SOLSYN ▲ the super trouper lights are gonna find me

« Solal, regaaaaaaaaaaaaaaarde ! »
Avant même d’attendre sa réponse, la petite brune dont elle avait la charge s’était élancée en glapissant vers la fête foraine. Ani était si enthousiaste. Une petite boule d’énergie qui bondissait aux quatre coins de l’existence. Sol eut un sourire tendre. Cela faisait quelques mois, pas plus, qu’elle était la baby-sitter attitrée d’Ani, avec ses cheveux crépus et sa peau sombre ; chaque jour était une nouvelle source de merveilles dans leur relation.
Les parents d’Ani, deux amateurs de voyages résidant à Adams Morgan, avaient confié leur progéniture à une Sol éblouissante pour partir en amoureux tout le week-end. Milo avait fait semblant d’être grognon à l’idée de se faire voler sa copine, le jour de son anniversaire, par une petite métisse surexcitée, mais la blonde savait très bien qu’il n’était réticent que pour la forme. Ils se plaisaient suffisamment pour passer du temps loin l’un de l’autre. Elle admirait son innocence, il appréciait ses engagements. Et Ani était l’un d’entre eux.
Solal pressa le pas pour se hisser à hauteur de la fillette. Ses yeux remplis de mille et unes lumières dévisageaient les attractions comme la septième merveille du monde. Suivant son regard, Sol darda ses iris centenaires sur la grande roue. Elle aimait tant les fêtes foraines. Impossible d’être malheureux dans ce genre d’endroit, tout y scintillait de lumière et de néons multicolores. C’était, d’ailleurs, dans une fête foraine comme celle-ci que Chiara l’avait trouvée, il y avait des années de cela. Sol était attirée par les rires et par la joie comme un papillon par la lumière. Comment blâmer Ani de l’être tout autant qu’elle ?
« Je ne savais pas qu’elle avait rouvert … tu veux qu’on aille y faire un tour ? » lança-t-elle à l’adorable gamine avec un sourire éclatant.
Son interlocutrice, du haut de ses 7 ans et 2 incisives perdues, hocha la tête vigoureusement, à s’en démettre la nuque. Evidemment. Quelle question. Proposez à n’importe quel enfant d’aller faire un tour de manège ; lequel vous dira non ?
Replaçant une blonde mèche égarée derrière son oreille, Sol s’agenouilla près de la petite fille.
« Je suis d’accord, Ani. Mais on va fixer quelques règles, d’acc ? Il faut que tu restes près de moi, tu me tiens bien la main. Je ne veux pas te perdre. Et puis, on rentrera à … » un coup d’œil à sa montre pailletée. 19h30. « On rentre à la maison vers 21h, pour le bain et l’histoire ? »
« D’accord, Solal ! »
Un sourire radieux s’étira sur le visage encore poupon de la jolie fillette. Il n’en fallait pas plus. Les deux demoiselles s’élancèrent, main dans la main, parmi le dédale des barbe à papa et des manèges aux couleurs vives.

Alors qu’elle évoluait paisiblement, après déjà 3 passages dans la galerie des glaces, la main tiède d’Ani rivait dans la sienne, quelque chose survint. Un flash coloré dans son champ de vision, qui avança vers elle beaucoup trop vite jusqu’à être bien trop proche d’elle.
« Qu’est-ce-que … »
Sol se retrouva bientôt enlacée par une inconnue, une femme qui la serrait contre sa poitrine comme si sa vie en dépendait. Désemparée, la djinn resta un instant sans réagir, serrant la main d’Ani dans la sienne. Puis elle leva son autre bras afin de tapoter doucement le dos de la femme qui, vraisemblablement, l’avait parfaitement reconnue.
Lorsque l’étreinte se desserra, Sol put jauger un peu mieux son interlocutrice. Visiblement, elle travaillait comme maquilleuse auprès des enfants dans la fête foraine. Brune, de vastes yeux qui voyaient le monde, cet air rieur et toujours jeune … finalement, alors que l’autre tournait sur elle-même comme une toupie bariolée, ce furent les barbouillures de maquillages* qui mirent la blonde sur la piste. Elle ne connaissait qu’une seule personne qui lui portât tant d’affection ET qui aimât tant le multicolore. La révélation la laissa bouche bée.
