Les palais des couronnés se firent brûler pour devenir des phares. ❋ Caliban & Caelan

Mar 19 Jan 2021 - 19:16

Les palais des couronnés se firent brûler pour devenir des phares.

Caliban x Caelan

Fin août 2019.

L’altitude lui pulsait dans les tempes comme s’il était au sommet du monde. Bien d’autres, à sa place, auraient eu les tympans à demi explosés, la vue qui se troublait ou se mouchetait de rouge, l’oxygène qui manquait. Mais pas lui. Avantage incontestable d’être nymphe des airs. Caliban pouvait voler. Sans scaphandre, sans avion, sans montgolfière ; il pouvait simplement décider de s’élever dans les airs et y évoluer sans complexe, au creux des vents contraires qui ne faisaient que l’effleurer.
Traversée la frontière du Maryland, le district de Columbia dans son dos, Cal jouait des courants ascendants, descendants, sa cible en visuel : Catoctin Mountain.
« Tout va bien ? » lança le nymphe en regardant légèrement en arrière.
Car il n’était pas seul. Auprès de lui, l’accompagnant, un autre nymphe des airs dont Caliban savait qu’il avait eu par le passé des difficultés à se stabiliser en volant. Caelan Cearbhall, premier de la fratrie à être entré dans la vie du greffier. Le même élément, la même ville de résidence, ce même besoin d’appartenance qui les avait poussés l’un vers l’autre … rapidement, Caelan et Caliban avaient sympathisé sans trop y prêter attention et réalisé qu’ils avaient bien plus à partager que les simples lettres de leurs prénoms.
Leurs petites randonnées aériennes, leurs concours de cerfs-volants et surtout leurs rires partagés avaient amenés les deux hommes à se vouer une sincère amitié.
Comme ils avaient ri lorsque, deux ans auparavant, Casey avait proposé à son collègue de l’air de lui « présenter sa fratrie ». Ce soir-là, Caliban avait découvert Ciaran, et … explosé de rire en voyant l’air déconfit de Caelan.
Oui, c’est moi qui siège au Conseil de la Nuit comme ton frère, Cael !

Durant cette période creuse où ils avaient quelque peu perdu contact avec les allers-retours de Cal à Houston, la vie avait su les lier de nouveau et les emmener dans de nouveaux horizons. Littéralement, de nouveaux horizons entiers s’étaient dévoilés sous leurs yeux avides de merveilles tandis que leurs corps s’élevaient riants et tourbillonnants dans l’air malin qui les abritait.
Et, ce soir-là, leur dévolu s’était porté sur Catoctin Mountain.
Le lieu avait l’avantage d’être relativement en hauteur, et suffisamment proche de Washington D.C. pour qu’ils ne s’épuisent pas à s’y rendre. Leurs occasions de promenades étaient de moins en moins fréquente et, si Caliban appréciait toujours autant la compagnie de son aîné, il avait l’étrange sensation que Caelan était plus distant, ces derniers temps. Rien de tangible, bien sûr. Juste … une impression. Un instinct. Un vent glacé qui s’était brièvement mis à souffler plus fort.
Le nymphe décéléra brièvement pour se positionner à proximité de son camarade.
« C’est là, regarde ! » lui indiqua-t-il avec un geste de la main en direction de leur destination. « On va pouvoir se poser dans quelques minutes. »
Et puis, comme si ces informations purement logistiques ne suffisaient plus à combler le silence morne qui s’étaient érigé entre eux, le jardinier se sentit curieusement obligé d’ajouter :
« Je suis vraiment content que tu sois là avec moi, Cael. »
Ce qui n’était pas faux, en soi. Ces excursions en duo avaient été nettement plus fréquentes par le passé, et puis … avec ses responsabilités, Caliban avait été plus occupé qu’il ne l’aurait cru. Plus qu’il ne l’aurait voulu, en tout cas. Il avait toujours pensé que Caelan, au cu de ce que traversait son frère, comprendrait. Mais il y avait cette froidure intangible dans l’arrière-regard de son ami, muette, qui enserrait doucement le cœur du Conseiller.

Caliban & Caelan

I felt my lungs inflate with the onrush of scenery—air, mountains, trees, people. I thought, "This is what it is to be happy.”

La liberté. A chaque fois qu’il se laissait porter par son élément, c’était le sentiment qui s’emparait de lui. Le plaisir brut de n’avoir plus aucune retenue, aucune limite, de simplement pouvoir se mouvoir à sa convenance, se rendre là où le vent souhaitait l’emmener, sentir ses caresses sur chaque partie de son corps et être en parfaite confiance face à celui qui ne l’abandonnerait jamais. Il n’imaginait pas se fâcher un jour avec son élément. Il existe entre eux un trop grand attachement un trop grand respect pour que quelque chose puisse venir les séparer. Si ses connaissances sur ses pouvoirs et sa connexion avec l’air s’étaient réveillées tard, il avait travaillé dur depuis, avait rattrapé le temps perdu et ne comptait pas s’arrêter là. L’air était finalement l’élément le plus logique pour lui, il n’y avait aucune surprise au fait que ce soit lui qu’il ait choisit en premier. Quand l’air lui donnait des ailes et lui offrait la liberté, lui qui était resté cloué au sol, prisonnier d’une vie solitaire dont il ne voulait pas, alors il se sentait heureux, reconnaissant. L’air ne l’abandonnerait jamais. « Tout va bien ? » La question le coupe dans sa réflexion, alors qu’il observe le ciel s’étendant à perte de vue autour de lui. Il hoche la tête en direction du nymphe qui le précède. Oui tout va bien, tout va très bien ici. Il y a un moment qu’ils n’ont plus fait ça, s’envoler aux dessus de Washington et prendre la voie des airs pour rejoindre une destination plus excentrée, plus déserte, loin du tumulte de la capitale. Pendant longtemps ça avait été leur petit rituel, cette chose qu’ils ne pouvaient partager que l’un avec l’autre car qui pouvait mieux vous comprendre que quelqu’un exactement similaire.

