Steal the keys to my heart, take it out for a joyride [Juni III]

Tu peines à croire que ces derniers mois se sont écoulés aussi vite. La fraîcheur du printemps a laissé place au doux soleil de l’été, que tu laisses quotidiennement entrer dans ton nid douillet à travers les quelques rideaux qui s’y trouvent. Tu as la sensation qu’en si peu de temps, une vie toute entière a pu s’écouler. Ta rencontre fortuite avec Jude, ses révélations… puis, son accident et sa convalescence à tes côtés, chez toi. Tu t’es parfois demandée s’il s’agissait d’une bonne idée, mais tu as la sensation que les choses ne se sont pas si mal passées. Tu as découvert (ou redécouvert) des facettes de sa personne, te permettant de la cerner un peu mieux. Aujourd’hui, Jude est remise sur pieds, même si son travail de rééducation n’est pas terminé. Elle est de nouveau indépendante, elle a pu voir ses projets fleurir, et tu es contente pour elle. Même si, ça te fait bizarre, de la voir comme une sorte d’amie. Mais, tu ne sais pas encore comment ni si les choses pourraient évoluer. Peut être qu’il ne vaut mieux pas, n’est ce pas ? Aller plus loin serait aussi risquer de la perdre à nouveau. La femme forte et indépendante que tu veux être ne devrait pas s’en soucier, mais tu n’as pas besoin d’une intuition pour te dire qu’il pourrait en être autrement.

Et en parlant de pressentiment… les tiens sont tous dirigés vers Jude aujourd’hui. Et il n’est pas question d’élans sentimentaux cette fois. Tu te sens plutôt inquiète, sans réellement savoir pourquoi. C’est très flou par rapport à ce que tu expérimentes d’habitude, et ça a le don d’ajouter de la frustration à tout cela. La dragonne t’a expliqué son intention d’accélérer sa guérison à l’aide de transformations. Elle t’a aussi indiqué l’endroit où elle ferait ce genre de choses. Et si, du fait de sa convalescence récente, les choses se passent mal ? Tu es censée te reposer aujourd’hui, mais il est devenu évident que ton esprit ne pourra pas s’apaiser tant que tu n’auras pas été rassurée. Alors, tu attrapes ta sacoche, et prends le chemin de la zone concernée. Peut être que tu vas la déranger pour rien, mais tu pars du principe qu’il vaut toujours mieux prévenir que guérir.

Il s’agit d’une zone de campagne à quelques kilomètres de la Nouvelle Orléans. Ici, personne pour voir la dragonne, et encore moins pour la déranger. Tes yeux ne peuvent s’empêcher de scruter le ciel, à la recherche d’une silhouette à travers les nuages. C’est drôle à penser, en tant que surnaturelle toi-même, mais tu n’as jamais approché un dragon de près. Ça t’a toujours un peu impressionné, et il faut dire que la guerre ne t’a pas nécessairement donné une telle envie. Ce n’est pas exactement de la peur, mais plutôt une forme d’appréhension face à ce que tu pourrais éprouver. Pourtant, tes pas se font déterminés alors que tu entres dans une zone boisée. Après tout, il serait certainement préférable pour Jude de rester le plus possible cachée. L’ombre des arbres apporte une fraîcheur agréable, et le chant des oiseaux t’accompagne, comme si au final il n’y avait rien du tout ici, pas le moindre dragon, ni le moindre danger. Pourtant, ton pressentiment est toujours là, si bien que tu sursautes lorsqu’un craquement se fait entendre dans ton dos. « Jude ? »

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Six mois
Cela faisait six mois, depuis peu, que Jude était tombée. Qui aurait cru que ce maudit cocktail professionnel aurait fini ainsi ? en fin de compte, la dragonne ignorait si c’était un mal pour un bien. Elle avait passé ces six derniers mois chez Dani, quelqu’un que Jude n’aurait jamais pensé revoir à peine un an auparavant. Qui aurait pu lui faire croire que cette histoire ressurgirait ? Non, pendant plus de vingt ans, Jude s’était tuée presque à enterrer Dani et leur relation au fin fond de sa mémoire, quelque part où elle ne ressortirait plus à chaque instant, à chaque moment où la dragonne était seule et perdue. Ces dix dernières années, cela semblait presque s’être réalisé. La dragonne arrivait presque à retrouver une vie normale.

Presque.

Elle s’était engagées dans de multiples histoires sans lendemain, des coups d’un soir, sous le coup d’une bière de trop, ou simplement de l’ennui. Mais jamais elle n’avait retrouvé pareil sentiment. Jamais ?

