A card game where the heart is never the trump card [Jaspen]

tw : : pensées autodestructrices

Tu flottes dans un univers cotonneux où rien ne t’atteint réellement. Enrobé dans du papier bulle à l’allure de barbe à papa, tu entends au loin les échos des pièces de vaisselle qui se brisent, les assiettes jetées par Cesar sur les murs de l’appartement. Lentement, tes tympans se remplissent d’eau, et tu sombres dans l’eau troublée du fleuve de ta propre déchéance. Alors que le fond se fait sentir sous tes omoplates fatiguées, un rire cristallin retentit. Morrigan. Sirène dansante autour de ton être impalpable, elle chantonne des odes à l’amour qui semblent t’être destinées. Les doigts glacés de sa magie s’emparent de tes années de vie et tu la laisses faire, trop heureux qu’elle dédaigne enfin te toucher.
Tu n'as pas souvenir d’avoir déjà été aussi en paix.
C’est comme le Purgatoire, mais sans la souffrance et sans les pensées intrusives. C’est comme le sommeil, mais sans les cauchemars et la sueur le long de ta nuque. C’est comme une réalité où tu n’aurais pas, en permanence, cette tension logée dans le bide, cet étau qui te broie les côtes, cette violence tapissée de désespoir dont tu mâtines chaque interaction depuis bien avant que tu te souviennes. Est-ce-que c’est la mort ?
Si c’est la mort, elle est infiniment plus douce que ce à quoi tu pouvais t’attendre. Tu te visualisais en enfer, le cœur harponné par mille diables qui venaient faire de ton après-vie quelque chose de pire que le pendant. Seulement, il n’y a rien de tout cela ; seulement cette sensation vaseuse qu’il ne peut rien t’arriver de mal.
Pas tant que tu gardes les yeux clos.

Bon retour parmi les vivants, Jaspie !

Tes paupières se heurtent à une lumière crue et la douleur te passe par-dessus comme un trente-six tonnes de charbon. Pendant une brève seconde, alors que la réalisation que tu es bien en vie tu heurtes, tu réprimes une envie de pleurer la mort que tu n’as pas connue.
Au-dessus de toi, y a un visage roux avec un sourire narquois et il te faut quelques secondes pour savoir où tu l’as déjà vu. Le problème, comme souvent avec toi, c’est que tu n’attends pas ces quelques secondes pour émettre un croassement lorsqu’elle t’offre ta propre cigarette. Tu lâches donc, avec toute ta grâce, un douloureux :
« Hein, quoi ? »
Et puis, tout atterrit par flashs sur la piste de ton esprit abimé par un peu trop de coups : la mission, le mytho qui marche pas, les pieds qui s’enfoncent dans tes côtes. Ta vision qui se teinte de rouge et la voix de cette fille, cette sirène, qui t’aide tranquillement à te relever.
On a gagné ? Tu te rappelles même plus tellement la douleur vacillait dans ta cervelle de retriever. Y a eu un bruit d’explosion, donc c’est certainement que vous avez gagné. Tu sais pas trop si ça te tranquillise ou pas, tandis que tes muscles endoloris refusent de t’aider à te redresser pour avoir l’air un tant soit peu digne face à la quasi inconnue. Tu es sûr que t’as connu son prénom, à un moment, mais là ça te revient pas trop. Un truc qui ressemblait à un nom de médoc, genre aspirine ou ibuprofène … ou peut-être les deux à la fois. Dafalgan ? Non, c’est pas un prénom, ça.
Tant pis.
Tu te racles la gorge et tâche de reprendre contenance, ignorant sciemment le fait que t’es torse nu sur un lit et qu’elle a très clairement fouillé dans tes affaires pendant des heures.

