Somebody that I used to know. w/ Jasper Griffin-Knight.

Tu t’es dit que tu boirais plus jamais de jour.
Mais, si t’as bien suivi, la terre est ronde ; il fait toujours nuit quelque part.

Alors t’as presque plus de pitié pour toi-même à te sentir ivre au milieu de l’après-midi, à boire parce que tu sais même plus comment tuer ton temps alors peut-être qu’un de ces quatre quelque chose voudra bien te tuer. C’est pas faute d’essayer, pourtant ; à voir ta gueule qui te fait des grimaces affreuses dans le miroir de ta salle de bain, t’as juste envie de retourner là où rien ni personne te touche. Là où y a personne à décevoir, personne à blesser, à humilier. Cesar est un gars très solide, dans la fleur de l’âge qu’on dit quand on parle des quarantenaires, tu soupçonnes même qu’il a les thunes de vivre encore un bon petit siècle.
Non, ton salut passera pas par là. Ton seul moyen de t’échapper c’est d’espérer qu’un truc te fauche : un cancer des poumons, la rate qui explose, le cœur qui s’arrête de pomper. Peut-être même un accident de voiture, dans une jolie ironie presque aussi autodestructrice que tout le reste de ta personne. N’importe quoi, plutôt que de continuer à purger ta peine, à te rappeler que t’as déçu tout le monde, déçu Morri, brisé Scarlett, déçu Cesar et trahi Jade. Est-ce qu’il y a une personne sur terre qui a encore de l’estime pour toi ? Zephyr, peut-être, pour autant qu’on puisse estimer les autres en étant aussi déglingué que vous l’êtes l’un comme l’autre.
C’est marrant comme, au bout d’un ou deux grands verres, la vodka premier prix du coin a des saveurs gastronomiques. Et toi, tu t’inventes une existence où la douleur d’être un raté n’existe pas plus que les raisons qui te poussent à te faire fumer.

T’es une merde, Jasper.
T’as voulu rééquilibrer la balance du karma en foutant des coups de poings dans le mur ; pas comme ça que ça marche, la vie. T’as juste esquinté tes phalanges sur des briques trop solides pour toi jusqu’à ce que le revers du bâton se plante en travers de ta gorge.

Quand ça toque à la porte, t’es tellement pris dans ton ivresse que tu te manges en voulant te lever. Même pas la force de te demander qui c’est, de te dire que les seuls qui savent que tu vis ici, t’as peut-être pas envie de les voir. Avec un peu de chance, c’est juste les scouts qui viennent vendre leurs calendriers, tu pourras vomir sur leurs godasses bien cirées et leurs sourires d’enfants parfaits pour compenser l’enfance de merde que tu t’es enquillée pour eux.
« J’arrive. » tu grommelles, mais t’es même pas sûr de l’avoir dit à voix haute comme t’es pas sûr d’où sont tes clés jusqu’à ce que le battant pivote et que tu te prennes un coup dans le nez.

Le passé vient de frapper pour te coller un uppercut, il s’est pas essuyé les semelles sur le paillasson et il y a juste ces yeux bleus qui viennent se planter dans les tiens. Lacérer ton cœur à coup de pioches, ravager ton bide, tandis que c’est pas un boyscout dont les mots viennent franchir le seuil.
Timothy Powell. Timothy Powell qui t’avait cru mort et il aurait peut-être mieux valu que ça reste comme ça. Timothy dans les cheveux duquel tu passais les doigts en permanence juste pour kiffer la sensation. Timothy qui posait ses lèvres sur les tiennes comme si tu pouvais pas le blesser. Timothy qui connaissait rien à ce monde de fou qui est le tien et qui s’est quand même retrouvé en verre pilé sur le parquet.
A travers les brumes de l’alcool, quelques idées parviennent à remonter. Il t’a pas reconnu, évidemment ; ce serait bien que ça reste le cas. Vaut mieux qu’il pense que votre histoire est morte avec toi, que t’es le dommage collatéral d’une guerre qui vous a tous niqués. Tout, plutôt qu’il revienne pour te rendre ce que tu pensais être ton cœur et que t’as laissé avec lui en repartant au Purgatoire. Vaut mieux qu’il se dise que Jasper est mort, enterré, disparu, fini ; ta lâcheté veut pas s’expliquer. Elle en a pas vraiment la force.

