SCYKTORIA ◊ i tried to pick my battles until the battle picked me

I tried to pick my battles until the battle picked me ♤ feat Scylla

Ça n’allait pas, ça n’allait pas du tout. Viktoria se faisait un sang d’encre. Dès qu’on lui avait notifié que Scylla était rentrée chez elle - son appartement étant surveillée, bien entendu - la générale s’était ruée là-bas. Pourquoi avait-elle dû aller à cette stupide manifestation ? Ça ne ressemblait pas à la princesse d’être aussi irresponsable. Scylla avait toujours été dans la mesure, dans l’écoute, dans la discipline… Et soudainement, elle décidait d’aller seule, sans protection, à une manifestation qui avait toutes les chances de mal tourner. Alors pourquoi ?

La sirène avait bien l’intention d’avoir la réponse à cette question. Elle soupira quand son amie lui ouvrit la porte : elle avait l’air d’aller bien, en apparence en tout cas. Néanmoins, elle restait inquiète. La brune avait l’air épuisée. Après avoir fermée la porte, elle se laissa tomber sur le canapé avec peu d’élégance, et Viktoria nota également une paire désordonnée de chaussures, comme jetées par terre, qui faisaient tâches dans cet environnement si superbement ordonné.

Il n’y avait rien d'habituel, dans les agissements de Scylla.

La blonde haussa un sourcil devant le trait d’humour de la princesse. Celle-ci faisait sans doute référence à River qui était venu ici quelques semaines plus tôt, Viktoria ne pouvait pas penser à quelqu’un d’autre étant passé ici qui se serait permis de faire ça. Si elle ignorait ce que les deux s’étaient dit ce jour-là exactement, et qu’elle n’avait pas insisté pour le savoir, la conversation n’avait pas eu l’air de lui plaire.

Pendant quelques instants la combattante observa la princesse, qui lui semblait plus vulnérable que jamais, fatiguée, fragile. Quoi que lui assure Scylla, non, elle n’avait pas l’air d’aller bien ; et c’était autant la générale que l’amie qui s’en rendait compte.

Viktoria poussa un nouveau soupir. Elle prit le temps de répondre pour mesurer sa voix, ne pas crier, ne pas s’énerver. Déjà parce que c’était une membre de la famille royale, avant d’être sa meilleure amie ; sinon la blonde n’aurait pas hésité à la secouer comme un cocotier pour lui remettre les points sur les i. Mais aussi parce que la princesse ne semblait pas avoir besoin de ça, en plus de tout, se tenant le front comme si sa tête la faisait souffrir.

Néanmoins, la générale avait des choses à lui dire.

-Permet moi de te contredire : aller à cette manifestation toute seule était, au contraire, la définition de se mettre en danger, annonça-t-elle d’une voix qu’elle voulait calme mais qui restait légèrement orageuse. Deux dragons transformés, un djinn, les mouvements de paniques… Il y a des blessés et des disparus, Scylla. Ça aurait été atrocement facile pour quiconque de te faire mal, sans être pris, au milieu de cet enfer. Sans parler de ce que tu aurais pu subir même si tu n’en était pas la cible directe ! J’avais envoyé des gars là-bas, mais quand on a compris que tu y étais, c'était trop tard pour te retrouver au milieu des autres.

La guerrière ferma les yeux et serra un peu des dents. Si elle avait pu, à ce moment, elle se serait jeté dans la manifestation pour y récupérer la jeune femme ; mais on ne pouvait plus accéder à la place si on était pas déjà, et elle aurait de toute façon eu très, très peu de chance de la retrouver au milieu du chaos. Elle avait détesté se sentir impuissante - ça non plus, ça n’était pas habituel. Alors elle rouvrit les yeux et fixa son amie du regard.

-Alors, ma question c’est, pourquoi ? Pourquoi tu n’as prévenu personne ? C’était complètement inconscient de ta part, ne nie pas ça. À quoi est-ce que tu pensais ? Ça n’est pas toi, Scylla, de faire quelque chose comme ça.

Elle avait ajouté cette phrase quelques instants après les autres, comme à regret. Mais Viktoria n’était pas du genre à garder pour elle ce qu’elle pensait. Elle avait remarqué que quelque chose ne tournait pas rond, perturbait son amie. Mais elle ne savait pas quoi. Et aujourd’hui, elle était déterminée à comprendre ce qui n’allait pas.

