CHIASPER ★ i made it weird i made it worse

tw : addictions (alcool + cigarette), dissociation, mention implicite d'agressions sexuelles répétées

L’action même de te mettre au lit t’est devenue insupportable. Le contact du matelas, du drap contre tes omoplates ne t’apporte rien de réconfortant, au contraire ; des milliers de démons viennent se lover dans ta poitrine pour la transformer en tomber. Les soirs où Cesar est près de toi, il n’y a que ce trou noir immense qui absorbe tout ce que tu es. Lui s’endort rapidement, après un bref contact des lèvres sur le coin de ta clavicule, mais toi tu cherches le sommeil dans ce silence trop étouffant où résonnent encore certains râles. Quand tu as réussi à calmer tes battements de cœur affolés, tu cherches le contact de sa peau, juste une preuve qu’il est vraiment là ; tu t’estimes heureux lorsqu’il veut bien passer un bras autour de tes épaules ou ébouriffer tes cheveux avec un sourire endormi. Et ça va, t’as pas à te plaindre : les yeux écarquillés de vide, tu forges ton propre Purgatoire pour l’emmener partout avec toi. C’est reposant. Il ne se passe rien, jamais rien.
Le pire, c’est les soirs où tu restes seul. Y a pas de Purgatoire, alors, y a que ces gémissements qui poussent emmêlés dans tes côtes tremblantes comme des bouquets de mauvaises herbes. Ces sanglots que tu étouffes, ces échos de moments passés ou parfois, de moments à venir. Sur l’écran de tes prunelles, un film en noir et blanc se déroule : le regard dégoûté de Morrigan, les mots et la rage de ton frère. T’essaie de tout rembobiner, revenir à vos corps blottis l’un contre l’autre sous les couvertures qui grattent lorsque vous étiez des gamins. Les souvenirs t’évitent, l’écheveau est vide, le temps ne repart pas en arrière ; il n’y a que tes angoisses dans le noir.
Alors tu fuis. Ton désarroi en bandoulière, tu arpentes les rues de la ville en recherche d’un nouveau théâtre où tu seras encore capable de faire semblant que tout va bien. Les cernes creusées jusqu’à l’os et le tabac vissé aux lèvres, tu gardes les mains dans les poches et si tu serres assez les poings tu croirais presque qu’ils sont pas vides.

La musique est toujours trop forte, dans ce genre d’endroits. Tu détestais ça, avant, mais maintenant t’aimes bien savoir que le fond sonore sera plus fort que tes propres pensées. Aucune notion de l’heure qu’il est, mais t’en es pas à ton premier verre – et certainement pas au dernier. T’as arrêté de compter comme ça depuis que le premier accompagne ton déjeuner et que tu t’arrêtes plus après. Entre ça et la clope, c’est à parier sur quel poison aura finalement ta peau en premier.
La pierre de ton briquet crépite. Les étincelles jaillissent ; mais pas de flamme. « Shit. » Tu ré-essaies une poignée de fois ; c’est mort. Le filtre désormais humide coincé entre les lèvres, tu inventories du regard tous les fumeurs de l’assemblée. Vous êtes pas tant, merci la santé publique et ses campagnes de sensibilisation à la con pour que des déglingués comme toi arrêtent de passer tout leur fric dans les clopes plutôt que dans la bouffe. Ton pull flotte autour de toi comme un parachute – pas sûr qu’il puisse te retenir quand tu t’écraseras sur le sol.
T’avises l’une des silhouettes du bar ; élégante, distinguée, fumeuse.
A peine le temps de l’approcher qu’elle crache sa fumée à ta gueule, et ses mots sont plus remplis de poison que sa nicotine. « Ok, wow. » tu chancelles presque tellement le coup était violent et tu l’avais pas vu venir. Tu voulais juste du feu, de quoi assouvir un peu tes addictions à défaut de pouvoir les combattre. Elle ne te regarde même pas, ne te salue même pas, rien. Tu es inexistant.
Instantanément, ça te fout en rogne et, si tu n’as pas sa prestance, t’essaies quand même de répliquer avec tout le venin que t’as en stock. Inexistant, tu veux bien l’être dans les yeux de ceux qui te connaissent : à elle, tu ne lui as rien fait et on parle pas comme ça aux gens.
« I was actually gonna ask you for a lighter, but. Yeah, I get it, trauma-dumping on strangers is more fun than actually listening to what people have to say. » Le briquet est juste là, devant toi, t’aurais juste à tendre la main pour lui piquer et pouvoir enfin te cramer les bronches. Mais sa douche froide a réveillé un sursaut de fierté que tu savais même pas que t’avais, alors tu te contentes de hausser les épaules. Tu prendras pas son putain de briquet avant de tourner les talons. « I wish you a delightful and pleasant evening, milady. »

