Déception ♕ Dizzalyr & Damoclès

Février 1992
La musique résonnait à tes oreilles, délicatement, et toi tu dansais pour t'amuser. Comme souvent, tu t'imaginais être seul au monde, dans ton petit écrin de musique. 

Tout d'un coup, tu n'entends plus aucune musique, à la place c'est la voix de ta mère. Tu relèves les yeux vers elle, vers son visage. Le tien ne sourit plus comme il le faisait, il y a juste de l'appréhension. Tu approches d'elle la mine basse, en tortillant tes petits doigts d'enfant. 

Tu voudrais pouvoir lui parler, vraiment. Tu aimerais bien pouvoir répondre à sa question avec des mots. Des vrais mots que toi seul dirais et pas ton frère. Mais en son absence, c'est à toi de répondre quand même. Alors tu relèves les yeux vers elle, vers ce visage que tu connais déjà par cœur, après tout c'est ta mère. Et tu secoues la tête, acquiesçant à sa question, lui donnant une réponse muette, c'est tout ce que tu peux faire. 

Que vois-tu en elle quand tu regardes vers ta mère ? Tu vois une femme sévère, c'est évident, mais tu vois aussi la mère qu'elle est, celle qui t'élève malgré tout. Tu sais que tu es moins important que tes frères et sœurs, tu sais que ton handicap t'éloigne de ta famille. Mais tu en fais partie malgré tout et quand elle vient te prendre la main, tu te dis parfois que tu pourrais être plus qu'une ombre derrière ton frère. Tu la suis docilement quand elle t'entraîne dehors, la regardant d'en-dessous. Tu ignores ce qu'elle va te dire, ce qu'elle veut que tu comprennes. Et ton petit esprit d'enfant appréhende déjà. Il a peur de se faire gronder pour une bêtise que tu ne sais même pas avoir commise. 

Tu ne le remarqueras que des années plus tard, mais tu aimes cette maison, surtout son jardin. Tu aimes y danser, y jouer, avec ton frère. C'est bien le seul qui te comprenne d'ailleurs. Pour l'instant cependant, tu sais que tu ne vas pas jouer. Tu te tournes vers elle. Ta mère. Et tu attends de savoir ce qu'elle va te dire. Tu as toujours l'espoir qu'elle te dise qu'elle est fière. Que tu comptes tout autant que les autres. Autant que ton frère que tu jalouses parfois...

Tu sais bien que vous n'êtes pas là tous les deux pour qu'elle te complimente. Même si tu le voudrais bien. Entendre quelque chose de positif, quelque chose qui te fasse plaisir parce qu'elle est fière, ce serait formidable. Mais il ne faut pas trop rêver, petit Damoclès, tu ne l'as pas encore vraiment compris, tu es trop jeune pour ça. Alors tu tournes ton regard vers elle, elle est silencieuse, comme toi. Mais elle, elle a choisi de l'être, ce n'est pas du tout pareil.

Cette question résonne un peu en toi, parce qu'elle te semble vouloir dire bien plus. Ton cerveau d'enfant a du mal à comprendre exactement quoi cependant. Tu secoues la tête, pour dire non, parce que même si tu sais bien que ton frère est différent de toi, tu ne saisis pas tout. Tu sais bien que les autres sont différents, tes frères, tes sœurs, même tes parents, mais tu as toujours pensé que ça viendrait chez toi aussi, un jour. Comme la parole. Mais ça, ça ne vient pas, malheureusement pour toi.

Tu es assis à côté d'elle, le regard levé vers elle. N'importe qui vous aurait simplement comme une mère et son fils, ils auraient même pu être attendris par cette scène. Les gens ne savent pas, ils ne voient jamais les choses telles qu'elles sont en réalité. Tu te rendras compte dans quelques années à quel point tu vis dans une illusion. L'illusion d'être comme les autres. Ou peut-être que cette illusion va se briser bien plus tôt que ça, en fin de compte.

Tu la regardes, sans rien dire, écoutant ses paroles. Tu sais. Tu es au courant que tu n'es pas comme lui, même si tu le voudrais de tout ton petit coeur d'enfant. Pour faire plaisir à ta mère, à ton père, à ton frère aussi. Tu secoues la tête doucement, acquiesçant à ce qu'elle vient de dire. Tu ne sais pas encore bien signer mais tu tentes quand même de bouger tes mains pour dire : « Je sais ça. » Tu ne seras jamais comme Acheron. Elle ne fait que confirmer ce que tu savais déjà sans vouloir y croire.

Tu n'ignores pas que tu es différent, c'est quelque chose que ton esprit d'enfant a très vite compris. Et pourtant, tu fais des efforts, autant que tu le peux, pour qu'on t'accepte. Dans la main de ta mère, tu regardes l'illusion se former. Cela t'émerveille à chaque fois que quelqu'un fait ce genre de prouesses. Tu voudrais pouvoir en faire autant, un jour peut-être...Eu entends les mots, tu l'entends dire qu'Acheron et le fort, l'ombre insaisissable, et toi le fragile, l'humain à ses côtés. Il n'est là, il n'a un corps, que parce que toi tu es là. Sans toi, il ne serait rien de plus que cette ombre, puissante certes, mais intangible.

Malgré toi, tes yeux s'emplissent de larmes devant le spectacle que te montre ta mère, le spectacle de ce djinn qui assassine son humain pour lui voler le corps tant convoité. Tu pleures, silencieusement, tes petites épaules d'enfant tressautant alors que les larmes coulent sans plus s'arrêter sur tes joues. Tu relèves les yeux, vers le visage de ta mère. Tu aimerais parler mais tu ne le peux, alors tu signes maladroitement. « Tu veux que je meurs ? » demandes-tu alors, horrifié et triste parce que vient de te montrer ta mère. Pourquoi voudrait-elle cela ? Es-tu à ce point inutile et sot que ta propre mère veut ta mort pour cela profite à son jumeau...?