Don't get too close, it's dark inside. ⦿ Erebos & Isra

Don't get too close, it's dark inside

Le jeune homme voulut se relever trop vite et faillit retomber dans les pommes, comme Isra l’avait prédit. Il tenta de sourire, de s’excuser, comme si c’était de sa faute, comme s’il avait peur de la déranger par sa simple existence. C’est le sentiment qu’elle avait en tout cas, qu’il était un peu comme elle quelque part, qu’il avait l’impression de n’être à sa place nulle part - surtout pas là, à empêcher une employée du musée de faire son travail. Elle aussi aurait envie de disparaître, à sa place, comme elle avait eu envie tant de fois ; comme elle l’avait fait tant de fois.

Elle faillit s’excuser aussi. Désolée, désolée que tu sois comme moi, désolée que tu ressentes la même chose que moi.

La djinn tressaillit en entendant son nom. Un nom si réputé, si puissant, si fort, et pourtant Reby n’avait l’air rien de tout ça. Peut-être qu’il était un rejeté de son propre nom lui aussi, peut-être qu’il le gardait par mélancolie alors qu’il ne faisait plus partie de cette famille, comme elle, comme elle à nouveau.

Et il répéta son prénom à elle. Il avait l’air perdu, comme un oiseau tombé du nid, avec ses tics un peu bizarres qui lui agitait les paupières et les muscles du visage, mais il n'avait pas l'air méchant non plus. Isra commençait à avoir une idée de qui étaient ses ennemis, à lui. De pourquoi ça avait été plus facile de le calmer avec ses illusions.

Mais il n’était plus là pour parler de ses peurs à lui. Elles étaient parties, il n’y pensait déjà plus. La djinn les avait chassés, temporairement sans doute, mais maintenant il pouvait voir les siennes, son regard de proie en fuite, comme si elle était en danger perpétuel. Il pouvait voir qu’elle aussi, elle était effrayée, si terrifiée par la vie, par la mort, par son passé, par son futur incertain, par tout.

Isra, pourquoi t’as peur ?

Pourquoi ?

Parce que je suis une criminelle, avait-elle envie de répondre. Parce qu’on ne m’as pas laissé le temps de vivre, parce qu’on ne m’as pas donné le choix, parce que je ne suis pas tombé sur les bonnes personnes, parce que j’ai obéi, j’ai laissé faire, j’ai fermé les yeux parce que je ne savais pas quoi faire d’autre. Et parce que j’en ai laissé d’autres derrière moi, parce que j’ai fui, parce que j’ai honte.

Isra, pourquoi t’as peur  ?

Une larme roula le long de sa joue sans vraiment qu’elle s’en rende compte, décontenancée par la question. Parce qu’elle avait grandi comme ça, parce qu’on l’avait modelé comme ça, parce qu’elle n’avait jamais vraiment été maîtresse de son propre destin et qu’elle avait laissé les autres la façonner comme ça.

Isra, pourquoi t’as peur ?

-Parce que c’est qui je suis, répondit-elle dans un murmure, en baissant le regard pour ne pas recroiser le sien.

Elle avait peur, une fois de plus, peur qu’il la juge, peur qu’il ne la comprenne pas, parce que qui pouvait la comprendre ? Elle-même n’était pas sûre de bien le faire. Peur qu’il lui rajoute des peurs, peur qu’il fasse partie de ses peurs. Peur, peur, peur, parce qu’elle ne connaissait que ça, l’angoisse au fond de son ventre, les frissons de l’anxiété le long de sa colonne vertébrale.

Peur parce que sa peur l’étouffait et qu’elle ne savait pas comment s’en sortir.

Don't get too close, it's dark inside

Étouffée, noyée, sous l’amoncellement de ses peurs, sous la tristesse, sous les regrets, Isra en avait presque oublié la gentillesse. Elle essuya sa larme d’un geste vif, honteux, elle voulut s’excuser, mais le jeune homme la prit de court en passant maladroitement un bras autour d’elle.

Un calin. Il lui faisait un câlin, il tentait de la réconforter, et elle sourit ; même s’il y avait de meilleures méthodes, même s’il n’était sans doute pas zouwu, elle pouvait sentir son intention. Et ne disait-on pas que c’était l’intention qui comptait ?

Elle pouvait sentir la gentillesse qu’il essayait de lui offrir, elle pouvait sentir son message : je ne veux pas t’effrayer. Et elle lui en était reconnaissante, pour ça. Alors ses lèvres s’étirèrent un peu, juste un peu pour lui dire un silencieux merci.

