I can do this all day ft Milo

C’était une grise fin d’après-midi d’automne; le vent arrachait aux arbres leurs dernières feuilles, les branches semblant frissonner de leur nouvelle nudité. Une fine pluie tombait du ciel couvert, détrempant les rues de la Nouvelle-Orléans ainsi que les passants toujours nombreux même à ce temps-ci de l’année, certains bien à l’abri sous leurs parapluies, d’autres se pressant dans divers cafés et restaurants dans l’espoir d’y trouver des boissons chaudes. Milo, lui, ne semblait point incommodé par la température, bien au chaud dans son écharpe et son manteau. Un léger sourire aux lèvres, il déambulait dans le quartier à la recherche de sa boutique préférée; ayant terminé une dure journée de bénévolat dans une soupe populaire pour surnaturels bien connue de la ville, il s’était dit qu’il pouvait se permettre un rapide détour avant de courir chez lui. Un nouveau jeu vidéo ou un nouveau comic à lire, c’était tout ce qu’il demandait pour être heureux ce soir. Il se voyait déjà blotti dans le sofa avec son Marius, son chat ronronnant pas loin de là, un bon thé fumant à portée de main. Après tout, la météo était propice à ce genre d’activité, et même s’il faisait son bénévolat de bon cœur, c’était parfois dur pour le moral de voir autant de personnes en difficulté, et que même en sachant avoir passé une journée entière à se briser le dos au travail, ces personnes devront revenir le lendemain et le surlendemain pour pouvoir manger et avoir un toit au-dessus de la tête, peut importe l’effort qu’il mettait pour les aider. Il sentit d’ailleurs un pincement à constater la pluie qui s’abattait ainsi sur la ville depuis quelques jours, ce que ça devait représenter pour tous les surnaturels qui devaient dormir dehors. On lui avait souvent dit de faire attention à séparer sa vie personnelle et le boulot, et c’est ce qu’il essayait de faire en allant se gâter un peu ainsi, mais il ne pouvait s’empêcher de se sentir au fond un peu coupable, de se dire qu’il aurait pu travailler une heure ou deux de plus au refuge. Le sourire disparu momentanément de son visage à cette pensée, mais il secoua la tête, tentant de passer à autre chose pour au moins la fin de la journée. On était vendredi après tout. Il pouvait célébrer un peu. C’est ce qu’Ember lui aurait dit, si elle était là.

Il chercha de la main la laisse de Marius, mais elle ne se referma que sur du vide. Il était tellement habitué de sortir avec son chien quand il avait le blues, c’était devenu un réflexe de chercher pour sa présence rassurante quand il culpabilisait sur son travail, ou manque de travail, selon lui. Soupirant doucement, il releva la tête et réalisa qu’il était devant la boutique qu’il cherchait. Souvent, alors qu’il marchait mécaniquement dans la rue, il se perdait un peu dans ses pensées, le monde extérieur disparaissant le temps qu’il revienne à la réalité. Les néons qui formaient les lettres stylisées du nom du magasin se reflétèrent dans ses yeux, qui s’illuminèrent un peu à leur vue, porteuse de rêveries et d’une passion qui, bien enracinée dans son cœur de gamin, n’avait jamais vraiment vieillie avec lui. Il poussa la porte de la boutique geek, et en entrant, laissa tous ses soucis et ses doutes dehors, comme s’il entrait dans un nouveau monde ou rien de tout cela n’existait. C’était un peu ça en vrai : les jeux vidéo qui nous transportent l’espace de quelques heures dans une nouvelle vie, une nouvelle époque, dans un corps où tout est possible : de la magie aux acrobaties les plus folles, il était possible de devenir assassin, mage, maître d’armes, soldat, aventurier, où l’erreur était permise et lorsque l’on tombait, il ne suffisait que d’appuyer sur « recommencer », et tout était oublié. Les bande-dessinées aux cases colorées peuplées de super-héros, de vilains, de super-pouvoirs, ou les dés aux différentes forment qui, dépendamment de s’ils tombaient sur un 1 ou un 20, décidait de la vie ou de la mort d’une peuplade de personnages imaginaires mus par une histoire, un conte collectif. Caressant un moment du regard les différentes sections, le jeune homme décida de se diriger vers la section des jeux RPG, son style favori de jeux-vidéos. Il était quelqu’un de plutôt occupé, jonglant sans cesse entre son travail au zoo et son bénévolat dans différentes villes sur le territoire américain (ça avait ses avantages, les pouvoirs zouwus, mais c’était aussi un peu une malédiction…) ce qui ne lui laissait pas beaucoup de temps libre, mais il adorait de temps à autre s’offrir un nouveau jeu qui, s’il le fallait, sacrifierais ses heures de sommeil pour arriver à le terminer. Il était à peine arrivé, se demandant s’il devait choisir entre Ghost of Tsushima ou The Last of Us II, qu’une jeune femme qu’il n’avait pas tout de suite remarquée trébucha sur lui en se décalant. Il s’excusa immédiatement en écartant ses mains et la jeune femme fit de même, visiblement gênée et toute rougissante. Milo se sentit tout de suite un peu mal pour elle, qui semblait si embarrassée de l’avoir bousculé, sa gêne d’autant plus mise en évidence par ses pouvoirs d’empathie.