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La blonde vit bien que certains de ses points avaient fait mouche. La plupart, à vrai dire. Scylla n’était pas bête, elle savait reconnaître des bons arguments quand on lui en présentait ; et on ne devenait pas générale de l’armée quand on ne savait pas en avancer. Parfois, Viktoria avait l’impression que sa vie entière était un conseil de guerre, un combat qu’elle ne menait pas sur le champ de bataille, mais dans d'innombrables joutes vocales qu’elle livrait tous les jours, presque tout le temps. Elle avait appris, en grimpant les échelons de l’armée, que finalement, elle allait devoir se battre plus souvent de cette manière-là que de l’autre. C’est vrai qu’elle préférait de loin les affrontements physiques, brutaux ; mais ça ne voulait pas dire que pour le reste, elle était sans défense.

Après tout Viktoria était une battante, elle l’avait toujours été. Ça n’était pas le défi qui allait lui faire peur. Si elle avait dû adapter ses armes, elle était loin de les avoir déposées. Alors, ça aussi, elle l’avait appris, elle l’avait conquis. Même si elle laissait volontiers tomber les mots lorsque le besoin s’en faisait ressentir, qu’elle préférerait toujours un peu d’action à une interminable conversation.

Mais elle avait manqué l’action, aujourd’hui, et c’était là le problème. Mais la blonde n’était pas la seule à savoir touchée juste ; Scylla, plus encore, était passée maîtresse dans l’art de la parole. Les mots, c’était le métier de la princesse, son domaine, son royaume à elle. Alors évidemment qu’elle allait rétorquer, présenter ses propres arguments.

Néanmoins, Viktoria était prête à y répondre.

-Oui, je lui fais confiance, mais River n’est pas le plus… discipliné de mes soldats. Et malgré toute mon affection pour les Asherah, deux personnes, surtout si l’une n’était pas à tes côtés, ça n’était pas suffisant, et je sais que tu en as conscience.

Avant que la princesse ne puisse réagir, elle enchaîna avec une petite pique ; elle ne pouvait pas lui crier dessus, mais ça ne l’avait jamais empêché de répliquer avec verve ou de lui dire ce qu’elle pensait vraiment.

-Ne pas être sans défense ne signifie pas que tu peux lutter contre toutes les menaces. Sinon, il n’y aurait pas de garde royale du tout, merci bien. C’est vrai que mon premier réflexe aurait sans doute été de refuser que tu y ailles… Mais tu ne peux pas nier qu’il y aurait eu des raisons à cette interdiction.

Elle se radoucit, parce qu’elle comprenait aussi le point de vue de Scylla, parce qu’elle était loin de la considérer comme une incapable et qu’elle la croyait sur parole quand celle-ci lui disait qu’elle avait aidé elle aussi. Mais seulement, Viktoria aussi avait son devoir à faire envers elle. Elle soupira.

-Écoute… Je comprends bien ta position. Mais comprends la mienne, aussi, s’il te plait. Scylla, tu sais que je ne te considère pas la moins du monde comme fragile, ou en sucre comme tu dis. Je comprends que ça puisse être un peu lourd parfois. Mais la prochaine fois… Parles-en avec moi d’accord ? Je ferais de mon mieux pour qu’on puisse s’arranger. S’il le faut je viendrais te protéger moi-même, tu le sais. Quitte à ce que ce soit officieux... Tout ce que je veux c’est ta sécurité.

Si son métier tenait à cœur à la sirène, ça n’était que le meilleur moyen de faire ce qu’elle voulait : protéger la famille royale. Mais si ça la bloquait, elle n'hésiterait pas une seule seconde à prendre des jours de permissions pour le faire autrement, et tant pis pour les protocoles. Elle ne les laisserait pas se mettre en travers de son but. Et elle savait que malgré tout, quelques unes des personnes en qui elle avait le plus confiance la suivrait. Elle n'était pas la seule à vouloir protéger les Van Seabrook envers et contre tout.