Ces six derniers mois avaient été mélange de gêne, de timidité, de silences. Jude avait mis énormément de temps à s’adapter, malgré tout au bout de quelques longues semaines, la dragonne semblait avoir réussi à s’adapter. Les deux surnaturelles vivaient à présent presque comme des colocs. Il y eut des moments de doutes. Au final Jude n’était jamais réellement sûre. Elle se comportait bien, et faisait de son mieux pour ne pas déranger les habitudes de la sorcière qui l’abritait. Même si soyons honnête, avoir son ex en fauteuil roulant chez soi, c’était pas mal encombrant.

Mais pendant tous ces mois, il ne se passa rien. Du moins, rien d’ambigu. Jude se souvenait bien de cette douleur cuisante et pourtant soudaine de la dernière fois. Ressurgissant comme si la blessure datait d’hier. Alors elle s’était retenue, elle n’avait rien tenté, et elle s’était presque dit qu’une vie normale de cohabitation était possible.

On aurait pu la forcer qu’elle n'aurait pas été capable de maintenir  une distance saine entre la sorcière et elle. On les qualifierait d’amies aujourd’hui, elles avaient retrouvé une entente agréable, une quasi-confiance réciproque. Jude avait appris de nouveau à connaitre la sorcière, savoir cet aspect surnaturel chez Dani lui avait offert la possibilité d’entrapercevoir un tout autre aspect de sa personne. Jude avait mieux compris la magie qu’utilisait la sorcière, et on était loin de la noirceur de Vanessa. Jude ignorait si Dani avait pu trouver quoi que ce soit pour briser la malédiction qui possédait la dragonne, mais plus cette dernière cohabitait avec la sorcière, moins elle trouvait que c’était une bonne idée. Elle craignait les conséquences. Son immortalité fragile lui permettait de rester vive, en bonne santé (si on oubliait les jambes plâtrées). Et si toutes ses années la rattrapaient dès la malédiction brisée ? Et si elle n’était pas destinée à vivre très vieille, et qu’elle finissait simplement par mourir, comme ça ? Avant Dani, tout ça n’avait pas d’importance.

Maudite supérette.

Malgré tout, elle sentait qu’elle guérissait. De toutes ces craintes, de ces doutes. Personne n’a dit que cela serait facile, devoir réassembler ce qui s’était brisé, mais elle travaillait dessus. Ça n’était pas encore entièrement certain, mais elle guérissait. Depuis quelques mois, elle respirait enfin. La peur n’était pas partie mais se calmait.
Alors elle avait parlé de ses projets à Dani, elles étaient allé voir le terrain que Jude avait acheté, l’avancée des travaux, le progrès de la création de son club. Même blessée, Jude restait une femme d’affaire. Le chantier avançait bien, certaines machineries du garage étaient déjà arrivé, cela occupait une bonne partie des journées de la dragonne.

On lui avait retiré un premier plâtre deux mois plus tôt. Le second le mois d’après . Aussitôt, elle eut la rééducation. Retrouver l’usage de ses jambes après quatre, cinq mois d’immobilisation, c’était difficile. Elle avait perdu en muscle, en endurance. Mais depuis qu’elle pouvait de nouveau marcher, elle se transformait tous les soirs où Dani se représentait sur scène, ou tous les soirs où il ne pleuvait pas, pour faciliter la guérison. Cela n’avait rien de fulgurant, mais lui épargnerait quelques séances, lui ferait gagner quelques semaines. Au plus tôt Jude était libérée de ces séances, de cette faiblesse, au plus tôt elle pourrait rentrer chez elle, retrouver ses habitudes, et le quotidien rassurant bien que prévisible de sa vie normale.

Mais le voulait elle seulement ?

Pour bien faire, elle avait prévenu Dani de son projet de transformation. Elle avait repéré un lieu, isolé à la perfection dans la forêt voisine. Où la canopée était assez épaisse pour dissimuler l’éclat du soleil, pour ne pas être accueillante assez pour le public. Elle n’avait pas envie d’être vue. La transformation avait été presque douloureuse la première fois. Jude avait conservé son apparence humaine sans changer, pendant plus de deux ans. Elle ne connaissait aucun dragon qui ne se transformait pas au moins pour garder les reflex et les habitudes de la forme reptilienne.

Ce soir était un soir comme ceux de ces deux dernières semaines. Il faisait frais, encore jour, même si le soleil se rapprochait de l’horizon, il ne se coucherait pas avant plusieurs heures. Le vent était agréable. Jude était venue jusqu’à l’orée du bois en taxi, puis avait marché. Lentement, mais juste assez pour que sa transformation soit discrète. C’était un jour plus douloureux que les autres. Elle arriva au bout de dix minutes à l’endroit où elle se transformait toujours. Là, elle cacha ses vêtements, se déshabillant intégralement. Jude avait la chance d’avoir un dragon plutôt petit, au garrot elle ne dépassait pas le mètre 80, bien qu’elle n’ait jamais pu le mesurer elle était sûre qu’il n’était pas plus grand que Angus, le gros cheval qui tirait le moulin alimentant la forge de ses parents.