En choisissant un élément, on choisit également une partie de la communauté, il n’est pas rare pour les nymphes de se sentir plus proche de ceux ayant la même connexion avec le même élément. Pour Caelan c’est parfaitement logique. Le feu, la terre, l’air et l’eau sont différents, capricieux, évocateurs d’une certaine mentalité et il est convaincu que ceux qui apprennent à leur parler, à les comprendre et à les apprivoiser doivent forcément avoir des points en commun. Tout avait bien commencé entre lui et Caliban, c’était un lien presque naturel, évident, presque comme celui qu’il avait tissé avec ses frères. Ces liens que l’on n’explique pas, dont on ne saurait plus réellement retracer l’origine. Quel a été le premier rire ? Le premier instant de complicité ? La première fois où on s’est fait confiance. Un jour on se réveille et la connexion est là, on ne sait plus imaginer la vie sans. Mais rien n’est éternel et Caelan a aussi senti le lien se fissurer quand le tatouage de l’air est apparu sur le corps de son ami. Un ami qui devient un chef. Des différences de perception, de manière d’envisager les actions des nymphes. Des différences que l’on peut gommer chez un ami. Moins chez un chef. Alors ils s’étaient un peu éloignés, leur relation avait été entachée. « C’est là, regarde ! On va pouvoir se poser dans quelques minutes. » Caelan fixe du regard l’endroit que pointe le nymphe du bout de son doigt et sourit satisfait. Catoctin Mountain s’étend bien devant eux et la nature à perte de vue lui donne un frisson de bonheur, réveillant tous ses instants d’homme de la nature, faisant pétiller en lui le besoin de se connecter à tout ce qui l’entoure et d’oublier le temps d’une excursion les problèmes des humains. « Je suis vraiment content que tu sois là avec moi, Cael. » Rajoute Caliban, et Caelan lui sourit en retour.

« C’est magnifique, on devrait rester là pour toujours. » Il dit le regard toujours fixé sur l’étendue à leurs pieds. Puis il tourne la tête vers son ami et ajoute. « Moi aussi je suis content d’être là avec toi. Ca faisait longtemps. » Il y a de la nostalgie évidente dans sa voix, mais il ne veut pas se montrer trop vulnérable, gardant en tête également le sujet épineux qu’il compte aborder dès qu’ils seront plus au calme. Alors il reporte son attention et dans un sourire continue, un petit défi brillant dans les yeux. « Premier arrivé ? » Et sans attendre la réponse de Caliban, il se propulse vers le sol. Le vent le porte encore plus vite qu’avant, le laissant presque croire qu’il va s’écraser sur la terre avant d’avoir le temps de ralentir. Un instant il imagine si cette solution pourrait être celle qui défierait la malédiction. Mais à quelques mètres du sol, le vent le freine naturellement et le laisse poser délicatement un pied à terre. Revigoré, il lève les yeux au ciel et regarde Caliban atterrir quelques instants après lui. « Ok, ça ça décoiffe. » Il dit en riant et en passant une main habile dans ses cheveux ébouriffés. « On n’est jamais venus par ici non ? » Il rajoute en laissant son regard porter sur l’horizon.

Âge : 37 ANS (03/10/1984) ❋ déjà aussi vieux qu'il est grand

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Caliban x Caelan

Le flottement épars de leurs êtres par-delà la douce canopée apportait cette bulle de joie qui faisait paraître, en comparaison, le reste du quotidien fade. Bien sûr, qu’ils se sentaient mieux dans les bois ou dans les airs. Ils étaient nymphes, nymphes étaient nés, nymphes resteraient jusqu’à la dernière de leurs heures. Alors, les mots que mit Caelan sur cette félicité nouvelle trouvèrent leur chemin jusqu’au cœur de son ami. Oui, eut-il envie de répliquer. Oui, restons là pour toujours, loin des responsabilités. Toi, moi, d’autres. Pourquoi pas, Cael. Pourquoi pas ?
Cela faisait trop longtemps, c’était un fait. La vie les avait éloigné, bien plus que ce que Caliban n’aurait cru, bien plus que ce que Caliban n’aurait souhaité. Il aurait voulu garder près de lui cette amitié précieuse, comme un bijou, comme une ancre dans la réalité. Mais on n’avait pas toujours le choix. Surtout pas lorsque l’on se retrouvait, de la sorte, marqué par le destin, par une force supérieure dont on ne sait pas d’où elle vient. Le Conseiller avait une croisade à mener, pour l’équilibre et pour la paix. S’il n’était encore qu’un enfant, orphelin brisé par la houle, le lourd fardeau de son devoir avait plissé un front trop clair. Il serait toujours bienheureux de retrouver, parmi la foule, des visages déjà bien connus. Des visages qui l’avaient vu, lui, avant qu’il ne devienne le maître. Avant que s’imprime sur son torse cette malédiction, ce cadeau, qui lui grignotait ses soirées. Minh. Caelan. Aaren, aussi, parfois, même s’il aurait fallu le tuer avant que ce secret ne sorte.
Tous ces murmures indivisibles le faisaient sentir exister. Il n’était pas qu’un conseiller. Il n’était pas qu’un greffier, qu’un jardinier. Il était un être humain, un nymphe des airs sensibles et avenant, qui faisait du mieux qu’il pouvait en le temps qui était imparti.
Plongé dans ces muettes pensées, il mit du temps à réagir quand Caelan lui proposa de faire la course jusqu’au sol. Un temps de retard, une temps d’avance qu’avec bon cœur il laissait à son frère de cœur.
Quand son pied gauche enfin toucha le sol, le nymphe eut un sourire tendre, comme pour remercier cet instant.