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Scylla répéta avec lassitude qu’elle savait tout ce qu’elle lui disait, qu’elle comprenait et d’un coup, Viktoria eut la désagréable impression de ressembler à sa mère quand elle lui faisait des sermons. La princesse répondait de la même manière que la générale quand elle se faisait morigéner par Veronika et elle n’aimait pas du tout ça. Alors elle se laissa aller la tête en arrière dans le canapé en soupirant. En était-elle vraiment descendue à ça, à réprimander sa meilleure amie -et dirigeante- comme une enfant prise en faute ?

Alors non, même si elle avait envie de savoir pourquoi, la sirène n'insista pas. De toute façon, si Scylla voulait lui en dévoiler les raisons, elle finirait par le faire ; et Viktoria ne voulait pas que ce soit au cours d’un interrogatoire. Elle non plus, ne recherchait pas le conflit avec sa meilleure amie. Simplement, la manifestation avait bien dégénérée et elle s’était beaucoup inquiétée en apprenant que la princesse était au milieu - peut-être plus inquiétée qu’elle ne voulait l’admettre.

Mais il était temps d’arrêter de faire la moralisatrice. La blonde ne comprenait même pas comment elle avait pu arriver à ce rôle en premier lieu. Alors elle renvoya un sourire franc à Scylla.

-Je n’ai pas trop le choix de toute façon on dirait ! dit-elle en riant.

Elle n’en pensait pas un mot, elle savait que la princesse n’allait pas abuser de son autorité sur elle pour l’empêcher d’en parler. Mais parfois elle trouvait ça drôle. Tout le monde n’arrivait pas à conserver une amitié telle que la leur à travers les différences de classe et de hiérarchie, et elle était heureuse d’avoir pu garder ce lien privilégié avec la brune.

-Non, votre majesté, continua-t-elle sur le ton de la plaisanterie en parodiant un salut militaire. Je n’ai plus aucune remarque. Tu arrives à trouver de l’infusion aux algues ? interrogea-t-elle en redevenant un peu sérieuse. Ça me manque parfois, alors volontiers !

À vrai dire, toutes les deux avaient tellement de responsabilité qu’elles ne se voyaient plus si souvent en dehors du cadre du travail de Viktoria, et elles n’avaient plus passé une soirée de détente ensemble depuis quand même quelque temps.

- Je ne vais pas continuer de te faire des remontrances, j’en ai déjà fait bien assez pour ce soir. Ça fait trop longtemps qu’on ne s’est pas retrouvé comme ça toutes les deux. Profitons-en un peu !

Et même si elle ne le disait pas à haute voix, le sous entendu était là et elle le savait toutes les deux : avant que les conséquences de la manifestation ne la rattrape. Viktoria espérait qu’un peu de temps passé avec sa meilleure amie lui ferait du bien avant qu’elle n’ait encore trop de choses à gérer…

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Scylla lui apporta la tasse de thé et Viktoria sourit. C’était un peu étrange, que son amie doive lui apporter la moindre chose ; elles avaient de serviteurs pour ça, à l’époque, ou bien c’était Viktoria qui la servait. Comme un brave chevalier servant. C’était toujours ce qu’elle souhaitait être, finalement, c’était toujours ce qu’elle était quelque part, même si elle l’était d’une manière bien différente, depuis le post qu’elle occupait maintenant.

La princesse s’écroula de nouveau sur son fauteuil d’une manière fort peu élégante qui ne lui ressemblait pas, mais après une journée pareil, après avoir été au milieu de la manifestation et des mouvements de foule, et surtout en sachant tout ce qu’elle allait devoir gérer à cause de ça, Viktoria ne pouvait pas lui en tenir rigueur. Si elles avaient encore été à Nydaros, la générale lui aurait sans doute proposé une promenade dans les hautes mers pour se détendre un peu, mais elles n’y étaient plus. Et marcher sur la terre ferme, en plein coeur de la ville, était beaucoup moins apaisant - quand bien même elles habitaient dans le quartier le plus calme de Washington, elle restait une ville, capitale des États-Unis de surcroît, et rien n’était en commune mesure avec ce qu’elles pouvaient trouver sous l’océan.

Au moins le thé pourrait leur rappeler un peu, à défaut de réellement y descendre.

D’un air à moitié sérieux, la blonde répondit à son amie :

-Tu sais bien que ta protection n’est jamais le cadet de mes soucis.