« C’est qui, la dame, Solal ? » demanda Ani en tirant sur sa manche, avec dans son ton l’inquiétude des enfants face aux étrangers. Bien que cette étrangère-là ait des couleurs partout sur les mains et une foule d’enfants heureux qui papillonnaient autour de son stand.
« Dae ? » balbutia la blonde sans trop y croire.
Evidemment. Qui d’autre ? Daesyn, sa meilleure amie immortelle, connue quelques années plus tôt tandis qu’elle lisait dans une prison proche de Baltimore. Un détenu que l’on allait relâcher et duquel Sol s’était prise d’affection. Cherchez une djinn, qu’elle lui avait dit à son départ. L’homme avait cherché, et il avait trouvé Daesyn.
Daesyn à l’enfance interminable, Daesyn pailletée, Daesyn arc-en-ciel, Daesyn méli-mélo, son amie, la sœur qui lui avait tant manqué, son amie, sa Dae.
Alors, à son tour, la blonde lâcha la main d’Ani pour se jeter sur l’autre djinn et la serrer de toutes ses forces. Aucun mot n’était disponible pour exprimer combien elle était heureuse de la revoir. Aucun n’était assez puissant, en tout cas. Aussi Sol se contenta-t-elle de babiller gaiement, sans prendre la peine de respirer, un souffle beaucoup trop heureux dans les oreilles de sa brune.
« Mon Dieu Dae c’est toi, c’est vraiment toi, c’est vraiment vraiment toi ! Je pensais pas te revoir, je suis si heureuse ! Si contente ! Si heureuse ! J’aurais jamais cru que … oh, et ce stand de maquillage. C’est si coloré, c’est si toi ! Ce nouveau corps … beaucoup trop belle … je … »
Il n’y a pas de mode d’emploi lorsqu’on retrouve une amie perdue le soir de ses 223 ans. Surtout ce genre d’amie perdue. Quelques larmes de joie jaillirent, dans la clarté incandescente de cette fin d’après-midi. Solal haletait, les mots arrivaient dans le désordre et elle les laissait tous sortir, tous, en espérant peut-être un peu que certains toucheraient au cœur. Lancée dans son monologue incontrôlable, elle serra Dae sur son cœur. Hors de question de la laisser repartir, ah non. Hors de question qu’elle s’évapore, qu’elle retourne au purgatoire, qu’elle détourne ne serait-ce qu’un sourcil avant qu’elles se soient de nouveau tout dit.
« C’est tellement bon de te retrouver. » conclut-elle avec un sourire, enfouissant son nez chatouilleur dans la chevelure brune de cette nouvelle incarnation.
Daesyn et Sol. La blonde et la brune. Deux djinns au milieu du chaos. Deux amies inséparables.
Littéralement.

Près de cet homme de Baltimore avait ressurgi Daesyn, ombre dans le grand purgatoire devenue couleur dans ce monde terne. Et son ami. Celui qui, au même titre qu’elle, respectait les lois de leur race en se faisant multicolore. Jamais Sol n’avait, avant Daesyn, rencontré un djinn qui aimât autant l’humanité, qui n’acceptât avec autant de grâce le repos tiède du purgatoire, et qui enfin qui sût répandre autour d’elle ce scintillement de joie. Elle aurait tant donné pour lui ressembler, la joie chevillée au corps comme un solaire feu d’artifice.
Voilà que ce soir le destin les avait de nouveau réunis.
Et le destin était facétieux. Il fallait qu’il lui revienne ainsi, sous cette forme bariolée, le jour de son anniversaire, dans ce contexte de fête foraine comme lorsqu’elle avait trouvé Chiara. Avec un sourire délicieux, Solal songea que ses deux meilleures amies dans cette vie l’avaient trouvé entre les attractions et les rires des enfants. Un endroit parfait pour des rencontres non moins parfaites. Son cœur explosait de félicité.
Lorsqu’elle desserra son étreinte, Solal put jauger un instant le visage empreint de quiétude qui se tenait là face à elle.
« Tu es sublime, sous cette forme, Dae. »
Ani s’était dissimulée derrière Sol, bouille infantile trop timide et impressionnée pour savoir quoi répondre à l’autre djinn. Comme souvent les enfants, la petite métisse chercha à tâtons le contact d’un adulte, d’une maman ; Sol était pour elle ce qui s’en rapprochait le plus.
« Dae je te présente Ani, ma fripouille préférée. Ses parents sont partis en week-end et nous on fait les folles un peu, hein Ani ? » glissa-t-elle à sa jeune comparse avec un clin d’œil complice.