Secouant brièvement la tête pour remettre sa chevelure en place, il répondit par la négative.
« Non, jamais venus … Faut dire que ça fait un moment qu’on a pas eu tant de temps devant nous. »
Certes, ce n’était pas l’éternité, ce n’était même pas un infime monceau d’éternité. Mais c’était un après-midi, et cela suffirait amplement. Caliban massa d’une main son visage un peu trop froncé, ce front qui avait peu de temps pour rêver ; peu de temps à lui accorder.
Lui qui avait toujours cultivé ses relations amicales du mieux qu’il l’avait pu, écoutant, soutenant, accompagnant, se retrouvait dans une impasse. Une impasse temporelle. Les journées faisaient 24 heures. Cal ne pouvait pas décemment travailler au Capitole le jour, assister aux sessions du Conseil lorsque venait son tour, animer la vie commune du Nymph’s Garden ET passer du temps avec ses amis. Ou alors, il lui aurait fallu ne plus dormir. Dans cette vie monocorde, il avait comblé le vide par un tas de projets, un tas de missions, un tas d’idées, et aujourd’hui voilà où était le résultat. Il s’était un peu perdu lui-même et seuls des instants comme ceux qu’ils étaient en train de vivre avec Caelan le faisaient sentir réellement libre.
« Tu n’as pas idée comme ça fait du bien de sortir un peu de tout ça. » parla-t-il tout haut, sans vraiment s’en rendre compte. Le regard perdu dans l’horizon, le nymphe débitait ses pensées. « Le boulot, le Conseil, la vie … parfois j’ai un peu l’impression que je suis en train de me faire bouffer. »
Une impression, une vérité ? Si seulement il avait pu, dès lors que la colère montait, venir s’envoler vers les cimes et goûter l’odeur des nuages.
Avec la patience d’un ami.

Lun 29 Mar 2021 - 22:09

Caliban & Caelan

I felt my lungs inflate with the onrush of scenery—air, mountains, trees, people. I thought, "This is what it is to be happy.”

L’immensité et la tranquillité qui s’étalent devant eux calme instantanément son cœur et son esprit. C’est ce genre de sentiment qu’il aime dans les excursions que Caliban lui offre, lui offrait. Loin de tout, loin de l’agitation et du monde qui n’a pas le temps de s’arrêter pour regarder la beauté éclore, s’exprimer naturellement et sans le moindre contrôle. Caliban est différent de lui, sur beaucoup de points, mais il sait que ce sentiment-là, précisément, est partagé. Le nymphe de l’air a ce même attachement à son élément, à la nature et à ce qui fait d’eux des nymphes jusqu’au plus profond de leurs veines. C’est ce qui a rendu leur connexion si simple, si évidente. Parfois, il envisageait les nymphes comme une même partie d’un tout, comme l’on pourrait envisager que des jumeaux se retrouvent connectés, les nymphes étaient tous descendants et représentant d’une seule et même Mère Nature, tous connectés, tous liés dans l’immensité de l’espace et du temps. Bien sûr, il y avait les moutons noirs, comme partout, mais l’ensemble était le plus souvent équilibré. Entre lui et Caliban, cela avait été le cas en tout cas. « Non, jamais venus … Faut dire que ça fait un moment qu’on a pas eu tant de temps devant nous. » Il lui dit pourtant. Et Caelan ne peut qu’hocher la tête pour approuver ses paroles. Oui, ces derniers temps, leurs petites sorties étaient plus rares. Ca lui faisait mal au cœur en un sens, il n’avait pas envie de perdre cette amitié qui avec le temps avait su trouver une place importante dans la routine de sa vie. Mais Caliban avait pris du galon. Il avait de nouvelles responsabilités qui l’appelaient en permanence et devaient lui demander beaucoup de sacrifices, pour le bien commun, le bien de son peuple, de ses frères et sœurs de l’air. Caelan ne lui en tenait pas réellement rigueur, il savait que la charge devait être lourde, il la voyait peser aussi sur Casey au quotidien. Ce n’était pas tant l’absence de Caliban qui le dérangeait dans tout cette histoire, que les mesures qu’il prenait sous son nouvel étendard.