Bien sûr que ça n’était pas réellement ce qu’avait voulu dire la princesse, mais la guerrière aimait la taquiner un peu quand elle en avait l’occasion. Et si c’était la dernière fois avant des semaines qu’elles se voyaient en dehors du cadre purement professionnel, alors autant en profiter.

Le sourire de Viktoria s'agrandit presque sans qu’elle s’en rende compte en entendant la suite de ce que disait Scylla. Elle eut un rire franc et sincère.

-Oh ne t’inquiète pas, il ne se passe pas énormément de choses. C’est vrai que je ne prends pas beaucoup de permission, mais ne t’inquiète pas, j’en profite toujours à fond quand c’est le cas. J’ai mon lot de rencontres et de moment moins sérieux, ne t’en fais pas. Je ne compte pas vraiment m’engager en dehors de la Garde, mais ça n’est pas pour ça que je suis très sage, charria-t-elle en secouant la tête. Il y a même cette jolie brunette qui m’as fait un tatouage, la dernière fois.

Viktoria remonta sa manche et montra à la princesse la jolie ancre discrète qu’elle avait à présent de dessiner sur l’épaule. Hope avait fait un travail impeccable.

-Elle m'a fait une réduction, en plus, comme si j’avais besoin de ça. J’espère pour elle qu’elle ne fait pas cette offre à toutes ses amantes, parce que sinon son shop risque de couler. Enfin, je ne sais pas si elle fréquente d’autres personnes, ajouta-t-elle à la réflexion. Mais en tout cas, si toi aussi tu en veux un, tu n’as qu’à me demander et je t’emmène chez une des meilleures tatoueuses des USA !

Elle doutait fortement que Scylla soit intéressée, ça n’était pas vraiment le genre de la maison de modifier son image de la sorte. La princesse était toujours soignée, belle, presque trop lisse ; ce qu’on attendait d’une princesse, en fait. Son amie avait réellement du mal à ne pas tout le temps être ce qu’elle devrait être, même quand elle était censée pouvoir sortir de ce cadre, même quand elle était censée avoir du temps pour elle. Elle n’en avait pas beaucoup, c’était sûr, mais… De toute façon, sa vie lui appartenait-elle vraiment, vu son statut ? Viktoria n’aurait sans doute pas pu désobéir à sa mère de la sorte, si elle avait été à sa place. Et son amie n’avait pas pu échapper à un mariage arrangé, elle.

Peut-être qu’une toute petite rébellion, rien qu’une petite chose comme simplement un dessin encré sur sa peau, qu’elle aurait choisi elle-même, ne pouvait pas lui faire de mal. Tant que la combattante pouvait la protéger, elle se moquait bien après tout de comment Scylla menait sa vie. Et même si ça n’était pas très déontologique de sa part, et qu’elle en avait bien conscience, c’était bien son amie qu’elle désirait le plus ardemment protéger, au sein de la famille royale.

-Sinon, ma mère continue de m’envoyer des messagers parce qu’elle veut que je rencontre des tritons, mais tu te doutes bien que comme toujours, je les ai renvoyé d’où ils venaient. Elle finira bien par comprendre, à un moment, fit-elle en levant les yeux au ciel.

Si Viktoria évoquait son homosexualité devant son amie sans problème, elle était plutôt discrète à propos de ça en dehors de son cercle très proche. Ça n’était pas qu’elle en avait honte, mais elle avait déjà peu d’intimité en tant que générale, il fallait bien qu’elle s’en réserve un peu. L’information n’était donc toujours pas parvenue aux oreilles de Veronika, mais d’un côté, la blonde préférait ça. Même si sa mère n’avait de cesse de vouloir lui présenter des prétendants, au moins, la guerrière avait le luxe de pouvoir les refuser.

-Et toi, tu arrives à prendre un peu de temps pour toi de temps en temps ? Tu t’inquiètes pour moi, mais bon, j’ai l’impression que je m’en tire plutôt bien à côté de toi…

Et ça n’allait pas aller en s'arrangeant, après cet événement, ni pour l’une ni pour l’autre. Parfois, leurs jeunes années lui manquaient. Parfois, elle aurait juste aimé pouvoir emporter son amie un peu plus loin d’un coup de nageoire.

