It's a little present... ft Ezra

Noël avait toujours été synonyme de famille pour Ezra. Un moment pour se rassembler, voir des personnes qu’autrement on ne voit pas souvent durant l’année, simplement prendre le temps de vivre et d’être heureux. Les rires et les sourires remplissant le Domaine à ce temps de l’année rendaient la maison vivante, compensant pour ses dimensions énormes qui, autrement, donnait souvent une certaine impression de vide, du moins du point de vue du dragon. Le Domaine était un bien grand espace pour seulement quatre personnes, et chacun aillant leurs occupations, il était rare d’y être tous en même temps pour partager un moment en famille. Le temps des fêtes en était ainsi l’exception, les décorations hors de prix et les dorures réchauffées par des guirlandes de lumière, le salon émanant des arômes de sapin et l’atmosphère relevée par les chansons classiques de Noël. Même Ezra s’y prêtait parfois, jouant ses pièces préférées sur son piano. Une chose qu’il n’avait jamais vraiment connu cependant, c’était de fêter avec des amis. Voir Aidan plus longtemps qu’un simple moment était risqué durant les vacances, et en dehors de lui, il n’avait jamais eu d’amis particulièrement proche, assez pour vouloir partager les festivités avec eux. Oublier cette solitude sociale n’avait jamais été facile pour lui, ainsi cette période portait à la fois une signature douce et amère pour le dragon qui n’avait jamais su tisser de liens forts avec d’autres personnes à l’école.

Cette année serait différente. Il s’était rendu à la Coline Dorée, vers une demeure qui avait toujours eu une place précieuse dans son cœur, et encore plus depuis qu’il avait fait la connaissance de Grace. Elle était ce qui se rapprochait le plus d’une amie dans sa vie, et les deux adolescents étaient devenus si proches, rassemblés par leur honnêteté brutale lors de leur première conversation au parc. Ezra avait aimé ce côté de la jeune femme, cette honnêteté qui ne cachait aucune intention malicieuse en dessous, juste la vérité, la simple vérité. Il pouvait être simplement lui-même en sa présence, et ça lui faisait du bien. Ainsi la considérait-il maintenant comme un véritable membre de la famille, une cousine sans liens de sang avec qui il pouvait passer des jours entiers sans se lasser ou se sentir de trop.
Ses traces de pas s’imprimaient dans la neige fraîchement tombée sur les rues de la Nouvelle-Orléans, seules marques foncées dans le paysage immaculé. Les tombées de neige de soir avaient cet effet de changer complètement l’atmosphère, de vous transporter presque dans une autre dimension. Ezra se disait que c’était comme marcher sur une nouvelle planète, une planète de glace et de froid… Bien thématique considérant la personne à qui il rendait visite, en ce lendemain de Noël.

Le présent qu’il avait acheté quelques jours auparavant était de retour sous son bras, bien emballé dans un papier recouvert de dessins de flocons, la petite étiquette lisant « Grace » dans une écriture soignée. Il traversa la large entrée menant au Sanctuaire Riverwood. L’esthétique de l’endroit lui avait toujours plu, avec ses briques et ses plantes grimpantes. Évidemment les plantes étaient absentes durant l’hiver, mais l’âge de l’endroit ne manquait pas de lui donner un air mystique et mystérieux, invitant comme le sont les vieilles bibliothèques. Un petit coup de sonnette à la porte, et celle-ci s’ouvrit sur le visage de celle qu’il était venu voir.

« Joyeux Noël Ezra, » lui dit-elle avant de le prendre dans ses bras. Le Stonegold la serra fort dans les siens, sincèrement heureux de pouvoir venir lui rendre visite dans les horaires parfois un peu bousculés de ce temps de l’année. « Joyeux Noël Grace ! », lança-t-il joyeusement dans un sourire tout en relâchant son étreinte. Ils fermèrent la porte en arrière d’eux, empêchant le froid de l’hiver d’entrer davantage, et il enleva son manteau qu’il accrocha sur un crochet libre. Ses mains tenant son paquet derrière son dos, il lança dans un sourire :
« J’ai quelque chose pour toi ! Ferme tes yeux ».
Il lui plaça le présent rectangulaire dans les mains, impatient de voir quel serait sa réaction lorsqu’elle déballerait le tout récent Cyberpunk 2077. Il la savait friande de jeux-vidéos, et même s’il ne connaissait que peu cette partie de la culture populaire, il avait assez entendu parler de celui-là pour savoir qu’il était très attendu. Il aurait pu attendre encore un peu avant de lui offrir son cadeau, mais il était de nature impatiente et il trépidait de l'intérieur de la voir savourer ce qu'il lui avait pris. Il se croisait les doigts qu'elle ne l'avait pas déjà !