« Tu n’as pas idée comme ça fait du bien de sortir un peu de tout ça. Le boulot, le Conseil, la vie … parfois j’ai un peu l’impression que je suis en train de me faire bouffer. » Il ajoute, comme si leurs pensées se mêlaient. Caelan lui adresse un sourire désolé. Il n’y avait rien d’enviable à se faire effacer sous le poids des responsabilités. Il lui arrivait de se poser la question de savoir ce qu’il ferait à la place de Caliban. Comment gèrerait-il de devoir faire passer les besoins de tout son peuple avant les siens ? De devoir sans cesse réfléchir à ce qu’il y a de meilleur pour tous et récolter en échanger les soupires et les plaintes. Si l’air l’avait choisi, il n’était pas sur qu’il aurait pu s’en montrer digne. Caliban avait en lui un honneur plus prononcé que celui de Caelan, un honneur qui semblait rendre facile la tâche qui pèse sur ses épaules. Et pour ça, le nymphe ne pouvait que l’admirer. « Ouai, j’imagine que ça ne doit pas être la joie au quotidien avec un emploi de ministre comme le tiens. » Il commence en se mettant en mouvement, pour initier une petite randonnée dans les rocs environnants. « Je suis honoré que tu m’accord un instant finalement. » Il rit, en donnant une accolade à son ami. Au fond l’idée le touche, comme toujours quand on lui accord un instant, à lui, celui que personne ne se donnait la peine d’inviter pendant si longtemps. « C’est pas trop dur ? » Il reprend finalement, plus sérieusement, un ton intéressé dans la voix. « Le Conseil je veux dire, tu t’en sors ? Je sais que Casey aurait pu être né pour ça, pour guider les nymphes de feu et mener son petit monde. » Il dit avec beaucoup de fierté, comme à chaque fois qu’il mentionne son frère, ce modèle étincelant guidant bien souvent ses décisions et ses rêves. « Je crois que c’est pas toujours aussi évident avec nous autres, les nymphes de l’air ? » Il rit un peu, mais la question est pourtant sérieuse. Car il n’est pas venu simplement pour les beaux yeux de son ami mais aussi pour le message qu’il doit lui transmettre, qu’il faut lui transmettre, sachant pourtant qu’il ne sera pas agréable à entendre.

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Caliban x Caelan

Il y avait ce quelque chose de nu, finalement, dans ces montagnes. Quelque chose qui relevait sûrement du vent trop frais, de l’air trop pur, de la verdeur sourde et infime qui bruissait doucement près d’eux. Quelque chose qui les dépouillait de leurs artifices illusoires, de leurs fiertés, leurs quotidiens, et qui faisaient d’eux simplement une paire d’amis se retrouvant.
Caliban était trop pressé, trop stressé, par ce quotidien gris et vert qui s’agitait sous ses prunelles. Se lever, travailler, sans un instant laissé pour vivre. Alors qu’il avait tant besoin. D’une soirée tranquille avec ses pensées. De nouvelles rencontres au Nymph Garden. De temps passé avec ses amis, avec notamment les Cearbhall dont tâchait de rester proche … ça facilitait bien le tout, finalement, d’être près de Casey, puisque leurs places respectives leur permettaient bien d’échanger à travers leurs obligations. Parfois, il n’avait qu’une seule envie, envoyer valser le Conseil, son tatouage et toutes ces âmes sourdes qui n’écoutaient qu’une seule voix. Partir. Voler. Emmener Caelan avec lui. Oublier. Partir. Partir. Fermer la porte doucement, pour ne pas faire tellement de bruit, et s’en aller au-dessus des cimes pour échapper à son fardeau.
Mais l’intégrité a cela de difficile, de malheureux et d’intangible, qu’elle vous emprisonne prestement par votre propre volonté. Et Caliban était intègre, entier, engagé, dévoué ; on lui confiait une mission, il l’emmènerait jusqu’au bout, dussé-t-il en mourir éreinté, dussé-t-il renoncer pour cela à ce genre d’après-midi qui lui donnaient la sensation de pouvoir dominer le monde.
Il emboîta le pas à son ami, recevant avec allégresse les sons trop rares de son rire qui l’effleuraient comme des caresses. Il rit lui aussi, parce qu’il n’y avait qu’un pas qui les séparait finalement, et que derrière les mots trop doux se tapissait bas l’amertume.
« J’aimerais pouvoir t’en accorder plus, Cael. J’espère que tu le sais. »
Les cailloux crissaient sous leurs chaussures, l’air exsudait les conifères, et le givre qui brûlait l’air se faisait coton sous leurs pas.

Les mots du nymphe se décantèrent dans l’esprit clair de son guide. Une ombre douce dans le tableau, qu’avec maladresse Caelan amenait sur le tapis de leur promenade. Caliban eût un pâle sourire. Oui, Casey était fait pour ça, et ce n’était pas aussi évident pour lui. Il n’était pas politicien, pas leader, pas charismatique. Il était juste un nymphe de foi qu’on avait placé là, par un hasard aussi obscur que le tatouage sur sa poitrine.
Caelan rit, pourtant Cal se sentir brunir. Parce que derrière les mots arides qu’il percevait dans d’autres lèvres, il y avait ce non-dit blessant qui se tapissait dans les ombres. Un long moment las s’écoula avant que le guide ne put se résoudre à pouvoir reprendre des mots.
« Si, c’est dur. » soupira-t-il. « C’est dur et, tu as raison, je ne suis pas Casey. »
Il savait combien le nymphe de feu était admiré de ses cadets. Avec raison d’ailleurs. La rigueur forte, la rectitude avec laquelle le brun affirmait ses positions, inflexible, l’avait toujours impressionné. Dès ce premier soir certainement, où les yeux tous pétris de larmes Cal lui avait voulu du mal. Pour autant … pour autant, ils étaient différentes, il le savait. Un aveugle aurait su le dire. Cal malléable et pacifique face à Casey monolithique. Même dans les traits de leurs visages on aurait pu saisir cela.
Continuant sa marche calme, le greffier texan éleva ses prunelles moirées vers le ciel.
« Je n’ai pas sa force, je n’ai pas sa conviction. Parfois, je regarde autour de moi durant les sessions du Conseil, et je me demande ce qui m’a placé là. » Une main passée dans ses cheveux, emmêlés par leur altitude. « Je me dis qu’il doit y avoir un sens, une logique à ma présence parmi eux, mais je crois que j’ai surtout peur d’admettre … »
D’admettre quoi, Caliban ? Que tu n’es, que tu ne resteras qu’un greffier parmi les requins ? Un trentenaire complètement perdu, qui évidemment se ride comme au soleil une méduse ? Que tu n’es pas à ta place parmi eux ?
« … je crois que c’est surtout le hasard, en fait. »
Qu’est-ce-que ça changeait, si c’était le hasard ? Le hasard n’était après tout qu’une œuvre permanente et divine quand Dieu oubliait de signer. Qu’est-ce-que ça changeait, si c’était le hasard ? Le hasard l’avait placé là, dans les eaux troubles du Conseil, et s’il était là il devait tirer la meilleure chose possible du temps qui lui est imparti. Il devait bloquer ses épaules, verrouiller ses jambes et ses bras, tolérer que la tempête passe et avec elle emporte de lui.
Pire que tout, il devait accepter que ça l’éloigne de ses amis.

