Misty taste of moonshine ♫ Orpheus & Cléophée

Orpheus & Cléophée

We're only gettin' older, and I've been thinkin' about it lately, does it ever drive you crazy just how fast the night changes?

L’air frais de la nuit l’enrobe de sa douceur. L’été indien rend les premières journées d’automne chaudes et parfois pesantes. La brise qui s’invite à la tombée de la nuit est alors une échappatoire bienvenue qui adoucit le sommeil et les rêves. Mais Cléophée a beau se tourner et se retourner dans son lit, Morphée ne semble pas décidée à lui rendre visite. Dans la chambre d’à côté elle entend le ronflement régulier de Phoebus qui souvent la berce plus qu’il ne l’agace. Pourtant aujourd’hui, il agit comme un rappel constant de la distance qui s’est immiscé entre eux depuis la rentrée. L’entrée au lycée, le début d’une nouvelle aventure que son jumeau a choisi de vivre de son propre côté. C’est la première fois qu’ils ne sont pas dans le même établissement et Cléo a encore du mal à s’y adapter. Bien sûr elle a ses amies. Flora, principalement mais les autres également. Elle n’est pas seule, ce n’est pas ça réellement le problème. Mais depuis toujours, quand elle se retourne il est là. Quand elle pense quelque chose, il est là. Quand elle le cherche du regard, il est là. Pour l’instant tout va bien. Mais si un jour elle se retrouve à avoir besoin de lui et qu’il n’est pas là ? Alors qu’adviendra-t-il d’elle ?

Le lycée est aussi la dernière porte avant la vie, la vraie. Celle qui se dessine doucement depuis sa venue au monde mais s’accélèrera quand elle se jettera dans l’inconnu. L’enfance est facile. La voie est tracée. Les classes s’enchainent les unes après les autres et quand, comme elle, on a la chance d’être bien entourée et d’avoir de bonnes facultés, le voyage ressemble à une simple promenade de santé. Toutes ces années, elle a enchainé les étapes sans se poser trop de question. L’objectif au bout du chemin, les rêves qui se détachent mais ne sont pas encore assez proches pour faire peur. Aujourd’hui les rêves sont là, à portée de main. Elle n’a jamais été si proche de son futur et au fond d’elle, l’idée la terrifie. Nouveau lycée, nouvelles classes, nouveaux proches, nouveaux rêves. Toutes les nouveautés tourbillonnent dans son esprit fatigué et l’empêche de sombrer dans un sommeil pourtant attendu.

Discrètement, elle sort finalement de son lit. Elle jette un regard au réveil posé sur sa table de nuit. Deux heures trente-cinq. Bon. D’un pas habile et connaisseur, elle se dirige vers la cuisine, se sert un grand verre d’eau et se glisse sur le balcon. La ville qui s’étend sous ses pieds n’est pas tout à fait calme. San Francisco fait partie de ces grandes cités qui ne s’arrêtent jamais vraiment. Au coin d’une rue trop penchée, vous trouverez toujours une petite supérette encore ouverte ou un couple rentrant main dans la main dans leur tout jeune appartement. Elle s’appuie sur la rambarde et laisse glisser son regard sur les lumières et les bâtiments. Se vider la tête pour trouver le sommeil, voilà ce dont elle avait besoin. Après quelques minutes, elle s’assoie finalement sur l’une des chaises posées là, replie ses jambes contre sa poitrine, pose son menton sur ses genoux. Elle avale une grande gorgée d’eau et se reconcentre sur le ronronnement de la ville et les jeux de lumière.