Alors referme cette porte, Jasper. Aie un sourire poli derrière ton haleine d’éthanol, hoche la tête, souhaite-lui un très heureux printemps, fais quelque chose, n’importe quoi, mais le laisse pas rentrer à nouveau. Le laisse pas croire que quelque chose qui est mort peut encore respirer, que le myocarde que t’atrophies à coup de clopes désespérées a encore une chance d’être atteint par ses yeux d’aquarelle diluée. Non, le regarde pas avec tes yeux de cleb’s, le laisse pas refoutre de l’espoir dans une vie que t’essaies de niquer, prononce pas son prénom à lui comme celui d’un gars qui te sauverait. Fais comme si tu le connaissais pas, referme la porte et ferme ta gueule.
C’est qu’un gosse, et t’es qu’un vieux con. Alors sois plus sage, pour une fois, et laisse le crétin plein d’espoir que t’étais bien au fond de tes tripes : et referme cette putain de porte.

Un battement de cœur, un battement de cils.

« Timothy ? »

C’est con. T’es con.
Il aurait suffi de hocher la tête, de dire que tu le connaissais pas, de continuer à passer ton chemin comme si ça pouvait t’éviter d’y repenser en t’endormant. Il aurait suffi que tu refermes cette putain de porte. Mais c’était plus fort que toi, hein ? T’avais besoin de foutre du sel sur les plaies blêmes qui n’ont jamais cicatrisé, t’avais besoin de remuer le couteau, encore et encore, jusqu’à ce que de ce que vous étiez ne reste qu’un bourrelet de chair à vif dans lequel tu enfonces ton ongle.
Il vous a déjà parlé de moi ? Si t’étais un observateur extérieur, tu le trouverais presque pathétique, à s’accrocher à des fantômes qui veulent certainement plus de lui. Le problème, c’est que tu n’es pas exactement un observateur extérieur et qu’il n’y a qu’un seul fantôme, c’est celui qui traîne ta carcasse jusque devant les miroirs sales où il fixe en vain son visage comme si ça pouvait te l’absoudre. Il a la gorge étranglée par l’espoir quand il te pose sa question, et tu peux pas t’empêcher de laisser tomber un ricanement amer. Tu t’es tellement appliqué à étouffer le moindre espoir qui cavalait dans ton myocarde que désormais, même chez les autres, tu peux pas t’empêcher de le tuer.
« On peut dire ça, ouais, si tu veux. » tu te rattrapes aux branches alors que t’es déjà en train de tomber.
Soudain, le daydriking te semble être la pire idée du monde, à se demander pourquoi tu y as succombé une fois de plus. Si t’avais su que tu recroiserais le seul qui a compté comme il a compté, t’aurais fait un effort. Pris une douche, peigné tes cheveux, fait un truc, quelque chose, n’importe quoi. Juste un moyen de ne pas être une épave échouée sur le sable de tes nuits blanches, pour apparaître comme autre chose que le simple vautour vorace que tu n'es plus vraiment sûr d’être.
Nerveux et tremblant, tu passes tes deux mains sur ton visage, te frottes les yeux jusqu’à voir des couleurs absurdes se dessiner sous tes paupières.

C’est trop tard, maintenant, Jasper.

T’as ravivé le visage du gosse, t’as nourri quelque chose chez lui que t’aurais mieux fait d’achever. Une partie de toi te murmure qu’il est peut-être pas encore trop tard. Tu pourrais lui dire que ouais, que tu l’as bien connu Jasper, mais qu’il est mort durant la guerre et avec lui toutes ses promesses. Ça rendrait certainement plus excusable toutes les douleurs qu’il a vécues. La mort, ça gomme les erreurs, ça efface les galères du passé, ça permet de voir juste et clair dans les sentiments qu’on avait. Ouais, si Jasper est mort, sans doute que ça aide Timothy. Sans doute que ça aide Jasper, aussi – t’en viens à le penser de plus en plus souvent, ces dernières semaines, à force de connaître par cœur le répondeur de Morrigan qui te dit sans jamais faillir que tu peux bien aller te faire foutre.
T’as les mains sèches, et leur paume te racle les pommettes avec peu de délicatesse.
T’es trop ivre pour ces conneries.
« Écoute, hum … » comment continuer, maintenant, alors que t’as éclaté au sol les mensonges que tu pouvais dire et qu’il ne reste qu’une vérité sur laquelle vous allez tous les deux vous saccager ? « Je sais que tu me connais pas … enfin, que tu crois pas me connaître … que tu me reconnais pas … fin bref on s’en fout. »
Superbe entrée en matière, parfaite démonstration de force de la rhétorique jasperienne, tu pourrais te fracasser le crâne contre la tranche de la porte si tu n’avais pas un public. A la place, tu te composes le sourire le plus sincère que tu puisses tisser de nos jours et tu tentes d’affronter un regard qui essaie vainement de te suivre.
« Je sais que c’est compliqué, mais … tu serais d’accord pour qu’on parle ? Genre, tu peux rentrer ici, ou on peut sortir si t’as pas confiance, je sais pas, t’as pas de raison de me faire confiance, c’est juste … » Accouche, mon grand, plus personne te suit dans tes bafouillages à force de jouer les kamikazes. « Faudrait vraiment qu’on parle, powy. »