La blonde chercha quoi rajouter, mais les mots manquaient. Leur rencontre, ici, maintenant, ce soir-là, défiait toutes les probabilités, tous les pronostics qu’un statisticien narcoleptique se serait empressé de calculer. Merci. Un remerciement silencieux, adressé à l’univers, qui leur avait donné un coup de pouce, au destin peut-être, à Ani qui avait repéré durant leur balade les lumières de la fête foraine. Merci, merci, merci. Pour avoir retrouvé l’ami perdu. Pour qu’elles se souviennent l’une de l’autre. Pour ne pas avoir laissé les vapeurs brunes du purgatoire et l’aléatoire de leurs vies les séparer pour l’infini. Merci.
« En fait … » annonça-t-elle avec un sourire en coin pour la fillette. « … nous étions en route pour la galerie des glaces. Tu viens avec nous, j’espère ? »

Un espoir autant qu’une supplique. Sol savait bien où était sa place. Elle devait avancer, continuer, recommencer à l’infini, une boucle dont elle ne pouvait réellement s’échapper et d’où elle voyait le monde changer à contre-temps, comme s’il manquait des épisodes entre chacune de ses apparitions. Mais Daesyn était là, c’était trop beau, trop doux, trop improbable, elle ne pouvait pas simplement tourner le dos à son amie comme s’il n’y avait rien d’exceptionnel. Le fait que les deux trames de leurs vies se recroisent étaient, en soi, déjà quelque chose d’exceptionnel.
« Mais j’y compte bien ! » renchérit-elle, passant son bras autour de celui de la brune. « Je te préviens, si tu sors ne serait-ce qu’une seconde de mon champ de vision, je me mettrai à courir partout en hurlant ton nom à tout va ! »
Solal partit d’un rire sincère. Ani ne devait rien comprendre aux évènements, mais en cet instant le bonheur simple de s’occuper de la fillette s’était fait presque occulter par les retrouvailles de son amie.
Ainsi partirent-elles toutes trois, Sol au milieu, la main d’Ani dans la sienne et le bras de Daesyn autour d’elle. Si agréable et si troublant que la blonde aurait pu mourir, là, dans cette image de pure joie, sans avoir une once de regrets. Quoi que. Si. Elle aurait eu des regrets de n’avoir pas aimé Milo autant qu’elle ne l’aurait voulu. Mais, tout de même, Solal était au comble de la joyeuseté.
Les tickets achetés, le trio improbable se glissa dans la file d’attente pour la galerie des glaces. La fête foraine battait son plein, et chaque attraction attirait une foule de Washingtonien émerveillés. La paume toujours dans celle d’Ani, la blonde entreprit de raconter dans les grandes lignes les évènements des dernières années.
« Chiara est entrée au lycée … et, du coup, moi aussi. Un chouette lycée, où l’on s’est fait de bons amis … » Elle rosit. « … très bons amis, même. Et le reste du temps, je lis, toujours. Je cherche mon frère aussi. Mais y a beaucoup de fausses pistes, hélas … »
Un très léger pincement au cœur. Le manque de repères de la djinn lui pesait de plus en plus, les années passants. Elle aurait voulu retrouver son frère jumeau comme elle avait remis la main sur son père … mais Altaïr ne semblait pas vouloir pointer le bout de son nez. Ou bien il les évitait, ce qui n’était pas impossible ; cette simple pensait suffisait à faire saigner le cœur trop grand de la jeune femme. Enfin, se morigéna-t-elle en secouant la tête, elle avait Daesyn. Elle adressa un sourire radieux à son amie retrouvée.
Sol était heureuse d’exister.

La douceur des retrouvailles était un parfum singulier dont jamais Sol ne se lassait. Retrouver son père, retrouver ses marques, retrouver le monde dans son entièreté, qui n’était ni tout à fait différent ni tout à fait le même non plus. Retrouver un chemin, une vie, des habitudes, retrouver ces humains minuscules et leurs préoccupations bien trop vastes pour ce que leur cœur pouvait embrasser. Rien que pour cela, pour la tendresse de ses retours, elle accepterait de partir. Elle partirait de nouveau, elle repartirait chaque fois, chaque vie, comme il le fallait. Parce qu’ainsi demeurait la règle, et comme une roseau Sol pliait.