« Pardonne-moi je ne regardais pas où j'allais je suis vraiment désolé »

Comme un effet de miroir, le sentiment l’atteignit aussi, et il se mit à rougir un peu aussi, frottant doucement une main dans ses cheveux rendus humides par la pluie. La jeune femme à la chevelure presque noire se retourna brusquement vers la section des jeux, comme pour mettre de la distance entre l’événement et elle, attrapant un boîtier qui ne manqua pas d’attirer l’œil du zouwu un peu trop curieux pour son propre bien.

« Ne t’excuse pas, c’est moi qui étais dans le chemin », commença-t-il avec un sourire à son intention. Pour dissiper le petit malaise de leur contact inattendu, il pointa du doigt le jeu qu’elle serrait contre elle, dans l’espoir de débuter une conversation. Ce n’était pas tous les jours qu’il rencontrait quelqu’un avec les mêmes intérêts que lui, même ici où les habitués ne l’intéressaient pas plus que ça. « Horizon Zero Dawn. C’est un excellent choix si tu veux mon avis, c’est le dernier titre que j’ai dévoré ». Il se rendit compte qu’il commençait à la fixer et se retourna à son tour vers la section pour rompre un moment le contact visuel. Son choix s’arrêta sur The Last of Us II.
« Tu joue beaucoup ? » une simple question pour faire connaissance.

Milo avait toujours vu les boutiques de ce genre, et celle-ci en particulier, comme un petit havre pour les gens comme lui, comme la jeune femme peut-être. Un endroit où tout est magique un peu à sa façon, où l’on peut oublier les déboires de sa vie quotidienne pour les remplacer par ceux, plus ludiques, des personnages de culture pop. Le zouwu aimait bien s’imaginer que, à l’image des refuges où un réconfort physique est offert à ceux qui sont perdus, cette boutique était elle aussi une sorte de petit refuge, un baume sur le cœur et sur l’âme. Un endroit où il était facile de trouver un ami, des sourires amicaux et des conversations enflammées sur lequel des trois Dark Souls était le meilleur. Le boîtier du jeu bien enveloppé dans ses paumes chaudes, il se rappela comment il avait aimé celui que la jeune femme comptait acheter; une société à la fois futuriste et primitive, les grands espaces à explorer, les créatures robotiques aux allures des plus originales, les délicieuses mécaniques de combat avec l’arc d’Aloy, le mystère entourant les personnages et leurs origines. Un univers bien différent de celui dans lequel ils vivaient. Au fond, c’est un peu ça que les gens cherchaient lorsqu’ils attrapaient leur manette et se blottissaient dans leur lit ou leur sofa. Quelque chose de différent, pour s’échapper du quotidien plus souvent qu’autrement bien déprimant. Cependant, c’est d’un autre mot que Milo qualifierait la fille avec qui il avait entré en collision. Là où normalement, deux inconnus se seraient excusés puis ignoré, il avait commencé une discussion avec elle. Elle lui semblait gentille, puis pourquoi pas? Peut-être que cette rencontre leur aura trouvé un nouvel ami avec qui partager leur passion commune. Il frotta doucement ses cheveux une nouvelle fois du revers de sa main gauche, tentant d’y enlever les dernières traces d’humidité.

