Cléophée - Maybe it's time to let the old ways die

Cléophée mêle ses cris de nouveau né à ceux de son grand frère, qui résonnent déjà depuis sept minutes. Sept insignifiantes petites minutes durant lesquelles ils ont été séparés, avant de lier leurs vies à jamais. La famille qui les accueille, les Abraxas, est une famille américaine classique. Ni trop riche, ni trop pauvre. Un papa, Hector, une maman, Theia et un grand frère répondant au doux nom d'Orpheus. Des rêves pleins la tête, des projets, du soutien et de l'amour. Tout pour grandir dans les meilleures conditions, s'épanouir et développer ses qualités personnelles et sa curiosité. Cléophée sera une petite fille joyeuse, joueuse et intelligente. Elle pose des questions, elle interroge, elle veut toujours en savoir plus. Précoce, surdouée, elle apprend vite, toujours plus. Elle retient, elle analyse, elle développe.

Alors que Pheobus suit les traces de son frère et découvre la musique, on lui présente la danse. Elle saute, elle tourne, elle virevolte aux rythmes des morceaux joués par ses grands frères. Ensembles, ils montent de petits spectacles qu'ils présentent à leur parent et qui finissent toujours par des éclats de rire incontrôlés. Dès son plus jeune âge, la danse lui permet de s'exprimer, elle qui se révèle vite assez timide, assez réservée, c'est finalement avec son corps qu'elle s'exprime le mieux, qu'elle se lâche parfaitement, laisse les vibrations l'enivrer et dicter ses mouvements. Rapidement la danse devient son moyen d'évasion.

Dans des moments privilégiés qu'elle vit avec son père, celui-ci l'emmène observer le ciel nocturne. Hector a toujours eu la tête dans les étoiles, passionné d'astronomie, de l'univers et de toute son immensité. Dans les yeux brillants de sa petite princesse, il lit facilement qu'elle est promise à de grandes choses et il se met à rêver de l'envoyer dans l'espace. Rapidement leurs petites escapades deviennent leurs instants à eux. Dans une grande famille, il est parfois difficile d'exister séparément et chacun comprend leur besoin de se rapprocher, eux qui sont si similaires. Cléophée adore s'allonger dans l'herbe et interroger son père sur toutes les constellations. Rapidement elle se prend à rêver, et si un jour elle pouvait aller là haut, explorer l'univers tout entier. « Quand tu seras sur la Lune, tu prendras une photo de nous ? » La blague devient récurrente dans la famille, et elle plait à la petite dernière. Un jour, elle ramènera une belle photo de sa famille vue du ciel.

Alors que Phoebus se fait remarquer pour son besoin de protéger les autres et sa tendance à se retrouver dans toutes les bagarres, Cléophée reste toujours plus discrète, bonne élève. Un peu enfermée dans ses pensées et ses rêves, elle ne s'intéresse pas beaucoup aux autres, mais se fait quand même une amie pour la vie. Flora a son âge, est dans sa classe et rêve de devenir infirmière. Très vite un lien se crée entre elles, de ceux que l'on ne peut jamais défaire. Cléophée et Flora se racontent tout, partagent tout et se font une confiance sans limite. Au milieu de sa petite famille, Flora est la soeur que Cléophée n'a jamais eu. Quand ses grands frères jouent de la musique, Flora danse à ses côtés, mêlant ses souvenirs aux siens.

A son entrée au lycée, Phoebus intègre une école spécialisée dans la musique. C'est la première fois que les jumeaux sont séparés et la pilule est dure à avaler pour Cléo. Elle a du mal à imaginer vivre aussi loin de lui et s'inquiète de ne pas l'avoir à ses côtés en permanence. Même si ses tentatives pour la protéger sont parfois oppressantes, elle s'est habituée à l'avoir toujours près d'elle et c'est comme une partie d'elle même qui s'en va. C'est là que nait une tradition qui les liera pour toujours : ils s'échangent un premier bracelet en tissu pour se promettre de revivre dans la même ville un jour.

Cléo intègre la prestigieuse université de Berkeley, non loin de San Francisco. Les options étaient vastes pour elle, mais il a toujours été question de rester près de sa famille, même si, à la même époque, ses frères quittent la ville pour s'installer à Nashville. Mais après les années lycées, la séparation lui fait moins peur. A l'université, elle entame un programme intensif en mathématiques, poursuivant toujours et inlassablement son but d'intégrer la NASA et de baigner dans les étoiles. Flora, qui sort à présent avec Phoebus, intègre aussi le campus et elles partagent toutes les deux un petit appartement. Cléo qui a poussé ce couple à se former ne pourrait être plus heureuse et souligne régulièrement à son amie comment elles sont maintenant devenues officiellement soeurs.