La transformation, sans douleur, avait duré une minute à peine, puis Jude avait continué à s’enfoncer dans le sous-bois, jusqu’à une petite crevasse juste assez grande pour qu’elle puisse s’y rouler en boule et dormir. Sa jambe la plus fragile la lançait trop douloureusement. Elle savait que c’étiat une conséquence de sa rééducation, que c’était quelque chose de normal, mais bon dieu que c’était insupportable. La forme draconique n’aidait pas vraiment, les articulations changeaient, les os s’allongeaient, la jambe était soutenue différemment. Si elle doutait que la guérison soit plus facile ainsi, elle ne prendrait même pas la peine de Changer. Jude ne dormit pas, elle sentait le vent sur ses écailles, faire gonfler la toile de ses ailes. Elle entendait des bruits qu’elle n’aurait pu entendre sous sa forme humaine. Le rat grimpant dans l’arbre, le serpent rampant à quelques mètres de là, une taupe, ou un lapin ? creusant sous la terre. Cette affluence de bruits, de sensations, avait été plus que déstabilisant au début. Elle avait perdu l’habitude de tout entendre.
Là, elle resta longtemps, perdue dans ses pensées, concentrée sur les sensations de son corps changé, le son oppressant l’angoissant petit à petit. Il n’existait pas de bouchons d’oreille spécial dragon nom d’un chien ! Elle aurait pourtant cru que la simple présence du super prédateur qu’elle était suffirait à faire fuir la faune environnante, assez pour qu’elle puisse se reposer tranquillement mais…

Un bruit de pas. Jude redressa la tête, dépliant son cou. Aucun humain ne venait jamais ici. Son cœur se mit à battre alors que la peur montait. Et si on l’avait vue ? Et si on l’avait dénoncée ? Elle savait que certains humains mettaient un point d’honneur à détruire les surnaturels, et si celui-là en était un ? Il n’y avait pas beaucoup d’autres explications, pour la Jude sur ses gardes, justifiant la présence soudaine d’un humain là où aucun n’avait franchi l’orée des bois depuis plusieurs semaines.

Elle se redressa, se glissant dans l’ombre des arbres, laissant là la crevasse si confortable que son corps avait finir par creuser après tant de jours passée couchée là. Ses mouvements n’avaient pas fait fuir les oiseaux, comme s’ils étaient habitués à sa présence, comme si l’énorme être volant était l’un des leurs. Son cœur battait si fort qu’il semblait vouloir sortir de son torse, alors qu’elle se tapissait, surveillant l’humain qui franchissait la limite des arbres, de trop loin pour qu’elle puisse l’identifier…. Si seulement elle avait mieux appris à utiliser son nez pour identifier les odeurs. Alors que l’humain se rapprochait, Jude fit un pas en arrière, se figeant alors que l’une de ses pattes s’appuya sur une branche morte, la brisant nette avec un son bien sec. Jude se figea, retint sa respiration…


Et relâcha tout d’un coup, alors que la peur disparaissait aussi vite qu’une ombre lorsqu’on y apportait la lumière. Elle n’avait pas reconnu la voix, ni l’apparence à cause du bosquet, mais la voix, elle la reconnaitrait entre mille. Rapidement, Jude se rappela qu’elle ne pouvait pas parler sous son apparence. Elle fit un pas en avant vers Dani, mais se figea à nouveau. Et si elle lui faisait peur ? Un grondement bas, dénué d’agressivité, raisonna dans le bas de sa gorge. Juste assez fort pour que Dani l’entende et, Jude l’espérait, comprenne que c’était bien elle.

Elle fit un autre pas, et se figea à nouveau, non pas à cause de la peur cette fois, mais de la douleur éclair qui avait surgit dans sa jambe. Sa patte ? Peu importe. Elle s’y perdait encore. Ce mouvement toutefois, fut suffisant pour que le début de sa tête sorte du bosquet, laissant son museau éclairé par le soleil, créant un reflet doux de nacre sur ses écailles. Jude ne bougea plus, espérant, priant de tout son cœur de ne pas effrayer la sorcière. Gardant la tête basse, les ailes bien contre elle, recroquevillée assez pour que sa taille, petite pour sa race, ne paraisse pas imposante à la sorcière qui vivait en ville. Elle pris une profonde inspiration, notant toutes les fragrances de l’odeur de Dani, prenant soin de les graver dans sa mémoire pour de bon.

