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Mer 10 Mar 2021 - 16:59

Sorcelleries littéraires et songes de pluie
“The summer sun was not meant for boys like me. Boys like me belonged to the rain.”

C’était samedi.
Un samedi grisâtre, recouvert par des nuages lourds d’avoir trop bu aux lacs parsemant la nature du Bayou. Énormes et paresseux, ils semblaient s’être arrêtés seulement au-dessus du quartier sylvestre pour se secouer comme des chiens sortant de l’eau, mouillant les feuilles et les rues sans retenue depuis les premières heures. Petits ruisseaux coulant sur les toits, petites larmes coulant sur les fenêtres, concert de carillons aquatiques entre les branches. Peut-être cette pluie ne se déversait qu’ici, emmitouflant ses habitants dans la lenteur d’une montre ralentie. Peut-être épargnait-elle le reste de la Nouvelle-Orléans, ne s’affairant qu’à enfermer le Bayou dans une capsule temporelle, où rien ne pouvait entrer, rien ne pouvait sortir, vivant simplement un samedi suspendu où l’heure ne changeait pas et les gouttes trempaient les mécanismes de l’univers. Quelque part, près d’une traînée de bitume tranchant le sol forestier, se dressait entre deux arbres centenaires un petit bâtiment un peu tordu. La peinture écaillée de sa façade avait vue de nombreuses averses et le verre fidèle de ses grandes vitrines protégeait jalousement ses entrailles des cascades pluvieuses. Trônait fièrement au-dessus de sa bouche grinçante une couronne d’un autre temps, vieille affiche jamais changée depuis 1999 : Blue Cypress Books. Avec son B éméché et un S presque effacé.

Un seul homme se trouvait à l’intérieur, unique fantôme hantant la vieille librairie si tôt dans la matinée. En harmonie avec le silence des villes endormies, il ne prononçait guère mot, ne chantonnait nul air, de peur de briser cet instant en dehors des secondes et des minutes. Seule la mélodie rythmique de la pluie s’écrasant sur la vitre mouillée pour se repaître les tympans d’eau sonore. Tic tic tic tic tic. Des volutes vaporeuses s’échappaient d’un café frais dans une tasse et se mêlait à celles, plus denses, d’un bâton d’encens de sauge planté au-dessus de lui dans un pot où vivait une plante solitaire. Lunettes de lecture sur le bout de son nez, il était assis derrière le comptoir où reposait ses jambes croisées, les yeux plongés dans un bouquin abîmé par le temps et les nombreuses mains dans lesquelles il avait passé. Les rangées de livres et d’ouvrages avaient vite disparues pour faire place à des paysages imaginaires vivaces, les arbres à l’extérieur se changeant en cité d’Émeraude, le plancher de bois un peu inégal de la boutique transformé en chemin de briques jaunes. Il était tantôt lion couard, tantôt bûcheron de fer blanc à la recherche d’un cœur, se laissant porter au fil des mots et de ses pupilles frémissantes, s’abreuvant d’aventures imaginaires entre deux gorgées de café. Altaïr venait souvent se réfugier au cœur de la librairie communautaire pour y dévorer des romans qu’il n’avait jamais eu l’occasion de lire dans ses trop courts voyages sur terre. Des centaines d’années perdues à rattraper, des témoins d’autres temps à portée du bout des doigts si l’on aimait tourner des pages. S’il n’était pas l’être le plus sociable qui venait travailler régulièrement ici, il n’avait pu résister à l’appel d’histoires gratuites, et il était devenu un visage bien connu des réguliers de l’endroit. Les livres n’étaient pas des sujets difficiles à discuter, et il se complaisait dans l’échange de critiques, de commentaires et de conseils qui rythmaient le cœur de la boutique. L’endroit finissait souvent par laisser son empreinte sur les gens, les changeant un peu, à chaque nouveau roman lu, et le djinn aimait bien penser que le Blue Cypress Books avait sa conscience propre; empreint de magie et de mystère comme le reste de la Nouvelle-Orléans, il choisissait lui-même les individus qui vivaient en son ventre. Altaïr en avait fait sa deuxième maison. Libéré des rappels incessants de sa quête interminable dans les notes et les grimoires ouverts partout chez lui, la librairie lui offrait des moments de répit bienvenus, où il pouvait simplement, comme aujourd’hui, se rendre très tôt au cœur du Bayou pour y dévorer des œuvres d’art littéraires aux sons de la pluie.

La petite clochette au-dessus de la porte retentit, claire et douce, alors que quelqu’un entrait. Il ne l’entendit pas, pas vraiment, son regard toujours fixé sur les pages un peu jaunes de l’exemplaire du Magicien d’Oz qu’il tenait dans une main. Tenu en otage par les écrits de Baum et porté par l’odeur ensorcelante du pétrichor qui collait à ses cheveux et son long manteau de laine.



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Mer 10 Mar 2021 - 22:29


Sorcelleries litteraires et songes de pluie

Altaïr & Jenny Sometimes it comes easily and perfectly: sometimes it’s like drilling rock and then blasting it out with charges
▽△▽△▽△▽


La pluie s’écoulait en un battement régulier, pourtant trop rapide pour être compté ; plic ploc, plic ploc, plic plic… Mélodie du ciel qui, dans un instant symphonique, recrachait nombre de ses gouttes cristallines. Gouttes translucides qui trouvaient refuge sur les devantures et les vitrines, descendaient au plus près du sol dans une course effrénée, au plus grand plaisir des enfants qui se trouvaient alors une toute nouvelle activité : quelle goutte parmi toute les autres l’emporterait ?
La pluie, en de doux ruisseaux, s’écoulait sur les toitures, les voitures, la nature ; les aventureux qui osaient se glisser dehors, par joie ou par nécessité, se rendant simplement d’un point A à un point B sans monter dans des bus ou des tramways qui, par ce temps, se retrouvait rapidement bondés par toute personne souhaitant voyager sans se mouiller. Mais dans cet amas de personnes pressés qui accéléraient le pas pour trouver moyen de s’abriter dans les boutiques, les immeubles, les musées, deux femmes marchaient tranquillement sous un parapluie ambré. L’une, octogénaire bien tassée, l’autre, à peine touchée par une trentaine pourtant bien passée. Deux femmes synchrones dans leurs mouvements, le pas parfaitement aligné, parfaitement décidé, maîtresses de leurs vitesses, lente mais assurée. Deux âmes sous un parapluie sans doute trop petit mais qu’importe, deux âmes tout de même, profitant de la douce mélodie de la pluie avant de se séparer. Une scène bien étrange pour qui n’est que spectateur de voir la plus jeune refusait le parapluie de la plus vieille à ce croisement. Pour Eleonore et Jenny cependant, actrices de la scène, tout cela est devenue on ne peut plus habituelle. Et à la séparation, c’est bien Eleonore qui emporte le parapluie alors que Jenny se retrouve trempée ; trempée mais pas gênée alors qu’un sourire étire ses lèvres rosées.

Les mains glissées dans les poches d’un trench-coat emprunté ; sans doute un peu court pour la femme qu’elle était, ; cinq centimètres d’écart qui, dans un vêtement qui n’était pas le sien se voyait. Peut-être aurait-elle du mettre le sien un peu plus tôt à sécher, avant que la pluie ne se mette à tomber. Mais prise dans ses répétitions, ses mélodies, la blonde avait tout simplement oubliée. Ainsi trempée, elle marchait, se glissait avec aisance entre les personnes, une gracieuseté presque féline guidant ses pas jusqu’à un bâtiment tordu, abimé par les années.
L’enseigne dorée, à demi effacée du Blue Cypress Books fût accueilli par un doux sourire, sonnant comme une douce récompense après tant de marches sous le temps pluvieux de la Nouvelle-Orléans. Une douce récompense sous la forme d’un lieu qu’elle avait appris à apprécier, le côtoyant dès que le temps lui permettait ou qu’elle avait besoin de se plonger dans les pages de vieux livres parfois abimés mais toujours apprécier. Des livres qui étaient devenus compagnons d’insomnies, parfois lu en l’espace de quelques heures, ou de quelques nuits.
Et en ce samedi pluvieux, rien ne lui paraissait plus approprié que de trouver de nouveaux ouvrages à dévorer lorsque la prochaine insomnie frapperait.