Elle but une gorgée de thé. Ça ne lui arrivait pas souvent d’être nostalgique ; elle était tellement occupée, tellement concentrée sur l’instant présent ou le futur immédiat qu’elle ne s’attardait pas souvent sur le passé. Mais l’infusion lui rappelait des souvenirs.

-La prochaine fois qu’on aura du temps libre toutes les deux, retournons nager ensemble. Ça fait trop longtemps. Et ensuite pourquoi pas, atterrir sur les rives de Nouvelles-Orléans pour te faire tatouer quelque chose, ajouta-t-elle avec un clin d'œil taquin.

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Le sourire de Scylla quand son amie mentionna la tatoueuse était éloquent, tout comme son ton quand elle demanda son nom. Viktoria eut un soupir amusé.

-Elle s’appelle Hope, mais je te vois, ne va pas t’imaginer quelque chose. Il n’y a rien de sérieux, juste du fun.

Malgré son regard qui s’était légèrement illuminé quand elle avait parlé de la sorcière, la blonde croyait dur comme du fer à ce qu’elle disait là. Rien de sérieux, parce que ça ne l’intéressait pas, parce qu’elle ne pouvait pas se permettre d’être sérieuse ailleurs que dans son travail. Elle appréciait la brune mais il ne lui venait même pas à l’idée qu’elle puisse tomber amoureuse, ou entamer une quelconque relation plus importante avec elle que celle qu’elles avaient déjà.

Viktoria ne s’attendait pas à ce que Scylla accepte la proposition, elle doutait un jour de voir la moindre encre quelque part sur la princesse. Que cette dernière dise que ça en valait la peine lui rappela qu’il y avait d’autres raisons que de garder son corps complètement lisse ; si la guerrière ne craignait pas la douleur, et n’avait pas réellement eu de problème en se faisant le tatouage, elle savait que ça n’était pas le cas de tout le monde. C’était vrai qu’elle ne connaissait pas le seuil exact de résistance de son amie - après tout, son travail était justement d’éviter qu’elle ne soit exposée au danger et qu’elle souffre. La combattante était prête, et habituée, à prendre tous les coups à sa place.

En attendant, Scylla pouvait lui offrir d’autres choses, et la générale accueillit sa proposition avec un certain soulagement.

-Ça m’arrangerait, j’ai d’autres choses à penser en ce moment que ses bêtises. Et ne sois pas désolée, tu n’as rien à voir avec ça.

Son sourire avait disparu, mais Viktoria ne souhaitait pas se soucier de ces histoires plus que ça. Elle n’en était même plus énervée à ce stade, simplement blasée que sa mère continue malgré ses refus répété et des prises de tête parfois un peu plus violentes. Maintenant elles ne se voyaient plus vraiment, alors c’était surtout devenu un agacement mineur auquel la blonde ne faisait pas vraiment attention.

D’ailleurs la conversation ne s’attarda pas longtemps sur le sujet, déviant sur l’escapade que Viktoria avait mentionnée.

-Eh oui, qui croirait qu’une princesse ne peut pas prendre de superbe vacances dès qu’elle le veut.

Elle allait continuer mais le visage de Scylla s’assombrit alors qu’elle semblait se plonger dans ses pensées. Quand la sirène tourna son visage vers Viktoria à nouveau en l’appelant par son diminutif, la blonde sut que quelque chose n’allait pas. Que la Van Seabrook avait besoin de se débarrasser de ce nom pendant un instant, de son amie et pas de la guerrière à ses côtés. Peu de personnes pouvaient appeler “Vik” ainsi, et Scylla ne l’avait pas fait depuis… longtemps. Peut-être trop.

-Qu’est-ce qu’il y a ? à qui dois-je aller botter les fesses ? dit-elle sur le ton de la plaisanterie, en se rapprochant de son amie pour lui manifester son soutien avec une main sur son bras. Plus sérieusement, elle ajouta : Tu peux tout me dire, Scylla. Je serais toujours là pour toi.

Viktoria savait que malgré leurs années de proximité, la jeune femme avait du mal à se laisser aller, à se confier ou s’appuyer sur qui que ce soit. C’était compliqué pour elle, la blonde l’avait su, et elle comprenait que c’était un moment important où plus que jamais, Scylla allait avoir besoin de son soutien indéfectible.

