hold on to this lullaby ☀ sunflower iii

3 mai 2022

La tendresse d’Heather résonne encore dans son crâne. Les yeux dans le vide, la djinn joue avec la carte de tarot qu’on lui a laissée dans les mains. D’ordinaire, elle se serait activée dans l’appartement, aurait accueilli sa colocataire avec le fumet délicat d’un gratin déjà dans le four, d’une bougie parfumée aux fleurs ou de n’importe quel autre présent qui aurait fait sourire Chiara. Seulement, à force de faire semblant qu’elle pouvait réparer les choses, Sol s’est usée jusqu’à la corde – il lui reste seulement la force d’attendre sur le canapé.
Ses yeux dansent sur le mobilier de ce salon qu’elles ont érigé au rang de no woman’s land tacite. Les moutons de poussière s’accumulent et, l’oreille tendue, elles tâchent chacune de s’y retrouver quand l’autre n’est pas dans les parages. Dans les jours qui ont suivi leur dispute, Sol a commencé à sonner avant de rentrer dans l’appartement ; laisser le temps à la jeune femme de se réfugier dans sa chambre. Elle s’est dit que son humaine aurait besoin de temps pour guérir et, à vrai dire, sans doute qu’elle aussi.
Sans personne vers qui se tourner, elle a enduré la tête haute la guerre froide qui creuse ses tranchées entre les lattes de leur parquet. S’est dit que Chiara reviendrait lorsqu’elle s’en sentirait la force, comme Abraxas et elle ont su, finalement, recoller les morceaux. L’espace, elle peut bien en donner et, du temps, elle en a assez pour laisser à Chiara les jours nécessaires à rebâtir des ponts.
Les jours sont devenus des semaines et les semaines, de longs mois de silence.
Solal a taché de renouer. Déposé des post-its sur le miroir de la salle de bain, des tupperware de soupe à l’oignon sur l’étage médian du frigo. Elle a laissé en évidence le vernis à ongles pailleté que Chiara aime tant et dont elles manquaient ces derniers temps. Aucune de ses petites offrandes n’a été déplacée, jusqu’à ce que la soupe vienne à moisir et les espoirs de Sol, à force, finissent par tomber à néant.

Elle n’en peut plus de vivre comme ça.

Chiara lui a tout lancé au visage sans lui donner la moindre chance, à elle, d’admettre ses torts, de faire amende honorable. Sol a dit comprendre ce dont l’humaine avait besoin mais n’a aucune chance de le démontrer à part en lui dégageant, encore, cet espace qui la tue à feu doux et lui fait presque regretter les ombres mornes du Purgatoire.
Cette carte de tarot, dans ses doigts, c’est désormais un drapeau blanc. Un espoir auquel elle se cramponne avec beaucoup trop de détresse pour ne pas qu’elle se retrouve déçue. Un moyen de lui montrer, de lui dire, que tout ce qu’elle a échoué à faire, elle va l’améliorer maintenant. Le premier pas, le renouveau, la première trompette à sonner pour tenter de détruire le mur qui s’est immiscée entre elles deux.
Quand la clé tourne dans la serrure, Sol saute sur ses pieds, fait face au battant qui pivote, la carte toujours entre les mains. Son interlocutrice figée de la voir ainsi occuper cet espace qu’elles fuient toutes les deux, elles se dévisagent lentement. Cela fait des mois qu’elles s’adressent à peine quelques mots, s’envoient des textos au lieu de se parler et ne disent jamais d’important que ce qu’il leur reste à manger.
« Hi. » fait-elle, enrouée, émue – sans doute les deux. D’une main, elle lève la carte au niveau de son visage avec un sourire désolée. « This came for me through the mail. »
Autant y aller tout de suite, arracher le pansement, ne pas se perdre dans ces phrases creuses qu’elles seraient capables de donner pour cacher qu’elles ont trop à se dire pour se permettre de l’aborder. Chiara n’est pas sotte, elle sait très bien ce que signifie une carte de tarot par courrier. La sienne a trôné fièrement sur le comptoir un mois entier.
« They needed my help, I helped. Went to the Jefferson Memorial, too. » Les évènements de la veille sont imprimés dans sa mémoire par l’encre brune d’une justice qu’elle semble avoir su rétablir. « I said I wouldn’t join them. »