Ce bruit t'a figé sur place. Au début, tu oses à peine bouger d'un millimètre pour te tourner vers son origine. Non. Ton pressentiment concerne Jude, pas toi. Alors, tu ne dois pas être en danger. Cette certitude te pousse à faire deux pas de côté pour te retourner entièrement, te retrouvant face à un bosquet qui, de toute évidence, ne fait que camoufler quelqu'un, ou quelque chose. Un son grave en provient alors. Grave, mais aussi doux à la fois. Tu ne peux en comprendre la signification, mais tu as la sensation que ce n'est pas foncièrement mauvais. Alors, à nouveau, tu restes figée. Que peux-tu faire, si ce n'est de rester immobile ? Il n'est pas question de t'engager dans l'épais amas de buissons pour découvrir ce qui se cache à l'intérieur. Et, de toute manière, les feuilles ne tardent pas à être secouées par un mouvement à proximité. Ton coeur bat à tout rompre, l'appréhension étant toujours présente malgré tout. Tes lèvres s'entrouvrent lorsqu'une forme émerge enfin du bosquet. C'est un dragon qui te parait immense. La créature est magnifique. Ses écailles métalliques reflètent des nuances colorées, lui donnant une allure nacrée. Et encore, tu ne peux voir que le haut de sa tête. Un frisson remonte dans ta nuque. Les dragons sont décidément impressionnants. Et beaux à la fois... ou bien n'est-ce que parce qu'il s'agit de Jude ? Son regard te rappelle le sien. Son aura également. Elle ne t'a pas trop parlé de sa forme draconique, mais il te semble bien te souvenir d'un rapport évident avec le métal. Tout cela semble concorder, n'est-ce pas ? Ravalant ta salive, tu la détailles encore quelques instants du regard, ne camouflant pas ta stupeur. « C'est toi, n'est-ce pas ? » murmures-tu alors, comprenant que la dragonne ne peut certainement pas parler sous cette forme. C'est drôle, mais même en connaissant sa vraie nature, tu n'as jamais imaginé Jude autrement que... juste Jude. Physiquement, tu veux dire. Tu la vois comme la belle brune que tu as toujours connu. Pas comme l'être surnaturel qui se trouve sous tes yeux. Pourtant... c'est bien la vérité. Tu l'acceptes, tout comme elle accepte que tu sois aujourd'hui plus sorcière qu'humaine.

C'est une conversation que vous avez eu, d'ailleurs. Tu as bien été forcée de lui expliquer la nature de tes pouvoirs, la source de ta longévité. Il ne s'agit pas d'une malédiction, mais bien d'un engagement pris de plein gré auprès de la déité. Au fond, vos situations sont à la fois similaires et différentes. Tu l'as choisi. Jude n'a pas eu le choix. Ce que tu ne lui as pas expliqué en revanche, est la présence de ce décompte dans ton esprit. Celui de ta propre vie. En même temps, comment lui dire que tu connais précisément la date de ta mort, même si celle-ci est dans très longtemps, alors qu'elle, risque bien de ne jamais mourir ? Enfin, tu ne vas pas prétendre que cela gâcherait sa vie, vous n'êtes pas ensemble ou quoi que ce soit... mais, tu trouves qu'il est préférable de le garder pour toi. Peut-être que lorsque vous aurez trouvé un moyen de remédier à sa malédiction, cela pourra changer. Mais, tu as compris en faisant de premières recherches que ce ne sera pas une tâche facile. Pour en revenir à l'instant présent, tu oses enfin faire un pas en direction de la dragonne. Elle semble s'être recroquevillée pour ne pas être trop grande par rapport à toi, et tu avoues que ce n'est pas une mauvaise idée. Toi, tu ne vois jamais rien d'autre que des chiens et des chats, alors un dragon... ça te parait immense. Heureusement qu'il s'agit de Jude. Avec elle, tu sais que tu peux avoir confiance, et ce même si vous ne pouvez pas réellement communiquer. Esquissant un léger sourire, tu arrives près de son museau, et vient délicatement déposer une main dessus. La texture de l'écaille est particulière. Ça te rappelle vraiment du métal. Ton regard se plante dans le sien, bien plus grand à cet instant, d'une profondeur qui pourrait presque paraitre infinie. Et, tu restes comme ça, encore de longues secondes, cherchant à lire ce qu'il peut se passer derrière ses pupilles, et à imprimer cette vision dans ton esprit. C'est là que, tout à coup, la raison de ta venue te rattrape. L'intuition ! Jude n'a pas l'air de mal aller... mais après tout, peut-être qu'un dragon exprime ce genre de choses différemment ? « Tu vas bien ? J'ai eu un mauvais pressentiment alors... » Alors tu as accouru ici sans vraiment réfléchir. Enfin... Jude ne pourra certainement pas répondre à cette question comme ça, si ? Et puis, comment pourras-tu l'aider si c'est le cas ?

