Dans la gueule du lion | Feat. Laszlo

Il arrivait de plus en plus souvent au jeune Stonegold de sortir marcher seul dans les rues de sa ville. Dans les derniers mois, il avait voyagé pas mal, empruntant sans retenue les portails zouwus pour découvrir de nouveaux horizons, de l’historique Washington D.C aux rues mythiques de la Nouvelle-Orléans, rencontrant des amis et des inconnus; n’importe quoi pour échapper à l’absence d’Aidan qui lui revenait sans cesse comme un écho douloureux entre les grillages dorés du Domaine. Cependant, depuis l’incident majeur de la manifestation, le dragon de fer c’était tenu plus tranquille, sa bougeotte s’étant immanquablement refroidie. Lui qui n’avait jamais eu vraiment peur de rien, arpentant les rues en arborant sa richesse et son statut, la tête haute et le dos droit, revêtu du nom de son père comme d’un étendard, il se faisait maintenant plus discret, optant pour la prudence avant l’éclat. Il n’aimait pas cette version de lui-même, pliant devant la peur, mais le Cercle des Chasseurs avait prouvé sa puissance avec l’utilisation d’un djinn à leur service, et il ne savait pas jusqu’à quel point son secret leur avait été révélé; plus pour le Lightsotrm que pour se protéger lui-même, il avait espacé ses visites à Aidan quelques peu pour laisser la poussière retomber. Si jamais il se faisait suivre, il préférait ne pas les mener directement à l’un des êtres qui lui était le plus cher.

C’est ainsi qu’il se retrouvait ce soir dans un quartier bien animé de Phoenix, revêtu de pantalons de sport et d’un simple sweat-shirt gris avec ses initiales brodées en petites lettres dorées à l’avant. Courir lui faisait du bien. Lorsqu’il joggait dans les rues de sa ville, il avait l’impression que rien ne pouvait le rattraper, le vent fouettant ses cheveux et son visage alors qu’il laissait derrière tous ses doutes, ses pensées parasites, le poids des attentes et des responsabilités. Il ne devenait qu’un simple joggeur, un passant parmi les autres, un garçon normal de dix-sept ans qui sortait pour un peu de sport avant de revenir dans sa famille normale faire des trucs normaux de jeune de son âge. Il devenait un simple citoyen de Phoenix, sans importance, et cette anonymité temporaire lui faisait du bien. Ralentissant ses pas quelques peu en arrivant près de Central Plaza, il s’arrêta quelques instants pour reprendre son souffle, les mains sur les genoux. De soir, l’ambiance de l’endroit changeait quelques peu, échangeant les touristes et les gens papillonnant autour des différents marchés pour les insomniaques et bêtes de nuit à la recherche d’activités urbaines nocturnes. Avisant le soleil déjà couché malgré l’heure jeune, Ezra se dit que le temps de rentrer approchait. Flâner de nuit n’était peut-être pas la meilleure des idées quand l’on est un jeune surnaturel, vu le contexte politique, et connaissant sa mère elle se ferait sans doute plus facilement du mauvais sang après tout ce qui était arrivé devant la Maison Blanche. La chaleur de l’exercice dissipée, le dragon commençait à frissonner sous ses vêtements, et, jetant un coup d’œil à sa montre intelligente, commença à rechercher les affiches des taxis qui étaient nombreux dans le coin à cette heure. Marchant sur le trottoir en surveillant la rue, il passa devant de nombreux cafés, restaurants et bars qui commençaient à s’animer, mais une voix familière le fit s’arrêter net. Tournant la tête par curiosité vers une ruelle peu éclairée entre deux bâtiments, quelques silhouettes chuchotaient entre elles; mais avant qu’il ne réalise qu’il n’avait rien à faire là et qu’il devrait foutre le camp au plus vite, il était déjà trop tard, regardant droit dans leur direction.

