How to negociate with a dragon | Valkyria

Le dragon de fumée avait laissé quelques temps à l'anglaise pour se faire à l'idée, avant de venir la voir pour lui demander d'honorer leur engagement. Et aussi parce qu'il n'avait pas eu immédiatement de choses à lui faire faire. Mais voilà, il avait besoin d'elle désormais alors il s'était rendu à Phoenix pour la retrouver. Un petit message pour lui donner le lieu du rendez-vous, un parc public, histoire d'empêcher une contestation trop bruyante de la part de la dragonne. Il risquait moins de se retrouver face à une dragonne de pierre si il y avait des gens autour d'eux que si ils se retrouvaient dans un endroit désert, il le savait bien et il voulait éviter de s'embarquer dans un combat contre la dragonne...

Et pour être certain d'avoir l'avantage, si jamais elle ne voulait pas jouer selon les règles, le hongrois était arrivé tôt à Phoenix et avait choisi avec soin le parc en question. Le Desert Botanical Garden, un jardin désertique en plein Arcadia, fréquenté tous les jours par de nombreux visiteurs, ce n'était pas vraiment un lieu qui se prêterait volontiers au combat de deux dragons adultes en pleine possession de leurs pouvoirs. Mais il pouvait s'attendre à tout, au final, avec quelqu'un comme Valkyria, alors il avait étudié les lieux, attentivement, pour savoir comment réagir, comment se cacher, où aller, si jamais elle décidait que leur accord ne tenait plus. Ce dont il n'avait pas envie, même si dans son esprit, beaucoup de choses étaient en train de changer, ces dernières semaines...

Cependant, tous ces changements ne signifiaient pas qu'il devait laisser filer Valkyria, elle restait un atout dans ses plans. Il lui avait donné rendez-vous dans le jardin, sous une structure en métal, pouvant presque faire penser à un kiosque et où les gens se pressaient pour prendre des photos devant les cactus et autres plantes désertiques de la région. Quant au dragon, il l'attendait assis sur l'un des bancs métalliques au bord d'un jardin de plantes grasses qui commençaient à faire des fleurs colorées malgré la saison. Mais avec la chaleur et le soleil qui tapait, ce n'était pas si étonnant que cela en fin de compte. Laszlo avait son fidèle chapeau, bien entendu, pour se protéger de ce temps radieux. Il se retenait de fumer, ce n'était pas autorisé, semblait-il. Mais comme il n'avait pas prévu d'en découdre, ça ne lui posait pas de problème. Pianotant sur son téléphone pour envoyer des messages, il se montrait pour l'heure patient.

Valkyria n’est pas tranquille ; pas tranquille du tout. Elle aurait aimé avoir un atout dans sa manche en retrouvant Laszlo, elle aurait voulu avoir plus de temps pour rassembler ses cartes, préparer sa défense. C’est simple : l’idée même de travailler pour cet individu la débecte ; retomber sur son devoir initial, auquel elle essaye justement d’échapper, par l’intermédiaire de cet opportuniste sournois, c’est quand même le comble de la contreproductivité. Et c’est humiliant, pour ne rien arranger.
Pourtant, ne pas se présenter aujourd’hui aurait été le meilleur moyen d’envenimer une situation déjà critique. Elle n’avait pas encore eu de nouvelles du contact de Raina au sein de l’Ordre, et ne disposait donc d’aucune information qui pourrait lui permettre de faire chanter Laszlo en compensation de ses propres menaces ; mais le Dragon avait une fois de plus réussi à la retrouver, assez précisément en tout cas pour lui faire parvenir un message, et ça lui montrait bien qu’une fois de plus, le hongrois avait un coup d’avance sur elle. Ne pas ignorer ce rendez-vous aurait été le comble de la provocation et dans la mesure du possible, elle escomptait éviter de le mettre trop en colère. Le parc dans lequel elle pénètre est très fréquenté ; un mauvais point pour elle, en cas de désaccord. Ce serpent a tout prévu.
En tout cas, les quelques semaines qui ont passé depuis leur dernière rencontre ont appris quelques rudiments de dissimulation à Valkyria ; c’est la raison pour laquelle elle ne se pointe pas au jardin habillée en noir de la tête aux pieds, cachée sous une capuche et jetant des regards hostiles à tous ceux qui ont le malheur de  la dévisager - ce qu’elle aurait fait quelques semaines plus tôt, certainement. Non, pour passer inaperçue au milieu de tous ces touristes, elle a opté pour le combo baskets multicolores et casquette de baseball. Entre les deux, un short en jean beaucoup trop court pour la bienséance par laquelle elle a été formatée, et un tee-shirt violet vif sur lequel on a thermocollé I LOVE NEW YORK en horribles lettres blanches police Comic Sans MS. Aujourd’hui, Valkyria est une insulte à l’esthétisme, mais elle s’assure, au moins, de ne pas être reconnue par ceux qui pourraient la remarquer.
Y compris Laszlo, apparemment ; à moins que le Dragon ne soit trop occupé à envoyer des sms, le nez sur son téléphone. Elle est arrivée sous l’arche de métal avec cinq minutes d’avance et n’a pas tardé à repérer l’homme au chapeau assis sur un banc un peu plus loin. A-t-il l’intention d’évoquer leurs affaires au milieu de toutes ces oreilles indiscrètes ? Elle est un peu perplexe. En tout cas, une fois l’heure convenue arrivée, et après avoir fait semblant de s'extasier sur un cactus inintéressant pour passer le temps, elle retourne sous le kiosque et finit par faire jaillir de sa main une toute petite bille de pierre qui vient heurter l’épaule du Dragon assis plus loin ; pas de quoi lui faire mal, bien sûr, mais lorsqu’il relève la tête, elle croise aussitôt son regard. C’est quand tu veux, j’ai tout mon temps, songe-t-elle. D’ailleurs j’adore me déguiser en bouffonne pour venir me faire menacer entre un groupe de touristes débiles et un cactus. Au moins, ça ferait sûrement plaisir à Iago.

