Y a qu'les poissons morts qu'suivent le courant ♕ Sigrid & Synin

La neige craque sous leurs poids, brisant le silence des doux monts, un craquement régulier à huit temps, révélateur des deux montures conduisant leurs cavaliers vers Stavanger dans un trot rapide. En d'autres circonstances sans doute, auraient-ils pris leur temps pour rentrer; en d'autres circonstances sans doute, auraient-ils profiter de ce lapse de temps qui leur était accordé avant de vaquer à leurs tâches. Mais la nuit tombe vite, tout comme la neige qui couvre déjà leurs traces ; et après la défaite subis par leur clan, les guerriers de Dogve ne sont jamais bien loin des routes, comme si les embuscades qu'ils menaient les aideraient à accepter le goût de la défaite, à se relever.

Les yeux verts scrutent chaque rocher, chaque buisson, chaque arbre susceptible d'abriter les guerriers de Dogve, ces chiens errants qui n'hésitent pas à attaquer les voyageurs isolés, se jetant sur eux comme des loups affamés, rongeant tout ce qu'ils peuvent trouver jusqu'aux os. S'ils attaquaient, Synin ne ferait pas comme son frère, elle n'irait pas de front. Si elle connaissait les rudiments de la guerre et du combat, Synin était trop jeune, d'une nature bien trop différente, au corps trop faible pour les attaquer de front; cela ne voulait pas dire qu'elle ne combattrait, elle ne mourrait pas sans honneur. S'ils attaquaient, Synin leur ferait goûter la peur, les entraîneraient jusqu'aux tréfonds du Niflhel.
Les yeux verts scrutent chaque rocher, chaque arbre, chaque buisson susceptible d'abriter les guerriers de Dogve, et pourtant ; pourtant ses yeux verts ne scrutent pas moins le ciel, deux tâches sombres qui les suivent depuis le début de leur trajet, deux corbeaux aux ailes déployées. Deux tâches sombre dans un ciel blanc immaculée...

"Les corbeaux d'Odin. Ils nous suivent depuis Hangar, sans pour nous montrer quelque chose"

Synin quitte des yeux le ciel, hoche la tête, s'accorde aux paroles de son frère. Sans pourtant comprendre les réelles intentions du père des dieux. Si Bjorn ne cesse de lui répéter qu'elle est prédisposée à comprendre les dieux, bénie comme leur mère des pouvoirs de Loki, elle ne comprend pas, pas plus que lui. Quel message Odin cherche t-il à envoyer ? Quel message décrypter dans deux corbeaux qui, jamais ne se sont posés ?

Les deux montures continuent leur chevauchée, avançant tant bien que mal dans la neige qui ne cesse de se renforcer, les corbeaux suivant leur avancée.

Synin stoppe pourtant son avancée sous les yeux de son frère lorsque les corbeaux se posent sur les branches d'un arbre ancien, un de ceux qui ont vu plus d'hiver qu'elle ne peut en compter. Mais en soit, ce n'est pas tant par l'arbre ou les messagers que ses yeux sont attirés, mais par l'éclat de fourrure et le corps qui en dépassent. Le prénom de Bjorn est murmuré au creux du vent alors qu'elle lui fait signe de se taire et de regarder le creux de l'arbre. Sans surprise, la première réaction de l'Eivorson est de viser la fourrure avec son arc tandis que Synin pose le pied à terre pour se diriger vers l'arbre creux.
Ce n'est qu'à cet instant que la guerrière comprend ce qu'Odin voulait lui montrer, cette femme, à moitié morte dans le creux d'un arbre trop petit pour elle. Cette femme attise cette même connexion, ce même lien qu'elle sent avec sa mère, ce lien qui, d'après sa mère, leur permet de se reconnaître entre eux.

