l’âge de se faire passer pour un lycéen, après tout. Au moins, les cigarettes se vendent. Les autres marchandises, moins légales, également. Ce sont les petits mecs désespérés et aussi pauvres que lui qui lui servent le mieux. Ceux qui crèvent de faim à même leur banc d’école et qui ont une famille à nourrir même quand c’est pas leur rôle.

Il en a vite trouvé trois ou quatre, des gamins comme ça dont l’âge est le meilleur alibi et qui lui permettent de se faire de l’argent facile tant ils sont naïfs et exploitables.

Elle s’appelle Borée et elle est la grande sœur de l’un de ces enfants. C’était un risque, d’aller directement chez le gamin lorsque celui-ci était en retard, mais le risque a été amplement récompensé. Il a tout de suite vu qu’il avait tapé dans l’œil de la fille. Un peu plus jeune. Facilement impressionnable. La romance n’a jamais été une grande préoccupation de Joah, mais il s’ennuyait et il a vite appris à apprécier d’être la cible d’une adoration sans pareille.

Il a vite compris qu’il avait touché le gros lot sans même s’en rendre compte : Borée n’est pas humaine. Il ne comprend pas trop, au début, mais ça l’a immédiatement fascinée. Ses pupilles qui devenaient fendues sans raison, les écailles qui grimpaient sur ses épaules ; tout était incroyable et impressionnant, et petit à petit, la fascination est devenue mutuelle.

Alors il fait plus attention à Zephyr, ce gamin innocent qu’il fait de son mieux pour garder dans l’ignorance tout en utilisant ses talents pour son commerce. Il garde la sœur et le frère séparés, dans deux sphères d’influences bien distinctes, il fait de son mieux pour que Borée ne finisse par appartenir qu’à lui. Elle est son trésor, son vent du nord, et il refuse de la laisser partir, de laisser quelqu’un d’autre connaître le secret de ce qu’ils partagent et de ce qu’elle est vraiment. Une créature défectueuse, une créature fascinante.

Le coup est parti tout seul. Borée est trop sensible quand il s’agit de son petit frère, le sujet n’aurait jamais du venir sur le tapis parce qu’au final, c’est la fille qui y a fini, les larmes aux yeux. Elle devait comprendre. Elle devait comprendre que Joah sait ce qui est le mieux pour elle, pour eux, pour toute leur famille. Il est plus intelligent que toute leur fratrie réunie, que ces deux parents qui se tuent à la tâche pour rien. C’est grâce à lui qu’ils vivent. Qu’ils mangent presque à leur faim la plupart des jours.

Borée rentre chez elle, et Joah lui donne une semaine avant qu’elle ne revienne en pleurant dans ses bras.

C’est cette semaine-là que le géniteur est mort.

Le ciel est aussi bleu qu’il puisse l’être. Joah se demande pourquoi il est là si même Dieu n’est pas capable d’être triste pour cette mort. Cet enterrement est une parodie, les spectateurs se comptent sur les doigts d’une ou deux mains. Pourtant, les gens parlent. Ils parlent tellement.

Toutes nos condoléances, Joah.
Ca va aller, mon chéri ? Tu sais, si tu as besoin d’un endroit où loger–
Oh le pauvre enfant. Ca doit encore être la faute de ces fichus esprits. D’abord Catherine, et maintenant Kellen. –Tu penses qu’ils l’ont assassiné aussi ? J’aurais cru que ce serait la bouteille qui l’emporterait en premier. –Tu sais comme moi de quoi les Knights sont capables.

Il ne comprend pas, mais il écoute. Il découvre. Là où il pensait que la disparition de sa mère était un bête accident, les convives le mettent sur une toute autre piste. Les Knights. Il avait déjà surpris ce nom dans l’un des carnets de sa mère, de ceux qu’elle laissait traîner sur la table lorsqu’elle n’avait pas le temps de tout bien ranger. Sans doute ne pensait-elle pas que son fils s’intéresserait à ses enquêtes.

Connaître le nom de ses cibles est une chose : rassembler assez d’informations pour les retrouver en est une toute autre. César est intelligent, mais il n’a rien d’un détective privé. Il n’est pas sa mère. Heureusement pour lui, il en a les carnets ; retrouvés dans un vieux débarras où il avait jeté tous ses cartons à l’époque, il a passé des mois à les feuilleter et à recouper les pistes jusqu’à comprendre ce qui a emporté sa mère. Les Knights sont des trafiquants d’objets précieux. Pire, tout porte à croire qu’ils ne sont pas humains. D’un genre différent de Borée, plus monstrueux, aussi fascinants.