Malgré ses efforts, sa première année de fac est une catastrophe. Les programmes sont durs et elle goute à la liberté que lui apporte la vie sur un campus, loin de ses parents qui l'ont toujours encouragé à travailler plus dur. En un an, elle a gouté aux fêtes, aux après-midi séchés pour se prélasser au soleil et au bonheur de remettre à demain ce qu'elle aurait pu faire aujourd'hui. Elle rencontre même son premier amour, un certain Lucius qui l'aidera à sortir de sa coquille et la fera se sentir incroyablement forte et importante. La sentence ne tarde pas, elle ne valide pas sa première année et doit redoubler. Dans son parcours, c'est un premier échec qu'elle vivra très mal. Pour se rattraper, elle passera sa deuxième année à travailler sans relâche, s'isolant énormément et ne sortant plus que très peu la tête de ses livres. Sa relation avec Lucius en pâtit énormément et quand elle veut s'excuser au près de lui à la fin de son année intense, il est trop tard, la guerre est là et elle perd sa trace.

Lorsque la guerre éclate, c'est un choc terrible pour Cléophée. Jamais elle n'aurait imaginer l'existence d'êtres surnaturels autour d'elle et l'idée l'inquiète au plus haut point. Pire, elle se retrouve dans la zone la plus touchée par le conflit, toute proche de Seattle qu'elle se trouve. Ses études sont interrompues et elle rentre à San Francisco pour se retrouver seule avec ses parents, ses frères bloqués hors de Californie. Dans la grande maison familiale, elle se sent vite impuissante et isolée, s'inquiétant continuellement pour Orpheus et Phoebus. Pour ne pas tourner en rond, elle s'engage avec Flora pour venir en aide aux nombreux blessés. Infirmière malgré elle, elle apprend sur le tas et les malheurs de la guerre passent plus vite quand elle ne prend pas le temps de s'arrêter pour les observer. De cette période, elle gardera un fort traumatisme, se réveillant souvent en pleine nuit, hantée par des images de corps démembrées ou de flots de sang.

Malgré tous les avertissements qu'elle leur a donné pour les tenir à distance, Orpheus et Phoebus bravent les frontières créées autour de la Californie pour rejoindre leur famille. Son grand frère en payera le prix fort, lorsqu'une sirène s'attaque à lui et le plonge dans un coma irréversible. Elle qui a attendu le retour de ses frères avec tant d'impatience se retrouve le coeur brisé et sait que sa famille ne fonctionnera jamais plus de la même manière. Elle sait également que Phoebus se sentira à présent toujours coupable et elle redoute la spirale infernale dans laquelle il pourra se plonger, connaissant celles dont elle a déjà eu à le tirer. Après le choc passé et la guerre terminée, elle retournera à la fac, se replongera dans ses livres mais gardera toujours un oeil sur son frère, inquiète.

Diplôme en poche, stage qui lui tend les bras dans l'entreprise de ses rêves, après des années difficiles et éprouvantes, la vie semble lui offrir une revanche. Son travail a payé, la NASA est prête à l'accueillir. Phoebus n'est pas au meilleur de sa forme, mais il semble se remettre petit à petit de la tragédie arrivée à Orpheus. Flora est toujours à ses côtés, même si elle passe de plus en plus de temps entourée de surnaturels. Une fascination qu'elle ne comprend pas totalement, mais qu'elle respecte, si son amie est heureuse, alors elle l'est aussi. Mais sur le joli tableau qui se peint sous ses yeux, une tâche se forme rapidement. Des vertiges, des jambes qui la lâchent, des pertes de mémoire. Les symptômes sont de plus en plus présents et la pousse à consulter. Et c'est un cadeau maudit qu'on lui offre pour son vingt-cinquième anniversaire : une peine de mort. Cancer au cerveau. Inopérable. Etat qui va vite se dégrader. Plus que deux ans à vivre. La nouvelle a l'effet d'une bombe et personne autour d'elle n'est prête à l'accueillir.

