If you only knew me the way you know my body / Odazur III

tw : sexualité, crise d'angoisse, toujours plus de déni

Les omoplates d’Azur, sous ses doigts, avaient cette douceur singulière qu’ont les gigantesques conneries. Les yeux mi-clos, abasourdie par le va-et-vient de leur symphonie, Odalie avait parfaitement conscience que l’idée était catastrophique, qu’elle s’enfonçait de plus en plus dans un tourbillon inconscient qui ne ferait que la blesser plus – mais, incapable de s’arrêter, elle poursuivait sa lente descente vers ces enfers si familiers. Les lèvres étaient douces, l’amant était bon, il n’y avait pas de raison que cela change quoi que ce soit.
Quelque part, il y avait même cette gamine qui s’était crue amoureuse de lui qui jubilait de l’avoir là, nu et suant, entre ses cuisses.
Ils avaient bu plus qu’ils n’avaient parlé et demeuraient pourtant bien sobres. Douloureusement sobres, même, à refaire l’amour dans la lumière d’une matinée qui se levait. Chaque rayon de soleil qui filtrait entre les rideaux semblait venir les poignarder, donner un éclairage trop cru à leurs enlacements pourtant consentis et murmurer à la sirène qu’elle fuyait depuis trop longtemps. Il était foncièrement injuste qu’elle utilise ainsi Azur, quelqu’un qu’elle estimait vraiment, comme un de ces instruments de plus pour faire croire que tout allait bien.


Menton haut, sourire indolent aux lèvres, elle avait pris la route de la salle de bain d’une démarche toute naturelle. Sans même prendre la peine de se rhabiller pour franchir un bout du salon – après tout, il n’y avait rien que Marisol n’ait pas déjà vu. Elle s’était prétextée à elle-même qu’elle avait besoin de prendre une douche, ce qui était somme toute normal, après avoir transpiré. Finalement, une fois le verrou de la porte actionné, Odalie avait juste glissé, le dos contre le bois verni, recroquevillée sur un carrelage qui doucement l’anesthésiait.
Chaque tentative de calmer sa respiration lui apportait contre les lèvres de nouveaux gémissements de détresse qu’elle refusait de laisser sortir. Alors elle restait là, captive, à haleter dans le creux formé par ses genoux et son thorax, en priant pour qu’Azur se rendorme pendant encore une heure ou deux.
Elle fuyait depuis trop longtemps, Odalie. Sans courir, elle se jetait en boucle dans des bras autres que les siens, plongeait ses yeux dans des regards qui ne seraient jamais le sien, persuadée qu’en ignorant tout ce qui avait pu se passer ils pourraient tous les deux revenir à leur amitié oubliée. Mais avaient-ils seulement été amis une seule seconde, où n’y avait-il eu en fait que les barrages d’indifférence qu’elle avait dressés par ses craintes ? Et désormais, qu’enfin les choses étaient limpides, fallait-il qu’un destin cruel s’acharne sur leurs pauvres myocardes et viennent déposséder Bachmann de son corps et de sa conscience ?
La sirène n’était pas de taille à affronter toutes ses questions. Chaque autre bouche qui l’embrassait devenait un nouvel ajout, une nouvelle digue, un autre rempart pour forcer tous ces sentiments à retourner d’où ils venaient, dans ce tiroir au fond de son cœur d’où elle n’aurait jamais dû les sortir.

Quelques petits coups discrets, frappés à la porte, vinrent la sortir de ses pensées, accompagnés d’une voix inquiète et de l’odeur du petit déjeuner. La petite attention d’Azur était si délicate que des larmes lui montèrent instantanément aux yeux. Elle ne méritait rien de ce qui était en train de se passer.
« Oui, ça va. » mentit-elle, trahie dans l’instant par sa voix morcelée. Les mains fermement appuyées sur ses paupières pour les empêcher de couler, elle eut un petit rire minable. « Enfin, non, ça va pas trop, mais t’inquiète, j’arrive. »