tw : addictions (alcool + cigarette), auto-gaslight

Wait. Presque surpris qu’on te retienne, tu restes figé un court instant entre deux images, dans ce grésillement noir et blanc de celui qui sait plus vraiment sur quel pied il devrait danser. D’un côté, elle t’a foutu les nerfs en pelote, mais peut-être bien que cette fille-là a quelque chose à tricoter. Alors t’es juste comme un pantin, passif comme la plupart du temps, à attendre les bras ballants que quelque chose se passe vraiment.
Toujours errant entre deux feux dont aucun n’allumera ta clope, tu la regardes porter l’extrémité contre la sienne et te la rendre en te fuyant des yeux.
« Thanks. » que tu dis pour suivre ses phrases monopalabrales.
L’instant s’étire en quelques volutes de fumée qui s’élèvent jusqu’au plafond sombre. Chacun la langue précautionneusement rangée derrière vos filtres de pacotille et vos dents trop promptes à niaquer, à la tourner sept fois ou plus pour éviter de rompre l’instant de grâce qui vient de se créer.
« It’s okay. » que tu balances lorsqu’elle s’excuse. C’est presque un automatisme, dire aux autres que tout va bien, qu’ils peuvent continuer à soigneusement frotter leurs semelles sur le paillasson que t’es devenu. Y a pas besoin de hausser le ton, pas besoin de crier, pas besoin de frapper, it’s okay, tout va bien, Jasper. Et même si on t’écorchait vif, qu’est-ce-que tu pourrais bien répliquer d’autre ? T’as fixé ce sourire faux-cul dans ta chair avec des agrafes, cousu ce visage en patchwork pour qu’on ne voie pas ce qu’il y a en dessous. Les bleus, les pleurs et les absences qui se forment autour de ta gorge comme des bouquets de résédas, et toujours la même réponse. It’s okay. En y songeant, t'as un petit soufflement de nez triste en récupérant le cendrier. « I don’t know why I expected a stranger to talk to me better than every single person I know. Must be my aura, chakras, whatever. »

Whatever.

T’as jamais cru en tout ça. Ni l’aura, ni les chakras, ni le tarot ni ces conneries. Tu sais que c’est pas ça, le problème. Le problème, c’est que tu veux tellement que ça fonctionne que s’il faut remplacer des pièces dans la machine de l’existence tu peux donner ton cœur, tes reins, et même le fond de tes poumons. Le problème, c’est que tu vois même pas le problème ; que tu te persuades que c’est ton frère, la source de tous les maux, lui qui porte sur ses frêles épaules le fardeau de ta félicité.
Tu ricanes encore un peu. C’est même pas réellement un rire, plus un feulement d’animal triste mais c’est ce qui s’en rapproche le plus depuis un petit moment déjà.
« You might wanna reconsider calling yourself the toxic one here. »
Finalement, tu avises le tabouret de bar à côté d’elle et laisse tomber ta carcasse molle dessus. Tu la regardes enfin, les lèvres carmines sur sa clope à elle, et tu peux pas t’empêcher de dire que cette fille est sacrément belle. Les longs cils perdus dans le vague au-dessus de ses joues en bois d’ébène, et elle tente quand même de distraire l’attention de son visage rond par tous ces brillants tout autour. Un instant, t’envisage de lui dire ça : que quand on est aussi jolie, faut pas faire dévier l’attention, faut juste porter cet air de reine qu’elle t’a servi sans te regarder et qui soudainement vous a fuis.
Le souci c’est que, si tu le fais, tu deviens ce qu’elle a cru que t’étais, et qu’il faut vraiment que t’arrêtes de décevoir tous ceux que tu croises. A la place, tu fais un petit geste au serveur pour qu’il t’apporte un truc bien fort et tu meubles le temps que ça arrive.
« Name’s Jasper. You? »