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La sorcière s’était figée, Jude se tapit encore plus. Elle avait si brièvement parlé de l’apparence de son dragon qu’elle ignorait si Dani s’en souviendrait, la reconnaitrait, ou non. Le temps parut s’allonger en une éternité avant que la brune ne se retourne, observant la cachette de fortune de la dragonne. Et un autre siècle passa avant qu’elle ne brise le silence. Jude cligna des yeux en guise de réponse. Elle se sent détaillée des griffes à la tête, mise à nu par une rencontre qu’elle n’avait pas forcément désiré. Si elle avait pu le prévoir, elle aurait préféré choisir le moment, l’endroit où Dani verrait sa dragonne. Là… C’était plus étrange, plus effrayant.  Si elle n’avait pas reconnu la sorcière, elle aurait probablement tenté quelque chose pour faire fuir l’intrus, ou pour elle fuir tout simplement.

Mais tout allait bien. C’était Dani en face d’elle. Jude avait peur de se révéler, bien qu’elle sût que tout irait bien. C’est la même peur qui l’avait empêché de lui révéler son secret, trente ans plus tôt. Cette peur de tout perdre pour quelque chose sur laquelle elle n’avait aucun contrôle, cette peur de faire fuir la brune, de la dégouter, de quoi ? De la perdre, oui. Elle fit un pas, Jude retint un peu sa respiration, ne la quittant pas du regard alors qu’elle s’approchait du peu de museau visible sous le soleil. C’est son sourire, léger comme la soie, qui détendit la dragonne. Dani posa sa main sur le haut du museau de Jude, et cette dernière sentit le calme l’envahir, comme une bombe inversée. Soudain, le bruit des oiseaux, des rats des champs et des insectes dans les arbres s’atténua jusqu’à s’éteindre, l’affluence de différentes odeurs se dissipèrent, ne laissant plus que Dani face à elle.

Une sorte de ronronnement caverneux que Jude ne contrôla pas fit vibrer le fond de sa gorge. Cela la surpris même, mais elle ne pouvait plus quitter Dani du regard. Perdue dans des yeux. D’aucuns lui auraient semblé plus fragile, plus petits en comparaison de la taille de la dragonne, mais pas elle. De ces yeux qui voyaient mieux, Jude voyait Dani, une femme forte, capable de tout, l’âme d’une battante dans un corps qu’on pourrait mal juger de frêle. Les regards restèrent liés un long instant, mais, bien qu’elle ne voulût l’admettre, Jude ne voulait pour rien au monde que cet instant ne cesse. C’était parfaitement normal, entre amies, right ?

Puis soudain, Quelque chose dans le fond de l’air changea, un rythme régulier et rassurant qui s’affola, et l’air de Dani se fit plus inquiet. Si Jude pouvait plisser les yeux, elle l’aurait certainement fait. A part la douleur, rien n’était anormal. Alors pour unique réponse, elle appuya sa tête sur la paume de la main que Dani avait posé. La douleur était chiante, mais elle finirait par passer. Alors quoi ? Dani était venue, tout simplement ? Dans cet endroit paumé, même pas réellement accessible en voiture, parce qu’elle avait un pressentiment ? Elle avait expliqué à Jude le fonctionnement de ses pouvoirs, mais il fallait admettre que c’était encore difficile à assimiler pour la dragonne. Était-ce le même genre de pressentiment qui avait poussé Dani à la rejoindre à l’hôpital ? Avait-elle eu un pressentiment ce jour-là, quand elles se sont revues pour la première fois ? C’était certainement une question que Jude n’oserait jamais poser. Tout ce qui comptait c’est que Dani était là. Parce que la mécano ne le savait peut-être pas encore, ou l’avait oublié, ou le niait même, mais tout était bien mieux avec Dani à ses côtés.

Au bout de quelques instants, l’air se fit trop frais pour la dragonne au sang-froid, là dans l’ombre, alors elle poussa doucement la main de la sorcière avant de se redresser, cherchant les lueurs de soleil là où la canopée se trouait. Lentement, plus pour économiser sa jambe… patte ? Elle l’ignorait encore, que pour ne pas effrayer Dani, elle s’avança dans la lumière, s’ébrouant progressivement pour dissiper les fourmis qui s’étaient logés dans ses membres à force de se tenir tapie. Lorsqu’elle se retourna vers Dani, sa queue trainant derrière elle, toute fatigue avait disparu de ses yeux, et d’un mouvement de tête presque joueur, elle invita Dani à se rapprocher à nouveau.