Powy. Le surnom se dépose entre vous avec la violence d’un coup de poing aux allures de révélation. T’étais le seul à l’appeler comme ça. T’es encore certainement le seul. Et pour la surprise, c’est raté, puisqu’y a aucune délicatesse dans ce regard que tu lui jettes avec tes airs de chien battu.
Alors, pour pas qu’il t’en colle une ou bien qu’il s’enfuie en courant, tu finis par un piteux.
« S’te plaît ? »

Au début, tu l’appelais Tup. Toi, ça te faisait bien marrer de combiner ses initiales, d’autant qu’il pouvait pas se venger en tentant de t’appeler JGK – c’est tout bonnement imprononçable, on dirait des initiales de président américain avec le pedigree en moins. Puis on t’a fait remarquer que c’était surtout le diminutif de tupperware alors t’as arrêté. Ton gars, c’était pas une boîte en plastique. C’était même pas une boîte du tout : c’était une fenêtre grande ouverte sur l’extérieur et sur le monde, l’optimisme tartiné d’innocence et la douce candeur de celui qu’on a pas encore dézingué.
Powy, c’était mieux, plus sympa. Puis ça faisait un peu David Bowie, en prime, alors que vous chantiez à tue-tête ’Life On Mars’ avec peu de considération pour les personnes qui vous croisaient. T’aurais jamais cru que ça finirait par lancer un silence glaçant entre vous, du genre de celui qui te gèle les os en attendant que Tim comprenne. Une bise glacée s’engouffre sous ton t-shirt quand il reprend la parole, le ton changé, la figure comme un automate.
Tu t’effaces pour le laisser passer, rentrer dans cette piaule minuscule qui ressemble à rien sauf à toi. Désordonnée et minuscule, le frigo rempli de vide comme ton bide l’est de sentiments. Pas de photos sur les murs, à peine assez de vaisselle pour te faire des pâtes, et juste ce verre déjà rempli bien trop tôt dans l’après-midi. Identifié, épinglé sur un tableau de liège comme un papillon desséché, tu le regardes promener les yeux sur l’épave qu’il reste de toi et tu te dis encore fois qu’il aurait mieux valu le laisser croire que t’étais mort.

Sers-moi à boire. qu’il assène et tu t’exécutes, dans un marmonnement confus. Tu sors un deuxième verre, y vide le fond de cette bouteille que t’as entamée avant-hier et lui tends sans rien dire. Les bras croisés sur ta poitrine, à essayer de te protéger de quelque chose qui est déjà en train d’arriver, d’une déflagration qui est gentiment en train d’atteindre les soubassements de ta personne.
C’est incongru, Timothy dans ce décor-là. Surtout, ça te rappelle à quel point t’es seul, à t’en éclater le crâne contre les murs pour t’inventer des amis imaginaires. Même Scarlett, quand elle est revenue, elle est pas revenue pour toi, et Chiara a bien mieux à foutre que d’écouter tes gémissements à longueur constante de journée. Le seul vraiment là, c’est Cesar, à enfoncer de longues échardes dans ton corps vaudou supplicié. Seul & soûl, solitaire mais quand même mal accompagné, à tenter de dire quelque chose à ce fantôme de ton passé.
« Je suis désolé. » c’est tout ce que t’es capable d’articuler avant que ta voix ne s’étrangle, perdue dans cette gorge trop sèche qui te fait du mal quand tu déglutis. Ton verre est là, à portée de main, mais t’en saisir ce serait donner l’occaze à Timothy Powell de t’agripper le poignet et de te faire payer tous les maux que t’as pas manqué de lui infliger. Alors tu gardes les mains crispées autour de tes biceps, la tête rencognée dans les épaules et le regard rivé au lino. « C’est juste… c’est compliqué, powy, et je… fin, je m’attendais pas. C’est… » Si seulement tu pouvais être sobre. Tu passes une main sur ton visage comme pour en arracher l’ivresse. « Comment tu m’as trouvé ? »