Plusieurs mois après l'annonce, son état a effectivement empiré. Son corps devenu frêle n'a jamais eu l'occasion de pousser les portes de la NASA et s'est à la place clouée au lit, son dernier refuge. Les symptômes s'aggravent rapidement et ne lui laissent pas le temps de se battre contre autre chose. Phoebus s'agite autour d'elle, quitte tout pour elle, pour lui trouver un remède. Elle l'entend se disputer sans cesse avec Flora, tous les deux tentant de trouver un moyen de l'aider. Mais au fil des mois elle comprend : il n'y a pas de moyen de s'en sortir. Ce qu'elle veut, c'est profiter d'eux pendant qu'elle le peut encore et, égoïstement ne pas penser à l'après. Très vite, elle arrête d'écouter leurs théories et leurs manigances. Quand les douleurs physiques et morales deviennent trop dures à gérer, elle se met même à penser que la fin qui l'attend sera comme une délivrance. Pourtant, quand la peine lui est retirée, elle met du temps à comprendre pourquoi. Elle se réveille avec toutes ses capacités, toute sa tête et un corps qui semble n'avoir jamais souffert. C'est en se regardant dans la glace que la réalité la frappe. Elle hurle à la mort en se découvrant dans le corps de Flora et en découvrant son propre corps, inerte dans le lit duquel elle a observé le monde pendant les derniers mois. Pheobus lui expliquera ensuite, le pacte, ses pouvoirs, son ouie, mais la seule chose sur laquelle elle pourra se concentrer, c'est les grands yeux clairs qui la fixent désormais quand elle se regarde dans le miroir.

Après avoir assisté à son propre enterrement et avoir observé ses parents pleurer toutes les larmes de leur corps, Cléophée supplie Phoebus de quitter San Francisco et de l'emmener loin de tous les souvenirs qui sont liés à cet endroit maudit. C'est ainsi que les jumeaux se rendent à la Nouvelle Orléans où Phoebus rejoint un coven pour apprendre à contrôler et utiliser ses nouveaux pouvoirs. Malgré elle, Cléo se retrouve entrainée à les rejoindre également, elle l'humaine au milieu de tous ces surnaturels. Si elle accepte pour son frère, elle ne s'y sent jamais à l'aise, ne peut s'empêcher de les observer avec un mélange d'intérêt et de dégout. Si avant tout ça elle n'avait pas de réel avis sur le surnaturel et en était même assez curieuse, la guerre, le coma de son frère, la mort de sa meilleure amie, tous ces évènements ont fini par la rendre méfiante, presque haineuse, alors même que son frère se trouve maintenant de l'autre côté de la balance. Pendant plusieurs mois, Cléophée reste enfermée dans l'appartement qu'ils habitent. Le changement de corps, d'apparence est un fardeau trop lourd à porter qui la cloue sur place et l'empêche d'envisager le moindre avenir. Chaque miroir, chaque reflet est douloureux et lui tord le ventre. De plus en plus, elle pense perdre la tête et met ça sur le compte de sa nouvelle apparence. Si elle s'écoute elle a même l'impression de commencer à entendre des voix. Il lui faudra plusieurs mois pour comprendre que la vérité est encore plus cruelle. Elle n'entend pas des voix. Elle entend une voix. Celle de Flora. Dans son esprit, en elle. Un petit bout de l'esprit de sa meilleure amie, coincé dans le corps qu'elle lui a volé, comme un rappel constant de l'atrocité de l'action de son frère. Au quotidien, elle se manifeste par des pensées, des souvenirs parfois des actions qui ne sont pas à elle. Quand elle lâche prise, quand elle est fatiguée, énervée, parfois Flora a un petit avantage, peut s'exprimer plus facilement à travers son corps. Mais au quotidien, si elle veut être elle même, elle doit lutter pour la faire taire, pour l'étouffer, la tuer encore une fois, inlassablement.

Abraxas lui propose un nouvel échange. Il est plus puissant à présent. Plus à l'aise avec ses pouvoirs. Il veut retirer la partie de Flora qui loge encore dans son corps. Mais Cléo est épuisée, fatiguée, démoralisée. Avec les années, vivre dans le corps de Flora, en sentant sa présence, en entendant ses pensées, elle a appris à vivre avec. C'est sa punition, quotidienne, inlassable. Et elle connait son frère, son envie de bien faire, de tout réparer, mais sa tendance à tout détruire malgré lui. Alors elle n'a pas vraiment confiance. C'est trop risqué, trop approximatif et toutes les conséquences seraient terribles. Elle espère pouvoir le raisonner, mais elle le connait, il a la tête dure.