Le tintement de la petite clochette annonce son entrée tandis qu’elle marque un temps d’arrêt pour essuyer ses talons sur un paillasson sans doute trop eu utilisée ; mais Jenny a été bien élevée et le temps lui a apprit à ne jamais, jamais rentré dans sa nouvelle maison sans s’essuyer les pieds. Et la chaleur la frappe soudainement, si paradoxale à la température extérieure, si douce, elle l’accueille comme un thé bien mérité après une journée de travail intensif.
Le temps que l’eau s’écoule sur ledit tapis, la blonde accueille avec un plaisir non dissimulé l’odeur du bois et des vieux livres, faisant remonter de doux souvenirs d’après-midi d’été, passait à recherche la fraicheur dans les allées d’une vieille bibliothèque parisienne dans les années 20, rares moments de calme dans une vie déchaînée.

Pourtant, ce n’est pas tant la physique du lieu qui l’attire que l’âme qui s’en dégage, tantôt mystique, tantôt familier, ses talons résonnent sur le parqué boisé alors que glisse sous ses doigts les écrits de Tolkien, Stendhal, Wilde, Verne ou Lovecraft. L’eau tombant de ses cheveux épargnent pourtant les doux ouvrages qu’elle feuillette parfois ou en lit le résumé. Complètement ignorante de l’homme qu’elle a pourtant remarqué, jambes perchées sur un comptoir abimé mais d’une extrême beauté, lunettes sur le nez, lisant une vieille édition, un peu jaunis du Magicien d’Oz, un livre qu’elle avait elle-même lu il y’a de nombreuses années.

Son pas lent l’entraîne d’allées en allées, ses doigts traînent sur les vieilles reliures de cuirs, s’arrêtant parfois sur certains dont elle lit le titre, quelques extraits avant de le reposer. Aucun pourtant, ne semble réellement l’attirer, comme si elle recherchait un livre particulier sans le retrouver, par manque d’informations qui lui permettrait de l’identifier. Roman, nouvelle ou poème ? En prose ou en vers ? Tout en rudesse ou délicatesse ? Réalité ou fiction ? Romance improvisée ou horreur faisant frissonner ? Il y avait temps de romans à lire et si peu de temps à leur consacrer. Alors pourquoi ne pas prendre les deux, après tout, qu’est-ce qui l’en empêchait ; il y avait tellement de nuits d’insomnies, tellement de souvenirs à garder embouteillés que rien ne lui interdisait de prendre plusieurs livres qu’elle lirait ou relirait avec une délectation à peine contenue. Lesquels choisir cependant ?
Du coin de l’œil, elle jeta un regard à l’homme toujours plongé dans la lecture, suivant du regard ses yeux qui vaquait d’une ligne à une autre, d’un air concentré. Pouvait-elle réellement le déranger… Ce n’était sans doute pas la meilleure des idées.

Tournant à nouveau dans une allée, c’est sans hésitation qu’elle prend l’une des vieilles éditions d'Orgueils et Préjugés avant de se diriger vers la section des horreurs, plus près de ce comptoir et de cet homme silencieux, un homme dont l’aura la frappe comme un train de marchandise à pleine vitesse. C’est un sentiment qu’elle n’a pas ressenti depuis des années, celui d’être aussi près de quelqu’un comme, quelqu’un de son espèce. Et la réalité la frappe si durement, que ses doigts se figent avant d’atteindre les écrits d’horreurs tant désirer ; si elle le ressent, la ressent-il aussi ? Va-t-il ressentir cette nature qu’elle essaie tant de mettre de côté, tellement d’idées qui bloquent sa respiration un court instant avant qu’elle ne redevienne maîtresse de ses pensées, un court instant de panique qui la pousse à agir comme si de rien n’était, peut-être que, plongeait dans sa lecture, il n’avait rien remarqué, du moins, Jenny l’espérait.
Alors sans un mot, sans un bruit autre que le battement incessant de la pluie sur les fenêtres, Jenny laisse glisser ses doigts de Stoker à Allan Poe, attrapant entre ses doigts la reliure de cuir d’un livre noir au titre d’or : Les nouvelles extraordinaires. Un peu comme les deux seuls résidents du Cyprès, un peu comme eux… comme elle, plus qu’elle ne le voudrait.


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Mar 16 Mar 2021 - 21:36

Sorcelleries littéraires et songes de pluie
“The summer sun was not meant for boys like me. Boys like me belonged to the rain.”

Le pays du soleil levant avait jadis vu naître entre ses entrailles une tête pensante dont les mots brûlent toujours sous la langue, des millénaires plus tard. Si ces mots sont toujours vivaces dans la conscience collective, tapissant de leurs lianes philosophiques les jeunes esprits avides, ils sont toutefois enracinés bien profondément dans les cœurs des êtres immortels qui ont eu l’occasion de les tester et de les revisiter à maintes reprises. « Choisissez un travail que vous aimez, et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie ». Altaïr l’affectionnait bien, celle-ci. Au fil de toutes ses vies, aussi éphémères et vides de sens qu’elles avaient pu l’être, au fil de tous ces visages qu’il avait revêtu, dispersé aux quatre coins du monde et aux côtés d’une pléiade de personnes différentes bonnes et mauvaises, une seule constante lui était restée.  Fidèle. Immobile. L’amour de la littérature. Les mots changent parfois et muent avec le passage du temps, certains disparaissent alors que d’autres font surface, mais leur pouvoir, oh leur pouvoir restera à jamais le même. Le pouvoir de faire battre les cœurs et verser des larmes, de faire naître et de faire mourir, de créer des univers impossibles, de faire saigner et de ressusciter, de ramener à la conscience des temps perdus et des temps à venir. Emporté d’un malheur à un autre par les flots du temps comme le corps sans vie de son frère avait été emporté par les flots rageurs, le djinn s’était souvent senti impuissant, mais laissez-lui une plume, laissez-lui un livre, et il devenait l’homme le plus puissant du monde. Comment aurait-il pu s’en lasser ? La littérature comme ancre pour ne pas perdre la tête, la littérature comme façon de rêver au travers des cauchemars. Loin de la maison et de la machine à écrire old fashioned qui reposait sur son bureau avec une page entamée, ainsi se retrouvait-il tout de même le nez plongé dans un bouquin qui n’était pas le sien, plaisir simple. Au fil de toutes ses vies, sa constante à lui.

