Certaine chose ne changent jamais, presque jamais. [PV Aurore]

Aurore était restée chez elle aujourd’hui. Elle aurait aimé aller s’entraîner avec le Cercle, avec Raven, mais elle restait une étudiante, avec des devoirs à faire et des cours à réviser - même si parfois, elle avait envie de tout plaquer. Les leçons, les formules, tout ça semblait si dérisoire quand on savait que la magie était réelle, que les êtres surnaturels existaient, et qu’il y avait encore tant d’injustice malgré tout ça. Elle préférait, de loin, s'exercer à combattre. Que ce soit par peur, par vengeance, pour les tuer, ou pour les capturer et faire des recherches dessus, améliorer l’humanité… La jeune fille n’aurait su vraiment dire pourquoi elle faisait ça, exactement. Mais ça ne changeait rien : c’était quand même ce qui avait le plus de sens, pour elle, dans une vie qui semblait en manquer.

C’était une belle journée. Une journée calme, ensoleillée, une journée qui n’avait aucune raison de mal se passer - et que pourtant la blonde n’arrivait pas à apprécier. Elle ruminait, elle ressassait, elle passait en boucle dans son esprit sa discussion avec la sirène. De cette manière, impossible de se concentrer, encore moins sur des choses qu’elle trouvait de plus en plus futile. Les mots tracés sur les feuilles se mélangeaient avec ceux d’Odalie, alimentant son agacement et sa rage.

Finalement elle abandonna, elle envoya bouler toute ses sottises. De toute façon l’histoire n’était plus qu’un tissu de mensonges, alors pourquoi s’embêter ? Tout ça ne servait à rien, ne servait plus à rien.

Balancer son cahier à l’autre bout de sa chambre l’apaisa un peu. Mais pas assez. Elle était en colère, comme d’habitude, et parfois elle était fatiguée de l’être. Mais ses quelques phrases échangées avec la sirène étaient le plus proche contact qu’Aurore ait jamais eu avec le surnaturel - enfin c’était ce qu’elle croyait. Néanmoins, tant qu’elle penserait ça, ça n’allait pas arranger les choses, ça n’allait pas cesser d’alimenter sa haine. Tant qu’elle penserait ça, elle n'avait pas d'autre choix que de tous les détester. Même si sa fureur l’épuisait, quelque part c’était la seule chose qu’elle avait pour ne pas s'effondrer.

Elle était loin d’imaginer à quel point elle se trompait, à quel point elle avait été plus proche du surnaturel que ce qu’elle pensait. Et justement…

… À ce moment, l'interphone du portail sonna.

Aurore fronça les sourcils. Ils n’attendaient personne, et peu des gens qu’elle ou son père connaissait étaient du genre à se pointer à l’improviste - en tout cas pas lors des horaires d’entraînement du club de Rugby.

Elle s’attendait à une pub, ou à un bénévole d’une quelconque association peut-être, elle s’attendait juste à du démarchage - certainement pas à la vague de nostalgie teintée de tristesse qui la prit d’un coup en voyant, par l’écran de l’interphone, qui se trouvait devant le portail des La Ferté.

La fille d’Allie.

Une de ses filles en tout cas, et pas n’importe laquelle : celle dont Aurore avait été la plus proche, son ancienne meilleure amie, qu’elle avait perdue de vue peu après avoir perdue Allie. À un moment où la petite française de treize ans seulement avait cruellement besoin de soutien, ne plus pouvoir compter sur celui de Daisy et de toute la fratrie avait été tout aussi horrible que le reste.

Et sans doute que ça n’avait rien arrangé, sans doute que ça avait participé à l’état dans lequel Aurore était aujourd’hui, mais elle était à mille lieues de s’imaginer ce qu’il s’était réellement passé, les véritables raisons de la mort de cette douce femme - et aussi celle de son fils, elle l’avait appris plus tard.

Mais est-ce que ça aurait vraiment changé quelque chose ? Même si la chasseresse ne connaissait pas tous les détails de l’histoire, un point ne changeait pas : Allie avait bien été tuée par des créatures, comme la petite fille l’avait pensé à l’époque et le pensait toujours. Ce qu’elle ignorait néanmoins, c’est qu’Allie elle-même en était une aussi - et ses enfants également.

Daisy ne faisait pas exception à la règle. Mais cela, Aurore ne le savait pas. Tout ce qu’elle savait c’est qu’une amie qu’elle avait pensé ne plus jamais revoir se trouvait devant chez elle, un air mal assuré sur le visage.

La blonde eut du mal à retenir ses larmes - étaient-ce des larmes de tristesse dû à toutes les réminiscences que cela faisait remonter, ou bien des larmes de joie de la revoir ? sans doute un savant mélange des deux. Dans tous les cas c’était des émotions belles, sincères, qu’Aurore avait perdu l’habitude de ressentir pour quelqu’un d’autre que son père.

Appuyant sur le bouton avec un peu trop de force, comme si ça allait ouvrir le portail plus vite, elle courut dehors. Arrivée devant l’autre jeune femme, néanmoins, elle s’arrêta. On aurait dit qu’elle avait peur de voir ses espoirs brisés une fois de plus, comme si c’était trop beau pour être vrai. Elle ne sentait même pas la fraîcheur qui mordait sa peau alors qu’elle était sortie précipitamment, sans enfilé de veste. Elle avait oublié tout ce qu’elle ruminait, tout ce qui la tracassait ce jour-là, tout avait été repoussé au loin par le doux sentiment des retrouvailles.

-Daisy… Daisy Carter, c’est vraiment toi… ?

Elle avait une voix ténue, tremblante, et elle n’osait pas faire le pas de plus qui les séparait maintenant - comme si elle n’y croyait pas vraiment, comme si ça n’était qu’un rêve et qu’elle s’apprêtait à se réveiller… Comme si, au moindre geste, tout allait se briser.