C’est un bruit sourd qui la sort du demi sommeil dans lequel elle est tombée. Elle ne sait pas combien de temps elle a passé là. Elle frissonne un peu, frotte ses bras pour se réchauffer, attrape un vieux gilet qui traine là parce que quelqu’un l’a oublié là durant la journée. Elle le pose sur ses épaules et scrute du regard les balcons qui lui font face, se demandant d’où le bruit a bien pu venir. C’est finalement de derrière qu’elle entend des pas. « Cléo ? »  Elle se retourne en même temps qu’il prononce son nom. Il n’est pas beau à voir, clairement alcoolisé, le visage déformé par les rires de ceux qui s’adonnent à l’ivresse et les cheveux en bataille. Pourtant elle est contente de le voir. Elle est toujours contente de le voir. Son grand frère. « Est-ce-que ça va ? » Il lui demande avec de l’inquiétude dans la voix et Cléophée comprend qu’il ne devait certainement pas s’attendre à la trouver sur leur balcon à une heure pareille. Elle passe une main sur son visage, hausse les épaules. « Ouai, je … J’arrivais pas à dormir. » Elle sait bien qu’il est venu la trouver parce qu’il a dû s’en sentir obligé et qu’il préférerait surement se glisser dans ses draps et profiter d’une nuit bien méritée que de se trouver là avec elle. Mais elle n’a pas envie de le renvoyer. Egoïstement, elle veut profiter un peu de cet instant. « Bonne soirée ? » Elle demande avec un petit sourire en laissant trainer son regard sur sa silhouette débraillée. « On dirait en tout cas. » Nouveau sourire. Elle ne le juge pas vraiment, il a bien raison d’en profiter. Il a cette insouciance qui lui manque parfois elle et ses grands rêves sur l’avenir. Elle et ses attentes qui pourront lui exploser à la figure si elle ne se montre pas à la hauteur.

Orpheus & Cléophée

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C’est un instant suspendu dans la folie de la vie. Ces instants qui ne vivent qu’au cœur de la nuit quand le soleil ne brille plus dans le ciel pour irradier de sa chaleur et juger les confidences. Le milieu de la nuit est toujours entouré de cette aura de mystère, comme si les mots, les gestes et les pensées ne survivraient pas au levé du jour et vivraient enfermés pour toujours dans le ciel étoilé. Le milieu de la nuit comme jardin secret, quand les langues se délient moins effrayés par ces yeux qui, cachés dans la pénombre, ont plus de mal à se croiser qu’au milieu de l’après-midi. Avec un verre de trop dans le nez, on y déclare tout l’amour que l’on a dans le cœur et qu’importe si les paroles s’évanouissent au matin, car elles ont été sincères au plus noir de la nuit. Mais, même parfaitement sobre, la magie nocturne fait son office, rapprochant les corps et les cœurs, comme dans un instant suspendu.

Quand Orpheus s’approche d’elle, elle le regarde avec fierté et avec amour. Cléophée est la petite sœur. Elle n’a jamais eu à connaitre un monde dans lequel il n’existait pas et jamais elle ne l’a imaginé. C’est un privilège dont les cadets n’ont pas souvent conscience, comme un dû offert dès votre premier cri, un cadeau qui vous accompagnera toute votre vie. Cléophée n’a jamais eu à imaginer la vie sans Orpheus, le grand frère qu’elle regardera toujours avec admiration. Il est celui dont elle a toujours été fière, même quand ils ont pu se disputer, même quand il a cassé sa Barbie préférée en tapant sur un tambour avec. Parce que durant toutes ces années où il l’a accompagné, elle a pu dire autour d’elle qu’il était à elle, son frère, rien qu’à elle. A Phoebus aussi, bien sûr, mais les jumeaux avaient toujours tout partagés, alors le résultat était le même. Elle se souvenait parfaitement de toutes ces fois où il venait les chercher à l’école ou quand il venait la récupérer à ses cours de danse. Elle se souvenait parfaitement du regard amoureux de ses copines et des commentaires vantant le fait que son frère soit si beau. A chaque fois elle le rejoignait la poitrine bombée d’orgueil. Oui, son frère était le plus beau et personne ne lui enlèverait jamais car pour toujours elle serait sa petite sœur et elle se tiendrait à ses côtés.