Seul petit remous au fond du cœur, la frustration de ne pas savoir en lire une centaine à la fois. Il avait l’impression d’avoir perdu tellement de temps à courir après sa queue pour trouver sa raison d’être au côté de ses anciens humains, tellement de temps à souffrir seul dans les ténèbres angoissantes du purgatoire, qu’il avait manqué le passage de tous les bons auteurs et tous les bons ouvrages pendant qu’ils étaient encore dans les flammes de la nouveauté et sur toutes les lèvres. Il s’était levé avec une exclamation frustrée et la larme à l’œil lorsqu’il avait enfin déposé The Great Gatsby après une nuit de lecture intensive, faisant les cents pas dans sa maison à la fois encombrée et vide de personnes avec qui parler de la fin. Il s’était extasié seul sur le génie d’A Study in Scarlet, sur la tragédie d’Of Mice and Men, sur l’absurdité de Much Ado About Nothing. Toujours trop tard pour en avoir goûté l’effervescence, et toujours seul avec ses pensées pour les apprécier. N’y a-t-il plus douloureux que de n’avoir personne avec qui partager les crépitements de ses passions ? Il avait tenté quelques fois d’engager des conversations sur le dernier bouquin qu’il avait terminé, assis sur un banc de parc au milieu des pigeons, mais il n’avait pas tellement eu de succès; la plupart du temps, on s’était simplement éloigné de lui, on avait enfoncé son casque d’écoute plus loin sur son crâne, on l’avait ignoré comme on ignore les gens trop bizarres ou mal foutus dans le métro. Et il s’était offusqué, Altaïr. Il s’était offusqué et il avait cessé de parler. Mais ici, il pouvait lire, discuter, conseiller, commenter, et les usagers avaient normalement la décence de lui répondre. On avait tenté de lui faire comprendre que de travailler au Blue Cypress Books ne se résumait pas qu’à ça, que c’était aussi un boulot de vente, que les pieds sur le bureau ne passaient pas tout comme son encens planté dans le pot de la plante, qu’il ne pouvait pas simplement dire aux clients de se taire pour terminer son chapitre, mais l’immortel ne s’en était guère préoccupé. Comme une mauvaise herbe que l’on tolère parce qu’elle a fait ses racines trop profondément ou a poussé des fleurs plutôt jolies, il s’était transformé en visage quotidien de la boutique, et on avait appris à l’aimer comme ça.

Le son de la pluie sur les vieilles fenêtres à carreaux s’était estompé un peu, perdant de leur magie sonore alors que la première cliente de la journée était entrée dans la boutique. Il l’avait ignorée, parce que le roman était trop intéressant. Aussi parce qu’il était encore très tôt, et qu’il n’avait pas prévu recevoir quelqu’un avant au moins une heure ou deux. La clochette de la porte ou le frottement des bottes humides sur le tapis de l’entrée ne l’avaient même pas fait lever les yeux, déterminé à rester concentré sur l’ouvrage, déterminé à conserver les briques jaunes sur le sol et les vents de tornade magiques filer entre les gonds de la porte, déterminé à se laisser porter encore par l’atmosphère enveloppante de la météo qui les enfermaient dans un cocon ouaté dans l’air chaud de l’intérieur. Mais il ne pouvait plus faire semblant; la magie s’était envolée. Les sons de la boutique lui revenaient plus clairement, le froissement du manteau de la cliente, l’éclat des cheveux blonds sur le marron du bois, le tapotement des doigts sur les reliures. Des petits dérangements qui s’intensifient, qui prennent en importance alors qu’elle s’approche de la section horreur. Il lève son regard noisette, pour la première fois, brièvement. La section horreur était de loin sa favorite, remplie de tous les classiques et les nouveautés, même certains exemplaires d’Alistair Nightingale, et une partie de lui fût piqué par la curiosité de savoir ce que l’inconnue allait choisir. Il replongea cependant rapidement dans son roman, comme s’il cherchait à s’y cacher, le cou à demi rentré dans les pans de son manteau qu’il n’avait toujours lui-même pas enlevé; la suivant comme la traîne d’une robe de mariée, à la fois parfum et sensation, électricité statique et souvenir familier, se déroulait autour d’elle l’aura des siens, l’aura des djinns. Là où il était indifférent il y a quelques minutes dans le silence relatif de la librairie, un malaise grandissant s’emparait désormais de lui. Elle le sentait aussi sans aucun doute. Il ne voulait pas être senti. Il voulait simplement être laissé tranquille. Devinant les questions qui allaient sans doute s’ensuivre – elles venaient toujours-, il tourna la page du Magicien d’Oz vers le prochain chapitre, et sans ranger ses lunettes, sans redescendre ses pieds de leur promontoire, sans relever les yeux et sans guère de manières, il se contenta de lui lancer :
« Pense moins fort. Je lis. »


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Mer 17 Mar 2021 - 15:48


Sorcelleries litteraires et songes de pluie

Altaïr & Jenny Sometimes it comes easily and perfectly: sometimes it’s like drilling rock and then blasting it out with charges
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Avec révérence, délicatesse pour son précieux bien, ses doigts caressent la fin du titre d’Allan Poe… Extraordinaires… Pourtant, plus qu’un titre, c’est cette nouvelle porte qu’elle touche avec respect, ce nouvel univers qui s’offrira à elle au fil des pages pour en dévoiler tous ses secrets, cette nouvelle rencontre avec elle-même ; qu’elle appréhende malgré tout, effrayée de ce qu’elle pourrait trouver. Plus qu’une couverture de cuir, elle caresse cette possibilité onirique d’abandonner, le temps de quelques pages, sa véritable nature qui revient toujours, encore et encore dans une redondance effrayante, comme le soleil qui réchauffe, la lune qui éclaire ou les étoiles qui brillent nuit après nuit. Une nature qu’elle n’a pas choisi, mais mis de côté depuis assez longtemps pour arrêter d’en compter les années ; dans d’innombrables lieux, d’innombrables vie, d’innombrables visages, sans jamais parvenir à s’en éloigner complètement. Comme la cage empêchait l’oiseau de voler, sa nature empêchait Jenny de vivre comme elle l’entendait…
L’espace de quelques instants, de quelques mots couchés à l’encre noir sur un papier jaunit, elle pouvait se permettre d’oublier, oublier sa nature et les conséquences de cette dernière, oublier que la mortalité lui serait à jamais refuser ; qu’à la fin, lorsque le monde se déchirerait, elle serait l’une des rares survivantes à l’observer brûler, la vie éternelle en fardeau et des souvenirs d’une époque plus sereine s’estompant comme des braises dans l’antre d’une cheminée. Les souvenirs d’une époque où elle n’était qu’une enfant, qui indisciplinée avait profitée comme elle le pouvait de sa première vie, s’était construite petit à petit avec ce premier livre que Da Vinci avait placé entre ses mains avant d’en prendre un autre, et un autre, développant une drôle d’habitude qu’était celle de toujours avoir un livre entre les mains. Habitude perdue dans trois ans de pirateries, timidement reprise en lisant des histoires à son mari. Passion commune d’une dernière vie, de voyages dans une bibliothèque, d’un livre entreprit mais jamais fini dans lequel elle avait commencé à inscrire sa propre vie.

Tellement de livres à découvrir, tellement de mondes à parcourir au travers d'alexandrins, de rimes, de mots savamment choisis par l'auteur ; tellement de personnes et de personnalités à découvrir, de relations à chérir. Sa vie, aussi longue soit-elle, était-elle assez pour en dénouez tous les mystères, pour comprendre, toute la complexité de l'humain qui donnait vie à ces écrits ? Plus de temps que l'humain moyen et pourtant, l'impossibilité de terminer tous les livres existants ou qui existeraient. En cela résidait alors sa tolérance pour les résumés d'internet, ceux qu'Eleonore lui faisait en parlant de ces écrivains français qu'elle ne lirait probablement jamais tel Zola ou Molière et pour lesquels parfois, elle se contentait de vagues extraits et de représentation théâtrales retransmises à la télé. Pour la plupart des romans trop lus, trop étudiés pour qu'elle se décide à en franchir les portes ; sans l'avoir lu elle était capable de réciter la célèbre tirade du nez de Rostand, celle de la maudite Phèdre qui prit vie sous la plume de Racine. Autant de livres dont elle se contentait de pâles résumés parce qu'il y avait tellement de livres à lire, à relire que parfois, elle décidait de jeter un coup d’œil à travers la serrure avant de continuer à avancer.

Le bruit d'une page qui se tourne n'a d'égal que celui d'un battement d'ailes de papillons lorsque sa voix résonne dans le Blue Cypress; le doux froissement de page n'est rien en comparaison de cette dernière, qui, dans le silence de la librairie, résonne comme un coup de tonnerre dans le calme de la nuit. D'aucun pourrait le trouver impoli, ses paroles, semblable au grognement d'un ours que l'on aurait tiré de sa caverne. D'autre sans doute, pour ces mêmes raisons, l'auraient ignoré, prétextant mentalement que cette remarque ne leur était pas spécialement dédiés. Comment faire semblant cependant, quand le luxe de pouvoir ignorer de tels paroles n'étaient pas permis, quand elle était la seule personne hormis lui à arpenter les allées de la librairie ?