"Bjorn, il y a une femme ici" dit-elle d'une voix assez forte pour être entendue alors que son frère vient l'aider à sortir le corps frigorifiée de cette femme. Une brève bataille commence alors entre les deux blonds, si elle était une guerrière de Dogve, ou une exilée ? Une femme maudite par les dieux. Mais Synin, brillante Synin avance ses propres arguments, sa connexion. Et vint alors une pensée, une idée... Et si Odin voulait qu'elle soit trouvée, si Odin avait envoyé ses messagers précisément pour qu'elle soit sauvée ?
Équilibrée comme ils le peuvent sur le destrier de Bjorn, recouverte de ses propres peaux qui doivent avoir vu passer bien des hivers et des étés. L'inconnue est amenée, conduit jusqu'à la maison de leur völva pour être soignée; veillée des heures, des jours, autant de fois que le temps leur permet. Comment pouvaient-ils être surs de ce qu'elle était ? Ennemie ou alliée ? Protégée ou exilée ? Tant d'adjectifs par laquelle la désigner. Mais aucun n'était exacte tant qu'elle n'était pas éveillée ; si tant est qu'elle se réveillée... Presque trois jours étaient ainsi passer sans que l'inconnue n'ouvre les yeux, presque trois jours que Synin veillait dès qu'elle le pouvait sur une inconnue qui avait été soignée, nettoyée, réchauffée. Pourtant, dans son esprit, une question subsistait... Pourquoi Odin les avaient-ils conduit vers elle...

Codage par Magma.

Dans sa courte existence, Synin n'avait jamais eu à subir une inconscience prolongée hormis celle provoquée par le sommeil, et elle ne pouvait qu'imaginer, inquiète, les malheurs dont son esprit était la proie ; quant bien même la völva veillait sur elle et sur ses rêves. Synin était inquiète, et dans son inquiétude, le sommeil avait emporté la blonde vers d'autres lieux, peuplé de Valhalla et de nouvelles contrées où l'herbe verte parsemée les collines, où leur peuple trouverait prospérité. Où chaque lever de soleil, ne serait pas forcément le dernier, chaque nuit à observer les étoiles, un énième temps libre mis à profit pour rêver. Et pourtant, cette inconscience, ce sommeil est si léger qu'elle ressent sans mal le toucher fugace d'une main froide sur sa peau, et doucement, presque trop, la guerrière sort de son monde onirique pour rencontrer des yeux céruléens, si jeune dans un corps si vieux, comme s'ils n'étaient pas à leur place. Et ce doux picotement qui frôle sa peau, comme à chaque fois qu'elle rencontre sa mère, comme à chaque fois que cette dernière la prend dans ses bras, la fait utiliser ses pouvoirs.

Et sonne une voix, rauque comme celle des hommes de ne pas avoir assez bu, d'avoir passer trop de temps endormi, une voix dont Synin a l'habitude après tant d'heure passé aux côtés de la völva. Dont Synin connait les moindres mouvements pour l'avoir trop de fois entendu. Pourtant ce n'est pas tant la voix qui choque que l'étrange sensation qu'elle ressent auprès de cette femme. Et son silence, trop long, comme celui que les tempêtes provoquent au creux de la saison des glaces, pousse l'inconnue à reparler, pour reposer la même question d'une voix toujours aussi croassante, toujours aussi rauque. Une voix qui, comme les batailles, met Synin en action, la pousse à récupérer la décoction de la völva, un peu d'eau, du miel chauffé, une boisson qu'elle donnait souvent aux guerriers qui sortait d'un long sommeil. Et Synin, blonde Synin lui tend la décoction d'un geste sûr, un de ceux qui veut dire 'Bois' sans même en prononcer les paroles. "Tu es à Stavanger, dans la maison de la völva, et je suis Synin Eivorsdatter"

Le nom comme une arme, le nom comme un blason dorée qu'elle porte. Stavanger sa maison, sa malédiction elle qui rêve d'autres horizons, qui rêve de s'échapper sur l'un de ces drakkars qui prennent parfois la mer, un de ceux qui reviennent remplis chargés de cargaisons merveilleuses.
Synin se présente simplement, sans fioritures, comme son père lui a apprit, parce qu'une joute verbale commence toujours par une présentation, par un nom, un nom qui donne vie à une légende lorsque les bons sont prononcés, lorsque les bons actes sont effectués. Lorsqu'un mortel devient immortel sans même arriver au Valhalla; sans même être emmener par les fières et puissantes Valkyries. Quant la norne s'occupant de votre fil devient la meilleure des alliées.

Codage par Magma.

