I can never giver you peace / DelaskaU

Merci, très chère.

Sous son épais manteau noire, la jeune servante hollandaise qui vient de lui tendre de l’eau fraiche rougit et s’éloigne en toute hâte. Les femmes aussi bruyantes et ostentatoires que Delilah sont rares dans les Provinces-Unies, pourtant la blonde toise avec une calme hauteur tous les dignitaires qui la regardent, eux, avec un mépris, voire une hostilité claire. Depuis que le Surnaturel a été révélé par le choc des couronnes anglaises et françaises, la communauté des gorgones a reçu une protection évidente mais leur implication prochaine dans cette guerre mondiale pourrait tout précipiter dans la haine. Pourtant Delilah en est sûre : ses sœurs ont raison et la guerre doit s’achever. On parle déjà de près d’un million de morts, sur tous les continents, et les surnaturels de toutes sortes se retrouvent à prendre part au conflit pour le gain, la gloire ou la survie.

L’avis des gorgones ne fait toutefois pas l’unanimité et elle grimace presque en voyant rentrer une autre blonde rayonnante. L’Américaine a pris ses aises dans les atours versaillais : finie la petite Alaska Stonegold, l’alliance est conclue et la magnifique duchesse de Roqrouge est venue faire appliquer ses objectifs que Delilah sait par avance diamétralement opposés aux siens. Pourtant, elle ne veut pas se faire une ennemie et se lève donc face à elle avec le respect qu’on doit à celle qui a un rang supérieur dans la société nobiliaire.

Madame Roqrouge, c’est un plaisir de vous rencontrer. J’espère que vous vous adaptez bien à notre Vieux Monde et ne regrettez pas trop votre Amérique.

Une pointe de jalousie dans la tête de la blonde n’arrive pas jusqu’à sa langue. Qu’elle aimerait découvrir cette terre où l’on dit que privilèges et statuts sont mis à bas ! Elle ne comprend clairement pas comment la dragonne a pu prendre la décision d’abandonner tout ça pour un mariage, d’autant plus avec la réputation de coureur de jupons qu’Azur Roqrouge porte accroché à ses talons. Le temps leur est compté pour discuter toutefois : la porte s’ouvre et elles sont invitées à rentrer face au Stathouder.

Celui-ci est moins vieux que l’aurait pensé Delilah, les armoiries des Orange-Nassau brodées sur sa tenue en soie. Il a toutefois le même visage hautain qu’elle pensait rencontrer et ce rendez-vous lui importe si peu qu’il a déjà une chope de bière à la main et sa maîtresse derrière lui. Sans afficher son dégoût, la gorgone hurle intérieurement du genre de souveraine qu’elle, ses sœurs, Alaska ou même cette femme pourrait être par rapport à ce genre d’enfant gâté.

Mesdames, je suis tout à fait conscient que l’une de vous veut que je rejoigne le conflit entre la France et l’Angleterre, alors je voulais gagner du temps en vous recevant en même temps. Baronne Eisenbach, qu’avez vous à dire aux Provinces-Unies ?

La blonde sourit : pas de détours, ça lui va très bien. Sans attendre quelque autorisation elle s’assoit sur l’un des sièges réservés aux conseillers des États-généraux avant de placer son discours.

Stathouder, vous avez été nommé pour défendre votre république : c’est ce que je vous demande de faire aujourd'hui. Mon adversaire vous rappellera sans doute la dette que les Provinces-Unies ont envers la monarchie des Bourbons suite à leur indépendance mais vous ne devez pas oublier qu’aider la France aujourd'hui veut dire aider l’Autriche demain et ainsi armer ceux qui vous ont outragé hier. La duchesse vous vendra sans doute les avantages que vous pourriez prendre sur l’Angleterre en récupérant le monopole sur les routes maritimes, mais je n’ai pas besoin de vous dire à quel point le commerce irriguera mieux Amsterdam, Utrech et toutes vos belles villes en temps de paix que dans les horreurs de la guerre. Alaska ira peut-être jusqu’à vous vanter les ors de la gloire, les aigles du triomphe mais vous savez très bien que les cavaliers de la misère, de la famine et du massacre ne chevauchent toujours que sous des masques bénéfiques. Alors Stathouder, c’est bien simple : pour protéger la république, vous devez protéger le monde. Vous devez ramener la paix, et ce n’est pas la guerre qui fera ça.