Caliban & Caelan

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« J’aimerais pouvoir t’en accorder plus, Cael. J’espère que tu le sais. » Lui dit Caliban, et le nymphe des airs regarde son ami en souriant. Il le savait et il ne lui reprochait pas. Ce n’était pas le but, il ne voulait pas l’accabler ni le blesser. Il savait que sa vie était remplie. Pleine de responsabilité et de temps donné pour une cause qui l’avait choisie plutôt que l’inverse. Cael trouvait cette dévotion admirable. Caliban était l’exemple même de ceux qui savent mettre leurs envies entre parenthèse pour faire du monde un endroit meilleur, pour faciliter la vie des autres, tout en alourdissant la leur. Pour ça, Caliban n’avait pas à rougir ni à s’excuser, alors son ami lui sourit et le soutient avec un regard appuyer. Si Caliban n’avait que quelques minutes à lui accorder de temps en temps, il les prendrait sans ronchonner, profiterait juste de l’instant de répit pour tenter de continuer à tisser le lien qu’ils ont créé il y a déjà plusieurs années.

C’est dans un instant comme celui-là, au milieu de la nature, qu’il s’exprime le mieux. Marchant côte à côte au milieu de l’immensité dans ces moments qu’ils ne partagent qu’à deux. Deux amis. Deux nymphes. Deux partisans de la nature et de sa beauté pure et sincère. Au loin les montagnes et leur grandeur, devant eux les arbustes robustes et agités par la brise, sous leurs pieds les brins d’herbes légers et indestructibles. Tout est là pour les accompagner, pour les porter et pour faciliter leurs échanges. C’est ce qu’il croit en tout cas, jusqu’à sentir Caliban s’assombrir. Lui qu’il connait si plein d’espoir, si plein de foi, il n’est pas habitué au ton qu’il réveille. « Si, c’est dur. C’est dur et, tu as raison, je ne suis pas Casey. » Il lui dit, las, et Caelan se mord la lèvre. Il n’a pas fait attention, il n’a pas été délicat. Il a parlé comme les mots sont venus et il le sait, ses paroles ont blessé son ami. Ce n’était pas son but et il s’en voulait un peu. Il savait que leur discussion allait surement monter dans les tons, il savait que Caliban n’allait pas apprécier ce qu’il était venu lui dire, mais il aurait préféré attendre le cœur du problème avant de commencer à l’énerver.

Il faisait preuve d’une telle admiration pour son ainé, pour Casey et la justesse de ses actions, qu’il n’avait pas pensé que la comparaison puisse être douloureuse. Caliban n’était pas Casey. Il était différent et ce n’était ni un mal ni un bien. C’était un fait avec lequel il fallait s’arranger. Il ne pouvait pas être comme le représentant des nymphes de feu, il n’avait pas à l’être, mais ça n’entachait en rien qui il était, ce qu’il faisait et ce que la communauté lui devait pour ça. « Je n’ai pas sa force, je n’ai pas sa conviction. Parfois, je regarde autour de moi durant les sessions du Conseil, et je me demande ce qui m’a placé là. Je me dis qu’il doit y avoir un sens, une logique à ma présence parmi eux, mais je crois que j’ai surtout peur d’admettre … » Caelan s’arrête, se tourne vers le nymphe et patiente un instant pour le laisser continuer. Du regard il le soutient, sais que cet instant compte. S’il a été maladroit, s’il a dit les mots qu’il ne fallait pas, il pourrait au moins essayer de réparer son erreur. « … je crois que c’est surtout le hasard, en fait. » Il conclut finalement et Caelan se rapproche de lui d’un pas. Il pose une main sur son épaule, le regarde dans les yeux pendant quelques secondes pour y puiser les mots nécessaires. « C’est pas le hasard mon pote. T’es pas Casey, mais c’est pas grave, je voulais pas te vexer. C’est l’air qui t’a choisi. Notre élément, la nature. Tu le connais comme moi, il a toujours ses raisons et je remettrai jamais ça en cause. Si l’air pense que tu es le mieux placé pour le rôle, alors c’est le cas. » Il dit plein de conviction et sans la moindre hésitation. Parce qu’il y croit de tout son être. L’air est son plus vieil ami, son plus grand compagnon et jamais, il ne pourrait remettre ça en question.