« J'y ai déjà joué et...je voudrais le continuer maintenant. Heureuse que quelqu'un trouve aussi qu'il est excellent. Et pour répondre à ta question... ça dépend. Bien que je passe mes journées dessus ces temps-ci »
Le jeune homme ris doucement à cette réponse, une expression chaleureuse et douce sur son visage. C’était si facile de se laisser emporter lorsqu’on avait du temps libre, de se laisser absorber dans les mondes fictifs du lever au coucher du soleil. Il s’ennuyait de cette époque, quand il était encore adolescent et où le choix entre la pile de devoirs et la console n’était pas bien difficile. Cela dit il comprenait parfaitement cette réalité, et parfois, aimerait bien l’échanger contre l’éreintant train de vie qu’il s’était choisi pour lui-même.

« Et toi ? Tu joues beaucoup ? »
Il regarda un instant le jeu qu’il tenais toujours entre ses mains, soufflant un peu d’air par ses narines dans un rire silencieux.
« Pas autant que je voudrais, » son regard ambré retourna se poser sur le visage doux de son interlocutrice. « Mais on trouve le temps comme on le peut. Autant fort qu’on aura tenté de me débarrasser de cette habitude, elle me colle à la peau ». Il haussa les épaules, comme s’il en niait la responsabilité. « Au fait, je m’appelle Milo. Si jamais tu cherche un partenaire de jeu, tu peux m’ajouter :  Wolf_Heart136. » Il sourit une nouvelle fois à la jeune femme, tenta de la rendre à l’aise. Il espérait qu’elle ne le trouvait pas trop naze; après tout il avait été habitué au rejet quotidien des filles de son ancienne école.

Un petit sourire. Une victoire qui le rendait bien heureux au fond de lui, arracher cette expression amusée à la timidité de la jeune femme alors qu’ils discutaient de leur passe-temps commun. Il ne put s’empêcher de sourire lui aussi après l’avoir vue faire, l’écoutant se présenter à son tour alors qu’elle serrait toujours contre elle le boîtier qu’elle avait choisi parmi les centaines d’autres. Rendre les gens heureux était vraiment l’un des plus grands plaisirs de Milo; même petit, il faisait le clown lorsque sa mère ou sa sœur était triste, leur apportant des dessins qu’il avait fait ou des numéros et spectacles inventés comme les enfants savent si bien le faire. Il n’avait jamais vraiment perdu ce trait de personnalité chez lui, supportant mal de voir d’autres personnes mal à l’aise ou tristes. Ainsi étaient-ils simplement là dans l’allée, leurs vêtements encore humides et leurs chaussures couinant sur le plancher de vinyle à discuter pour détendre l’atmosphère, et le sourire de Grace lui fit chaud au cœur. Il avait déjà été à sa place, plus jeune, intimidé par les inconnus et ne parlant que tout bas, la tête baissée, et il aurait tout donné pour avoir quelqu’un de simplement gentil qui l’aborde pour discuter de jeux-vidéos. Il avait bien-sûr eu son meilleur ami d’enfance, mais à eux deux, ils n’étaient pas exactement la paire la plus populaire de l’école. Ici au moins, ils étaient sauf des regards de côté et des pouffements de rires mesquins; la boutique était une sorte de havre pour les geeks et nerds de tous horizons, un endroit où il faisait bon de laisser libre-court à ses passions et même de s’y faire… des amis.
Il déboutonna un peu son manteau et défit son écharpe pendant qu’elle lui répondait, commençant à avoir chaud dans l’intérieur bien chauffé de la boutique.

« Enchanté Milo, je m'appelle Grace. Ou Ringwëlócë pour les intimes »

Du Quenya. Définitivement, cette Grace était une femme de grande culture. Il faisait partie de ceux qui en avaient appris quelques bribes après la lecture des livres et la sortie des films, tout comme il avait appris quelques phrases en Klingon et en High Valiryan sur Duolingo dans son temps libre, entraîné dans l’exercice par son ami polyglotte. Chose bien sûr qu’il ne disait pas nécessairement en public, mais dans un endroit comme celui-ci, c’était chose commune, entre les sections jeux-vidéos, comics et jeux de rôles, entre les figurines et les accessoires de GN.