Il y a des noms qui sonnent dans la nuit, tel le glas d'une arme s'abattant sur l'ennemi, et il y a ceux que le temps emportent dans l'oubli, ceux que l'on cache ou que l'on murmure à demi-mot dans l'espoir qu'il s'efface. Il y a ceux que l'on prononce simplement, sans fioriture, rien de plus qu'un nom qui se mêlera à tant d'autres au Valhalla. Et il y a le sien, qui veut dire belle victoire et qui lui coupe tout son lorsqu'elle a fini de le prononcer, qui lui fait fermer et ouvrir la bouche tel le poisson fraîchement pêché, qui la fait pleurer, déversant des perles salés sur des joues qui ont retrouvés un peu de couleur après des jours emmitouflés dans des fourrures dans une maison chauffée. Et dans ces mots, ces gestes, cette femme lui rappelle tellement la petite sœur de Jögurn que son esprit ne peut s'empêcher de se demander pourquoi ? Pourquoi une femme comme elle, une guerrière comme elle pleure comme si elle n'avait vu passer que huit hivers glacés ?
Parce qu'elles sont seules, parce que personne ne pourra la voir, Synin se décide à prendre la main de la femme dans la sienne, si grande, si différente, si froide malgré la chaleur et la serre dans les siennes. Parce que c'est ce qu'il faut faire lorsque l'on veut montrer de la compassion à quelqu'un n'est-ce pas ? C'était ce que toute guerrière faisait lors de ces réunions où sonnait tristesse et mélancolie.

Synin brûlait, brûlait de curiosité de savoir qui était cette femme, pourquoi ressentait-elle cette étrange connexion avec cette inconnue. Sa mère elle pouvait comprendre mais cette inconnue ? Leur ressemblance était peut-être dû à leur propre nature ? Cette nature si compliqué dont lui parlait sa mère et qui était à l'origine de tant de ses pouvoirs. Est-ce que Sigrid aussi ressentait cette étrange connexion, ce petit tiraillement ?
Mais que pouvait-elle dire face à la tristesse de cette personne ? Que pouvait-elle dire face à cette femme qui déversait toute les larmes de son corps face à elle, qui était incapable de lui dire ce qu'il se passait parce qu'elle ne le savait pas.  La seule chose qu'elle pouvait dire, faire, paraîtrait si futile en comparaison. "Nous t'avons trouvé à demi morte dans la neige mon frère et moi..... il semblerait que tu sois comme nous. Est-ce que tu te souviens d'où tu viens ? Ce que tu faisais dans la neige ?"  Parce que si Synin ne pouvait pas rester sans rien faire, sans rien dire.  Il fallait des réponses, Synin les lui posait en question, d'autres essaieraient sans doute, de manière bien moins douce au vue de ce qui les opposait au clan de Dogve, il chercherait à savoir si elle était une espionne... sans doute était-il préférable de tenter d'obtenir des réponses ainsi.

Codage par Magma.

Etrange sensation qui la traverse de part en part tandis qu’elle observe la blonde, pourquoi une skjaldmö, s’essuie le nez comme le ferait une enfant ; une enfant qui n’aurait pas passer l’âge adulte. A quatorze printemps, Synin n’était plus une enfant dont le passage à l’âge adulte s’était fait trop tôt, a quatorze ans elle n’adoptait plus ce genre de comportement que l’on qualifiait d’enfantin et d’indigne d’une skjaldmö, de ce qu’elle est…
C’était peut-être le contact de sa peau contre la sienne, ou les paroles qu’elle prononce, cet ensemble de mots sucrés qui poussent la plus âgée à se confier, avouant son exil, son âge, son temps passer à errer… Et Synin, est assez intelligente pour comprendre que des deux ici, elle l’est la plus âgée. Celle qui a vu le plus d’hivers, celle dont les fils sont déjà bien embrigadés dans la trame de son destin. Elle comprenait sans mal qu’elle ne s’était pas trompée, et que la femme sous ses yeux, était comme elle, bien plus qu’elle ne pouvait le laisser paraître, elle l’était l’exemple même de ce que sa mère avait décrit. Alors, inconsciemment, elle serra un peu plus la main de cette réalité impossible qui lui avait été décrite ; comme si elle avait peur qu’elle ne s’échappe.

Est-ce de la peur qu’elle détecte dans le prunelles grises de Sigrid ? Ou du désespoir ? Quelle est cette lueur, cet éclat qu’elle peut voir dans ses yeux, qu’elle a déjà observer plus d’une fois chez ceux à qui la vie arrache tout ? Pour qui, chaque journée, n’est qu’une succession de secondes aisément discernable, torture lente et douloureuse. A quoi bon vivre lorsqu’il n’y a plus de but, lorsque chaque pensée est plus douloureux qu’un coup de hache, que chaque pas, aussi sûre qu’il puisse paraître, est hésitant, d’une extrême violence.
Ce n’était pas une idée si étrange alors, de se croire maudite par Loki… Dieu malicieux aux diverses manigances, lançant des malédictions d’un autre temps, un temps qu’elles n’avaient pas connus ; les premiers chants des mondes…

