LLYRAN I ◑ i thought the plane was going down

Avec plus de délicatesse qu’une plume caressant l’eau d’un lac, les mâchoires d’acier du piège à ours se refermaient sur ses écailles. Chaque jour, Llyr sentait un peu plus Taina qui respirait derrière sa nuque et la menace de l’Ordre de Caïn qui plaquait une lame sur sa gorge. L’Ordre le cherchait, le gouvernement le cherchait, le FBI le cherchait, tous dans un seul et unique but : faire payer le salaud, le connard dont l’identité, pour certains, demeurait toujours incertaine. Combien de temps, avant que l’agente Barbosa ne décide qu’elle en avait marre de risquer son poste pour un quasi-inconnu et ne retourne contre lui les informations qu’elle gardait pour l’instant bien précieusement ? A mesure que ses insomnies constellaient son visage de mauve, il songeait à ce qu’il aurait pu faire, ce qu’il aurait dû faire. Rester à sa place, comme toujours, attendre les commandements de personnes plus puissantes que lui jusqu’à ce que sa volonté se dissolve dans l’air ambiant.
Il n’avait pas entrepris de nombreux actes de rébellion au cours de sa courte existence ; à peine s’en permettait-il un qu’il devenait ennemi public. Pas aussi médiatisé que l’assassin de Cordelia Kane -Galène l’en préserve-, mais suffisamment inquiété pour que ses jours ne soient plus tranquilles.
Les verrous s’étaient accumulés le long de sa porte comme des mouches attirées par du miel, tout en sachant pertinemment que si quelqu’un voulait rentrer, ce ne serait pas eux qui l’arrêteraient.

D’ailleurs, le battant entrouvert semblait confirmer ses pires craintes ; les clés glissées entre ses phalanges, le triton prit une longue inspiration avant d’entrer dans l’appartement. Tâchant d’endiguer son angoisse, il retira ses chaussures, les rangea, comme à son habitude, dans le meuble dédié à cet effet, dénoua son écharpe et son trench-coat pour les suspendre à la patère. Rien ne l’aidait à se recentrer sur lui-même comme ce scénario d’habitudes qu’il répétait à s’en écœurer.
Quand il fit irruption dans le salon, la silhouette assise au fauteuil se releva pour l’accueillir. Llyr, la mâchoire serrée, l’écoute insulter ses compétences. C’est impossible. Les services spéciaux de la CIA ne l’ont pas retrouvé. Il a envoyé les informations depuis un poste d’open-space, utilisable par tous et toutes, et personne n’a été capable de remonter jusqu’à lui. Personne, excepté l’agente Barbosa ; serait-elle de mèche avec ce curieux individu ?
Dans un sourire faussement amène, il rétorqua à l’invité.
« I don’t know what you’re talking about. »
Les paupières légèrement plissées, l’héritier Asherah prit le temps de détailler le nouveau-venu. A peu près la même taille que lui, plutôt bel homme ; quelques années de plus, sans doute, à s’abîmer au fond de verres un peu trop profonds pour ne pas s’y noyer. Mais surtout, il y avait quelque chose de reconnaissable dans ses traits, comme un visage cent fois aperçu sans jamais l’avoir observé. Il avait déjà vu cet homme.
Sans le quitter du regard durant sa tirade hautement dramatique, Llyr contourna l’inconnu pour se diriger vers la cuisine et se servir un grand verre d’eau filtrée. Goulûment, ses lèvres se portèrent au rebord et descendirent d’un trait désaltérant l’eau plate. Relâchant finalement ses clés, Llyr posa les deux mains à plat sur la petite table de sa cuisine.

Puis, soudain, l’évidence frappa.

Un sourire plus grand vint éclore sur le visage las du triton. Quoi que veuille cet énergumène, il était loin d’être, face à lui, le plus intelligent de la pièce. Son visage avait été affiché partout des mois durant ; il le restait dans la salle de pause du premier, celle où Zach et lui buvaient leur café le matin.
« Ciarán Cearbhall. » fit-il chaudement. Il en était presque à tendre sa main droite pour serrer celle du visiteur. « What a pleasure to see you’ve come to your senses and decided to give yourself up to justice. »
D’un geste fluide, il sortit son téléphone de la poche de son pantalon à pinces et en déverrouilla l’écran.
« Mind if I take a phonecall? I have this good friend in the FBI, she’ll be delighted to hear from you. »