C'est presque comme si, jusqu'à présent, tu n'avais jamais réellement vue Jude. Cette apparence fait partie d'elle, de manière indissociable. Même si la brune cessait de se transformer, elle n'en resterait pas moins dragonne. Tout comme toi, après avoir passé des années à jouer à l'humaine, ta nature est malgré tout restée la même. Une part de toi s'est trouvée soulagée d'apprendre que Jude est une surnaturelle, tout comme toi. Une part un peu égoïste, qui se réjouit de partager d'une certaine façon le même univers qu'elle. L'autre part, en revanche, représente toute l'inquiétude que cela implique. Cette époque est dangereuse. La révélation du surnaturel aux yeux de tous a eu beaucoup d'inconvénients à tes yeux. Il est difficile aujourd'hui de sortir sans appréhender un éventuel contrôle, ou la présence de chasseurs. Tu espères sincèrement que Jude ne sera jamais confrontée à de tels dangers.  Son ronronnement ne fit qu'agrandir ton sourire. Tu n'aurais jamais cru voir ou entendre un dragon se comporter ainsi... Cet instant est spécial, et tu peux lire dans les yeux de Jude qu'elle le pense aussi. Son regard est intense, comme s'il était capable de te transpercer. Alors c'est ça, le sentiment de voir et d'être vue ? L'as-tu seulement déjà ressenti de manière aussi intense ? Tu ne devrais pas... Non, tu ne devrais pas y penser. Tu ne devrais pas analyser ainsi les choses. C'est une pente glissante pour toi, alors que tu ne sais pas encore tout à fait où poser les pieds.

C'est le souvenir de ton intuition, qui parvient finalement à te couper de cet instant. Un tel pressentiment ne se présente jamais sans bonne raison... alors, il y a forcément quelque chose. Mais quoi ? Comme pour te rassurer, Jude presse un peu plus son museau contre ta paume, avant de la repousser doucement, te faisant faire quelques pas en arrière alors qu'elle sort entièrement du bosquet. Elle est encore plus impressionnante ainsi, et tu l'observes un instant avant de suivre son regard, et de t'en approcher à nouveau. Au moins, tu as pu voir qu'elle n'est pas blessée. S'il y a le moindre problème, Jude ne semble pas le remarquer, ou ne pas y prêter attention en tout cas. Le doute te restera à l'esprit, mais tu décides de lui faire confiance, et de le laisser de côté pour le moment. Autant dire que lâcher prise ainsi ne te ressemble pas. Écouter une intuition t'a déjà sauvé la vie, ou celle d'autrui. Mais, ton coeur te dicte aujourd'hui d'écouter, et de ressentir, plutôt que de redouter.

Ton regard se balade alors de la dragonne, jusqu'aux alentours. Tu te demandes ce qu'elle fait précisément, lorsqu'elle vient ici. A t-elle besoin de se déplacer, ou de voler, pour accélérer sa guérison ? C'est un peu flou pour toi... tu as plus été habituée aux remèdes naturels, qu'aux transformations complètes comme celle-ci. « J'espère ne pas t'avoir dérangée en tout cas... » murmures-tu simplement, sachant que ta visite ici n'était absolument pas prévue. La dragonne ne semble pas t'en vouloir, mais tu te demandes si te découvrir ici l'a un peu gêné. C'est comme si elle se pointait à un de tes concerts sans que tu ne le saches... une bonne intention, mais qui peut facilement devenir une source de stress.  « Comment t'occupes ton temps ici ? Ça doit pas être facile de te déplacer entre tous ces arbres. » Tu l'imagines mal déployer ses ailes ici. Niveau discrétion, c'est plutôt super, mais pour le reste un peu moins. C'est un peu bizarre, d'avoir l'impression de faire la discussion toute seule, même si ce n'est pas vraiment le cas. Peut-être qu'en vérité, vous n'avez pas besoin de paroles. Peut-être qu'à partir de maintenant, tu vas juste te taire et la laisser te montrer ce qu'elle souhaite.

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Jude, éloignée dans la clairière, sentait encore sur ses écailles la trace de la main de Dani, comme si cette dernière ne l’avait jamais lâchée. Une sensation douce, et brûlante à la foi. D’un feu apaisant qui rassurait plus qu’il ne faisait mal. Car au font tout cela rimait à quoi ? Quelle était la signification de ces sensations, de ces sentiments ?