Le demeure Riverwood avait toujours évoqué pour Ezra un profond sentiment de paix et de calme, bien davantage que sa propre maison. Si toutefois semblable par leurs dimensions grandioses, là où la villa d’or était plutôt froide, le manoir était chaleureux et vivant. Le dragon était bien conscient de sa chance de vivre sur un tel domaine avec sa famille, après tout, les demeures modestes de la plupart des gens ordinaires seraient troquées sur le champ pour l’architecture somptueuse et les dorures dans lequel vivait sa famille, mais le dragon ne pouvait se défaire du sentiment que la villa n’était plus qu’une gigantesque cage à oiseau, le retenant entre ses barreaux durant la guerre et aujourd’hui, lui rappelant sans cesse par ses grands espaces vides le manque de quelqu’un de très cher à son cœur. Il aimait son père et sa mère de tout son cœur, et n’échangerais sa sœur contre rien au monde, ainsi ressentait-il une certaine culpabilité à fuir sans cesse les richesses de sa maison, mais tout l’amour qu’il portait à sa famille n’arrivait pas à changer l’atmosphère oppressante qui semblait s’être déposé sur la demeure comme un voile invisible dans les souvenirs anxieux d’un enfant en temps de guerre.

Ainsi, lorsqu’il avait entré le manoir, maison de celles qu’il appelait tante et sa cousine, il avait senti un poids se soulever de ses épaules. La demeure émanait une aura tranquille et bienfaisant qu’il avait toujours adoré depuis la première fois qu’il y avait mis les pieds, et le visage doux de Grace vint rapidement compléter le portrait; ici, il était chez lui. Un endroit où il ne devait épier ses paroles, où il ne devait feindre d’être plus grand que ce qu’il était, un endroit simple où il était bien. « Je peux l'ouvrir tout de suite ? » Ezra s’empressa d’acquiescer et ne put que refléter le sourire de Grace qui tenait le paquet aux flocons entre ses mains. La hâte qui agita les doigts de la dragonne sur le papier d’emballage le fit rigoler doucement, trépidant de voir sa réaction au toucher du boîtier jaune citron. Il n’avait lui-même pas énormément de culture en jeu-vidéos, préférant la lecture aux boutons géométriques, mais il savait comment c’était un passe-temps important pour elle et à l’avoir entendu de maintes fois parler des nouveaux titres qui l’intéressait, il avait été plutôt confiant dans son choix.  Visiblement, il ne s’était pas trompé. « Merci beaucoup Ezra », dit son amie avant de le serrer dans ses bras une nouvelle fois. Il lui donna une petite tape amicale dans le dos avant de s’avancer avec elle davantage dans la maison.« Ce n’est rien. Je savais que tu l’attendais depuis longtemps ». Le jeune Stonegold la suivit au salon pour saluer chaleureusement les autres membres de la famille puis la suivit dans sa chambre, là où ils allaient toujours pour discuter ou passer du temps ensemble. Il s’installa sur le canapé de la jeune femme, les jambes croisées, alors que celle-ci fouillait dans une armoire appuyée sur l’un des murs de la pièce. « À ton tour de fermer les yeux », lui dit-elle, et il les ferma, non sans résister à l’envie de tricher; il était même un peu nerveux, ne s’attendant pas à ce que Grace lui fasse à lui aussi un présent. Il n’avait jamais été très à l’aise à l’idée de recevoir des cadeaux de ses amis, sentant la fortune de sa famille faire une pression supplémentaire sur ceux-ci; après tout, s’il voulait quelque chose, il n’avait qu’à la prendre, et il était conscient de comment ça pouvait être difficile de faire des surprises à des gens comme lui. Malgré tout il était curieux de voir ce qu’elle avait concocté pour lui. Le dragon sentit un léger poids s’ajouter à ses mains offertes, et ses doigts détectèrent une forme carrée sous le papier. « Tu peux les ouvrir maintenant ». Dans sa paume reposait une toute petite boîte dorée, référence qui le fit sourire sincèrement, et après le papier soigneusement enlevé et la boîte ouverte, le vert de ses yeux s’illumina de mille étoiles, ayant énormément de mal à cacher sa surprise. Dans la boîte reposait une chevalière impressionnante. Marbrée de jaune et d’argent, un dragon soigneusement gravé dans le métal s’y reposait, incrusté de petit cristaux transparents; en y passant doucement le bout de son doigt, il réalisa qu’il s’agissait en fait de glace. De la glace magique, qui ne fondait pas. La tournant sous la lumière de la chambre, il observait la qualité extraordinaire de l’objet infusé de sorcellerie. « Je…. Wow. » Les mots lui manquaient certainement. Il n’avait jamais vu rien de tel, même son catalyseur faisait pâle figure devant une telle œuvre d’art. Ça avait dû coûter une fortune, surtout avec de la magie impliquée. Ses joues rosirent un peu de malaise en pensant au présent qu’il lui avait offert, si impersonnel et insignifiant en comparaison. Il glissa la chevalière sur sa main opposée à son catalyseur à tête de dragon. Il avait l’air d’un vrai noble maintenant. À son tour de prendre la dragonne dans ses bras.