Avec un sourire, elle se remémora que tel était, à ses côtés, le cas de belle Daesyn. Une conviction intime, profonde, inébranlable, qu’elles respectaient toutes deux la vie et jamais n’y attenteraient. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’en un fragment de seconde son amie brune au regard clair voie clair dans son petit manège.
« Milo. Il s’appelle Milo. »
La blonde eut une mimique gênée, et à la fois trop enthousiaste. Le zouwu occupait bien souvent cette même part de son esprit, celle qui s’émerveillait du monde et ne le laisserait jamais partir. Qu’elle soit damnée si elle ne vivait pas à son côté le restant de ses jours, si elle n’entourait pas Milo d’une douce chaleur solaire comme elle l’avait tant fait pour d’autres.
Le bras de Dae autour d’elle, et ses doux mots sur Altaïr, achevèrent de rasséréner la jeune femme. Pourquoi s’acharner à songer à ces sujets trop impossibles ? Elle avait des retrouvailles à célébrer, et une Ani à contenter. Le temps viendrait, elle était sûre, où elle retrouverait Altaïr. Peut-être serait-ce le lendemain. Peut-être, dans une génération. Peut-être même dans une autre vie, quand l’univers aurait changé bien au-delà de toute mesure. Son frère. Son jumeau. Son Alta.
Déjà dans le ciel délicat, l’astre du jour voulait plonger. Se draper derrière l’horizon, où seuls des filaments d’azur viendraient rappeler la journée dans ce ciel d’un rose orangé. Pensivement, la blonde serra dans sa main la petite menotte d’Ani et laissa reposer sa tête contre la tempe brune de Daesyn.
Jusqu’à ce que celle-ci sursaute, et bondissante réalise.

Solal écarquilla les yeux devant ce revirement soudain, avant d’éclater d’un rire franc.
« Oui, Dae. C’est mon anniversaire. »
223 ans qu’elle était née, dans la fumée braillarde et tendre de la Révolution française. 131 ans à arpenter les belles allées de la terre, se délectant de chaque seconde avant de tomber dans les nues. Et 12 ans seulement dans ce corps, qui n’avait pas bougé d’un cil, déployant par-devers le monde les tendres grâces de son visage.
« C’est vrai, Solal, c’est ton anniversaire ? » la houspilla Ani en tirant doucement sur sa manche.
Bien sûr, aucun de ces âges ne convenait pour expliquer à la fillette depuis quand sa baby-sitter se tenait dans ces plates cothurnes. Aussi Sol s’agenouilla-t-elle pour glisser un clin d’œil complice.
« Eh oui, ma grande. J’ai 19 ans aujourd’hui. »
Elle faisait plus, elle le savait. Mais quand Chiara avait grandi, elle avait simplement convenu qu’il était plus simple pour elle de faire semblant d’avoir son âge. De s’asseoir comme elle au lycée. De rire comme elle après les cours. Et de retrouver l’innocence, l’insouciance aveugle de son âge, qu’elle n’avait pas pu vivre elle-même. Car à dix-neuf ans, Sol se noyait dans la pénombre d’un monde qui n’était pas le sien. Car à dix-neuf ans, on l’avait séparée d’un frère, d’une famille toute entière, qu’elle désespérait de revoir. Car à dix-neuf ans, Sol n’avait pas eu le choix d’être encore une adolescente ; la simple règle de la nature l’avait poussée à grandir vite, alors vite elle avait grandi.
Pourtant, songea-t-elle le regard dans les vagues, pourtant elle n’en regrettait rien. Pas une seconde d’existence. Pas les douleurs vives ni les colères pastel, pas les moments de doute ni les instants passés ailleurs, pas les questions ni les remords. Sa vie entière était un luxe dont à jamais elle serait reconnaissante.
Alors, dans la queue beaucoup trop patiente pour se rendre à la galerie des glaces, les yeux remplis d’adoration pour le simple fait d’exister, Sol se tourna vers son amie, et dans un rayonnant sourire elle proposa :
« C’est long, non ? Si on allait plutôt se trouver des barbes à papa et regarder le coucher de soleil ? »
Et, le cœur tendu vers le ciel, elle remercia Dieu en silence.