Il essaya de la réconforter, il n’avait pas les bons mots, mais l’intention était là, encore. Et Isra, de tout son cœur, savait à quel point les intentions étaient importantes. C’était la seule manière qu’elle avait trouvé pour ne pas trop s’en vouloir, pour se dire que ce qu’elle avait fait, que ce qu’elle faisait était juste. S’il n’y avait pas les intentions… S’il n’y avait pas les intentions alors, elle était juste la plus horrible des personnes.

Et dire qu’elle était censée vivre éternellement.

Elle ne voulait pas de ça. Sa nature de djinn avait toujours été un tel fardeau à porter pour elle, un fardeau trop lourd dont elle aurait aimé se débarrasser, un fardeau dont pourtant elle ne pouvait se délivrer. Elle était encore trop jeune, beaucoup trop jeune pour imaginer ce que pouvait être l’immortalité, et pourtant elle en était déjà terrifiée. Terrifiée de ses idées passée dans le noir, terrifiée de ne pouvoir s’attacher à personne, terrifiée de ne pas bouger alors que le monde changeait autour d’elle. Terrifiée par sa propre essence.

On disait que les djinn étaient plus résistants à ces choses-là pourtant. Que de par leur race même, leurs esprit supportaient mieux. Mais Isra ne se sentaient pas capable de mieux supporter. Elle ne se sentait pas capable de vivre tout ça, elle ne se sentait même pas capable d’attendre dans le purgatoire pour l’éternité.

Elle n’avait jamais souhaité ça, elle n’avait jamais souhaité tout ça.

Et Erebos semblait pouvoir lire tous ses sentiments dans son expression, et il essayait d’y répondre. À sa façon, avec ses paupières qui clignaient trop fort et trop vite, en communiquant avec des mots un peu à côté, mais ça n’était pas grave. Il lui rappelait parfois un enfant, parfois un être trop profond, trop blessé, et ses mots la touchèrent tout de même.

Personne ne peut être la peur.

C’est vrai, personne n’était la peur incarnée, sans doute, et tout le monde l’était à la fois. Mais ça n’était pas ce qu’elle voulait dire. Elle, non, elle ne faisait peur à personne ; elle était Isra, l’invisible Isra, la transparente Isra. Certaines personnes avaient peur des fantômes c’est vrai, mais beaucoup n’en était pas effrayé tant qu’il les voyait pas. Et elle, personne ne la voyait. C’était mieux comme ça.

Enfin, presque personne. Reby faisait partie de ces gens qui l’avaient remarqué. Sans doute parce qu’elle l’avait sauvé, sans doute que ça avait tout changé et que sans ça, elle serait restée aussi anonyme à ses yeux qu’au reste de tout le monde. Elle n’était qu’une petite employée au milieu d’une immense machine aux milles nuances sophistiquées. Elle n’était qu’une poussière au milieu des pierres précieuses, qui éblouissait à la fois ses propres yeux et ceux des autres, assez en tout cas pour qu’ils ne la regardent pas, elle.

C’était ce qu’elle avait voulu après tout. Mais de tous ceux qui croisaient son chemin sans jamais la discerner, il y avait ses rares individus au milieu, et tous l’avaient marqués.

Le blond ne faisait pas exception, pour une fois.

-Tu as raison. J’aimerais ne pas avoir peur… susurra-t-elle en réponse, un peu trop tard.

Mais le gargouillement du jeune homme fut plus fort que sa voix et lui tira un autre sourire attendrissant. Il lui posa une question et elle s’aperçut qu’elle n’avait pas mangé de bonbon depuis très longtemps, depuis si longtemps. Depuis Rhys.

Reby avait raison en un sens, on ne pouvait pas avoir peur en mangeant des bonbons, elle avait toujours vécu ses instants avec Rhysand comme parmi les plus profondément heureux de sa vie. Elle se rappelait de leurs histoires, elle se rappelait des histoires et… un sanglot s’étouffa dans sa gorge. C’était fini, tout ça. Elle ne récupèrerait jamais ces moments-là, elle ne pourrait plus jamais en passer avec celui avec qui partageait ses bonbons avec elle à la base, avec son étoile.

Mais elle pouvait en passer quelques autres, des moments au goût doux-amer, des moments au goût de la nostalgie qui lui serrait le cœur. Jamais elle n’oublierait ceux qu’elle avait passés, jamais elle ne voudrait les oublier. Le goût des bonbons serait celui des souvenirs perdus.

-Je veux bien, accepta-t-elle alors à mi-voix. Mes préférés, ce sont les fraises tagada.

Elles lui rappeleraient toujours les instants passés avec une de ses deux personnes préférées au monde.

Et elle suivit Reby vers le distributeur, accompagnée par le fantôme des souvenirs de ses moments heureux, et par celui des nouveaux qu’elle allait se faire…