Ses paroles flottent un instant entre eux, sa main toujours posée là. Il ne sait pas vraiment pourquoi, mais il n’a pas tant envie que ça de briser ce contact, cette soudaine proximité et ce ton de confidence. Il ne sait pas vraiment pourquoi, mais ça lui fait du bien. Jusqu’à ce qu’il croise le regard interrogateur de Caliban, surement surpris qu’il s’éternise comme ça et qu’il retire rapidement sa main en souriant. Pendant quelques instants, il ne rajoute rien, recommence à marcher, laissant son esprit réfléchir à la meilleure façon de faire passer son message, maintenant. Et puis il se dit que ce n’est surement pas possible, alors pourquoi tourner autour du pot, il fera de son mieux mais vu comme les choses sont parties, il se doute que ça ne suffira pas. « Tu t’en sors bien, je te jure. » Il commence, passant une main sur la naissance de sa barbe, les yeux fixés sur l’horizon. « Après, je te cache pas que, certains se pose des questions sur tes méthodes. Certains dont moi, je l’avoue. Mais tout ce délire pacifiste, on est un peu paumé Cal. Ca ne nous ressemble pas trop. » Sa voix est plus hésitante, s’excusant autant qu’elle s’impose. Mais les mots sont sortis et il se dit qu’au moins, la chose est maintenant dite. Il ne parle pas que pour lui, il parle pour tous ses frères qui ont parfois remis en question l’autorité de ce nymphe dirigeant qui tente de changer les choses. Parce qu’il est toujours plus facile de se plaindre du changement que d’essayer de le comprendre.

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Caliban x Caelan

Le hasard. Sa vie n’était faite que de hasard. C’était par hasard qu’il s’était trouvé là, en travers du chemin du tatouage qui l’avait forgé guide des nymphes. C’était par hasard qu’il avait rencontré ces gens, s’était laissé happer par l’aube et par cette vie tourbillonnante au point de ne plus réussir à retrouver du temps pour lui. Amer, il songea à sa Minh, la gorgone qui ne l’attendait pas, qui assurait sans doute ailleurs une floppée de ses obligations.
Quand il disait que c’était le hasard, il le pensait. Profondément, résolument.
Absorbé par ces folles pensées, il sursauta pourtant à peine lorsque Cael posa une main sur son épaule. Plongeant son regard dans le sien, le bleu dans le bleu, immobiles, il prit une grande inspiration. Troublé par l’immense profondeur qu’il lisait dedans Caelan, il écouta d’un air distrait ce que son ami proférait. Il tentait de le rassurer, rien de plus. Il était là, pour lui, encore. Rien que de penser à cela lui tira un fragile sourire.
« Ouais, si tu le dis … »
Le regard empli de ses doutes, il releva les cils vers l’autre nymphe, qui retira vivement sa main avec un sourire mystérieux. La chaleur sur son épaule se tarit. Il ne tenait pas tant que ça, à ce que son ami enlève sa main ; il manquait cruellement de gens qui osaient franchir ces barrières, passer au-delà de son titre, son expérience et sa stature pour juste venir le toucher. Il n’y avait que Minh, parfois, quand les étoiles voulaient bien s’aligner le temps d’une soirée, mais ce n’était jamais assez. Le temps le séparait des autres, le temps le séparait du monde.
Les yeux plongés dans l’horizon, Caliban eut un franc soupir avant de poursuivre sa marche, sur les talons de son cadet. Les secondes s’égrenèrent, silencieuses, comme un chapelet des pierres précieuses des moments qu’ils passaient ensemble.

Enfin il entra dans le sujet.
Ce délire pacifiste. Evidemment. Les nymphes étaient connues pour leur revendications, leur colère face aux évènements. Mais les nymphes, jusqu’à 2013, n’avaient pas eu essuyer le monde entier se déchirant. Cal revoyait, derrière la brume de ses paupières, la violence inouïe, le chaos. Il en rêvait parfois la nuit, se réveillant suant hurlant au milieu des draps désertiques. Il s’était battu trop, trop fort, pour oublier un seul instant la terrible douleur, le sang, la fumée qui peuplait le ciel et qui empoisonnait leur air.
« Ce délire pacifiste ? » releva-t-il, sourcil froncé.
Pas toi, Cael. Pitié, pas toi. Je sais que certains disent du mal, pensent que je n’y ai pas ma place, dans ce putain de conseil de merde. Mais pitié, je t’en prie, je t’en supplie, pas toi.
« Ce délire pacifiste, Caelan, c’est la seule chose qui peut encore nous éviter une autre guerre. » Il soupira, nez frémissant, agacé par la remise en cause. « Qu’est-ce-que tu préférerais, au juste ? Pardon, qu’est-ce-que ‘certains’ préfèreraient ? Que je frappe sans comprendre, comme d’autres l’ont fait avant moi ? Que je devienne comme EUX ?! »
Caliban cessa de marcher pour se tourner vers son ami. Son acolyte. Son compagnon. Celui à qui, avant de partir, il avait toujours tout confié. Pourquoi ? Pourquoi douter, pourquoi faire mal ?
Pas toi, Cael. Pitié, pas toi.
« Si tu les voyais, Cael, putain … » il passa ses deux mains sur son visage, comme pour faire circuler le sang qui y était subitement monté. « Des requins. Tous autant qu’ils sont. Les dragons, les sirènes, et Kane. J’ai l’impression de servir à rien, moi, au milieu de tout ça. » Il secoua doucement la tête.
Caelan était son ami. Rien ne servait de s’emporter. Il y avait juste à expliquer, tout simplement, à s’expliquer. Lui dire que le tatouage sur lui ne changeait rien à leur complicité. Pourtant un gouffre s’était creusé, et rien qu’à voir le regard droit que lui adressait l’autre nymphe, Cal sentit la terre l’engloutir.
« Ce que tu questionnes, Caelan, c’est la seule chose que je peux faire. Je pensais que toi, parmi tous, serais capable de comprendre ça. » Il détourna les yeux au loin, tâchant de chasser de ses cils ce qui menaçait d’y perler. « Je … je crois qu’on ferait mieux de rentrer. »

Caliban & Caelan

I felt my lungs inflate with the onrush of scenery—air, mountains, trees, people. I thought, "This is what it is to be happy.”