-Qu’est-ce qu’il se passe ?

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Scylla répondit d’un air distant, dit qu’il n’y avait personne mais de toute évidence, elle semblait penser à quelque chose. Ou Quelqu’un, plutôt. Viktoria était intriguée - elle avait l’habitude que son amie ne soit pas du genre à s’épancher, mais c’était rare qu’elle ait cet air presque… rêveur ? Un sourire flottant au coin des lèvres, comme si elle ne faisait pas exprès. Et ça lui faisait un peu bizarre, à la générale. La princesse était-elle en train de changer à ce point ?

Celle-ci se leva soudainement et se mit à faire les cent pas. Quelque chose la préoccupait, pas besoin d’être très observateur pour s’en rendre compte ; à vrai dire, on pourrait penser qu’il y avait toujours quelque chose en train de la préoccuper, la Van Seabrook, après tout il y aurait de quoi, mais aujourd’hui c’était différent. Il y avait quelque chose d’autre, ça n’était pas à propos de ses responsabilités qu’elle portait tous les jours - celles-ci, elle en a trop l’habitude.

Mais Scylla commença à déballer les problèmes. River est passé, l’autre jour. Viktoria se retint de répliquer avec un soupçon de taquinerie que ça faisait un peu plus que "l’autre jour", qu’elle savait à peu près, quand même, qui faisait des aller-retour chez le couple royale et quand. Mais si son amie n’était prête à en parler qu’aujourd’hui, elle n’allait pas la repousser directement dans sa coquille qu’elle avait tant de difficulté à ouvrir.

La sirène écarlate était effectivement au courant de cette prophétie, mais pour elle, ça n’avait pas beaucoup d’importance. La guerrière n’était pas du genre à se laisser dicter sa vie par quelque mots, quand bien même ceux-ci viendraient -supposément- des dieux eux-mêmes. D’ailleurs, elle n’avait jamais ressenti le besoin de voir cette prêtresse, de chercher un amour à l’aveugle parce que quelqu’un lui avait dit que ce serait telle personne (ou de chercher l’amour tout court, d’ailleurs).

Cependant, elle savait que la paroles divine, transposées par celle d’Ivy-Rose, était très important pour son peuple. Assurément, il était possible que cela fasse scandale si le peuple apprenait que la princesse elle-même était allée à l’encontre des dieux. C’est pour cela que Scylla ne l’avait dit à personne, personne d’autre que Viktoria qui était aussi muette qu’une tombe, à Llyr évidemment car elle lui devait bien, sans doute. Et maintenant ce dernier l’avait dit à son petit frère. Le fameux petit frère auquel Scylla était réellement destinée, si on en croyait cette fameuse prophétie. Oui, ça faisait un peu plus de sens maintenant, c’était normal que ça ce soit mal passé.

Viktoria en serait arrivée à la même conclusion que Scylla, celle que la princesse avait cru avant d’avouer qu’elle s’était trompée. Mais ça n’était pas ça, donc.

-Oh.

Ce fut la première réaction de la guerrière, sur le coup. Surprise mais pas tant que ça, finalement. Elle était proche de River, elle aussi, et s’il ne lui avait jamais avoué ses sentiments pour la Van Seabrook, cela expliquait beaucoup de choses, beaucoup de ses actions par le passé, sa rage, son amertume parfois. Viktoria se souvenait de quand il était sorti, quand elle était venue le chercher en dehors du palais pendant le mariage de Llyr et Scylla. Tout prenait soudainement sens, maintenant, c’était la pièce manquante du puzzle qui expliquait ses actions. Pourquoi il avait soudainement arrêté de parler à la princesse, aussi. Une chose que la combattante n’avait jamais réellement comprise et n’avait pas cherché à savoir. C’était beaucoup plus clair, à présent, les liens se faisaient tous seuls.

-Il est amoureux de toi.

Ça n’était pas une question, mais une observation de la situation qui devenait un brin plus complexe qu’elle ne l’était déjà. Mais peu importe à quel point tout se compliquait, Viktoria connaissait sa place là-dedans, et elle n’était certainement pas dans l’épicentre de l’explosion. Mais elle n’allait pas non plus laisser ses amis, et surtout pas Scylla, se laisser écraser par les décombres.