« Merci… c’est si magnifique, j’en perds tous mes mots… » Il rit un peu nerveusement en faisant un signe de la main vers le jeu vidéo. « Même Cyberpunk ne compétitionne pas avec un tel présent ». Il avait eu peur de paraître trop extra s’il prenait quelque chose de coûteux à la dragonne de glace, mais l’an prochain, il allait devoir rattraper tout ça. Son regard à la fois impressionné mais aussi un peu inquiet se reposa sur Grace. « Où as-tu trouvé un tel bijou ? Ça n’a pas dû être facile de te le procurer… » il espérait surtout qu’elle n’avait pas flambé toutes ses économies pour lui, ou qu’elle ne s’était pas mise en danger pour se procurer un artéfact de la sorte.

Ezra remarqua bien sûr la couleur s’ajouter aux joues blanches de sa cousine alors qu’il prononçait son admiration teintée d’une légère gêne, alors qu’il comparait en esprit son cadeau, qu’il regrettait un peu de ne pas avoir davantage personnalisé, et le sien qui était si impressionnant autant en finesse que dans toute la considération pour son identité et leur relation amicale, le tout mis dans un aussi petit objet. Même si le jeune dragon se rendit bien vite compte que ça n’importait que peu à la Riverwood, il ne pût s’empêcher de ressentir un certain malaise vis-à-vis de sa simplicité naïve. Mais une idée naquit dans son esprit alors qu’il réfléchissait à une façon de reprendre le tout; une activité créative auquel il s’était adonné durant les congés et qu’il aimerait bien partager avec elle si le cœur lui en disait.

« D'une, avec ce jeu tu m'offres une nouvelle vie parce que pour moi, chaque jeu vidéo me permet d'avoir une nouvelle vie. Et de deux et bien... » elle fit un petit geste de la main avant de rougir encore un peu plus. Ezra, par politesse, fit comme s’il n’avait pas remarqué. Après tout, Grace avait toujours été un peu timide, ça avait toujours été comme ça depuis qu’ils s’étaient rencontrés la première fois, et ce trait de personnalité n’allait pas partir de sitôt, il le sentait. « C'est du sur mesure mais il ne m'a presque rien coûter donc interdiction d'en faire toute une histoire Ezra » il rigola un peu en souriant, secouant sa tête doucement : « D’accord, d’accord, si tu le dis ». Il s’enfonça un peu plus profondément dans le sofa confortable, une aisance familière qu’il ne se permettait que devant un cercle très restreint de personnes. Grace en faisait partie; il savait qu’il n’avait pas besoin de maintenir de masques devant elle, ni devant Rhea d’ailleurs. Croisant ses jambes ensembles, il leva une fois de plus sa main portant la chevalière pour admirer le travail d’orfèvre plus qu’admirable. « Ça me donne un sacré style, tu trouves pas ? Même mon catalyseur pâlit à côté, avec ça, personne pourra me résister », ajouta-t-il en rigolant une fois de plus. Il aimait faire l’ultra confiant pour rire, même si le reste du temps, dans sa vie quotidienne, il le faisait un peu sérieusement sans s’en rendre compte. Passant ladite main dans ses cheveux pour replacer les mèches rebelles, il se retourna vers Grace. « On pourrait se faire du chocolat chaud. Et regarder un film, ou jouer à quelque chose ». Après un instant où il sembla réfléchir, il continua : « À vrai dire, j’avais un truc sur lequel j’ai travaillé que j’aimerais te montrer ». Ezra ne s’était jamais considéré comme un écrivain, pas même un écrivain en herbe; mais un soir où il avait souffert d’insomnie, il avait décidé de faire quelque chose de productif des heures de sommeil perdues.