C’est les yeux embués de Caliban. C’est ça qui fait comme se briser son cœur, il en est sûr. C’est con, il sait pas trop d’où ça vient, ni pourquoi c’est là, mais il le sent passer comme une décharge électrique qui finit sa course en plein dans chaque cavité de son palpitant. Merde. Ils se sont pas vus depuis un siècle et il vient de tout gâcher en étant le pire ami possible. Pas étonnant que personne ne veuille rester proche de lui bien longtemps, finalement. Il regarde ses chaussures comme un enfant alors que le nymphe d’air lui dit à quel point il l’a déçu. Son opinion a pas changé et au fond, il sait qu’il a bien fait de lui en parler. Il est pas le seul à trouver que Caliban est trop gentil, trop pacifiste, trop différent d’eux. Mais l’air l’a choisi lui, l’air sait ce qu’il fait, il vient de le dire, alors pourquoi est-ce qu’il a été obligé de l’ouvrir ? « Ce que tu questionnes, Caelan, c’est la seule chose que je peux faire. Je pensais que toi, parmi tous, serais capable de comprendre ça. » Il assène finalement et Caelan le reçoit en pleine gorge. Il est vraiment un ami en carton, un nymphe en carton et il sait plus trop pourquoi il est venu là, pourquoi il a pas pu juste profité de ce moment avec Caliban. Ca lui fait mal au cœur, ça lui fait mal aux tripes et c’est bizarre. Il s’est déjà fâché avec des potes, peut-être sur des sujets moins graves, mais là, ça lui fait plus mal et il sait pas vraiment pourquoi. Peut-être parce qu’il a tort, peut-être parce que c’est lui qui a déclenché ce malaise. Il sait pas trop, il saurait pas dire, mais c’est là, et lui il reste les bras ballants comme un con, hochant la tête tristement quand Caliban lui dit qu’ils feraient mieux de rentrer. « Je suis désolé, Cal’. » Il articule juste, parce que y a que ça à dire maintenant que le mal est fait. Pas étonnant que personne ne t’aime bien longtemps Cael, à force d’être si con, tu finiras vraiment tout seul.

Au début il rajoute rien d’autre, il se contente de faire demi-tour et de marcher dans l’inverse de leurs pas. C’est bête parce qu’ils pourraient juste s’envoler et rentrer à Washington comme ils sont venus. Mais il sait qu’il doit dire autre chose, ils peuvent pas rentrer comme ça. S’ils s’élèvent dans les airs, ils vont plus se parler, ils vont juste avancer dans un malaise ambiant et se faire un signe de la main en posant les pieds sur le sol de la capitale. Alors après quelques mètres, il s’arrête. Il regarde toujours ses chaussures, mais il peut pas continuer comme ça, c’est trop con. « Je veux pas qu’on soit fâchés. » Il dit simplement, parce que c’est vrai et parce qu’il peut pas le dire autrement. « Je sais que c’est pas cool de te dire ça, je sais que tu fais au mieux et selon ce que tu es et que ça doit pas être simple et que c’est facile de juste dire que ça va pas. » Il se balance un peu sur ses pieds, il relève un peu les yeux, aperçoit l’horizon. C’est toujours aussi beau par ici, mais l’ambiance n’est plus là. Ils ne vont plus rire et se raconter leurs dernières anecdotes. C’est le moment de partir maintenant, surement, il le sent. Ils en resteront là, il faudra qu’ils se revoient une autre fois, pour en reparler, pour qu’il s’excuse à nouveau, peut-être qu’il trouve une nouvelle approche pour être un peu moins con. Il a pas changé d’avis, il pense toujours qu’ils devraient se battre plutôt que de tenter d’apaiser les choses, mais il veut pas blesser Caliban. Il l’aime bien, ils se connaissent depuis longtemps. Ils se sont déjà engueulés, mais jamais comme ça. Et il a toujours l’estomac lourd en revoyant son visage crispé quelques secondes auparavant. Il sait que la colère c’est pas son fort, il veut pas que ça se passe mal entre eux. Ca le ferait chier que ça se passe mal. Il sait pas trop pourquoi, mais si Caliban ne tenait plus un peu à lui, il se dit que ça lui ferait plus mal que pour les autres. Il veut rajouter quelque chose, il sait pas quoi, alors il se contente de s’approcher maladroitement et de le prendre dans ses bras. Ca dure quelques instants seulement, quelques instants de trop. Il sait pas bien pourquoi il a fait ça. Ils font jamais ça. Il fait jamais ça. Sur le moment ça lui a semblé bien. Maintenant il se recule encore plus gêner. Con jusqu’au bout. Il ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais mieux vaut arrêter là le massacre. « Ouai, bon. Allons y. » Il articule juste avant de faire un petit bond pour s’élancer. Alors que l’air commence à lui chatouiller les joues, il se dit qu’il va avoir du mal à rattraper ça. Mais il se dit aussi que même si c’était inhabituel, c’était pas si désagréable …

Âge : 37 ANS (03/10/1984) ❋ déjà aussi vieux qu'il est grand

Les palais des couronnés se firent bruler pour devenir des phares.