Pour retrouver des trafiquants, il faut jouer dans la même cour qu’eux. C’est comme ça que son nouveau business a commencé. La drogue, il sait faire ; il reçoit toujours parfois des dividendes de ce qui se vendait à Detroit, dirigeant encore une partie des opérations à distance. Mais la drogue, ça ne suffit pas pour ses ambitions.

Les contacts s’additionnent, les liens se créent, le réseau se forme et Joah perd peu à peu son nom pour y préférer son pseudonyme. César. Peut-être pas tout à fait un empereur, mais ce qui s’en rapproche le plus dans l’imaginaire collectif, et qui assoit sa main mise sur un empire du crime bientôt à saisir.

Bientôt, parce qu’il sent l’odeur des Knights. Il est dans leur dos, et bientôt, il sera prêt à frapper.

Le monde du surnaturel regorge de merveilles. Des dragons gardiens. De gigantesques lézards maîtrisant les éléments et capables de prendre une apparence humaine pour se fondre dans la masse. Lorsqu’il fait la rencontre de la famille Dragonstone pour la première fois, César comprend qu’il n’y a plus de marche arrière possible. Le voilà les deux pieds dans un monde où il est tout petit, et il n’a qu’un seul souhait. Prendre la place qui lui est due, au sommet.

Les dragons sont ses meilleurs alliés, dans cette aventure. Avec ses renseignements, ses contacts dans le monde de l’illégalité, et leur force de frappe, ils ne font ensemble qu’une bouchée de la famille Knights. Ils vengent Catherine Rockefeller d’un coup puissant et décisif.

Ils sont sur sa trace. Le pacte a été rompu au moment même où César s’est saisi du marché des Knights. Il ne pouvait faire autrement. Tous ces artéfacts magiques, toutes ces armes ; les laisser aux mains des puissants aurait été du gâchis. C’est très naturellement qu’il les a donc pris sous sa coupe, qu’il a récupéré ce qu’il pouvait sous le nez des Dragonstones pour ouvrir son propre commerce, plus discrètement que les Djinns ne l’avaient fait par le passé.

Mais tout secret est voué à être découvert. Toutes les vérités sortent un jour. Les dragons gardiens commencent à être sur sa piste, et le seul salut de César est de quitter le pays. D’ouvrir boutique ailleurs. Quel meilleur endroit, alors, que le berceau de son commerce ?

La vie à Detroit n’est pas plus brillante qu’elle l’a été par le passé. Par curiosité, César se renseigne sur ceux qu’il avait côtoyé auparavant. Certains n’ont pas changé, continuent exactement les mêmes affaires comme s’ils étaient incapables de sortir de leur vie merdique. D’autres ne sont plus là, éparpillés aux quatre vents. C’est le cas des Burrows. Plus de Zéphyr, plus de Borée. Il n’en reste plus grand-chose, qu’une carcasse de famille et une mère brisée en manque de soutiens.

César n’a pas de mal à devenir l’un de ces soutiens. Une main aidante au marché, un inconnu bavard qui lui propose un café au détour d’une conversation. Daphné est une femme insipide, brisée, mais pleine d’amour pour ses enfants. C’est sûrement ça, qui a causé sa perte quand elle en a perdu trois d’un coup.

Elle parle, Daphné. Elle parle presque autant que César. Il lui offre des banalités, de faux secrets, et elle lui donne la vérité sur un plateau d’argent. Il ne faut que quelques mois pour qu’il en apprenne plus sur les années qui ont suivi son départ. Sur cette fille prodigue qui est partie à l’armée ; la pauvre a eu une relation horrible avec un vil homme, un déchet social à en croire les mots de Daphné, qui l’a laissée seule avec comme seuls souvenirs un gros hématome et un ventre en cloche.

César est père, et il ne l’apprend que six ans après les faits. Il est indigné, colérique. Le coup part tout seul, encore une fois, lorsque Daphné est incapable de lui dire où ils sont maintenant. Quelle idiote. Quelle sombre idiote. Il la laisse là, dans le même état que sa fille l’a été, au sol de sa propre maison. César a mieux à faire que de s’occuper d’une femme trop abimée par les années et la pauvreté. Il a eu ce qu’il voulait.

Les affaires vont bien, surtout depuis que la guerre a fait rage et a laissé le pays en miettes. Les citoyens ont besoin de plus d’armes que jamais, mais ses recherches continuent. Il a retrouvé l’orphelinat d’origine, celui où ont grandit ses enfants, mais ils ont été déplacés, depuis. Impossible de savoir où, au premier abord. Le système social est une série d’embranchements et de dédales fait pour y perdre n’importe qui s’y aventurant. Que ce soit des enfants mal aimés ou des parents inquiets.