Pourquoi ?
Chacun des points d’interrogation de Timothy se détend jusqu’à devenir un poignard qu’il vient planter dans ta poitrine. D’un regard trouble, tu fixes le papier qu’il vient de déposer sur la table. Un listing de l’Ordre, où ton nom apparaît en toutes lettres – joyeux privilège de Caïn, qui a choisi de te pardonner. T’aimerais te poser la question de comment il a eu accès à ce truc quand tout est aussi contrôlé, réglementé et bien filtré. Si t’étais une meilleure personne, tu regarderais derrière son épaule, t’assurerais qu’il soit en sécurité, pas embarqué dans une connerie dont il mesure pas bien l’impact.
Mais y a ses yeux qui te dévisagent et t’as même plus la force de ça.
Pourquoi ? et chaque question qu’il vient poser ravive des plaies un peu trop vieilles qui n’ont jamais cicatrisé. Son regard, c’est deux lames de glace enfichées dans ton âme qui viennent coller des engelures même à tes pensées les plus sûres.

C’est peut-être mieux que tu sois pas sobre, finalement.

La vérité, c’est que chaque aller-retour au Purgatoire est comme un jeu d’ardoise magique. Bye-bye, les cristaux condensés de ta vie d’avant. Rien ne perdure, rien ne subsiste. Qu’importe si tu rejaillis à la même époque ; tu es quelqu’un de différent. Ancien Jasper, nouveau Jasper, renaissance au milieu des cendres comme un oiseau de feu éco+. La seule à avoir transgressé cette règle, c’est elle. Brillante, incrustée au fer rouge sur chaque particule de ton être, chaque recoin de ta mémoire vive. Morrigan est une empreinte apposée à même ton identité, un lien que tu prenais pour de l’amour avant d’en dévoiler, lentement, toute la violente toxicité.
Alors tu pourrais lui dire, à Timothy, que tu l’as cherché au sortir du Purgatoire. Que tu l’as pas trouvé, qu’il avait déménagé, que quelqu’un t’en a empêché. Mais ce serait un gigantesque mensonge. Parce que, la vérité, c’est que t’as même pas essayé.
T’essaie de reprendre contenance même si rien ne pourra réparer le cœur de verre que t’as brisé. Tes lèvres s’ouvrent et se referment comme les deux côtés d’une crevasse de laquelle rien ne sort plus.
Je pensais m’être montré digne de ta confiance.
« Non. » C’est plus que tu ne peux en supporter ; tu as infligé trop de souffrance pour être capable de la contempler. Dans un balbutiement, tu tombes à genoux au pied de sa chaise et tu agrippes de tes deux mains les doigts qu’il tient recroquevillés contre le tissu de son jeans. « Tu n’as pas le droit de douter de ça. J-je… je sais que ma parole vaut pas grand-chose, là, maintenant, mais … mais je te faisais confiance, Tim. J’étais sincère. Il faut que tu le saches. Il faut que tu en sois sûr. Vraiment. J’ai toujours, toujours eu confiance en toi. Ça n’a jamais été le problème. »
Tu t’es emporté, un peu plus que tu ne l’aurais voulu. Comment expliquer, désormais, où il est le réel problème ? Un vertige te cisaille les tempes, gentil souvenir de cette ivresse qui ne semble pas vouloir décuver.
Dans un soupir à demi contenu, tu presses ses doigts entre les tiens.
« Je suis un djinn, Powy. » Les mots pèsent lourds mais semblent ternes, creux. Ils te font l’effet d’un ’t’es un sorcier, Harry’ raté. « Je… j’ai pas disparu. L’humain auquel j’étais lié … Lancelot. Il est mort, et je suis retourné au Purgatoire. Si j’avais pu te prévenir, je l’aurais fait, mais la vie me laisse rarement ce genre d’occasions. » T’as un petit rire nerveux mais rien ne semble être à la hauteur. « Je suis un djinn. C’est pour ça que j’ai disparu. C’est pour ça que j’ai changé de visage. Mais ça ne veut pas dire que je ne suis pas le Jasper que tu as connu. »
Tu vas regretter ce que tu t’apprêtes à dire, tu le sais déjà.
« Et que, nous, c’était pas réel. »