Normalement, Ezra était le genre de personne qui semblait tout réussir ce qu’il entreprenait, du moins dans les yeux des autres. Joueur de piano décent, il était aussi doué dans différents sports et dans l’art oratoire – dans son cas, l’art de paraître aussi sévère et sérieux que son père, un adulte plié en origami dans le corps d’un adolescent qui n’a même pas encore terminé sa croissance. Ainsi, rien dans son attitude ne le montrait, mais le jeune Stonegold était en réalité particulièrement nerveux à exposer le produit de ses nuits névrosées à des yeux extérieurs. En effet, il était plutôt secret avec les arts qu’il tentait dans la pénombre douce de sa chambre, ne laissant filtrer parfois que les notes musicales sous la porte ou quelques pièces pour Shoshana. Récemment ses mains s’étaient adonnées à l’écriture, et bien qu’il se sentît comme un ébéniste en herbe ne produisant que des sculptures brouillonnes aux traits grossiers, il s’était pris d’affection pour le manuscrit qu’il gardait précieusement dans son sac, désireux de le montrer à sa cousine. C’était le genre de création qu’il n’osait même pas montrer à Aidan, ni à ses parents d’ailleurs, ni à n’importe qui d’autre de peur de réduire leur opinion à son sujet; c’était après tout un peu enfantin, pas très professionnel ou digne d’un étudiant en sciences comportementales. Il sentait cependant Grace avoir un regard moins effrayant sur ce qu’il faisait, une présence dénuée de jugement. Ça avait toujours été le cas, et vraiment, pour l’instant il sentait qu’elle était la seule à qui il pouvait lire sa création sans ne craindre de se réduire à ses yeux. Le Lightstorm venait lui-aussi d’une grande famille, et malgré l’affection infinie qu’il lui portait, ils venaient de milieux trop semblables pour qu’Ezra ne se sente complètement libre de ses gestes et paroles.

« Prépare tout alors, je vais chercher nos boissons », lança la dragonne en se levant du sofa. Un sourire aux lèvres, Ezra se cala un peu plus dans le tissu confortable, essuyant discrètement ses mains sur son pantalon en tentant de cacher sa nervosité. À bien y penser, c’était vraiment trop mauvais pour être lu à voix haute, mais il ne pouvait plus reculer. Il n’eût pas à attendre longtemps avant que Grace réapparaisse avec deux tasses fumantes à la main, une odeur réconfortante chocolatée remplissant la pièce d’une atmosphère du temps des fêtes. « J'ai réussi à ne pas les refroidir cette fois ». Le dragon de fer laissa échapper un petit éclat de rire complice. Il se souvenait de ses débuts, lui aussi, tentant d’apprivoiser ses pouvoirs en s’enfermant involontairement dans la salle de bain parce qu’il avait déformé la poignée. Aujourd’hui les chocolats resteraient bien chauds, et les métaux laissés à leur fonction d’origine. « Alors, qu'est-ce que tu voulais me montrer ? ». Le Stonegold lui fit de la place sur le sofa, en attrapant l’une des tasses au passage, dévoilant le petit cahier qui reposait déjà sur ses genoux. « J’ai écris une petite histoire, parce que j’arrivais pas à dormir, » commença-t-il. « Mais c’est pas excellent, on peut faire autre chose si tu préfère ». Il s’apprêtait à ranger le carnet dans son sac, cherchant un échappatoire en balayant la pièce de ses iris pâles, enfouissant sa bouche dans le liquide sucré pour camoufler son léger malaise. Un héritier des grands Stonegold, de deux vétérans de la Guerre, écrivant des histoires pour enfant comme s’il n’avait rien de mieux à faire. Ce n’était peut-être pas une si bonne idée que ça, finalement. Il pris note de brûler le tout dans la cheminée lorsqu’il reviendrait chez lui.

