We raise the anchor and set sails to the skies / FB Enfys et Nesta

Cela paraîtra peut-être ironique mais, pour atteindre son destin, il faut parfois se laisser porter par le courant. Regarde Georges. C’est un soldat, pas mauvais, loin de là, mais sans doute trop intelligent pour son époque. Antioche, sa ville natale, n’est plus qu’un champ de bataille où des tyrans étrangers, francs, turcs, arméniens, anglais et tant d’autres, cherchent l’or facile et le sang abondant.  Alors notre héros partit, sur un fier navire et ce fut un échec. Car la guerre n’apporte que la guerre et que les eaux autrefois prospères sont aujourd’hui le repère des pires pirates : ceux qui chassent la chair et les âmes. Qu’il est loin le temps où des prophètes brisaient les chaînes, aujourd’hui on crucifie la liberté en leur nom. Noble guerrier, ce ne fut suffisant : il fut capturé et il était en route pour être vendu dans l’un des marchés les plus cruels de la Méditerranée.

Mais, voilà, Georges a de la chance, ou un destin peut-être, certain dirait du karma. Moi, je dirai qu’il m’a moi. Car son navire passe au dessus de l’épave d’un navire antique où une école entière de philosophe s’était noyé au VIe siècle avant J.-C. Cela fait de ses eaux un endroit assez vénérable pour en faire une porte entre le Purgatoire et le monde de couleurs et de sens que l’on peut appeler la Vie. Alors, je te laisse imaginer la surprise du pauvre homme quand une fière femme apparut de nulle part alors qu’il priait désespérément dans sa cellule. Évidemment qu’il pensa que j’étais une succube, un esprit diabolique ou je ne sais quoi et bien sûr que je sus lui montrer que je n’étais rien d’autre qu’un ange gardien.

Quelques illusions plus tard (elles étaient d’une telle vivacité après tant de temps au Purgatoire!) et je me trouvais sur le pont. Ça faisait près de quatre siècles que je n’avais pas vu ma chère Méditerranée alors je me permis un sourire avant de reprendre une analyse plus urgente. Ce navire n’avait rien à voir avec ceux que j’avais connu dans l’océan Pacifique : cette galère avait peu évolué depuis ma naissance et connaissait plus la force de bras servile que d’un vent ami. Si j’échouais à aider Georges, il finirait sur ces bancs à ramer jusqu’à sa mort bien trop prochaine et pour moi le noir, à nouveau.

Les couleurs seront donc mes alliées. Si j’apparais tout simplement invisibles, comme un simple matelot, aux yeux de l’équipage, je fouille les opportunités parmi ceux qui dirigent. Et si le capitaine ne me donne aucune ouverture, je repère un féminin qui semble adéquat. Alors, aidée par la nuit, j’apparais de nulle part dans sa cabine, nimbée de lumières et le corps recouvert de pierreries et de soieries plus précieuses que le navire entier. Avec un sourire assuré, je m’assoies sur sa couchette.

Vous auriez toutes les raisons d’appeler à l’aide. Pourtant, vous connaissez ce bateau mieux que personne, et vous savez donc que je n’ai pas embarquée avec vous, ni été capturée par vos armes habiles. Je pense que vous comprenez donc que vous avez tout intérêt à m’écouter. Je me trompe ?

J'ai la claire certitude qu'avec celle-ci je peut me laisser porter par le courant vers un destin meilleur.