Une main se détache pour se poser lentement sur ta joue. Tu tressailles. T’as rien mérité de tout ça. Tu t’es pas battu pour lui, tu t’es pas battu pour toi, tu t’es battu pour personne : tu t’es contenté de laisser la vie te malmener et l’univers lentement te briser. Tu fermes les yeux à la mention de tes funérailles, parce que t’es surpris qu’il y en ait eu. T’aurais cru que t’étais passé pour une victime parmi tant d’autres, un nom de plus à ajouter au frontispices de monuments que personne ne regarde vraiment. Comme dans toutes tes vies d’avant, toutes tes vies d’après, juste un décès que l’on ne pleure pas parce qu’il n’y a personne pour pleurer.
Ses doigts effleurent tes traits mi-clos, infiniment plus délicats que tous ceux qui ont touché cette enveloppe. Tu sens encore les doigts de Cesar s’enfoncer dans tes joues pour te forcer à le regarder, pour t’empêcher de te dérober alors qu’il est en train de t’embrasser. Tu sens la main glacée de Morrigan à travers ses gants, la violence de ses prunelles qui s’entrechoquent avec les tiennes. Il n’y a que Scarlett, peut-être, qui a eu un peu de délicatesse : juste assez pour que tu t’y habitues, juste avant qu’elle te soit enlevée.
« Est-ce qu'il y a autre-chose que je dois savoir Jasper ? Et ce que tu omets de me dire un truc important ? Souviens-toi de ce que je t'ai demandé... De la vérité, sans détour. Je peux l'encaisser. »
Tu ravales tes sanglots et ta détresse.

Non, il ne peut pas l’encaisser. Ce que t’as fait, ce que t’es devenu, l’espèce de monstre d’amertume que tu incarnes au quotidien, t’es pas prêt à lui laisser voir. Votre amour s’est envolé, comme toutes les bonnes choses de ta vie que tu n’avais pas méritées – comment espérer le reconstruire quand ton propre corps n’est maintenant qu’une accumulation de plaies ? Ton esprit est loin, très loin de ces préoccupations et d’une ouverture dans ton cœur.
Avec tes regrets dans la gorge, tu portes une main à ton visage pour agripper son poignet, éloigner sa paume de ta joue. Tu finis par rouvrir les yeux : t’es lâche, mais même pour toi, dire un tel truc les yeux fermés, ça te semble au-delà de tes forces. Incompréhensible, la raison pour laquelle tu penses que tu te dois de le protéger – pourtant, c’est comme ça que ça se passe. Tant pis si le reste est verrouillé.
« Non. » tu articules d’une voix blanche, conscient que les prochains mots qui sortiront risquent bien de détruire l’estime qu’il vient à peine de reconstruire. « Je suis désolé, Powy, et c’est pas une question de confiance. Mais je … je ne peux pas te dire ce que je traverse en ce moment. »
Le son de ta voix se craquèle, harcelé de multiples fêlures. Tu ne peux pas lui dire que tu as pris le visage de ton frère, que ton humain te maltraite et la femme que tu aimes te manipule. Tu ne peux pas lui parler des noms qui t’empêchent de dormir la nuit, des douleurs au tréfonds de ton être qui font que Jasper Griffin-Knight est désormais irréparable. Si tu le fais, tu sais très bien ce qui se passera : Timothy essaiera de t’aider. Et tu ne peux pas le laisser faire ça.
« Je te connais. Je sais que la révélation du Surnaturel, et tout ça … ça va te donner envie d’agir. M-mais, Powy, les forces dont on parle, les pouvoirs auxquels on est confrontés … c’est pas possible. Promets-moi que tu vas rester loin de tout ça. »

Je pourrais pas supporter qu'il t'arrive quelque chose.