Caliban x Caelan

C’était son ton plein de reproches. C’était ça qui le faisait vriller. Parce que ce ne serait jamais comme il faut. Il serait toujours trop, ou pas assez, ou bien encore pas comme ils avaient besoin. Parce qu’il se mettait déjà la pression, tellement, si fort, tout le temps. D’un seul coup, il se sentit bête d’avoir pu même imaginer qu’il pouvait échapper à ça. Aux regards des autres, à leurs attentes. Trouver un endroit sans corset pour lui comprimer la poitrine plus que ne le faisait déjà ce tatouage qui avait paru sur sa peau. Il se sentit bête d’avoir pu penser, dans la lassitude de son quotidien, les réunions, les sessions au Capitole, le jardinage au Nymphe Garden, les soirées manquées avec Minh, au milieu de tout ce bordel qu’il essayait vainement de lier par autre chose que ses devoirs ; il se sentit bête de penser qu’il aurait pu juste respirer.
Mais non. Non. Son ami, son meilleur ami, avait encore des choses à dire. Et finalement, Cal ne lui en voulait même pas. Il était le guide des nymphes des airs, alors si il n’écoutait pas ce que les nymphes des airs pensaient, à quoi bon leur servir de guide ? La pensée doucement l’effleura que ce serait sans doute plus simple de ne plus voir personne du tout. Puis, peiné, il se repentit de penser une seule seconde à briser l’amitié de Caelan.
Lui, parmi tous les autres.
Il était désolé. Bien sûr qu’il était désolé. Cal aussi était désolé, de s’emporter un peu trop vite, de ne pas être comme il faudrait. Mais maintenant sa seule envie c’était de rentrer à l’appart en priant pour que Minh y soit, et d’y retrouver le cocon d’allégresse que cerclaient ses bras.
« Ouais, moi aussi. » il marmonna, les yeux ailleurs. Parce que sans le vouloir vraiment, des perles de rage et de peine étaient montées jusqu’à ses cils. Et déjà qu’on le jugeait faible, il était hors de question que Cael le voie encore plus affaibli.
Le nymphe suivit les pas traînants de son ami sur les graviers. L’atmosphère avait changé du tout au tout, et de leurs regards malicieux ne demeuraient pas un seul lien. C’était incroyable comme un seul sujet, un sujet aussi douloureux, pouvait influer une journée et faire souffrir deux conversants. Cal voulait rentrer, désormais.
Mais Cael ne se taisait pas, ou du moins se tut peu de temps.
Moi non plus, j’veux pas qu’on soit fâchés, Caelan. Je tiens à toi. Je tiens à toi, vieux, et c’est certainement pour ça que ça fait plus mal que les autres. J’ai confiance en toi. Je me fie à toi. Je pensais que ça ne poserait pas de problème d’être en guide, mais en fait tout me pose problème. Je ne veux pas de ça entre nous, pas d’hiérarchie, pas d’animosité. Je veux juste des instants précieux, des rires ébouriffés de vent, c’est ça que j’attendais de toi. Mais comme toujours j’ai été bête, j’ai pensé que j’aurais pu là me départir de mon harnais, laisser derrière le poids des jours pour flotter dans un autre monde. Je ne veux pas qu’on soit fâchés, mais je sais pas non plus quoi dire, alors il vaudrait mieux qu’on rentre avant que j’explose ou me taise.
Puis tout au fond, il savait aussi qu’il avait blessé son ami, et c’était cette culpabilité, celle d’avoir été un idiot, qui gardait ses lèvres scellées. Pour pas le blesser encore plus.

L’accolade de Caelan le prit au dépourvu, si bien qu’il resta planté là, les bras suspendus dans le vide, incapables de se refermer sur lui mais incapables de le repousser. L’étreinte ne dura pas longtemps, à peine une poignée de secondes, pourtant dans le ventre du nymphe quelque chose s’ouvrit et sourit. Ils ne faisaient jamais ça. Ils n’avaient jamais fait ça. Cal n’était pas vraiment tactile, ou du moins ne se croyait pas. Mais ce contact le réchauffa un petit peu dedans les côtes.
Ils étaient fâchés, mais ils n’étaient pas vraiment fâchés. Ils s’en relèveraient, ils s’en sortiraient. Parce qu’il y avait entre eux ce lien indestructible par les ans qui avait maintes fois prouvé qu’il était bien plus solide qu’eux. Parce qu’ils étaient amis, puissants, et que le morne du quotidien ne pouvait pas étouffer ça.
Les cheveux de Caelan sentaient le shampoing au pin frais.
Il serait resté là longtemps, maladroitement enlacé sans oser bouger un seul poil, mais son ami se recula, embarrassé, malencontreux, et donna le son du départ. Cal se propulsa dans les airs, et ils rentrèrent à Washington sans toucher terre ni dire un mot. Le délice des nuages trop bas qui lui humidifiaient les cheveux finit par le calmer un peu. Redéposant Cael chez lui, il lui serra doucement le bras en glissant simplement trois mots.
« T’en fais pas. »
Qu’il ne s’en fasse pas, ils s’en sortiraient. Ils s’en sortiraient, en sachant qu’ils pouvaient se parler. Se dire les choses plus ou moins fort, s’attaquer sans que l’autre bronche, sans qu’une tempête ne se lève ou un océan les attaque. Ils avaient échoué pour cette fois, mais ce n’était pas la dernière. Ou tout du moins, Cal l’espérait. Que ce ne serait pas la dernière, qu’ils sauraient se tirer de là et en ressortir bien plus forts pour voler au-dessus des monts.
« Dimanche prochain ? »

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