"J'ignorais que les vendeurs du Cypress étaient des télépathes", tout comme la sienne, sa voix est un énième coup de tonnerre, plus doux pourtant, sans impolitesse, d'une neutralité qu'elle a perfectionnée ; une phrase qui sonne plus comme une remarque qu'un reproche, une constatation comme une autre dans une scène trop réelle. Constatation également qu'elle se fait lorsque chacun de ses pas lents trouvent échos aux battements de son cœur, un rythme lent synonyme du temps qui et le sien, pourquoi se presser quand on a l'éternité ? Le rythme pianissimo déjà brisé, ce n'est pourtant pas sans appréhension qu'elle pose ses livres sur le promontoire, à côté des pieds d'un djinn assidu dans sa lecture. Pas tant par peur de ce qu'il pourrait dire ou faire que par gêne de le tirer de ses pages, de ce voyage qu'il a entreprit en commençant sa lecture ; si ses yeux bruns, toujours rivés sur les mots et les phrases le conduisant au pays d'Oz étaient une assez bonne indication, cela n’avait pas l’air de le gêner plus que ça, et l’espace d’une seconde, elle se surprit à penser que, sans cette aura qui la gênait, il lui aurait apparu bien plus humain qu’ils ne l’étaient. Une chose qu'elle enviait, elle qui se faisait introvertie, secrète pour ne rien laisser transparaître, la peur dominant chacune de ses pensées lorsqu'elle déménageait pour tout recommencer, qu'elle tentait désespéramment de ne pas s'attacher parce qu'elle était liée à l'éternité, parce qu'elle ne voulait pas croiser d'autres djinns comme sa mère qu'elle méprisait désormais, comme d'autres qu'elle avait croisé et qui ne comprenait que la violence et le chaos, qui se complaisait dans les flammes du désespoir et de la manipulation, comme tant d'autres qui avaient franchis cette ligne invisible mais sombre...



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Sorcelleries littéraires et songes de pluie | Altanny Empty Re: Sorcelleries littéraires et songes de pluie | Altanny

Dim 28 Mar 2021 - 16:07

Sorcelleries littéraires et songes de pluie
“The summer sun was not meant for boys like me. Boys like me belonged to the rain.”

Il la sent. Cette sensation, ce fourmillement au fond du nez qui donne envie d’éternuer. Cette démangeaison fantôme qui rampe sous la peau, les poils de ses bras qui se redressent, le frisson des chairs de poule. Il la sent. Lui qui souhaitait disparaître au fond des replis épais de son manteau, plonger dans les pages cousues pour ne jamais en ressortir, ignorer le monde entier en ce gris samedi pour lire sans un mot. Lui qui voulait passer inaperçu, qui redoutait d’être abordé en se réfugiant dans sa négligence tranquille, se retrouve dans la position de celui qui observe. Son attention tout entière arrachée à l’âme de Baum, incapable d’assimiler davantage de ce que ses yeux décodent, son être silencieusement tourné vers cette personne à la nature qu’il ne connaît que trop bien. Altaïr se contorsionne un peu sur sa chaise, change son appui de jambe sur le comptoir, se frotte le nez du bout de l’index, incapable de secouer cette sensation qui lui colle à la peau comme l’eau au poil d’un chien. Ce n’était pas la première fois qu’un être surnaturel venait faire du lèche-vitrine dans la librairie, après tout c’était la ville pour les étrangetés et les essences magiques de toutes sortes, mais cette fois, cette fois, c’était différent. Il aurait presque pu entendre la porte d’entrée se verrouiller, les enfermant tous les deux dans cet espace particulier des matins sombres et pluvieux, les forçant à se confronter alors qu’il fuite de toutes ses pores pour tenter d’y échapper. Seuls tous les deux dans une librairie vide, confrontés à leur nature hurlante dans les yeux l’un de l’autre, le tapotement de la pluie sur le toit comme seul témoin de cette rencontre hasardeuse. Altaïr ne voulait pas être senti, il ne voulait pas sentir. Il voulait que cette sensation disparaisse, que son attention se reporte sur son récit, que la conscience d’être vu s’évapore. Il voulait que cette femme prenne ses bouquins et claque la porte au plus vite, s’éloigne au plus profond des sentiers sinueux du Bayou et n’en ressorte jamais. Et pourtant, elle était là. Sortant d’un pas effacé de la section des thrillers et de l’horreur comme un monstre rampant hors des marécages de son roman pour l’épier; s’il avait espéré la faire fuir avec ses grognements, il se rendit compte avec regrets qu’il l’avait plutôt attirée à lui. L’identité éthérée des djinns se déversait d’elle comme un flot de lumière perçant des rideaux, s’infiltrant partout là où se trouvait la moindre fissure, une odeur qu’eux seuls pouvaient en percevoir l’arôme, une fréquence qu’eux seuls pouvait en capter la vibration. Une seule certitude bondissait partout dans son esprit, un seul sentiment auquel il se raccrochait comme un naufragé à sa bouée en plein ouragan : il n’était pas comme elle. Il ne la connaissait pas, il ne voulait pas la connaître, il ne voulait pas être connu, ils resteraient inconnus. Il n’était pas comme elle, et elle et sa blondeur de djinn, son trench coat de djinn, ses bottes de djinn et ses livres de djinn ne pourraient jamais le convaincre du contraire. Il était simplement un homme grognon et son Magicien d’Oz à demi achevé, rien de plus. « J'ignorais que les vendeurs du Cypress étaient des télépathes ». Sa voix claire déchire le silence comme il l’avait lui-même déchiré il y a quelques instants, d’un timbre plus doux, moins acide que le sien. Ce qu’il restait de magie à cette matinée de fin de semaine termina de couler sous les étagères, s’infiltrant entre les planches de bois pour sortir de la boutique, l’atmosphère brisée pour de bon par sa faute. Dehors, même la pluie sembla se taire. Ne restait qu’eux, leurs livres, le malaise d’Altaïr et cette inconnue. « Je ne suis pas un vendeur ». Le grommellement sort tout seul de ses lèvres gercées alors qu’il déplie ses jambes et pose enfin son livre, le coin plié pour ne pas perdre sa page. Vendeur. Ce mot manquait tellement de poésie, de mystère et de finesse, qu’il se refusait à l’utiliser. Il vérifia un instant, pris d’une horreur soudaine, qu’il n’avait pas un petit badge avec son nom écris au feutre d’accroché à ses vêtements comme au supermarché, et en en constatant l’absence évidente, se retrouva infiniment soulagé. Il était plus qu’un vulgaire vendeur, si ? C’était ce qu’il voulait, s’effacer, se fondre dans la masse humaine ordinaire, et pourtant certaines ordinarités étaient trop fades même pour lui, pas assez… littéraires. La voyant s’approcher davantage du coin de l’œil, il ne la regarda même pas, pas encore, son regard glissant naturellement vers les ouvrages qu’elle lui avait déposé sur le coin du comptoir. Les reliures usées par le temps lisaient « Orgueil et Préjugés » ainsi qu’un autre ouvrage qu’il n’avait pas ouvert depuis très, très longtemps : Les nouvelles extraordinaires. Si le marron de ses yeux s’était rempli d’orages et de fumée à l’entrée de l’inconnue dans son havre de papier, c’est une percée de soleil qui les illumina soudainement, brièvement, le temps d’écarter quelques nuages puis de disparaître. Lui qui, comme le monsieur Darcy du premier ouvrage, s’était d’abord présenté comme fort désagréable, laissa maintenant passer un fil de chaleur dans son visage renfrogné. Lui revinrent à l’esprit de nombreuses nuits à la chandelle passées à écrire et à lire avec son ami; cela faisait bien des années qu’il n’avait pas repensé à Edgar, et la nostalgie le frappa avec violence. « Poe », murmura-t-il du bout des lèvres en effleurant la couverture, oubliant, momentanément, la présence qui l’avait tant troublée, l’autre djinn qui, de la coïncidence la plus pure, avait erré dans la section horreur pour dénicher l’un des ouvrages qu’il avait contribué à écrire il y a des siècles.