Il élude rapidement sa question sur sa soirée, se contente de confirmer qu’elle était cool. Cléophée se doute qu’il n’a pas envie de parler de ça avec elle. C’est trop privé, c’est trop personnel et peut-être que ça dégraderait l’image enjolivée qu’elle a toujours eu de lui. Pourtant elle n’est pas bête, elle sait qu’il n’est pas parfait, mais ça lui importe peu. Il n’est pas parfait, mais c’est son frère à elle. Il s’approche d’elle et s’installe maladroitement à ses côtés, passant un bras autour de ses épaules. Elle sent l’odeur qui n’est pas tout à fait la sienne. Le relent d’une soirée où tout s’est mêlé jusqu’à ne former plus qu’un amas que l’on ne distingue pas vraiment mais qui pourra nous soulever le cœur au petit matin. Elle s’en moque pourtant, elle reste là, dans ses bras et dans la douceur de la nuit. « Pour de vrai, Cléo … t’es sûre que ça va ? » Il lui demande et elle sent ses yeux la brûler un peu. Elle ne répond pas, reste blottie là, contre son grand frère à elle. Malgré son odeur bizarre, elle reconnait les angles de ce corps dans lequel elle s’est blottie toutes ces fois où elle était triste, toutes ces fois où elle est tombée de vélo ou qu’elle a eu peur devant Blanche Neige. Toutes les fois où il a été le meilleur grand frère, son grand frère à elle. « J’suis là, tu sais. » Il rajoute, posant sa tête sur la sienne et cette fois elle ne peut s’en empêcher. C’est d’abord une larme chaude qui roule sur sa joue en silence, avant qu’un petit sanglot ne vienne secouer son corps blotti. Elle ne sait même pas réellement pourquoi. C’est ridicule, elle n’est plus une enfant, elle ne peut plus pleurer pour un oui ou pour un non. Elle se dit que c’est un mélange de tout. La fatigue, le stress, les angoisses, les inquiétudes. Et la bienveillance d’Orpheus, comme la brise qui viendrait détruire le château de carte instable qu’elle s’efforçait de contrôler jusque-là. C’est le milieu de la nuit et son ambiance mystérieuse. C’est l’alcool qui coule dans les veines de son frère et qui lui fait se dire que peut-être il ne s’en souviendra plus demain. C’est le trop plein d’une petite sœur que la nuit a tenu éveillée surement exprès pour ce moment. Ce moment suspendu. Elle pleure sans savoir trop pourquoi, mais ça lui fait du bien. « Je sais pas ce qu’il se passe. » Elle dit comme une excuse au milieu d’un nouveau sanglot et elle s’enfouit un peu plus dans la protection inébranlable que lui offre son grand frère à elle.  

Orpheus & Cléophée

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Cléophée pleure. Les larmes coulent sur ses joues, les sanglots secouent son corps. Elle pleure et même si c’est douloureux, ça lui fait du bien. Dans les gouttes d’eau qui s’échappent de ses yeux rougis, il y a des soucis, de la pression, l’envie de faire bien, de faire mieux. Il y a les interrogations d’une adolescente qui se retrouve face à l’immensité de la vie et qui panique de devoir s’engager sur une voie plutôt qu’une autre. Il y a tous les doutes, toutes les réflexions, toutes les insomnies et les tiraillements. Elle pleure et ça lui fait du bien. Parce qu’elle se laisse aller, un instant et parce qu’elle est tout contre son grand frère. Il l’entoure, lui pose son pull sur les épaules, lui embrasse le haut du crâne et passe inlassablement sa main dans son dos. Elle n’a pas besoin de plus pour se sentir protégée, écoutée, aimée. Elle se sent bête de craquer comme ça, de lui faire perdre son temps lui qui ne rêve surement que de son oreiller. Mais il est là, il prend soin d’elle comme il l’a toujours fait, il n’essaye pas de s’enfuir ou de se dérober. Il est là pour elle, comme depuis l’éternité. Il est là comme il l’a toujours été, comme il le sera toujours. Son grand frère. Elle se sent bête parce qu’elle a toujours eu envie de l’impressionner. Elle a toujours eu à cœur qu’il parle d’elle avec fierté. Sa petite sœur. Rien n’avait plus d’importance à ses yeux que de savoir que sa famille trouvait qu’elle réussissait sa vie, qu’elle prenait les bonnes décisions et qu’elle réagissait de la bonne manière. Rien n’était plus important que leur soutien, que leurs encouragements. Rien n’était plus important que sa famille.

