Joran ✶ Child of the storm

Une enfance sous le signe du chaos. Mouvante. D’orphelinat en inconnus, Joran n’en garde qu’un vague souvenir. Quelques familles d’accueils, placement de plusieurs semaines, n’aboutissent jamais à une adoption. Le cadre change, mais Aura reste une constante. Son étoile du Nord. Sa précieuse jumelle. Joran est heureux de l’avoir à ses côtés. Du haut de ses cinq ans, il sait qu’elle est sa famille. Qu’importe que deux mômes ne puissent en former une. Sa petite main dans la sienne, il n’a besoin de rien d’autre.

Aux grilles de l’école, Joran regarde avec envie les enfants se jeter dans les bras de leur mère. Son épaule frôlant celle d’Aura, sa mauvaise humeur s’effaçant par magie, ils remontent les rues grises de Détroit, jouant entre les poubelles et les ruelles.

Contre un sourire, il glisse ses devoirs sur la table de la cuisine en direction d’une Aura au regard meurtrier. Les mots n’arrêtent pas de se mélanger, qu’il se plaint. Un pur mensonge. Joran n’aime pas faire des devoirs. Contrairement à Aura. En échange, il lira pour elle jusqu’à pas d’heure.

Un méchant chien. Personne n’y croit. Pas avec des griffures pareilles. Joran n’en démord pas. Il lève bien haut le menton et, yeux dans les yeux, ment avec aplomb. Il ne dira à personne qu’Aura vient de le sauver d’une attaque de chien. Elle n’a pas fait exprès de le griffer avec ses pattes de tigre. Joran le sait. Elle est une Métamorphe. Un secret rien qu'à eux.

À l’école, torse gonflé, il expose fièrement ses cicatrices de guerre. Le petit garçon a rapidement appris à camoufler la misère du quotidien, déguisant d'un sourire la vérité. Mentir, c'est comme lorsqu'il réinvente leurs vies avec Aura. Récit imaginaire, mais réconfortant.

L’hiver à Détroit est un cauchemar. Tandis que les rues se colorent de blanc, Joran se blottit contre Aura sous la couverture. Deux. Une bénédiction au air de malédiction. Ils ont besoin de ressource, plus que celles disponibles. Alors ils font ce qu’ils ont toujours fait : partager et s'entraider. Les Doe contre le reste du monde.

Un reste du monde que Joran peine à aimer. Vêtements de marque, téléphones hors de prix, abonnements à gogo. Difficile de suivre ses conversations puériles l'air de rien alors qu'ils parviennent à grande peine à avoir des manteaux pour l’hiver. Les inégalités dansent sous leur yeux et les jumeaux s’en écœurent.

Rares sont les personnes désirant un orphelin à Détroit. César Rockfeller fut leur exception.

Difficile de ne pas aimer César. Tous leurs rêves s’exaucent, les uns après les autres. Un appartement propre, des vêtements neufs, un frigo remplit à ras bord. Ils ont même un lit chacun dans une chambre de l’appartement - inutile, mais appréciable - accompagnés de jolies sacs d’écoles et de chocolats chauds à volonté. Un confort de vie inimaginable. Leurs yeux brillent d’admiration reconnaissante. Parfois, Joran est persuadé qu'il va se réveiller, victime d'un simple rêve. Mais non. Il s'agit bien de sa nouvelle vie.

Un sentiment indescriptible l’étreint la première fois qu’il écrit “Joran Rockefeller” en haut d’une copie.

L’odeur du vieux caoutchouc et de la sueur. Les tapis rugueux. Le couinement de chaussure résonnant douloureusement dans le gymnase. Malgré la fatigue, Joran sourit. Les entrainements sont intenses. Son corps bleuis d’effort face aux amis Dragons sans pitié  de César. Cela lui convient. Il doit devenir fort.

Aura ne comprend pas son acharnement, elle camouflant encore sa nature de Zouwu à leur père. Incompréhensible. Lui n’a pas son intelligence, esprit stratégique ou calme. Alors, lorsque les meubles de l’appartement se sont envolés, ce fut la meilleure des opportunités. Enfin un moyen d'être utile. Qu’importe que le reste du monde n’accepte pas les surnaturels. Son père ne le voit pas d'un mauvais œil et c'est tout ce qui compte. Il le rendra fier.

Pour le plus grand bonheur des jumeaux, ils déménagent à la Nouvelle-Orléans. Joran aime le climat de cette ville, loin du froid sec de Détroit. Il admire ses rues anciennes pavées et cette ambiance colorée, chaleureuse.

Les petits Rockfellers retombent dans la routine. La journée est dédiée à l’école. Le soir à César. Joran rayonne de joie en participant à des réunions. Là, au milieu des grands, il apprend les ficelles du métier auprès de son père. Avec Aura, ils s'éclatent en mission, déployant leurs pouvoirs dans une complémentarité hypnotisante.

