Curiosity teasing everyone (Milo)

Le soleil était à peine levé, caressant les nuages d’Edgewood de douces couleurs alors que la ville dormait encore, baignant le Washington Zoo d’une chaude lumière de printemps. À l’intérieur des grilles, les différentes allées et boutiques de souvenirs étaient complètement vides, une vision étrange – presque apocalyptique – pour l’endroit qui était toujours densément peuplé de visiteurs, mais le zoo n’avait rien de désert: partout, tapis dans les feuillages ou vautrés sur leurs rochers à faire le plein de vitamine D, les animaux s’éveillaient avec le jour, emplissant l’air de leurs chants. Assied sur une table d’extérieur en pierre près du bâtiment des employés, Milo sirotait un café dans une petite tasse en céramique peinte d’un smiley, lisant le plan de la journée laissé chaque matin par le gardien en chef. Bien que ce n’était pas nécessaire, il aimait arriver tôt, profiter de la tranquillité et du calme serein de l’endroit avant que les tâches et les visites guidées ne s’empilent. Nulle part ailleurs à Edgewood pouvait-on entendre un tel concert d’oiseaux matinaux, les voix des espèces américaines voisines s’ajoutant aux timbres exotiques des pensionnaires, chansons surtout couvertes par des voix humaines lorsque les portes s’ouvraient. Le directeur l’avait bien averti, arriver aussi tôt ne lui gagnerais pas plus d’heures de salaire, mais au fond le jeune homme s’en fichait; rien n’était plus gratifiant que de commencer sa journée de travail du bon pied, seul avec les animaux, dans l’un de ses endroits favoris au monde. Ce n’était pas peu dire, pour un zouwu.

Aujourd’hui n’était pas une matinée comme les autres. Normalement, dès l’arrivée des autres gardiens il aurait commencé à faire la tournée des enclos, nettoyer le tout et nourrir les estomacs affamés, mais d’autres projets s’imposaient et il devrait se faire remplacer pour une heure ou deux; le directeur l’avait choisi pour répondre à l’entrevue d’un journaliste. Il n’était pas rare que les journaux fassent des articles sur eux, parfois de simples textes d’opinion peu flatteurs d’activistes qui ne s’y connaissent pas vraiment, ou des petits coups de pub en présentant les oursons nouveau-nés, mais c’était l’une des premières fois que l’organisation était directement contactée pour monter un portrait de l’endroit. Passionné par son travail, Milo s’était empressé d’accepter l’offre, cassant les oreilles de Sorën pendant toute la semaine précédente avec des mentions d’à quel point il avait hâte de présenter ses protégés et l’endroit dont ils prenaient tellement soin. Un regard rapide à l’horloge de son portable, et approchant le moment entendu de rendez-vous, il se leva de son siège et se dirigea vers l’entrée des visiteurs, où se dressait une gigantesque carte illustrée de l’endroit. Milo se rappelait avec tendresse ses premières fois en tant que visiteur, alors que le zoo lui semblait impossible à parcourir en une seule fois sans se perdre, des étoiles dans les yeux à la vue de la multitude d’animaux dans leurs habitats. Il marcha vers le journaliste vraisemblablement déjà arrivé, habillé de son uniforme de travail habituel : des pantalons sobres, une chemise kaki avec un petit écusson lisant « Milo » à gauche de son torse et une lanière pendant autour de son cou avec un petit carton attaché où l’on pouvait lire : Ask me about our polar bears. Le journaliste avait l’air plus jeune que ce à quoi Milo se serait attendu, à peu près son âge, des cheveux sombres coupés courts et une cigarette aux lèvres, un appareil photo numérique à portée de main.  Dès qu’il l’aperçu, le zouwu lui fit un grand sourire amical, s’avançant pour serrer énergiquement la main tendue.
« Bonjour, je suis Rhysand Rhodes. On m'a vanté les mérites de l'employé le plus passionné de ce parc. Vu à quel point vos yeux brillent, j'imagine que c'est vous ? »
C’est le goût de la caféine toujours sur le bout des lèvres qu’il rigola gentiment à l’entrée en matière de Rhodes. « Bonjour Rhysand. C’est bien moi en effet, Milo Wolffhart, comme vous devez vous en douter ». Il prit une courte pause, sans ne faire disparaître son sourire. Son interlocuteur affichait un petit sourire en coin, tout en soufflant le reste de sa cigarette. Le journaliste dégageait quelque chose d’étrange, une atmosphère que même en tant que zouwu, Milo n’arrivait pas à souligner complètement. « J’ai de la compétition en matière de passion ici, mais c’est un grand plaisir pour moi de vous accueillir aujourd’hui ». Milo ne croyait pas connaître un seul employé qui n’était pas entièrement commis à son travail; le directeur prenait soin d’engager des personnes qui n’avaient pas peur de se salir pour assurer le bien-être des animaux, surtout depuis les quelques critiques que le zoo avait pu se prendre. « Je ne t'en propose pas une, je suppose », ajouta Rhysand tout en se retournant pour écraser le reste du mégot dans le cendrier prévu à cet effet. « Ça va », acquiesça le guide. Encore plus par-dessus le fait qu’il ne fumait simplement pas, il préférait ne pas intoxiquer l’air que respiraient ses protégés. « Je compte faire un reportage complet mais si certaines zones valent plus le détour que d'autres, je me fie au spécialiste. On commence par le plus beau ou le plus moche ? ». La remarque fit échapper un nouveau rire au jeune adulte. « Si tu me demandes à moi, il n’y a pas un seul recoin de ce zoo qui n’en vaut pas la peine ». Il invita Rhysand à le suivre jusqu’au bâtiment des employés, où il remplit un seau de diverses pièces de viande alors que d’autres gardiens s’affairaient à faire de même. « C’est l’heure de nourrir les carnivores. Chaque matin avant l’ouverture c’est la première chose qu’on fait. T’as une espèce préférée que tu aimerais voir ou photographier ? ». Après tout ils pouvaient bien commencer n’importe où, la journée était toute jeune et ils avaient le loisir d’arpenter le terrain de long en large bien avant que les premiers visiteurs arrivent. Il attendit sa réponse avant de se diriger vers l’enclos approprié, à quelques minutes de marche d’ici, prêt à répondre aux questions du jeune homme et à montrer à l’œil de la caméra le monde merveilleux dans lequel il avait la chance de travailler.