In the black and white, you paint the world ✹ Sunshine

Il en faut beaucoup, pour changer une habitude qui dure depuis un milliard d’années. Sun n’est pas du genre à s’attacher aux humains, pas de manière véritablement substantielle, en tous cas ; des acteurs, des personnages hauts en couleurs, des être à l’espérance de vie trop dérisoire pour avoir le temps de les connaître. Les humains n’ont pas grand-chose pour eux, si ce n’est une surprenante détermination à être eux-mêmes et à affecter le monde qui les entoure alors même que celui-ci en oubliera l’immense majorité en une petite dizaine d’années.

Peut-être est-ce parce que Solan n’est pas tout à fait humaine, tout en représentant toutes leurs plus belles qualités, que Sun s’en est approché malgré lui. À l’origine, elle n’était que la voisine de son hôte ; nouvellement installé dans cet appartement, Al ne s’attendait pas à ce qu’une entité éternelle ne s’installe en lui à son tour. Très vite, alors qu’ils ne se connaissaient encore qu’à peine, Al a laissé la place à Sun lors de leurs rencontres. L’humain appréciait aussi la compagnie de la djinn, mais certainement pas autant que le phénix qui se ravissait de l’entendre parler et de voir sa joie de vivre. Ce n’est que bien plus tard, qu’il a appris pour son immortalité, qu’elle avait le potentiel de le comprendre, d’une certaine manière, et qu’elle choisissait pourtant de croire en tout ce que le monde avait à offrir.

C’est à ce moment-là, que Sun s’est considéré sous le charme de cet être irréel, ce chamboulement au milieu d’une scène où les acteurs étaient de plus en plus prévisibles.

Avec le temps, les révélations et l’apprentissage d’une vie de plus en plus liée à la sienne, il n’a fait que continuer à l’admirer. Al n’est déjà presque plus qu’un reflet de lui-même, ne disposant que de peu de temps chaque jour pour vivre sa propre vie alors que Sun ne se sent que modérément coupable, lorsqu’il songe à la déception que ressentirait Solan si elle connaissait tous les détails de la vie de son amant.

Cette révélation devra attendre un autre jour. Assis sur une nape aux aspects parfaitement basiques, il regarde son propre corps astral s’étioler à l’horizon, laisser la place qu’il mérite à celui de Moon. Ca ne fait que deux heures qu’il attend ; une pincée de secondes à l’échelle de l’univers. Il se demande si Solan apprécie le jeu de piste. Des semaines entières de travail, des heures de travaux manuels et de nombreuses pattes graissées pour lui permettre de le mettre en place, pour faire traverser la ville à Sol, lui faire découvrir quelques endroits que Sun lui-même a appris à regarder avec des yeux nouveaux, à recevoir les quelques notes décrivant à l’aide de tournure particulièrement travaillées les sentiments que la djinn inspire au phénix.

Et enfin, le jeu de piste arrive à sa fin. Sun la voit grimper à l’escalier, celui-là même qui mène au toit de leur immeuble, entièrement aménagé pour qu’ils puissent y partager un dîner préparé par Sun lui-même, tout comme le décor agrémenté de luminaires et de lampions, de décorations florales et de rappels à leurs différents rendez-vous. Cette affiche de spectacle retrouvée, accrochée à une pancarte. Ce tonneau, symbole de cette fois où ils ont passé des heures à rire plutôt que manger au beau milieu d’un restaurant à thème nautique. Chaque détail à son importance, mais aucun n’en a aucun que la présence de Solal qui arrive enfin, ou que le sourire de Sun qui lui tend une main, parfaitement préparé dans son costard aux couleurs solaires.

« Je ne t’attendais pas avant encore une heure. Cesseras-tu un jour de m'impressionner, Solan ? »

Par moments, il se demande s’il est réellement possible que le sourire de Solan soit plus rayonnant que son propre corps astral. Elle est si humaine, dans toute sa mortalité, et pourtant capable d’étreindre le monde et l’avenir comme un mère aimante, comme si elle n’en a pas peur tant elle est persuadée que les humains peuvent être capables du meilleur.

Sun les a vus s’entredéchirer, les a poussés lui-même à la guerre et aux pires horreurs de l’humanité, a expérimenté la destruction d’anciens Empires dans le seul but de voir leur réaction. Pourtant, rien de tout cela ne lui vient lorsqu’il est dans les bras de Sol. C’est une sensation si rare, pour lui ; il explore généralement les déviances humaines, les pires comme les meilleures facettes de l’humanité. Jamais il ne s’est posé assez longtemps pour en admirer la chaleur la plus simple possible.

À sa manière, en étant simplement elle-même, Sol lui aura plus appris que ne l’a fait l’Empire Romain en dépit de tous ses siècles d’existence.

« Ai-je besoin d’une occasion particulière pour fêter ton existence ? » Il brille de mille feu, conscient que l’amour qu’il ressent est particulier, le fait luire d’une manière unique. Il ne serait pas surpris d’apprendre que son corps, des centaines de millions de kilomètres plus loin, est en proie à de violentes éruptions solaires. Qu’il en soit ainsi ; si la présence de Sol à ses côtés peut ravir et intriguer les scientifiques, il peut considérer cela comme une victoire supplémentaire.

D’un geste, il attrape la main de Sol pour la faire tourner lentement, observer avec elle le décor qu’il lui a préparé. Il ne peut pas s’en attribuer tous les mérites, certaines des idées viennent d’Al et de sa consommation excessive de romans de gare. Ce n’est pas le cas des surprises qu’il leur reste à découvrir, fruits multiples des connaissances qu’a engrangé le phénix à travers les âges.

« Me feras-tu le plaisir de dîner avec moi ? Il y a encore tant de choses que je souhaite te présenter. »

Là, à quelques mètres d’eux, se trouve la petite table en acier forgé. Même celle-ci n’a pas été laissée au hasard, commandée spécialement pour l’occasion. Un cadeau de plus que lui fait le phénix, un mobilier travaillé d’une main de maître par le descendant d’un artisan qu’il avait fréquenté deux siècles plus tôt ; la table présente différents symboles tressés à même le métal. Des étoiles, soleils, galaxies de fleurs qui représentent tout ce que la Djinn lui inspire.

Et à côté de la table, un petit chariot qui vient ajouter à la scène plusieurs cloches sous lesquelles Sun a dissimulé des plats aussi variés que possible. Cuisine de tous âges et de tous pays ; aux saveurs japonais succèdent les tourtes françaises et les épices coréennes. Myriade de plats végétariens en portions individuelles pour pouvoir donner à Sol un aperçu de ses multiples vies, avant de pouvoir lui révéler ne serait-ce qu’une partie de tout ce qu’englobe la vie du Soleil.