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Sorcelleries littéraires et songes de pluie | Altanny Empty Re: Sorcelleries littéraires et songes de pluie | Altanny

Lun 29 Mar 2021 - 21:33


Sorcelleries litteraires et songes de pluie

Altaïr & Jenny Sometimes it comes easily and perfectly: sometimes it’s like drilling rock and then blasting it out with charges
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Il est des Hommes qui préférait l’Homme civilisé, celui qui, parce qu’il marche bien droit, parle correctement, s’avère avoir beaucoup plus d’obligations envers la société que celle-ci n’en a pour lui, celui qui a bien plus de devoirs que de droits, celui qui se conforme à la société ou à un groupe social. Et il est des Hommes qui préfèrent l’homme grognon et grossier, silencieux et mal dressé, l’Homme original qui donne espoir, car il n’est aucun Homme qui est fait avancer la société en s’y conformant. Et qu’importe s’il n’est pas Homme mais djinn, qu’importe s’il grogne quand il lui parle, qu’importe s’il clame ne pas être vendeur quand il est derrière ce comptoir. Il est de ceux qui façonnent le monde, de ceux qui, dans leurs grognements, dans leurs manières, expriment quelque chose de tellement plus profond. Malgré sa négation, malgré le fait qu’il soit encore habillé de son manteau, comme s’il n’était qu’un passant comme, qui, avait pris possession des lieux et s’était mise à son aise ; il prenait soin de vérifier qu’il n’était pas un de ceux dont il semblait désapprouver le nom. Le mot vendeur à lui seul comme une fausse note dans une douce mélodie, un glissement dangereux capable de tout changer, de tout briser.
Une fausse note qu’elle avait involontairement commise, comme toute fausse note que l’on souhaitait pouvoir oublier et qui, pourtant, se retrouvait bien présente dans la mélodie, comme enregistré à jamais ; une fausse note dont on ignorait jusqu’à l’origine, tentant d’en découvrir la source afin de l’éradiquer, de la faire tomber dans les abysses profonds et insondables d’une conscience malléable. Oublier par de jolies notes parce qu’il fallait continuer, quoi qu’il arrive, on ne pouvait s’arrêter de jouer pour une fausse note. Avais-ce été ses pensées ou sa voix, sa voix ou le bruit des livres sur un promontoire de bois ?

Il est des Hommes qui, à l’égard des auteurs, ne sont que superficielles, se basent sur des critiques littéraires, sur des extraits aléatoires vite étudiés, lu d’un œil curieux vite délaissé, vite lassé par les mots fastidieux ou la poésie derrière chacune de ces lettres. Et il est des Hommes qui, quand ils rencontrent une couverture de cuir, découvrent ou redécouvrent un titre, un nom, en comprennent toutes les nuances, tous les accords. Se retrouvent bercés par les doux souvenirs qu’ils peuvent provoquer ou ceux intemporels qu’ils pourront créer. Car tout l’on apprenait à apprécier les amas de notes formant une mélodie, il fallait apprendre à apprécier les amas de mots formant un livre. Et il y a longtemps, quand Beth s’était effacé, quand elle était devenue Gemma dans ses premières années, que chacune de ces nuits solitaires sonnait comme une fin plus qu’un commencement, qu’à chaque fois qu’elle entendait son prénom, elle sentait ses yeux qui n’étaient pas encore les siens s’humidifiaient. Dans ses années qui étaient à la fois si lointaine et si près ; Jenny avait dérivée, de jardins en jardins, de boutiques en boutiques. Jenny avait tenté de retrouver cette vie normale qu’elle vivait auprès de Gemma, tenté d’honorer sa mémoire comme elle le pouvait, comme cette dernière lui avait demandé, aider comme elle le pouvait, là où elle le pouvait. Jenny avait dérivée, assez pour oublier qu’elle était une femme dans un monde d’homme, assez pour visiter des endroits qui lui auraient été si souvent déconseiller de par sa condition, sa nature de femme qui sonnait plus malédiction que bénédiction. Jenny avait dérivée jusque dans ces Hoover villes, jusque dans ces lieux désolés où elle avait rencontré tant de famille désolée, où, au détour d’une tente délabrée, elle avait entendu des mots poignants, des mots si vrais qu’elle n’avait pas pu les oublier. Jenny avait dérivée jusqu’aux côtés d’un ancien universitaire qui avait su calmer son âme tourmentée, qui lui avait fait découvrir tant de livres que Gemma et elle n’avaient pas eu le temps de dévorer. Dans cet amas de mots qui avait formé un texte, Jenny s’était plus retrouvée que dans tous ces poèmes romantiques qu’elle avait autrefois appréciés. D’un texte intitulé Alone, d’un auteur torturé qui avait su la charmer, Jenny avait tant appris sans pouvoir le remercier.

« C’était un génie… il, savait trouver l’étrange dans le banal, le neuf dans le vieux, dans ses écrits, il semble être quelqu’un qui avait soif de connaissance, de précisions. Les scènes qu’il décrit, on les vit plus qu’on ne les imagine, on ne sait plus ce qui est réel ou ne l’est pas, quant bien même l’on sait que tout cela serrait logiquement irréel, il y a toujours une part de doute qui subsiste à la fin de chaque écrit »

Une part de doute qui poussait à tout réobserver, à mieux apprendre ou réapprendre certains passages pour ne pas les oublier. De cet oiseau ébène qui, par la gravité de son maintien et la sévérité de sa physionomie croasser Jamais plus, à ce colisée aux arcades de lierre vêtues, en ruine, dont toutes les réminiscences se suspendant, s’attachant comme un vêtement. De ces quelques auteurs qui transformaient la réalité, Jenny pouvait citer quelques sonnets, mais peut-être parce qu’il avait été le premier qu’elle avait réellement apprécié ; Jenny pouvait citer nombre de vers et de strophes de ce poète, romancier et nouvelliste que l’on traitait parfois de fou. Mais l’était-il réellement, ou voyait-il simplement le monde d’une manière que nulle ne pouvait comprendre. Il n'y avait de folie que le nom, que la critique légère d'un lecteur pressé qui n'avait pas pris la peine d'observer avec attention toute les subtilités de ces écrits, quant Jenny, qui avait l'éternité, y cherchait la moindre porte dérobée, le moindre passage qui lui permettrait de s'engouffrer dans ces nouveaux mondes qu'elle chérissait. "Peut-être qu'à défaut de vendre ces ouvrages...vous pourriez me conseiller d'autres œuvres sachant inspiré tout autant d'émotions" dit-elle comme pour se rattraper d'un monologue qui lui avait échappé, d'une critique sur Poe qui ne serait peut-être pas apprécié, de mots décousues qu'elle avait laissé s'envoler. De phrases longues qu'elle ne libérait plus que dans le privée, douce Jenny introvertie qui ne savait pas comment converser, préférant laisser les touches bicolores d'un piano traduire ce que, sans jamais y parvenir, elle essayait de dire.


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Dim 23 Mai 2021 - 18:52

Sorcelleries littéraires et songes de pluie
“The summer sun was not meant for boys like me. Boys like me belonged to the rain.”