Elle était la petite dernière, la seule fille avec ces deux grands frères impertinents et audacieux, mais elle ne s’était jamais laissée faire. Ca lui avait permis d’être plus forte, plus armée à affronter la vie. Beaucoup de petites filles rêvent d’une sœur avec qui partager des secrets et se tresser les cheveux. Mais Cléophée n’en avait jamais voulu. Elle n’en aurait pas eu besoin. Elle avait deux grands frères, deux piliers qu’elle avait toujours cherché à impressionner, deux guides dont elle voulait être digne. Et Orpheus qui guidait sa fratrie avec l’assurance d’un berger. Il avait toujours été là, il serait toujours là. Pour elle, pour Phoebus, pour leur famille. Il était là même quand il empestait l’alcool et la fin de soirée et elle savait qu’il n’irait nulle part tant qu’elle ne se serait pas calmée. Alors elle reste là, blottie contre lui, écoutant ses paroles de réconfort, profitant de sa douceur et de sa bienveillance d’ainé. Il savait faire parce qu’il avait déjà vécu ces doutes. Il savait faire parce qu’il était capable de tout pour elle. Elle l’avait toujours su et ça ne changerait jamais. Elle s’apaise doucement, jusqu’à ce qu’il lui lève la tête, d’un geste délicat. Elle croise son regard un instant et se sent toute penaude, mais n’a pas le temps de laisser la honte l’envahir, parce que déjà, il lui montre les étoiles.

Le triangle d’été. Elle sourit quand il lui pointe du doigt, passe une main maladroite sur ses joues pour en chasser les larmes, même si elle sent que ses yeux sont prêts à exploser à tout instant. Bien sûr qu’il le reconnait, elle leur en a parlé si souvent. Ca lui avait toujours plu, cette idée de trois étoiles appartenant à trois constellations différentes mais liées à leur manière. C’était eux, ça avait toujours été eux. Les étoiles les plus brillantes, trois étoiles différentes mais unies. « Oui. « Elle dit d’une voix enrouée en lui jetant un regard amusé. « Ca c’est Véga, là Altaïr et là Deneb. » Elle continue en pointant du doigt les trois étoiles. Il n’y avait pas de sujet qu’elle maitrisait mieux et en parler lui faisait toujours un plaisir intense. Il le savait bien sûr, il ne lui en avait pas parlé au hasard. « Au milieu là, c’est le Petit Renard avec sa géante rouge, Anser. Et autour, il y a les trois constellations de la Lyre, de l’Aigle et du Cygne. » Elle regarde tout ça les yeux ronds, comme si elle les découvrait pour la première fois, alors qu’elle les avait vu des centaines et des centaines de fois. C’était ce qui la fascinait dans les étoiles. Même si elles étaient là depuis des milliers d’années, elles étaient toujours différentes. Le ciel n’était jamais le même et elle découvrait sans cesse des nouveautés. Et quand elle se perdait dans cette immensité, elle oubliait la petitesse de ses problèmes à elle. « Tant qu’elles veillent sur nous, on devrait s’en sortir, non ? » Elle demande sans attendre réellement de réponse. C’était sa petite croyance à elle. Tant que les trois étoiles brilleraient fort au-dessus de leurs têtes, ils ne craindraient rien. « Merci. » Elle lui dit sans quitter le ciel des yeux, se serrant un peu contre lui pour profiter de sa présence un instant supplémentaire, sans mouiller entièrement son pauvre tee-shirt. « Je crois que ça m’angoisse un peu, tout ça. Le lycée, le départ de Phoeb’s. La vie. Comment on sait que ça va bien se passer ? » Elle finit par avouer, en tournant son regard vers lui, de ses grands yeux scintillants qui semblent l’implorer de lui donner les clés de l’existence. Il est l’ainé, il lui a toujours ouvert la voie. Et comme la petite sœur égoïste qui n’imagine pas la vie autrement, elle ne se rend pas compte qu’elle est en train de lui demander l’impossible.