Joran est un adolescent lambda. Boutonneux, casse-cou, capable de dormir douze heures d'affilés, mais pas ingrat. Jamais. Ses notes remontent doucement, bulletins aux appréciations acceptable, complimentant son attitude et attention. Il se fait des copains. Certains soirs, Joran traine avec eux dans les rues de la Nouvelle-Orléans. Une normalité si plaisante. Le week-end, il utilise timidement son argent de poche pour une séance de cinéma avec Aura.

L’acharnement aux entraînements lui permet de décrocher le niveau 2 peu avant son quinzième anniversaire. La large main de son père ébouriffant ses cheveux vaut toute les récompenses du monde.

Rentrer, récupérer le paquet, sortir. La routine. Les jumeaux avaient enjambé la fenêtre de l’immeuble, comme des centaines d’autres avant, un sourire aux lèvres. Ce soir, c’était pizza.

Ce n’était qu’un jeu comme les autres. Jusqu’à ce que les murs bougent et que les pièces tournent en rond. Jusqu’à ce qu’il perde sa sœur de vue et la retrouve ensanglantée, tuméfiés, titubante. Jusqu’à les coups de poing, les cris, les rires, la panique. Jusqu’à se faire happer par un portail Zouwu.

Joran tituba dans le salon, sa sœur inerte dans les bras, les joues trempés, bégayant des explications incompréhensibles. César était là. César saurait quoi faire. César savait toujours quoi faire. Fidèle à lui-même, son père lui remit un caillou magique, dictant la marche à suivre. Le soulagement apaisa la terreur. Joran posa la pierre contre la plaie. Il lui murmura tout va bien tel une berceuse, autant pour elle que pour lui. Il sourit, essaya de sourire, d’être ce frère rassurant dont elle avait besoin.

Son dernier souffle. Son regard vide. Ses mains se desserrant de son t-shirt pour retomber dans un bruit sourd sur le parquet.

Joran s’agrippe à César comme à une ligne de vie, son unique repère dans ce monde. La fureur finit par colorer son cœur meurtrit. Tout ce qu’il voyait avec admiration est altéré par le chagrin, révélant une facette différente. César, son attitude, ses mots, ses humeurs, ses putains de missions. Il est perdu, il étouffe, il se noie. Il-

C’est sa faute.

La Rose Noire. Les jours s’enchaînent dans un brouillard flou, défilé de bénévoles et de résident. L’adolescent ne s’y intéresse pas. César va venir. Une pensée obsédante. Il va l’attraper par le colback pour le traîner à l’appart' et lui faire regretter d’avoir fuit. La culpabilité, le chagrin et la peur nouent son être de nervosité.

Un bénévole l’aide un peu plus que les autres, Zephyr aux allures de mentor, mais Joran n’arrive pas à s’en préoccuper. Encore les Riverwood et leurs syndromes du sauveur. Pourtant, il les apprécie de plus en plus. Contre son grès. Ils sont avenants, l’aidant en douceur à trouver ses repères au milieu d'un cœur tempétueux d'émotion et d'un deuil résolument silencieux. Joran se laisse faire. Il se blottit dans l’atmosphère de la Rose Noire et de cette famille.

Lire des histoires aux petits, sympathiser avec les résidents, aider les bénévoles, se défouler au Dôme. Un quotidien simple, sans fioriture, confortable. Une ambiance nostalgique. Il découvre avec fascination l’histoire des Dragons, au delà des pouvoirs et de la puissance enseigné par les amis de César. Joran n’a pas grandi dans cet univers intrigant, dont certaines croyances le laissent sceptique.

Chaque jour, il regrette de ne pas avoir connu ce lieu avec elle.

Des cris apeurés couverts par le vacarme des combats. Des grondements sourds de dragons enragés faisant trembler les murs. Dans le chaos, Joran n’a pu qu’enjamber des corps, la bille au fond de la gorge, essayant de traîner la marmaille vers la sortie. Dans le chaos, Joran n'a pu que se figer de terreur en croisant des yeux cruels et ce canon pointé vers sa tête. Bang.

Le foyer disparaît et Joran n’arrive pas l’accepter. Il tremble de colère, celle accumulée par les années et l'injustice. Une colère étouffante pouvant servir une cause juste. Il en a tant besoin. Une colère tel un bouclier, plus facile à exprimer que les sentiments broyant son cœur. Une colère s'alignant parfaitement avec l’indignation des Riverwood. Une opportunité finit par se présenter et il rejoint la Résistance sous le pseudonyme de Detroit.

Enfys. Une élégante inconnue apportant son rêve d’enfant sur un plateau. Une famille. Mieux encore, lorsque les mots dansent, laissant entendre des informations sur les responsables de l’attaque. En échange, elle ne souhaite que son aide. De temps à autre. Une proposition honnête. Trop honnête ? Méfiant, Joran ne souhaite pas reproduire le passé. Pourtant, si la Résistance lui offre un objectif, il lui manque ce cadre dont il rêve tant sans s'en croire digne. Une famille. Enfys est intimidante de charme, une elle loin du lui menaçant. La justice à fleur de peau, une impression de déjà vu au coin de l'esprit, Joran se laisse séduire.

Cette fois-ci, ce sera différent.