Ezra avait simplement envie de retourner chez lui.
Les aventures, les péripéties, les inquiétudes, le danger; il en avait eu plus que son lot dans les derniers mois, et s’il n’avait jamais été quelqu’un pour reculer devant ces choses-là, animé par toute la fougue et la témérité d’un adolescent tentant de se faire grand devant le monde, il était maintenant fatigué. Fatigué d’être un dragon, d’être un Stonegold. Fatigué d’être broyé sous la pression de porter le nom de famille doré, sous la pression d’être un fils digne des exploits de ses parents. L’illusion dont il avait été victime durant la manifestation l’avait fait réfléchir, beaucoup réfléchir, et même s’il refusait de l’admettre, les cicatrices laissées avaient été plus profondes qu’il ne l’aurait cru. Si l’enfant en lui avait disparu après la guerre, au réveil de l’horrible rêve il s’était senti vieillir de cent ans. Petit et misérable au creux des bras de sa sœur, auprès de Morgan.  Le garçon qui ne pliait jamais, qui se voulait plus grand que nature, qui devait être fort pour Aidan, pour ses proches. Il avait brisé ce jour-là devant la Maison Blanche, et aujourd’hui il n’avait vraiment pas envie de faire face à quoi que ce soit qui était sur le point d’arriver. Debout, en tenue de sport devant l’allée sombre, une voix l’avait interpellé et s’avançait vers lui. « Hé toi ! Viens par-là p'tit curieux ! ». Figé dans l’instant, incertain de ce qu’il devait faire, la panique s’insinua dans son esprit alors qu’il s’imaginait des scénarios de pires en pires. De là où il était, son audition de dragon lui avait permis de déceler quelques mots, mais par-dessus tout, un prénom rebondissait douloureusement dans son crâne comme une alarme. Cain. Il voudrait fuir, Ezra, il voudrait se sauver à toutes jambes, ne rien avoir à faire avec les disciples de son cousin maudit, oublier tout ça en se serrant contre sa sœur sur le sofa pour écouter Netflix comme un ado normal : il voudrait fuir, fuir cette vie, mais ses pieds restent bien vissés sur le béton, pas même un tremblement ne trahi ses pensées. Il a peur, il a vraiment peur, qu’on lui fasse du mal ou qu’on l’utilise pour faire du mal à ses proches, mais il se force à rester droit, à garder ce visage dur et impénétrable qu’il avait appris à imiter de son père. Il lisse ses vêtements, un tic dont il a du mal à se défaire lorsqu’il est nerveux, serre sa mâchoire. S’il y a une seule chose que le dragon de fer avait appris pour faire fasse à l’adversité, c’était d’ignorer sa propre faiblesse. Un Stonegold ne reculait pas devant le danger : même lorsque le Stonegold en question avait seulement 17 ans, et était largement plus petit et moins puissant que l’homme qui s’avançait vers lui. S’il fuyait, ce serait pour aller où ? Chez lui, et mener l’inconnu à ses parents, à Holly ? Dans un portail, et risquer de se retrouver en plein milieu de l’Amazonie, l’inconnu à ses trousses ? Non, il ne pouvait pas fuir. Ainsi releva-t-il la tête avec insolence, repoussant tous les doutes, tous ses sens qui hurlaient à ses jambes de s’activer, ravalant sa peur, pour lancer à l’homme : « À qui ai-je l’honneur ? ». Le brouillard de la panique lui avait floué la vue le temps qu’il rassemble ses pensées, et ce n’est qu’à cet instant qu’il le reconnu : le dragon du Solstice, celui à qui Aidan avait parlé pour la majorité de la soirée. Il n’y avait plus de bluff possible; s’il avait lui aussi prêté attention, il le reconnaîtrait sans doute comme l’un des membres de la famille de pompeux dragons de métal. Il allait devoir faire avec, et assumer. Il espérait simplement que l’homme ne serait pas téméraire au point d’abîmer le fils d’un dragon puissant, ou que ce savoir ne le mettais pas en danger plus grave; Cain n’était pas connu pour affectionner particulièrement son sang.