CIARON ◑ can't swerve off the road

Difficile de dire ce qui se trame derrière les yeux brumeux de la gamine. Probablement qu’avec ses gènes, si lui-même avait eu une fille, elle aurait tourné pareil : ronchon, pas vraiment polie, et indéchiffrable. C’est peut-être ça qui les a rapprochés, qui l’a poussée à lui faire confiance en premier lieu au lieu de l’envoyer chier pour de bon comme tous les autres. C’est une victoire pour Ciarán, de l’avoir amenée ici. C’était une victoire quand il l’a emmenée à la Rose Noire aussi, il y a des années. Il y en a eu d’autres, des nouveaux arrivants, lorsque le refuge a brûlé. Pourtant London a tardé – sans avoir vraiment demandé, il s’imagine que c’est parce qu’elle en a marre d’être ballottée, d’aller là où le vent l’emporte et de pas avoir l’impression de pouvoir le contrôler. Et même si le nymphe serre les dents et ne peut jamais vraiment s’empêcher de tempêter quand il la voit s’enfoncer dans ses travers, il ne peut pas non plus vraiment la blâmer.

Bien sûr, il l’aurait prise chez lui quand tout a cramé, mais le problème quand on est à la rue et recherché dans tout le pays, c’est que les options confortables sont limitées. Lui-même n’est là que depuis quelques mois, mais il a creusé son trou – littéralement, à l'envers du soleil. Avec un peu de chance, elle fera pareil. « Alors, t’en as pensé quoi ? » il demande dans la pénombre, dans le longuissime corridor de pierre qui mène vers le centre névralgique des catacombes, là où tout le monde se retrouve. Ils viennent de rencontrer Stonehenge et Venise ; la dernière étape avant qu’enfin, London soit des leurs. Même alors que c’est derrière eux, il s’attend à ce qu’à tout moment, elle le plante là et se barre sous un pont. « C’est pas le Ritz, et y’a pas exactement de pamphlet d’accueil, mais au moins tu seras chez toi. » Ciarán a jamais fait la guerre, mais c’est un peu comme ça qu’il imagine que ça serait, de tenir la main à une grenade dégoupillée.

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