Qui proposait à Daesyn d’aller manger de la barbe à papa s’expose à une tournoyante folie multicolore et pailletée. La sucrerie aux mille filins était comme leur amitié : sucrée, multiple et pourtant là, palpable et pourtant intangible, étrange mais présente. Lorsque Solal reçut la sienne, une énorme boule cotonneuse à la fois rosée et violette, saupoudrée d’étoiles blanches en sucre, elle sourit de toute son âme vive. Sol était une barbe à papa, elle aussi. Enroulée autour d’un bâton qu’était son amour des humains, la base solide et entêtante de son existence terrestre. Et ensuite, malléable et douce, emplie d’air et de loyauté, saupoudrée d’étoiles à paillettes qu’on avait placées là pour elle.
La blonde se laissa emporter, la main d’Ani là dans la sienne, le bras de Dae sur le sien, jusqu’à un endroit à l’écart là tout au bout de la jetée. Elles s’assirent là, les trois demoiselles, les trois enfants dont une seulement avait l’apparence de son âge. Sa barbe à papa terminée, Ani posa son petit crâne sur les genoux moelleux de Sol. La blonde eut un sourire tendre, passant une main dans ces cheveux bruns de fillette qui s’endort.
Le décor était juste sublime. L’océan bleu et scintillant sur lequel le couchant soleil reflétait ses billes dorées. Autant de lumières provisoires, qui périraient dès le matin, dès l’obscurité de la nuit. Mais le temps n’était pas venu. Solstice d’été, solstice d’année, Sol avait 223 ans et pourtant elle en avait vingt, là dans le vertigineux chœur de ce monde qui l’accueillait comme une promesse.
« Oui, je suis heureuse. »
Elle laissa les mots infuser, mesurant leur véracité à mesure qu’ils s’enfonçaient plus dans le silence trop exigeant. Sol était heureuse. Elle avait une humaine superbe, un amoureux indescriptible, des amitiés infaillibles qui perpétraient depuis la guerre, elle avait retrouvé son père, et maintenant, là, Daesyn. Sol était heureuse, profondément, pleinement, entourée de ceux qu’elle aimait, quand elle voyait au fond des yeux des autres renaître la joie.

« Tu as retrouvé Morgan ? Mais Dae, c’est super ! Il a dû être si heureux ! Et toi aussi … je veux dire … je n’ai jamais connu deux personnes sur terre qui soient autant faites l’une pour l’autre. »
Oui, la blonde s’imaginait soudain arpenter les rues de Washington, avec Milo et ses amis. Tous les quatre, riant, tous les six avec Sören et puis Chiara. Le puzzle de sa vie de liesse enfin s’assemblait doucement, et cette simple plénitude l’emplissait de félicité.
Elle sentit le bras de la brune passer autour de ses épaules, tandis que sur son nez trop blanc on venait accrocher d’un doigt un morceau de coton sucré.
« Merci, Dae. » Sa voix tremblait de l’émotion qu’elle n’avait pas senti venir ; pourtant là le mal était fait, Sol pleurait presque dans sa joie. Et dans un tourbillon d’étoiles, elle sentit son cœur qui vibrait, semblant vouloir quitter ses côtes, pour rejoindre dans le ciel du soir les nuages rosés de l’été.
Les couleurs, les lumières et l’air ambiant, tout emplissait aux mille voix ses poumons d’une douce clarté. Sol n’était pas source de lumière ; elle ne l’avait jamais été. Elle n’était qu’un miroir lucide sur lequel se réfléchissaient les mille et unes joies du soleil. Elle n’était qu’une boule à facettes chargées des énergies lumineuses qu’on lui envoyait au visage. Sol n’était pas source de lumière ; elle était reflet, iridescence et rayonnement silencieux. Le bonheur des autres la choyait et nourrissait son propre éclat. Oui, elle était heureuse, parce qu’Ani était heureuse, parce que Milo était heureux, parce que Chiara était heureuse, parce que Sören était heureux, parce que sa mère était heureuse, parce que l’univers autour d’elle lui renvoyait la joie des autres. La joie de Daesyn, de son amie inaltérable que même une réincarnation n’avait pas su séparer d’elle.
Oui, Solal était heureuse, parce que le monde était en joie.
Elle récupéra le bout de sucre collé par son amie pour l’engloutir avec un rire. Posant sa tête sur cette épaule, épaule qu’elle ne connaissait pas et qui pourtant était sa place. Et, les yeux plongés dans l’horizon, Solal refléta le soleil qui disparaissait de ses nues.
La vie était étincelante.