C’est un mouvement inconscient, non préméditée, qui fait que les lèvres de la plus jeune skjaldmö, s’étire dans un sourire compatissant. Si elle avait été plus jeune, sans doute l’aurait-elle pris dans ses bras avec l’innocence de l’enfance, aurait débité les premiers mots qui lui passait par l’esprit dans l’espoir de la réconforter.
Par Odin qu’il était difficile de trouver les mots justes, les mots qui par la même, permettrait d’expliquer à la plus jeune ce qu’elle savait être la vérité. « Tu n’es pas maudite Sigrid » lâche-t-elle finalement dans un souffle. « Tu es comme moi, comme ma mère. Une personne qu’Odin et Loki dans une certaine mesure, ont bénis de nombreux pouvoirs. » Tels étaient les mots qu’avaient employés sa mère les premières fois, lorsque l’enfance lui faisait faire des erreurs, qu’elle se croyait maudite quand elle ne l’était pas, quand tous voyait en cela, une bénédiction et de bons présages.

Codage par Magma.

L’image de l’enfant perdue, seule et effrayée par les loups du Helheim et les Jötunns, par ces monstres que l’on nous désigne comme ennemis dès la plus tendre enfance ; l’image de cette enfant, dansant telle des flammes sous les yeux de la skaldmö. Hypnotique ballet contre lequel la blonde était impuissante, elle ne pouvait dompter le feu tout comme elle ne pouvait dompter les sentiments qui se bousculaient en Sigrid :  cette peur qui éclairait ses yeux, dangereuse ; cette tristesse qui faisait perler des goutes de sels, aux sillons ancrés sur un visage si vieux pour une âme si jeune.
L’image des tambours agitant son cœur d’un battement plus sourd, écho à ses pensées trop nombreuses envahissantes telle des pillards après une bataille. Le son que produit ses lèvres en disant « Je n’aurais jamais peur de toi Sigrid » ; même si jamais était un temps très long, même si le Temps était un concept étrange pour l’Homme, même s’il n’avait ni début ni fin ; même si elles en verraient la fin un jour peut-être ; de ce concept étrange qui marquait de façon indéniable, les évènements que tout être trouve important. Malgré tout ça, jamais, semblait un temps trop court pour tenir sa promesse.

A l’image des rivières parcourant les montagnes, à l’image de ces rives translucides desquels poussaient la vie ; ses larmes animaient en Synin un besoin de protection, de complémentarité dans une âme aux bords brisés, animait son besoin de contact tandis qu’elle prenait finalement sa main dans la sienne, si grande et si petite, si vieille et si jeune… « C’est normal d’avoir peur. Il n’y aurait pas de courage s’il n’y avait pas de peur. Odin aussi avait peur, s’il n’avait pas éprouvé cette peur ; il n’aurait pas combattu avec tant de ferveur son destin, il n’aurait pas, accompli tout ce qu’il a accomplis. Nos ancêtres n’auraient pas fait tout ce qu’ils ont fait s’il n’y avait eu la peur » La petite fille qu’elle était, n’aurait pas accepté ses dons s’il n’y avait eu la peur et l’ignorance d’un monde où elle n’était pas ce qu’elle était. « Tu as le droit d’avoir peur Sigrid. Mais cette peur c’est…comme un pouvoir, la peur, peut te rendre plus rapide, plus intelligente et plus forte. Mais elle ne doit jamais t’empêcher de vivre » avoua-t-elle d’un ton plus dur ; si un jour, elle changerait parce qu’elle changerait un jour, rien ne dure éternellement, Sigrid elle, resterait, immuable tel l’astre de lumière. Si elle avait d’innombrables endroits où aller sans avoir la chance de pouvoir choisir, la blonde elle, pouvait faire ce que nul ici ne pouvait faire à part elle, l’éternité comme alliée. Il y avait cette petite voix, tout au creux de son esprit qui lui murmurait cette possibilité ; que la peur, pouvait être ce moteur inépuisable qu’anime chaque fibre vivante de cette terre, qui rend tout ça possible. Et l’espace d’un instant, si bref qu’il pouvait se perdre dans cet étrange concept qu’était le Temps, l’âme de Synin semblait bien plus vieille qu’elle ne l’était réellement.

Codage par Magma.