Bloom in Mud [Alicia&Aurore]

L’appartement s’est pas vraiment remis de la visite de London. Heureusement, le propriétaire ne passe pas, ou plus très souvent, et ça laisse à la rugbyman tout le loisir de contempler les murs dépourvus de papier peint en se disant qu’il faut faire quelque chose. Son activité préférée, depuis quelques temps : juste s’asseoir sur le canapé et regarder le mur, étudier la manière dont la colle a mieux imbibé certains endroits que d’autres, qu’elle a formé des motifs irréguliers aux stries pas vraiment verticales sur les murs de son petit studio.
L’appartement sent encore l’huile et l’animosité ambiante. Aurore n’a même plus de boulot pour payer les réparations ; elle va juste devoir se tuer à la tâche, jour après jour après jour, sans doute retourner chez Starbucks avec la queue entre les jambes à défaut de trouver autre chose qui soit un peu plus lucratif.

Sa petite session de rêverie aurait pu durer un moment si des coups lourdingues sur sa porte ne l’avaient pas tirée de là. Un sourcil froncé, elle inventorie les gens qui savent qu’elle habite ici : le propriétaire, les camés d’en bas … et puis, c’est tout. Enfin, c’est ce qu’elle croyait, puisque London s’est invitée avec la délicatesse d’un rouleau compresseur. Qui sait à qui elle a pu donner cette adresse ; quel défilé de monstruosités vont s’essuyer les pieds sur le paillasson de la blonde en venant lui passer un savon.
Toujours est-il que le bruit de heurt n’est pas celui que produisent, d’ordinaire, les phalanges. C’est quelque chose de plus sourd, de plus mat, un truc mou … sans doute le gras du poing, ou un truc comme ça. Et si gras il y a, ça signifie que son heure est finalement arrivée. Le proprio est là. Il va rentrer, constater les dégâts, et lui demander de payer. Quand elle lui dira qu’il ne peut pas, il aura un vieux gloussement sale et lui proposera de payer en nature. Elle déglutira péniblement, envisagera une demi-seconde d’accepter, avant de secouer la tête et de se dire que sa pudeur, c’est la dernière chose qu’il lui reste. Alors, elle prendra quelques petites affaires et elle ira élire domicile sous un pont, avec les autres comme elle, ceux qui ont pas eu de chance. Elle dormira plus jamais vraiment, l’œil ouvert pour s’assurer qu’on ne la détrousse pas dans son sommeil. Quand elle arrivera à la fac, éreintée, elle n’aura pas de moyen de suivre – alors, elle se fera virer et terminera sa spirale dans l’alcool et la dépression.
Prenant une grande inspiration, Aurore finit par ouvrir le battant, prête à affronter un destin qu’elle perçoit comme inéluctable.
« Bonjour mons… »

La frenchie s’interrompt, stupéfaite. Devant elle se tient non pas Monsieur Chen, mais une silhouette élégamment vêtue, rouge à lèvres pétants sur les traits. A ses pieds git le crâne contusionné du gros homme, et les yeux d’Aurore forment quelques aller-retours hébétés avant de prendre la parole.
« A-Alicia ?! »
Évidemment, les Chasseurs ont eux aussi son adresse. C’est logique. En quelque sorte. Mais c’est bien la première fois qu’un membre du Cercle lui rend visite alors, bafouillante et confuse, Aurore s’égare dans son anglais.
« M-mais… enfin, genre tu fais quoi ici ? Chez moi ? Et mon proprio, il est …? »
Encore une belle démonstration de l’éloquence de la Lecomte.