Ce n'était pas une rencontre de courtoisie, ils n'étaient pas là pour se raconter les nouvelles et échanger des banalités affligeantes au milieu de cactus et de plantes grasses en tout genre. Il aurait été mal avisé pour la dragonne de faire la maline, il avait choisi l'endroit exprès pour cela, pour qu'elle sache que des gens autour parleraient, voir filmeraient, si des dragons décidaient de se mettre sur la gueule dans un lieu public comme celui-ci. Néanmoins, sûr de lui et attendant la dragonne, Laszlo avait décidé qu'il avait le temps de répondre à quelques messages de sa zouwu. Pas de quoi s'alarmer, ce n'étaient encore là que des échanges adolescents mais il aimait bien cette simplicité, cette proximité qu'ils avaient tous les deux. Il se sentait redevenir jeune avec elle, retrouver des rêves, des espérances qu'il n'avait pas eu depuis longtemps. Qu'il n'avait jamais eu en fait. Comme vivre simplement heureux avec elle. Pourquoi pas avoir une famille, un jour, qu'ils soient dragons ou zouwus, peu importait, qu'ils se nomment Kovacs ou Scott aussi, en fin de compte.

Quand il reçut la petite pierre dans le bras, le hongrois lâcha un long soupire et releva lentement les yeux vers l'origine de ce projectile habillement lancé. Si son visage tâcha de ne pas exprimer la surprise et l'hilarité qui l'habitaient, Laszlo n'en était pas moins incroyablement étonné de voir cette dégaine. On aurait dit une touriste allemande en vadrouille, ne lui manquait que les sandales, les chaussettes et la nuque longue. Pas grand chose en somme. Elle avait une touche absolument improbable, mais au moins, elle était bien plus discrète que ce qu'elle avait pu être ces derniers temps. Un bon point pour elle. Un excellent point même si l'on prenait en compte qu'il avait besoin de discrétion pour mener à bien son petit projet. Jouer sur les deux tableaux, un pari risqué. Elle ne s'en rendait peut-être pas compte, mais il n'était pas vraiment sûr de lui sur ce coup-là et il aurait à perdre si ça venait à se savoir, sans doute...

« Jolie casquette, » lâcha-t-il sans pouvoir s'empêcher de lui adresser au passage un petit sourire amusé, un brin moqueur. « J'adore particulièrement le t-shirt, félicitations, vous êtes maintenant une femme du commun. » Il continuait de se moquer gentiment, ce devait être une torture pour quelqu'un comme elle de se retrouver affubler de ce genre de fripes sans classe et sans goût. Mais lui, en tout cas, ça le faisait bien rire de la voir se présenter de la sorte devant lui. Il resta assis sur son banc et le désigna à sa semblable, rester en public serait évidemment plus simple pour lui. De toute façon, personne ne les écouterait vraiment, ils étaient là pour se promener, pour les plantes, pas pour deux dragons incognito qui discutaient.

« Alors...On s'habitue à sa nouvelle vie, tout va bien ? Ne t'habitue pas trop, parce que je vais avoir besoin de toi, tu t'en doutes. » Il faisait encore un peu le malin. Juste un peu, juste assez pour l'énerver ce qu'il fallait. Taquin et mesquin. Mais avec un bestiau comme Valkyria, mieux valait se prémunir en la piquant au vif tout de suite...