« Merci de m’avoir aidé, heu. » Ouais si ok ça risque de poser problème si tu connais pas son prénom. Épaules remontées à attendre les coups, ton sourire n'est qu'une vaine grimace alors que tu tentes un truc qui ressemble à un prénom. « ... Codéine ? »

tw : : pensées autodestructrices, mention d'agressions sexuelles passées, dissociation

« Moi, c'est Aspen. Mais je ne suis pas le genre de fille à faire des manières, alors, tu peux m'appeler comme tu veux. »

Aspen. Tu décides de graver ce prénom dans ta mémoire, et ce visage aussi. Elle a un côté un peu joueur – ça a peut-être à voir avec son sourire – qui te rappelle assez Morrigan. La Morrigan du début, quand tout était encore possible et qu’elle n’avait pas remisé tous tes espoirs au fond d’un trou duquel elle pensait être la seule à pouvoir te sortir un jour.
Aspen, donc, fait quelque chose d’extrêmement surprenant, qui te prend tout à fait au dépourvu : elle s’allonge près de toi. Non seulement elle s’allonge près de toi, mais elle a l’air de le faire en toute connaissance de cause et, t’as beau sortir du coma, dur de rester indifférent quand quelqu’un d’aussi manifestement belle se rapproche un peu trop de toi. Heureusement que le drap couvre au moins une partie de ton corps, sinon t’aurais du mal à cacher qu’une épidémie de chair de poule recouvre tout ton épiderme.
« Écoute, je te connais pas et tu me connais pas non plus. Peut-être même que demain, tu auras complétement oublié cette conversation. Alors, j'espère que tu ne m'en voudras pas de profiter de la situation. » Ton sang se glace à ces quelques mots, tandis que les doigts de la sirène remettent une mèche derrière ton oreille. Profiter de la situation. Tu penses à Cesar qui t’accule contre un mur, contre la paroi de la douche, à ses mains qui se posent sur ta bouche, su ta trachée, partout ailleurs où elles ne devraient pas se poser et où la marque de son ‘amour’ a laissé sur ta peau glacée des ecchymoses insupportables. Pourquoi est-ce-que t’as cru mériter mieux, Jasper – au sortir d’un trop long sommeil, t’as cru le cauchemar terminé mais il boucle et, tétanisé, tu n’oses pas bouger une seconde. En tension, dans l’appréhension de la violence qui va arriver, tu te raidis.
Et puis, elle parle.
« Tout le monde me prend pour une gamine, une fille qui n'a besoin de personne et qui aime faire la fête. Mais tu veux savoir un secret, Jasp' ? Ce n'est qu'une couverture. Un mensonge pour camoufler le fait que j'ai peur de me retrouver complètement seule. Que ceux qui m'entourent se détournent les uns après les autres. » Confus, tu la fixes en tentant, en vain, de tirer du sens de ce qu’elle dit. « Ici, avec moi, il t'arrivera rien de mal. »

Alors, tu fais quelque chose de logique, de mature et de très viril : tu fonds en sanglots.
C’est absurde, et t’as même pas la force de lever les bras pour te dissimuler le visage. Tu restes juste là, sur le dos, avec les larmes qui coulent dans tes oreilles et les spasmes qui secouent ton corps maintenu au lit par la gravité. Tes épaules se soulèvent en rythmes saccadés, et le gémissement qui s’élève de ta gorge semble appartenir à quelqu’un d’autre. Si tu n’avais pas encore fait fuir ton infirmière aux cheveux de feu, c’est le moment. Le visage rouge, crispé, bouffi, tu essaies de te justifier :
« P-pardon, c’est j-juste que je… c’est… ce que tu dis, c’est… » Une grande inspiration : tu peux le faire, Jasper. « J’crois que ça fait une éternité que personne a été gentil avec moi, juste comme ça, sans rien demander en retour, et … »
T’essaie de détourner le visage d’elle pour dissimuler ton chagrin dans les replis de l’oreiller.
« Et… les gens, les gens s’ils se détournent de toi et qu’ils te laissent toute seule, c’est des connards, Aspen, ok ? C’est juste des connards qui méritent pas. Comme moi. » La bouche tordue et crevassée, t’arrives plus à articuler tes idées pour faire quelque chose. Tu lâches dans un souffle cabossé. « Putain, j’te jure, je mérite pas. »