Peu importait à l’instant présent, parce que Jude allait toujours mieux quand la sorcière était avec elle et qu’en cet instant précis, tout allait bien. D’ailleurs, Jude secoua délicatement la tête en réponse aux craintes de Dani. Elle aurait dormi ,aurait laissé passer la nuit et serait rentrée au petit matin, comme à chaque fois. Ce n’était pas si mal d’avoir des plans un peu bouleversé, de temps en temps. Surtout en si charmante compagnie.  Certes, Jude ne s’était pas attendue à se montrer ainsi si tôt à la sorcière. A vrai dire, ça n’était pas du tout prévu, et elle avait même pensé ne jamais le faire. A quoi bon ? ça n’était pas si important, la dragonne préférant tant son apparence humaine, si utile et pratique. Sous sa forme reptilienne, son pouvoir était toujours actif, parfois même un peu décuplé. Elle pouvait sentir les bijoux perdus dans la terre, un jour, il y a longtemps, elle avait même eu l’impression de toucher un filon de métaux. Elle s’était fait un paquet ce jour là en vendant l’info. La mine était épuisée depuis longtemps mais c’était une autre histoire.

La question de Dani raviva son attention. Étrangement, la dragonne était heureuse de répondre à ça, alors qu’au final son activité était si peu intéressante. Elle tapota le sol de ses griffes pour démontrer de sa bonne humeur puis chercha son petit trou du regard, comme une cavité dans la terre dans laquelle elle se lova, filant devant la sorcière. Une fois bien installée, elle fixa l’humaine, les étoiles plein les yeux et s’imagina un instant dormir là, Dani bien installée contre elle. Matelas géant et autant chauffant, qui ne rêvait pas de ça ?

Mais Jude ne pris pas le temps de s’endormir, elle avait fait ça pour illustrer ses agissements habituels. D’ailleurs quand elle se leva, la trac de son passage était bien plus évident. Elle se dirigea alors vers l’autre bout de la petite clairière, s’enfonçant légèrement dans l’ombre avant de plonger sa tête dans un buisson. L’odeur des mûres était bien plus forte ici, et ce fruit sauvage envahissait toute la forêt. Jude en saisit une branche dans sa gueule puis récupéra tous les fruits en tirant. Se léchant les babines après avoir savouré leur gout acide et sucré à la fois, elle arracha une autre branche sur laquelle pendait quelques fruits pour la ramener à Dani. Dormir… Manger… En cet instant Jude avait l’impression d’être un chat.

En dix fois plus gros,

Couvert d’écailles,

Et cracheur de feu.

Mais tout ça était un détail, elle tendit délicatement la petite branche à Dani, sentant l’effluve sucrée des petites baies remonter dans ses narines. Elle laissa patiemment Dani déguster à son tour les baies noires, puis leva la tête vers le ciel. Une seule fois, elle avait volé ici. En pleine nuit. Si haut, elle avait pu voir l’étendue si vaste de la nouvelle Orléans. Les lumières de la ville couvraient celle des étoiles. Elle n’avait pas volé très loin. C’était alors la première fois depuis des années qu’elle s’était transformée et volait, c’est dire. Mais cela ne se perdait pas. Son instinct dans le ciel avait rapidement été ravivé et elle se surprit presque à être nostalgique de l’air glissant le long de ses ailes. Les bruits de la forêt se faisaient de plus en plus calmes alors que les animaux du jour laissaient la place à ceux de la nuit, les oiseaux chantaient encore en même temps que les grillons s’éveillaient. La mélodie du crépuscule était différente de celle du reste de la journée. Plus calme, plus reposante.

Jude qui fixait alors toujours le ciel, baissa la tête vers Dani. Une idée lui avait traversé l’esprit. Son regard, indéchiffrable, fixait la sorcière. Elle ignorait ce qu’elle cherchait à se prouver, tout ce qu’elle entendait, c’était le battement de son cœur si fort dans son thorax. Elle lança un dernier regard vers le ciel avant de regarder de nouveau Dani. Alors, elle se leva, se tourna de manière à montrer son flanc à la sorcière, et abaissa son aile pour laisser son dos accessible.

En cet instant, Jude ignorait totalement ce qu’elle faisait. Son instinct la guidait toujours. Pour des dragons plus nobles, laisser quelqu’un monter sur leur dos était certainement des plus honteux. Si elle y prêtait attention, elle pouvait presque entendre ses parents l’engueuler depuis l’eau delà. Mais elle n’en avait plus rien à foutre. Son cœur battait à tout rompre et elle était là, sous le ciel rosé, à offrir à Dani une place sur son dos.