« Je pourrais avoir besoin d'un partenaire de jeu fiable de temps à autre »

Il rigola doucement à cette phrase, haussant les épaules humoristiquement comme pour dire je suis là pour ça. Se retournant un instant vers les tablettes, il craqua finalement pour les deux titres qui l’intéressait, rangeant le boîtier de Ghost of Tsushima auprès de celui de The Last of Us dans le creux de son bras. « Ringwëlócë, c’est original comme pseudo, j’aime ça. Excellente ref d’ailleurs. Je t'ajoute en rentrant chez moi », dit-il avec un petit clin d’œil. Il lança sur un ton qui se voulait léger, tâtant un peu les eaux surnaturelles : « Amatrice de dragon ? ». Même s’il parlait de jeux-vidéos, c’était toujours bien de voir un peu dans quel camp ses interlocuteurs se rangeaient… voir s’il avait à cacher sa nature davantage ou non. Pour garder la conversation légère, il se dirigea vers des caisses rangées sur une table à quelques pas d’eux, et commença à fouiller dans les divers comics qui y étaient soigneusement rangés par titres et numéros de série. Il en sorti une vieille bande-dessinée des X-Men, admira les pages bien conservées, suivant des doigts les cases recouvertes de « BOOM » et de « POW » en lettres majuscules.

« Quand j’étais petit, je voulais être un X-Men. Mon préféré c’était Bobby Drake, Iceberg ». Quel enfant surnaturel ne se serait pas identifié à ces héros de BD, des mutants aux pouvoirs extraordinaires, exclus de la société mais toujours prêts à sauver le monde ? Milo n’avait pas fait l’exception. Cherchant désespérément une forme de validation dans les histoires racontées par les cases colorées, il s’était souvent demandé pourquoi les humains aimaient tellement les super-héros s’ils étaient dégoûtés par les êtres surnaturels qui les entouraient. Il s’était tant de fois endormi sur des comics ouverts sur son oreiller, rêvant d’être Spiderman, volant au secours des démunis à travers les buildings de New-York…

Les doigts feuilletant les centaines de comics serrés dans les caisses de bois comme des sardines, le zouwu ne manqua pas de remarquer que sa nouvelle connaissance ne cessait de rougir. Depuis qu’ils s’étaient foncés dedans accidentellement un peu plus tôt, un regain de couleur teintait les joues pâles de la jeune fille après pratiquement chaque phrase que Milo prononçait. Il ressentait bien sûr facilement la timidité émaner d’elle comme le ferait un parfum subtil, mais il ne fit pas de lien avec lui-même ou leur rencontre; il se dit qu’elle devait seulement avoir une personnalité de la sorte. De plus, sa rougeur n’était pas bien difficile à expliquer, il commençait à faire sérieusement chaud dans la boutique, leur vestes et manteaux à leurs bras ou accrochés à leur taille en témoignant. Alors qu’ils fouillaient tous deux un peu les BD sans ne trop savoir ce qu’ils cherchaient, laissant leurs regards effleurer les différents titres colorés de Marvel, DC, Dark Horse et compagnie, il jeta un petit coup d’œil furtif à la jeune femme, ses yeux sombres détaillant le visage fin et les longs cheveux d’ébène. Lorsqu’il lui avait demandé si elle était amatrice de dragon, elle avait répondu à demi-mot; et, curieux, il ne pouvait s’empêcher de se demander ce qu’elle était vraiment. Une humaine sympathisante ? Une surnaturelle comme lui ? Ce n’était pas si important au fond, mais Milo préférait généralement avoir une idée d’à qui il avait affaire – surtout dans ces temps politique troubles - habitude que leur mère leur avait inculquée depuis… l’incident. Ils n’étaient jamais trop prudents; les chasseurs pouvaient se démontrer très inventifs lorsqu’ils le voulaient, et le zouwu avait trop à perdre. Pour le moment, il ne sentait pas que Grace représentait une menace, mais pour être certain, il se promis de creuser la question lorsqu’il aurait l’occasion.