Le contact de la couverture semble un instant le transporter ailleurs. De souvenirs parfois heureux, parfois douloureux filtrant à travers le bout de ses doigts comme si le livre lui-même se changeait en cœur palpitant, les pages fusionnées à la chair, les mots liquides de sang d’encre pour le nourrir de cette relique. Des jours ensoleillés, des accolades, l’odeur de l’encre et le grattement des plumes sur le papier, la brûlure d’une amitié si intense qu’elle semble en percer le myocarde, le son des clochers à midi; tant de mémoires pour d’autres temps. Altaïr tâchait de ne pas se remémorer trop souvent ses anciennes vies, peuplées densément de deuils et de regrets, mais parfois la réalité dépassait la volonté et il se retrouvait frappé à toute allure par le train du temps, cheminant et cliquetant et sifflant dans son esprit pour le forcer à se rappeler leurs visages. L’exercice devenait chaque jour plus difficile, les souvenirs tordus, romancés, modifié par les trop longs siècles, les détails des êtres qu’il avait connu de plus en plus flous pour ne devenir qu’un amas de sensations, un triste vestige, photographie effacée à laquelle on s’accroche piteusement. Ainsi préférait-il normalement laisser le passé en marge de sa conscience, ancré si profondément dans le présent qu’il en perdait parfois contact avec la réalité, entaché de distractions et de grommellements les pieds sur le bureau et livre à la main. Puis il y avait de ces jours, souvent de pluvieux samedis, où le temps passé forçait son émergence, apportant ses images à demi oubliées au fond d’un verre de scotch ou au contact d’un vieux bouquin signé de fantômes.

Il traçait du bout de l’index chacune des lettres, comme s’il les écrivait à nouveau de peur qu’elles s’effacent. Ses yeux s’arrachèrent à l’ouvrage pour venir se poser sur le visage de la cliente. Si ce n’était pas que de ce fourmillement électrique qui l’informait de leur nature semblable, elle aurait très bien pu être n’importe qui d’autre. Une passante, une lectrice comme une autre, des cheveux blonds encadrant un visage curieux qui rappelait la fraîcheur des soirs d’été. Les nuages accumulés dans le regard d’Altaïr cessèrent de crépiter pour un instant, et, s’ils étaient toujours un peu assombris des poussières de rêves interrompus, l’orage n’y grondait guère plus. Le souvenir de Poe se déversait sur lui telle une marée froide sur ses berges aux arêtes aiguës; nettoyant ses plaies d’un sel douloureux mais nécessaire. La voix de l’inconnue pourfendit à nouveau l’air lourd de pensées, cri de goéland dans le ciel marin de ses tympans. Et il se sentit inspirer doucement à nouveau, respiration retenue alors qu’il s’était presque noyé dans la pluie du Bayou, finalement éclairé du phare auquel il avait essayé d’échapper. « C’était un génie… il, savait trouver l’étrange dans le banal, le neuf dans le vieux, dans ses écrits, il semble être quelqu’un qui avait soif de connaissance, de précisions. Les scènes qu’il décrit, on les vit plus qu’on ne les imagine, on ne sait plus ce qui est réel ou ne l’est pas, quand bien même l’on sait que tout cela serrait logiquement irréel, il y a toujours une part de doute qui subsiste à la fin de chaque écrit ». Il se fit la réflexion que cela faisait des années qu’il n’avait entendu quelqu’un décrire son vieil ami de la sorte. Pas tout à fait oublié, pas tout à fait célébré, sa mémoire restait en suspension entre deux courants, parfois coulé par une multitude de nouveaux auteurs, parfois repêché à la surface par les esprits des lecteurs old school qui savaient encore apprécier les classiques. Un minuscule sourire perça au coins de ses lèvres, à peine visible, fine ligne de fierté nostalgique comme un rayon de soleil à travers ses humeurs moroses. Il descendit enfin ses pieds de leur promontoire, rangea soigneusement ses lunettes, puis s’appuya sur le vieux bois rayé du comptoir. S’il avait plus tôt souhaité que cette djinn disparaisse aussi vite qu’elle était apparue, il devait concéder qu’elle avait su capter son attention, parlant l’une des rares langues qui savait réellement le toucher : la langue littéraire. C’est sur un ton moins brusque qu’il lui répondit, approchant doucement la conversation comme on se méfierait d’un animal blessé. « Vous parlez de lui comme si vous l’aviez connu ». Une simple réflexion. Il n’était même pas sûr qu’il aurait su trouver des mots aussi justes s’il tentait de décrire son premier humain, mêlé comme les autres dans un tourbillon effacé de vieilles douleurs jamais complètement disparues : le mal chronique de vivre après le départ inévitable de tout ceux qu’on a aimé.

« Peut-être qu'à défaut de vendre ces ouvrages...vous pourriez me conseiller d'autres œuvres sachant inspirer tout autant d'émotions ». Il évita son regard par réflexe, se penchant mécaniquement vers les romans qu’elle avait déposé devant lui. S’il avait toujours l’air un peu sauvage, dérangé dans sa bulle impénétrable de fumée d’encens et de récits de Dorothée, sa posture s’en retrouvait un peu adoucie, réellement intéressé à discuter enfin avec quelqu’un qui semblait partager la même passion que lui pour les mots et les histoires. Djinn ou pas. Il pointa vers la section d’horreur d’où la cliente sortait tout juste d’un mouvement mou du doigt, évitant soigneusement le regard de la blonde. « Cherchez les titres d’Alistair Nightingale ». Il laissa sa phrase en suspens, comme s’il allait terminer avec une explication qui ne vint pas. Conseil un peu mystérieux, paroles inachevées, il ne s’encombrait guère des convenances verbales; à la fois curieux de voir si on mordrait à l’hameçon, et désintéressé de chercher à plaire ou à donner un service impeccable. Il ne ressentait même pas l’ombre d’un remords à conseiller ses propres ouvrages, après tout, il fallait bien qu’il gagne sa vie d’une façon ou d’une autre, et il avait vécu trop longtemps pour se gêner de trop grandes humilités. Auteur au visage inconnu du grand public, il aimait œuvrer dans l’ombre, comme les folles créatures peuplant ses récits.



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Sorcelleries littéraires et songes de pluie | Altanny Empty Re: Sorcelleries littéraires et songes de pluie | Altanny

Jeu 27 Mai 2021 - 23:41


Sorcelleries litteraires et songes de pluie

Altaïr & Jenny Sometimes it comes easily and perfectly: sometimes it’s like drilling rock and then blasting it out with charges
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Si tant est que l’on s’en donne les moyens, que l’on se concentre assez fort, il y ait des choses que l’on peut ignorer… Le battement de la pluie contre une fenêtre, battement régulier au plic ploc apaisant, devenue arythmie mélodieuse tandis que les larmes du cumulus s’accentuent, versent le liquide trop longtemps retenu. Le froissement des vêtements à chaque mouvement, mêmes minimes, comme celui de remettre une mèche de cheveux égarée derrière une oreille, ou celui de retracer du bout des doigts, des lettres d’or comme par appréhension de leurs disparitions. La respiration d’un corps ; seul autre corps dans une pièce à la fois remplie et vide, inspiration expiration méthodique que l’esprit ne saurait contrôler.
Et à l’inverse, il y ait des choses que l’on ne peut ignorer… les battements réguliers d’un cœur puissant, résonnant dans les tympans lorsqu’il fait preuve d’hardiesse. Les vibrations des cordes tandis qu’elles produisent sons qui deviendront mots et réalités aux oreilles de l’interlocuteur. L’apparition d’un mince sourire, aussi fugace et minuscule soit-il, et pourtant, sincère, aussi lumineux qu’un phare dans un océan de ténèbres. L’apparition d’un mince sourire qui, aussi fugace et minuscule soit-il, change toute la saveur d’une rencontre.