Tu as toujours du mal à croire que cet instant n’est pas tiré du plus profond de ton imagination. Cette forêt, s’endormant peu à peu, la dragonne face à toi… tout ça en est presque irréel. Dans tes dernières paroles, tu t’es intéressée à ce que Jude fait ici. Vu son gabarit sous cette forme, il n’y a certainement que peu d’options, mais tu sais qu’elle vient très régulièrement ces temps ci. Alors, il doit bien y avoir un minimum de choses pour s’occuper, outre l’aide que cela procure à sa guérison. Quant à ce qu’elle pourrait répondre -ou te faire comprendre, tu ne sais même pas trop à quoi t’attendre. De toutes façons, tu imagines mal qu’il puisse y avoir une mauvaise réponse à ça. En plus, Jude semble sincèrement heureuse de pouvoir te montrer, vu sa réaction, ce qui te fait sourire. Trouver un dragon mignon ne faisait assurément pas partie de tes prévisions pour cette année. Et pourtant… Tu la suis alors qu’elle te guide à travers les arbres, te menant jusqu’à une cavité dans laquelle elle s’installe. Tu fronces les sourcils un instant, avant de comprendre qu’il s’agit sûrement de l’endroit où elle se repose. Un endroit bien à l’abris, qui semble avoir épousé les formes de son corps à force d’y passer du temps. En tout cas, la dragonne semble bien à l’aise ainsi, et tu lui adresses un sourire. Pour toi, dormir ici n’est clairement pas très attirant, mais quand on est protégé par des écailles, ça change sûrement la donne ! Tu notes donc que, Jude passe une partie de son temps sous cette forme à se reposer. Après tout, ce n’est pas étonnant puisqu’elle est encore un peu convalescente.

La dragonne ne reste pas bien longtemps ainsi, toutefois, et tu te retrouves de nouveau à la suivre dans la forêt, à la regarder plonger la tête dans un buisson quelques instants, avant d’en ressortir avec une branche dans la… bouche ? Gueule ? Museau ? Tu ne saurais même pas dire ! Mais, quoi qu’il en soit, elle finit par te tendre une petite branche ornée de nombreuses baies. Tu ne peux retenir quelques rougeurs de venir empourprer tes joues, tant tu trouves cette attention adorable. À peu de choses près, ça pourrait presque ressembler à l’un de vos anciens rendez vous… mais à nouveau, tu préfères ne pas y penser, ne pas te permettre d’envisager les choses sous cet angle. Aborder tout ça avec une véritable innocence est bien plus facile et ne peut pas faire de mal, n’est ce pas ? Avec la même candeur à l’esprit, tu viens donc t’emparer de quelques baies pour y goûter. Leur goût sucré est agréable. Il change de ce que vous pouvez trouver dans des grandes surfaces. Ça te laisse un goût authentique sur la langue, et un sourire en guise de merci sur les lèvres. Ouais, t’as écouté ton propre conseil, et choisi de te taire. Si Jude peut communiquer sans paroles, rien ne t’empêche de le faire aussi. Tu remarques qu’elle a levé la tête vers le ciel, sans comprendre pourquoi dans un premier temps. Peut être que les dragons sont attirés par les étendues qui se trouvent au dessus de vous. En même temps, voler, n’est ce pas un peu le rêve de tous les enfants, un jour ou l’autre ? Tout le monde s’est déjà demandé ce que ça pourrait faire, à quel point on pourrait se sentir libre. Les dragons ont la chance de pouvoir répondre à ce genre de questions.

Le soleil commence à décliner, et le monde à s’endormir, mais tu le remarques à peine, trop occupée à admirer la dragonne. Bientôt, son regard finit par croiser le rien à nouveau, comme animé par une idée ingénieuse. Toi. Puis le ciel. Puis toi. À cet instant, tu ne sais pas si tu dois être curieuse ou inquiète, et une part de toi aimerait que Jude puisse parler et t’expliquer ce qu’elle a derrière la tête. Elle se lève finalement, et te présente son dos d’une manière significative. Sous la réalisation de ce qu’elle souhaite faire, tes lèvres s’entrouvrent, mais aucun son n’en sort. Elle veut que tu lui grimpes dessus ? Et quoi ensuite, que vous fassiez une virée dans le ciel ? L’idée est aussi alléchante qu’effrayante en réalité, même si tu as pleinement confiance en elle. Mais, ce n’est quand même pas commun qu’un dragon se laisse monter dessus. Tu ne crois pas avoir déjà entendu parler d’une telle chose, à part dans des séries comme Game of Thrones. Vu comment ça finit, t’es pas sûre que ça soit un bon exemple. Tu te mords la lèvre, réfléchissant ou plutôt hésitant à toute vitesse, alors qu’au fond ta décision est déjà prise. Tu finis par émettre un soupir déterminé.  « Qu’est ce que tu me fais pas faire ! »  La remarque mérite d’être faite, même si c’est dans un sourire et sans la moindre trace de négativité. Sans doute maladroitement, tu avances pour te hisser sur son dos, cherchant quelque chose pour t’agripper comme le ferait Daenerys.  « Me laisse pas tomber, hein ? »  Tu sais qu’elle ne le fera pas. Pas intentionnellement en tout cas, mais bon, il semble normal de ne pas être complètement rassurée par tout ça. Et puis, ça ne rend pas cette idée moins excitante. Ah, l’adrénaline, quand elle vous tient !

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