Lorsque le jeune homme mentionna son affection pour les X-Men, Grace ne manqua pas de rebondir avec une expérience semblable, ce qui le fit sourire avec douceur. « Durant un temps j'ai voulu être une Supergirl 2.0... et la vie s'en est mêlée et j'ai rêvé de normalité ». Quel enfant n’avait pas ses héros, ses modèles qu’ils retrouvaient affectueusement dans la chaleur de leur temps libres ? Pour Milo, se retrouver dans des personnages différents aux yeux des autres mais semblables à lui avait été crucial dans sa bataille pour trouver sa place dans le monde et son identité en grandissant. Au fil des cases, au fil des pages, dans les vies fictives de renégats au bon cœur sauvant le monde de sa destruction, petit Milo avait trouvé du réconfort, et la force d’avancer vers l’avant, l’envie de faire un monde meilleur que celui dans lequel il était né. Encore aujourd’hui, il conservait ses collections et, dans les moments plus difficiles de son entreprise révolutionnaire, repensait avec tendresse à ses héros d’enfance pour se donner du courage, se convaincre que les choses allaient finir par changer si l’on y mettait un peu de cœur. Il se demanda ce que Supergirl avait représenté pour Grace. La mention de souhait de réalité lui mis une fois de plus la puce à l’oreille; il ne connaissait pas son histoire, mais de nombreux surnaturels avaient souhaité n’être né qu’humain après leur révélation aux yeux du monde, et il pouvait facilement comprendre le sentiment, qui l’avait fait tourbillonner dans la lourdeur de la dépression quelques années auparavant. Le souhait que toute cette souffrance cesse, le souhait d’être comme les autres. Le souhait de cesser de courir, de pouvoir se regarder dans le miroir le matin sans craindre de se faire enlever, ou pire, tuer pour le simple fait d’exister. À la phrase de sa nouvelle connaissance, il ne put s’empêcher de lui jeter un regard profondément compatissant, le regard un peu triste de celui qui comprend, mais elle rattrapa rapidement le sujet avant que l’atmosphère ne s’alourdisse trop. « Heuresement que je peux rêver d'être qui je veux maintenant » Il ignorait si elle l’avait vu, mais il poursuivit en lui adressant un nouveau sourire, puis en reportant ses yeux sur les caisses. Grace lui semblait être quelqu’un qui avait du vécu, et du cœur. Il n’avait plus très envie de simplement aller payer ses boîtiers de jeu toujours sous son bras, de lui serrer la main et de retourner au confort de sa petite maison simple d’Edgewood. Il voulait poursuivre la conversation, apprendre à la connaître. Il pensa à Sören et se dit que s’ils l’avaient rencontrée dans leurs années à l’école, elle aurait très bien fonctionné dans leur petit cercle geek. Ils n’étaient plus à l’école, mais peut-être n’était-il pas trop tard pour se faire des nouveaux amis.
Le ramenant à la réalité, la jeune femme à l’Horizon Zero Dawn lui rappela ce dont il parlait quelques instants plus tôt. « Si je peux me permettre....pourquoi Iceberg.... » Cette fois, il sépara ses doigts des tranches de couverture et appuya sa main libre sur le rebord des compartiments de bois, reportant son visage sur celui de Grace. Un nouveau sourire, amical, simple. Il fit un signe de main vers le fond de la boutique, là où se trouvait la seconde salle garnie de tables pour les joueurs et d’un petit café. « Si tu veux et si tu n’es pas trop pressée, on peut en discuter autour d’un rafraîchissement, t’en dis quoi ? Tout ce chauffage m’a donné soif », rajouta-t-il en riant. Il espérait que ça ne lui mettrait pas de pression et qu’elle se sentirais à l’aise de refuser si elle ne voulait pas, ce qu’il comprendrait, vu comment ils venaient tout juste de se rencontrer. Mais Milo n’avait aucune arrière-pensée derrière ce geste; il était simplement heureux de discuter avec quelqu’un partageant les mêmes intérêts, quelqu’un qui pouvait le comprendre.