Ce n’est pas parce qu’elle ne dit rien, qu’elle ne remarque ce délicat changement de position alors qu’il descend ses pieds du comptoir boisé, qu’il range ses lunettes avec un soin que peu peuvent se vanter de posséder, qu’il se penche comme pour mieux lui parler, comme pour mieux l’écouter. Ce n’est pas parce qu’elle parle de ce génie, qu’elle ne remarque pas son propre changement de dynamique, son monologue personnelle, reflet de son âme et de ses pensées, mots décousues échappés que la cohérence avait rassembler en des phrases trop longues, trop privées. Monologue insensé, idéalement placé, clé d’un cadenas qu’ils ne savaient même pas pouvoir briser. Comme par peur de le reposer, de tout briser, les yeux rivés sur des lettres calligraphié, elle répond. « J’aurais voulu » Trois mots fugaces vites oubliés pour certains, graver pour d’autres. Parce que Jenny aurait voulu, malgré l’amour qu’elle avait porté pour ces humains, ces liens, mentor, amis, mari, sœur…la djinn aurait voulu découvrir tellement plus, comprendre comment ; comment en quelques mots, en quelques phrases, les grands auteurs, connu ou non, transportaient leurs lecteurs dans des mondes nous paraissant réelle, tout en sachant qu’ils ne l’étaient pas. Elle aurait voulu comprendre comment, en quelques mots et quelques phrases, ils rendaient le corps sensible aux émotions, capable de le faire sourire, de le faire pleurer, sans manipulation magique d’aucune sorte. J’aurais voulu… Trois mots fugaces vites oubliés qu’elle fait dériver sur ses émotions que les ouvrages pouvaient inspirer.

Si tant est que l’on se concentre assez fort, il y ait des choses que l’on peut ignorer, d’autres que l’on aimerait pouvoir ignorer, comme la façon dont un regard vous fuit. Par respect, par intimidation, par réflexe dans l’espoir d’éviter les ennuis… Cette façon, parfois cruelle qu’utilise certains dans l’illusion d’une hiérarchie bien réglé, emplie de failles que trop savent exploiter. La fuite comme unique recours à une situation trop oppressante, physique ou psychique, qu’importe tant qu’il y a une échappatoire.

Si tant est que l’on se concentre assez fort, il y ait des choses que l’on peut ignorer, et d’autres, que l’on ne veut pas ignorer, quant bien même il s’agirait là d’une réaction corporelle involontaire… comme l’éclat de lumière dans des yeux ténébreux ; le nom d’un auteur que l’on confie à un autre, dans un doux secret que l’on désigne tout juste du doigt. Que l’on rend mystérieux par des points de suspensions aériens, une demi-phrase incomplète aux paroles inachevées, un début sans véritable fin à laquelle se raccrochait.
L’ignorance comme seule alliée, assaillant ses pensées quant à ce conseil inachevé, la curiosité comme seule boussole quant aux ouvrages d’un auteur qu’elle ne connaissait que de murmures, de bouches à oreilles d’ouvrages qu’on avait feuilleté. Aussi acceptait-elle le conseil, cet Alistair Nightingale, auteur mystérieux qu’elle ne connaissait que peu, porte entrouverte qu’elle pouvait franchir désormais si elle le désirait. Dans un sourire léger, plume effleuré sur un visage abîmé, elle consent et se tourne vers la section horrifique, l’invitant dans un coup de tête, si léger que presque imperceptible, à se joindre à cette démarche, se joindre à elle pour mieux la conseiller, pour mieux lui faire découvrir cet auteur dont il lui avait présenté la porte sans rien faire d’autre que de lui laisser le choix de la franchir ou non.

Pourtant, sans savoir si sa demande silencieuse était acceptée, elle se dirige vers ses mêmes romans qu’elle venait de quitter, rapide retour pour celle qui pensait prendre ses livres et partir. Ses talons comme le nouveau métronome guidant ses battements de cœur, tentative pathétique de garder un semblant de contrôle quand elle brûlait de curiosité. Déjà, ses yeux parcouraient de nouveau l’enchevêtrement des lettres, des mots et des auteurs afin d’en trouver son nouveau protégé ; mouvement rapide de ses yeux, comme s’ils suivaient le mouvement d’une machine à écrire. Traitres à sa curiosité à peine dissimulée, aux questions qu’elle se posait. Quand Allan Poe décrivait le neuf dans le vieux, l’étrange dans le banal, que Lovecraft décrivait une monstrueuse entité cosmique au nom imprononçable, que King faisait frissonner dans les déviances et les recoins isolés des esprits déranger, que pouvait bien faire Nightingale afin de captiver ? Quelles, tournures de phrases utilisaient-ils afin de créer un monde effrayant dans lequel l’on choisissait volontairement de se replonger ? Qu’avait-il de si particulier, de bien à lui afin d’être identifié, de reconnaître ses écrits comme un chef d’œuvre méritant d’être édité ? Le banal ou le fantastique, le réel dans l’irréel ou peut-être l’inverse ? La façon poignante qu’il avait de décrire chaque mot, chaque geste comme s’ils comptaient autant que l’intrigue elle-même ? La curiosité la poussait à dévorer, à attendre d’être guider tout en cherchant son précieux de ses orbes affamés.



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Lun 9 Aoû 2021 - 17:22

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“The summer sun was not meant for boys like me. Boys like me belonged to the rain.”

« J’aurais voulu ».
Les mots restent lourdement suspendus dans l’air entre leurs deux âmes comme s’ils attendaient d’être cueillis. Le visage de la djinn est tourné vers l’ouvrage, comme s’il allait lui donner réponses à ses questions; le regard d’Altaïr se dépose sur elle doucement, l’espace d’un instant, sans n’oser souffler mot. Ça le frappe, comme s’il venait tout juste d’ouvrir les yeux, d’écarter les rideaux et de tourner le projecteur vers l’évidence. Au fond, ils n’étaient pas bien différents. Là résidait le déchirant dilemme. Combien de temps avait-elle porté ces cheveux blonds, ce trench-coat un peu trop petit, cette voix timide ? Son corps, celui d’une autre, volé comme le sien ? Combien de vies s’entassaient derrière elle, combien de visages perdaient inexorablement leurs détails dans sa mémoire comme des photographies lentement brûlées ? Combien de regrets cachaient ces trois mots qu’il ne connaissait que trop bien ? J’aurais voulu. Murmure sur toutes leurs lèvres, hymne tragique des leurs et de leurs trop longues vies. Un petit pincement de culpabilité lui serre la poitrine alors que, sans même en être conscient, il effleure du bout des doigts la ronde cicatrice à l’arrière de son cou. Il était tellement occupé à ne pas être perçu, à échapper au regard des autres, à se dissimuler derrière des persona rudes et des illusions d’optique camouflage qu’il en oubliait parfois les frémissements de son vieux cœur. Meurtri, bleui, rapiécé, certes. Mais il était toujours là, quelque part, loin dessous. Trop loin dessous peut-être, car si l’empathie se fraie un chemin dans ses veines, il ne peut s’empêcher de lui en vouloir un peu, à cette inconnue. Lui en vouloir de lui rappeler son hurlant manque d’humanité, la couleur de ses nuits blanches, miroir crépitant de sa nature et de ses peines. Lui en vouloir de se croiser maintenant, alors qu’ils étaient tout deux natifs d’autres époques, sans doute, de mêler leurs interminables et monotones destins d’hasardeux coups d’aiguilles de montre alors que sa famille, sa jumelle restait introuvable. Lui en vouloir d’avoir piqué son intérêt, de ne pas attraper ses bouquins et dégager tout de suite alors que Le Magicien d’Oz attendait d’être repris là où il l’avait laissé, le coin de la page plié au numéro 117 et ses quelques notes griffonnées en marge. Peut-être Altaïr essayait-il seulement de se convaincre qu’il détestait les gens au moins autant qu’il le prétendait. C’était souvent moins douloureux, avait-il appris au fil du temps. Mais malgré lui, malgré tous ses efforts et ses manières de vieux hibou, son cœur meurtri, bleui, rapiécé battait une autre chanson; celle du jeune garçon qui rêvait sous le chêne près de sa maison.