Il finit enfin par mettre la main dessus. Il les voit, de loin. Il les observe, il rend visite à l’orphelinat à intervalles irréguliers, comme s’il cherchait un enfant à adopter. Il leur offre un biscuit ou deux, les complimente, et repart de son côté. Ils ne peuvent pas savoir qui il est, mais lui sait. Il continuera de les observer, de les voir grandir, jusqu’à ce qu’ils soient assez mûrs pour être cueillis.

Le moment vient enfin. Lors d’une nouvelle visite à l’orphelinat, César prend la décision sur un coup de tête ; aujourd’hui, il adopte ses enfants, Joran et Aura. Deux merveilleux bambins qui ont connu autant de joies dans la vie que lui et Borée n’en avaient à leur âge. Mais en suivant dans les traces de leur père, ils auront enfin une nouvelle chance. La chance d’hériter d’un empire et de faire leur richesse sur le dos des idiots et des bien-pensants.

Pour ça, il leur reste encore beaucoup à apprendre.

Les jumeaux croient toujours qu’il n’est que leur père adoptif, leur bienfaiteur. Il leur tend la main, les nourrit, leur donne un toit et même de l’argent de poche puisqu’il peut amplement se le permettre. Ensemble, ils déménagent une nouvelle fois. La Nouvelle-Orléans sera le nouveau théâtre de leur vie et de leurs crimes, une ardoise blanche sur laquelle balader les feutres de leurs désirs.

Plus le temps passe et plus le réseau de César s’étend. Fort de son expérience contre les Knights, il ne tarde pas à faire la rencontre d’individus à la recherche de ses talents. Ils se font appeler Chasseurs, et leur quête idiote les mènent sur le chemin de la mort et de la destruction. Si César n’a aucun intérêt à rejoindre leurs rangs de manière officielle, il ne voit aucun problème à leur vendre ses services. Armes, informations sur les lieux les plus faciles à frapper, rien n’est hors de portée de César. Pas même les artéfacts au prix exorbitant qui leur donne une chance de combattre à arme égale.

Cette année-ci est fondamentale dans son développement ; la Nouvelle-Orléans regorge de personnes hautes en couleurs et il y fait ses plus belles rencontres. Ses plus horribles également. C’est lors de l’une d’elles qu’il fait la rencontre d’un illuminé, dont le groupe d’amis semble persuadé qu’ils sont en mesure de révéler leur potentiel surnaturel. De devenir, eux aussi, des monstres.

César ne manque pas d’utiliser cette rencontre à son avantage. Il les encourage vivement à poursuivre sur cette voie, à réaliser leurs rêves. Petit à petit, il leur donne les fondements de ce qui leur permettra de fonder Elysium, une secte dont l’importance ne manquera pas de grandir. Ils ont les idéaux, il a les idées, le financement, et il en récolte les fruits.

Ca n’aurait jamais dû arriver. La mission devait être simple : entrer par effraction, prendre le colis, ressortir. Ne pas se faire remarquer était une évidence, mais les jumeaux ne bénéficient visiblement ni de la discrétion de leur mère, ni de l’intelligence de leur père. César perd patience lorsqu’Aura revient aux portes de la mort et que Joran balbutie des mots à propos d’illusions imprévues, d’un piège. De Djinns.

C’est elle qui a pourtant toujours été la plus intelligente, la plus débrouillarde des deux. Elle avait plus de potentiel que le fils impétueux. Alors César place l’artefact dans les mains de Joran. Il lui donne la marche à suivre, lui ordonne d’utiliser la magie que recèle l’objet pour soigner les blessures de sa sœur avant qu’elle ne meure.

Il échoue. Encore.

Aura ne reviendra jamais parmi eux, la précieuse fille de César est morte et il ne lui reste plus qu’un fils brisé et colérique. Une tradition familiale, qu’il doit tenir de sa mère, à n’en pas douter.
Il ne faut pas longtemps à Joran avant de disparaître à son tour, de prendre la fuite pour ne pas avoir à affronter les conséquences de sa lâcheté. Mais César ne peut pas le permettre. Il le retrouvera. Personne ne lui échappera à nouveau.

La vengeance et la colère dans son cœur mènent César jusqu’à une décision capitale. Convaincu par la sorcière Morrigan, il ne voit qu’une seule solution. Pour annihiler les Djinns, il doit en avoir un sous sa botte.

Jasper n’a d’yeux que pour Morrigan. César se sent floué. Le voir avec la sorcière lui laisse l’impression amère d’avoir été utilisé et il ne peut pas accepter cela. Il ne peut pas accepter non plus que le Djinn qui devrait lui être dévoué suive les ordres d’une autre. La colère gronde, continue de grimper, et ses ordres se font de plus en plus erratiques et inutiles, voués à garder Jasper sous son joug, près de lui, là où il peut le voir. Le surveiller. Le posséder.