Milo avait toujours été un garçon plutôt réservé. Préférant observer plutôt que d’intervenir, détaillant les gens de loin, devinant leur caractère et petites habitudes avec les brefs aspects des passants qu’il pouvait saisir. On venait souvent davantage à lui qu’il allait vers les autres, ça avait toujours été le cas; attirant les amitiés comme du feu attire les papillons, son naturel doux et gentil avait quelque chose d’apaisant, de plaisant. Les introvertis se sentaient en sécurité avec lui, et les extravertis disposaient d’une oreille bienveillante prête à boire tous les bavardages. Il choisissait cependant ses amis proches avec parcimonie, et s’il y avait un sujet qui rassemblait à chaque coup ceux-ci, c’était leur passion commune pour le geek. C’était ainsi que c’était jadis construit le COSMOS crew, composé d’une poignée de jeunes gens passionnés. Cet endroit lui rappelait avec une nostalgie un peu triste les innombrables après-midi qu’ils avaient passé à bavarder du dernier film de Marvel ou de théories sur des séries autour d’un breuvage et de jeux de société, et s’il y venait encore régulièrement avec Sorën, ce n’était plus exactement pareil. Ce ne le sera plus jamais, pensait-il, mais là, alors qu’il bavardait avec une parfaite inconnue en plein milieu des comics depuis déjà un bon moment, il avait l’impression de la connaître depuis longtemps, comme une amie perdue puis retrouvée. Grace aurait fait une membre géniale de la petite bande, et en ce moment, il pouvait presque croire que ça avait toujours été le cas. Une partie de lui avait du mal à se refaire des amis depuis l’éclatement de leur bulle, de peur de faire revivre un tel traumatisme à de nouvelles personnes - car n’était-ce pas de sa faute si plus rien n’était comme avant ? En partie, certainement -, mais aujourd’hui, ici, il n’y pensait même plus.

Il laissa la jeune femme passer en premier d’un geste théâtral, sourire aux lèvres, alors qu’ils se dirigeaient vers le petit café. Laissant tout comme elle ses pochettes au comptoir, le gérant lui fit un clin d’œil, mais il n’en fit pas de cas, assumant qu’il était destiné à quelqu’un derrière eux. Le café était aussi occupé qu’il avait l’habitude de le voir, les tables remplies de petits groupes s’adonnant à des parties de Magic the Gathering ou de Pokemon sirotant leurs boissons avec délice. L’odeur familière de chocolat chaud et de cappuccino lui réchauffa le cœur : c’était comme sa deuxième maison, l’un des endroits où il pouvait vraiment être lui-même. Il commanda la même chose que d’habitude, un flotteur à la vanille avec des sprinkles arc-en-ciel, et paya pour le breuvage de sa nouvelle amie avant de les diriger vers une plus petite table pour deux personnes un peu plus en retrait. Un silence confortable s’installa alors que Milo déposait son manteau sur le rebord des chaises en fer, plongeant sa cuillère dans la glace crémeuse. « Alors... pourquoi Iceberg ? ». Le fait qu’elle n’avait pas lâché le morceau le fit sourire un peu alors qu’il posait son regard noisette sur elle. Il n’arrivait pas souvent aux gens de se rappeler des choses qu’il disait, et lorsqu’ils le faisaient, ça le prenait un peu par surprise. Grace enchaîna rapidement, comme si poser cette question l’avait un peu gênée : « Enfin tu n'es pas obligé de répondre, si tu ne veux pas ». Le zouwu enfourna sa cuillère dans sa bouche, savourant un peu le tout avant de répondre, balayant l’air de la main. « Oh, ce n’est rien, ce ne sont pas des infos top secrète haha… J’ai toujours aimé Iceberg parce que on va se le dire, les pouvoirs de glace, c’est trop cool. J’ai toujours envié les X-Men et leurs pouvoirs, et si j’avais à en être un, je serais celui-là ». Au moins les super-héros avaient des pouvoirs utiles, avait-il envie d’ajouter. Il pouvait bien avoir toute l’empathie de Gandhi et toute la vitesse d’Usain Bolt, ça lui prendrait plus que ça pour sauver le monde… ou son espèce de l’ombre. Il se rappela ce qu’elle lui avait dit sur Supergirl, et une fois de plus, le doute sur les origines de sa nouvelle amie se plantèrent dans son esprit. Rêver de normalité, ce n’était pas très commun chez les humains. Prenant une nouvelle bouchée, il rebondit sur sa question : « Et Supergirl ? Pourquoi rêver de normalité ? ». Il haussa les épaules joyeusement, les mains dans les airs, pour alléger le sujet même s’il brûlait d’en savoir plus sur sa mystérieuse nouvelle connaissance. S’il y avait une chance qu’elle prenne mal la question, ses pouvoirs de zouwu travailleraient à garder la bonne ambiance. « La normalité c’est naze. Regarde-moi, je fréquente cet endroit beaucoup trop souvent pour un gars normal, et je suis en pleine forme ! » Il pris une pause pour rigoler, avant d’ajouter sur un ton empathique : « Mais je comprends ton sentiment, je l’ai longtemps porté aussi ».