« Noon ! ». Le cri de Grace arracha un petit sursaut au dragon qui failli lui faire renverser sa tasse de chocolat. La voyant rougir de plus belle, il balaya le tout du revers de la main, sourire en coin accroché aux lèvres. La gêne de la dragonne ne lui était pas inconnue, et plutôt que d’enfoncer le clou et d’empirer son état, il préférait lui laisser savoir que ce n’était rien. « Enfin ce que je veux dire c'est que... j'aimerais vraiment l'entendre. Et un auteur n'est jamais satisfait de son œuvre, il faut bien une tierce personne pour juger de son excellence ». Il savait qu’elle disait vrai; ça ne lui arrivait jamais de composer une nouvelle mélodie, d’écrire un nouveau morceau d’histoire, de griffonner un petit dessin sur le coin d’une page et de se sentir satisfait de ce qu’il avait créé. Il s’était souvent demandé ce que les grands compositeurs de ce monde avaient eux-mêmes pensé de leurs œuvres après les avoir mises au monde. Beethoven avait-il hésité, lui aussi ? Tchaïkovski ? Il était très loin de pouvoir se comparer à même une parcelle de ces grands hommes, mais il aimait bien penser que ces doutes envers ses propres créations était quelque chose d’universel. Ça rendait toute l’expérience plus humaine. La dragonne de glace lui rendit un mince sourire et vint serrer brièvement sa main. Il sentit son cœur fleurir de contentement. Rares étaient les moments et les personnes qui arrivaient à le rendre heureux, parfaitement, pleinement et purement heureux. La famille Riverwood prenait l’une de ces places dans sa vie, et partager des moments avec Grace lui avait fait comprendre depuis le tout début. Depuis cette promenade dans un parc balayé par les couleurs de l’automne, un chocolat chaud semblable à celui qu’ils buvaient à la main, ils avaient connecté comme s’ils avaient été une famille depuis toujours. Cousins par choix, famille tout aussi réelle. « Et qui te dit que ce ne sera pas un futur best seller, Agatha Christie aussi pensait que ses livres n'étaient pas excellent et regarde aujourd'hui ». Il se laissa aller à un rire léger. Grace savait toujours trouver les mots pour lui insuffler un peu de courage. Les pages du carnet frémirent sous le contact de ses doigts, ne demandant qu’à être lue, qu’à être partagées au moins avec un autre esprit attentif. À quoi servaient les histoires si elles n’étaient jamais connues ? « Je doute fort décider de la publier un jour, mais elle me trottait dans la tête depuis un moment, et je n’ai pu résister de la transcrire sur papier. Tu as gagné, je vais te la lire, mais seulement si tu promets de ne te moquer ». La vérité était qu’elle s’était un peu écrite toute seule, ne se servant que de la main d’Ezra pour se donner naissance, inspirée par l’atmosphère toute particulière et frivole du temps des fêtes et d’une chanson de Noël bien simple dont il ne se souvenait plus la provenance. Il soupira doucement, et se décida à ouvrir la couverture en faux cuir noir, laissant les mots s’envoler d’eux même et faire leur magie, remplir leurs têtes d’images et de la chaleur des contes.


« Il était une fois… Un prince valeureux et fier qui s’était fait nommer chevalier. Il était vêtu d’une armure toute dorée et d’une lourde cape rouge, volant derrière lui comme son propre étendard alors qu’il cavalait vers de nouvelles aventures. Le prince était désireux de prouver sa valeur au roi, car il n’avait guère vu de batailles ou de grandes guerres, et il souhaitait pouvoir gagner l’honneur de rejoindre les rangs des héros de son monde. Alors il décida de partir sur son grand destrier blanc, à la recherche de monstres à terrasser et de duels à remporter »


« Ses voyages le menèrent dans d’autres contrées, vers d’autres horizons, et il rencontra maintes créatures et personnages, de la Manticore à la Tarasque, du voyou à l’aristocrate. Il fit boire son épée au sang de terreurs et chercha la sagesse de nombreux sorciers, mais même après des années d’errance et d’aventures, il n’avait toujours pas trouvé quelque chose à la hauteur de ses aspirations. Ce n’était jamais assez grand, jamais assez impressionnant. Un jour, il eut vent de l’héritière d’un trône prisonnier d’une terrible tour enchantée, et décida d’aller la secourir, et de demander sa main pour la marier dans son royaume. Il s’avérait que cette héritière était la fille du royaume ennemi, mais le prince ne le savait pas encore. »