Il n’eut pas à briser le délicat silence qui les avait enveloppés. La cliente demanda finalement conseil sur d’autres ouvrages et Altaïr y répondit, sobre et direct, sans fioritures ou pirouettes polies et humbles. Il eût espoir qu’elle fouille rapidement et se lasse, ramasse ses ouvrages et claque la porte grinçante du Blue Cypress pour ne jamais revenir. Il entendait déjà le son des bottes claquer sur le pavé et disparaître dans le gris. Il se voyait déjà retomber dans cet état second que produisent à coup sûr les samedis pluvieux et les vieux endroits charmants, laissé bien tranquille et bien seul comme il aimait. Peut-être prendrait-il quelques notes pour le roman qu’il était en train d’écrire, ou qu’il se lasserait de Dorothée et partirait à la conquête de nouveaux ouvrages pour passer le temps. Tout pour oublier qu’il avait parlé à une autre djinn, qui l’avait à coup sûr décelé, perçu, senti, jugé lui aussi. Tout pour ne pas penser à cet instant où il aurait pu la comprendre, sympathiser avec elle, parce que ça l’aurait trop rapproché de cette nature qu’il exècre. Mais son espoir d’échapper à l’échange pour de bon ne se réalisa guère. Au moment où il releva la tête pour voir si la blonde était toujours là, il croisa son regard. Léger coup de tête l’invitant à la rejoindre dans les rangées, à venir avec elle contempler les reliures pour qu’il lui pointe du doigt les meilleurs. Il soupira discrètement, contraint une fois de plus à enfiler une peau de vendeur qui ne lui allait décidément pas du tout. La chaise grinça dans un grommellement semblable au sien quand il la poussa pour se lever, et c’est en regardant soigneusement les nœuds dans le bois du sol qu’il se rendit à destination, une main époussetant nerveusement les pans de son manteau.

Ses doigts effleurent les dos des livres alors qu’il parcourt l’ordre alphabétique, des petites pattes d’oies apparaissant au coin des yeux alors qu’il se concentre. Vraiment ce n’est que pour les apparences, l’illusion de chercher alors qu’il connaît déjà par cœur leur emplacement. S’il n’a pas la prétention de dire que ses romans sont meilleurs que d’autres, savoir que d’autres prennent la peine de le lire, de plonger dans ses univers sombres et étranges, de décoder des phrases qu’il avait écrites avec le plus grand soin lui réchauffait l’âme, un petit peu. Ça le rassurait qu’il n’avait pas perdu la main, que la présence de Poe se faisait toujours sentir derrière les touches usées de sa machine à écrire. Ainsi, lorsqu’il arriva aux « N » dont l’emplacement ne lui était guère inconnu, une petite hésitation le pris, puis il tira des étagères une couverture bleue et noire au titre pâle. The Impossible Planet. « C’est son dernier titre ». Il tend le bouquin rapidement, évite soigneusement le regard. « Vous… reviendrez pour m’en parler, me dire si vous l’avez aimé », hésite-t-il finalement. Il ne croit à peine aux mots qui traversent ses lèvres; la dernière chose qu’il souhaite c’est de la compagnie, la compagnie d’un autre djinn d’autant plus, et pourtant, il s’était retrouvé à piquer son propre point faible. En offrant son ouvrage il offrait une petite partie de son âme, une porte sur ses pensées et le tourbillon créatif qui l’animait sous le radar des regards. Il ne pouvait pas supporter de savoir être lu et de ne jamais recevoir d’avis, de ne jamais savoir s’ils avaient aimé, adoré, détesté, s’ils avaient pleuré, sursauté, s’ils avaient été émus. Un petit ego presqu’humain. Ou peut-être simplement une solitude de l’âme qui ne recherche qu’à partager.



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Mar 10 Aoû 2021 - 0:57


Sorcelleries litteraires et songes de pluie

Altaïr & Jenny Sometimes it comes easily and perfectly: sometimes it’s like drilling rock and then blasting it out with charges
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Des yeux jusqu’à ses doigts, suivant les pas d’un ballet connu de son seul corps, chacun d’eux s’effectuant sur le sol de cuir ; de secondes en secondes elle s’oublie dans cette danse impossible quand son corps s’éveille, éclairant de ses rayons l’environnement l’entourant, attentif à la moindre de ses subtilités : l’arythmie mélodieuse de la pluie, les variations du vent dans les branches extérieures, la blanche note du grincement du bois, libre du poids le maintenant dans le silence. L’adagio des pas, métronomes à contre-temps des siens. L’aria du froissement de tissu.
Des yeux jusqu’à ses doigts, observés fugacement dans de brefs instants, mouvements reflets biaisés des siens, naviguant de lettres en lettres dans une danse jumelle et antinomique jusqu’aux toutes dernières notes, jusqu’à ce que leurs deux corps d’un même élan s’arrêtent ; antagonistes à la même nature, à la même âme se tenant désormais devant l’éclat doré signalant le début de la section.

Entité observatrice, des yeux jusqu’à ses doigts qui hésitent avant de tirer des étagères, la boussole de ce nouveau monde : couverture bleu et noir hypnotisant aux lettres pâles, gravant dans l’Histoire, cette œuvre exquise dont le nom n’avait que la saveur du mystère. The Impossible Planet. Son dernier titre…Partir d’un sommet dont on appréciait toute la vue pour revenir à des racines plus profondes dont on comprenait finalement la réelle profondeur et nécessité. Et tandis que ces doigts se referment sur le précieux ouvrage dont elle apprécie tout le poids, elle prend un temps pour en apprécier le sommet, représenté en une couverture qui l’appel, qui la pousse finalement à franchir la porte de cet Alistair Nightingale, léger sourire sur les lèvres, comme celui d’une mère regardant son enfant alors que le titre s’inscrit dans sa mémoire ; en une répétition égoïste pour être certain de ne pas se faire oublier. Comment oublier un titre révélant l’un des plus grands désirs de l’Humanité, la découverte de mondes et d’étoiles plus lointaines encore que celles connus. Était-ce là alors, la signature par laquelle l’auteur résonnerait à travers les années.
Essence absorbée par les sons produits par le corps de son jumeau, ses mots qui s’échappent de ses lèvres et détachent ses yeux de son précieux pour y lire dans les siens, toute la nécessité de sa demande ; sans en comprendre les raisons, sans en comprendre toutes les implications.

Reste alors, l’étrange besoin d’en lire avec soins chaque lettre, chaque mot et phrase dix fois, cent fois ; d’en graver chacune des émotions suscitées afin de lui en reparler. L’étrange nécessité de revenir au Cypress autant de fois qu’il le faudrait pour finalement lui ouvrir la porte de ses pensées et émotions, des sentiments involontaires que la lecture pouvait provoquer. Reste alors, l’étrange accord qu’ils passent quand finalement, un nouveau ballet reprend, différent par ces notes, ces pas et sa scène ; différent par la façon dont elle hoche la tête avant qu’ils ne retournement au comptoir, différent par la façon dont leurs pas cette fois, résonnent d’un même concert sur le plancher grinçant.
Des livres précieusement serrés contre son cœur sarabande avant qu’elle n’exprime en un aparté dites si basse qu’elle pourrait en être presque chuchoté. « Je le promet » avant que finalement, la cloche ne résonne une seconde fois pour signaler l’ouverture d’une porte plus réelle, avant que, finalement, la pluie n’accueille à nouveau le corps chaud qui l’avait quitté trop de minutes sans lui en parler.

Reste alors, dans cette fugace rencontre aux précieux protégés sous le trench-coat emprunté, la douceur d’une promesse, d’un autre samedi grisâtre, recouvert par des nuages lourds d’avoir trop bu aux lacs parsemant la nature du Bayou ; à la pluie aux battements irréguliers, mélodie du ciel qui dans un instant symbolique, recrachera nombres de ses gouttes translucides, cristallins qui trouveront refuge sur les devantures et les vitrines. Un autre samedi peut-être…


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Sorcelleries littéraires et songes de pluie | Altanny Empty Re: Sorcelleries littéraires et songes de pluie | Altanny

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