-Et toi, alors ? Qu’est-ce que tu comptes faire ?

Sa question n’avait pas un ton urgent, ni alarmé. Plutôt neutre, en fait. La générale devait, voulait simplement s’assurer d’où était placée la sirène - mais où qu’elle soit, elle viendrait la protéger des éclats qui lui tomberait dessus. Peu importe qui tu choisis, Scylla, peu importe de quel côté tu es, je t’y suivrais. Elle espérait juste que ça, son amie le savait.

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Viktoria réfléchissait. Ça ne lui arrivait pas souvent, de le faire avec ce genre de situation ; elle n’était pas du genre à se poser de questions sur les émotions des autres, ni sur celle qu’elle ressentait elle-même d’ailleurs. La plupart du temps, soit elle était sûre de ce qu’il se passait, soit ça ne l'intéressait pas vraiment et c’était vrai qu’elle manquait un peu d’empathie. Il n’y avait que peu de personnes pour qui elle avait un réel intérêt et cette fois, il était question de trois d’entre elles d’un coup. Scylla, Llyr, River… La générale ne savait pas comment ils allaient s’en sortir, mais elle savait qui elle choisirait si elle devait le faire à un moment. Et ce serait Scylla, sans regrets, avec quelques remords peut-être, mais elle était sûre d’elle.

Et la guerrière n’était pas du genre à changer d’avis.

Son amie était vulnérable aujourd’hui, plus qu’elle se souvenait l’avoir jamais vu. Scylla était si retenue, tout le temps, c’était si rare de l’entendre avouer à haute voix qu’elle ne savait pas quoi faire. Même lorsque la prophétie était tombée comme une sentence pour tout ébranler, la princesse ne l’avait pas laissé l’atteindre ; elle l’avait ignoré, tout simplement. Mais c’était plus facile d’ignorer une seule pièce du puzzle quand on n’avait pas les autres, et maintenant qu’elles étaient forcées de regarder la situation en face, ça n’était pas aussi reluisant que quiconque ne l’aurait voulu.

Mais Viktoria ne savait pas quoi lui répondre, elle non plus. Elle aurait sans doute préféré, mais ça n’était pas une bataille, ça n’était pas un combat à gagner en prenant la décision la plus stratégique. Et tout le reste des décisions qu’elle avait prises dans sa vie, elles avaient été concises et sans appels, et elle n’avait laissé personne les prendre à sa place. Pas même sa mère qui aurait bien aimé, pas même son défunt père qu’elle tenait pourtant en si haute estime. Mais Scylla était différente, et elle n’avait pas eu la même liberté. Ou peut-être qu’elle ne s’était pas laissé cette liberté - mais le résultat revenait au même. Et la combattante ne voulait pas qu’elle se sente enfermée, pas plus qu’elle ne se voyait pourtant lui suggérer de tout plaquer comme l’avait fait Sibyl avant elle.

Elle soupira, inhabituellement agitée à son tour. Mais c’était une énigme qu’elle ne savait pas résoudre.

-Je ne peux pas penser à ta place, Scylla.

C’était sans doute une des seules personnes au palais qui ne l’avait jamais fait, d’ailleurs, et c’était peut-être là que résidait tout le problème.

-Fais ce qui te semble le mieux. Pour toi.

Il fallait bien que la princesse réussisse à le faire au moins une fois ; il avait toujours semblé à Viktoria que son amie était heureuse dans cette situation, que ça lui allait bien comme ça. Mais si au final ça ne lui correspondait alors la blonde n’allait pas la blâmer. Et elle lui faisait confiance pour trouver quelque chose de moins absolu que son aînée, qui ne lui correspondrait sans doute pas de toute façon - elle serait bien trop rongée par la culpabilité pour pouvoir faire la même chose, en tout cas, c'est ce que pensais la générale.

-Quoi que tu choisisses, je serais là.

À tes côtés, Scylla, et tant pis si tout le reste s’effondre. Elle avait choisi cette voie il y a des années, elle avait juré sur le corps de son père après le coup d’état. Et elle ne comptait pas s’éloigner de ce chemin de sitôt.

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