« Il dû traverser forêts, rivières et déserts pour atteindre la tour maudite. Il était fatigué, il avait presque abandonné, mais finalement la tour s’était étirée devant lui comme une flèche dans le ciel, ne demandant que son secours. Il avait monté des marches et des marches et des marches pour se rendre jusqu’en haut : cette tour était bien plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur, et la légende racontait que seul un chevalier au cœur pur pourrait la gravir et venir en secourir son occupant. Après cinq jours d’escalade éreintante, il atteint finalement la porte renfermant sa promise. Mais lorsque celle-ci s’ouvrit, il découvrit que l’occupant n’était pas une princesse, mais un prince, tout comme lui. Un prince à l’armure sombre et aux armoiries enflammées : celle du royaume ennemi. »


« Les deux princes descendirent ensemble la tour dans le silence : ils étaient promis l’un à l’autre, c’était la prophétie, mais leur amour était impossible. Comment deux princes de royaumes ennemis pouvaient-ils s’aimer ? Sans guère mots ni parades, ils chevauchèrent ensemble vers l’horizon, fonder leur propre royaume là où personne ne pourrait les juger et les empêcher de s’aimer. Naquit de leur union un règne où la paix et la tolérance prévalait, loin des querelles et des quêtes de pouvoir des hommes ordinaires. »

Ezra referma rapidement son carnet, le feu aux joues. Son histoire était évidemment inspirée d'Aidan, mais une partie de lui espérait que Grace ne lui demanderait pas. Il n'était pas certain s'il serait capable de tout avouer. Il leva son regard vert vers la dragonne de glace, anxieux de savoir ce qu’elle en penserait.

« Et ils vécurent heureux pour toujours ».
Ezra sourit doucement à travers la teinte rosée de ses joues. « Oui ». Dehors, la neige avait recommencé à tomber, lourdes peaux de lièvres collant aux vitres givrées. Peut-être était-ce cette ambiance douce et festive qui lui souffla l’envie de parler davantage. Peut-être avait-il espéré, au fond de lui, que sa cousine décèle le deuxième sens qu’il avait conféré à son conte, qu’elle lise à travers les lignes, qu’elle y voit comment il y avait traduit les élans les plus secrets de son cœur adolescent. Blotti sous une couette qu’il avait agrippé sur le canapé, ils restèrent en silence un petit moment, regard perdu confortablement dans les flammes de la cheminée. Tout était plus simple ici. Observant la lueur du feu, serrant son texte contre son torse, il souhaita qu’il puisse avoir davantage de moments comme ceux-ci. Sans soucis, sans pression, sans parades, sans tambours ni trompettes. Rêvant d’un Noël éternel à discuter de tout et de rien, à se partager leurs dernières créations, à essayer les derniers jeux vidéos dont Grace lui parlait souvent. Pourtant, malgré le calme serein de la journée, Ezra ne sentait pas tout à fait en paix. Une seule envie lui brûlait toujours les lèvres, un seul nom lui revenait en tête, souvenir ranimé par la chaleur du feu dans l’âtre. Aidan. Oh, comme il aurait voulu pouvoir le présenter à toute sa famille, à Grace, même à Rhea à qui il avait déjà avoué le tout. Mais la réalité voulait les choses autrement. Un nom tut, des baisers cachés, une affection dissimulée. Il aurait voulu crier son prénom sur tous les toits, et il était réduit au silence. Il ouvrit la bouche après quelques minutes, décidé à en parler à sa cousine, puis se renfrogna. Peut-être plus tard. Plus tard, il aurait le courage de parler, et à elle aussi, il lui avouerait tout. Quel mal avait-il à craindre ? Grace ne révélerait pas son secret, il la connaissait bien assez. Elle ne le trahirait jamais. Et pourtant, la crainte restait bien réelle, bien tangible, agrippée à pleines griffes au fond de son cœur inquiet.

Le reste de la journée s’annonçait tranquille. Des jeux, des discussions, peut-être même une bataille de boules de neige à l’extérieur, pourquoi pas. Deux dragons sans lien de sang rassemblés comme une seule famille, loin de leurs soucis, loin des peurs et des angoisses. Aujourd’hui il leur était permis d’être simplement adolescents; et si les fins heureuses n’étaient pas toujours garanties comme dans les fables, ils pourraient du moins y croire jusqu’à la fin des festivités hivernales, chocolat chaud à la main.