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Elle est bien là, dans les bras de son frère, sous l’immensité des étoiles. Ses yeux sont encore humides, mais elle se sent mieux. Parfois, ça ne tient pas à grand-chose, juste à la présence de la bonne personne. Et dans ce rôle-là, Orpheus est très bon. Elle sent bien qu’il n’est pas au meilleure de sa forme. Elle se doute qu’il pensait plutôt s’écrouler dans son lit que de la tenir dans ces bras. Mais Orpheus les a toujours fait passer avant tout. Phoebus et elle. Elle ne s’en est jamais plainte, pourquoi l’aurait-elle fait ? Il est le grand frère idéal, qui, s’il ne sait pas toujours quels mots dire, finira quand même par résoudre tous les problèmes. Il est maladroit, il est gauche, il est bourré actuellement, mais il est là. Et rien que ça, rien que cette présence, ça lui réchauffe le cœur et ça lui remet la tête sur les épaules. Son frère est là, il le sera toujours. Quoi qu’il se passe, il sera là. Si le lycée est un enfer, elle rentrera se blottir dans ses bras. Si Phoebus lui manque, elle rentrera se blottir dans ses bras. Si la vie est trop dure, elle rentrera se blottir dans ses bras. Il y aura toujours, là, dans l’arrondit de son corps musclé, une petite place pour qu’elle se glisse et qu’elle se sente bien. Qu’elle se sente mieux et protégée. Qu’elle puisse être la petite sœur qu’il a toujours couvée et aimée, lui, le grand frère idéal.

Elle rit un peu, quand il lui parle d’un possible accident ou d’un tsunami. Du bout des doigts elle lui tape l’avant-bras. Ne dis pas ça, c’est ridicule. Ca n’arrivera pas car l’univers ne pourrait pas les séparer, personne ne serait si cruel. Il a raison et elle le sait. C’est une scientifique, son esprit est rationnel et construit pour penser de la sorte. Elle sait tout ça. Mais c’est effrayant de se retrouver face à l’inconnu. Effrayant d’imaginer la suite d’une vie qui ne fait que commencer et devant laquelle les portes sont en train de s’ouvrir. Que va-t-elle trouver de l’autre côté ? Saura-t-elle affronter tout ça et continuer à être elle-même ? « Tu le promets ? » Elle demande d’une petite voix. C’est bête, mais tant pis, elle vient de pleurer comme une nouille sous le ciel étoilé, elle peut se permettre des questions à la con. Promets moi les étoiles Orpheus, dis-moi que tout ira bien. Il promettra, il est comme ça, il lui promettrait la lune si elle lui demandait. Mais s’il le dit alors, ça sera vrai. Comme quand il lui a promis de l’emmener à l’aquarium quand elle avait sept ans et qu’elle s’est assise à l’arrière de son vélo pendant qu’il pédalait comme un fou. Papa et Maman étaient si inquiets, mais tous les deux, ils s’étaient amusés comme des fous. Quand Orpheus lui promettait quelque chose, c’était vrai, ça la rassurait. Jamais il n’oserait lui mentir.

« Je sais que ça change pour le mieux. Je crois. Je veux dire, Phoeb’s va faire ce dont il rêve depuis toujours, moi aussi, toi aussi, j’espère. Mais j’ai l’impression que les trucs nouveaux vont juste chasser les anciens. Et c’est pas parce qu’ils sont vieux que je les aime plus, tu vois ? » Elle ne sait pas bien si ça fait sens. Le sommeil endort ses pensées, les émotions également. Mais si ça ne fait pas de sens, c’est pas si grave, elle se dit. Autant en parler maintenant, autant tout dire à Orpheus. Il saura quoi faire, il sait toujours quoi faire. Et s’il ne sait pas, il la reprendra dans ses bras et tout ira bien. « Faudrait pouvoir changer sans avoir à renoncer, je sais pas si ça a du sens, mais je crois que c’est ce que je ressens, finalement. » Elle sourit timidement. Ce n’est jamais facile de parler de ses émotions, de mettre à nu ses pensées et les battements de son cœur. Mais elle ne craint pas de jugement. Orpheus n’y penserait même pas. « J’aimerai tellement faire un saut dans le temps, genre dans cinq ans tu vois, juste pour voir que tour va bien et revenir au temps présent. Ca serait cool non ? » Elle rit un peu. Ca serait cool oui, surement. Orpheus lui dira peut-être que l’inconnu est plus cool encore, que ça vaut le coup de se lancer et d’attendre de voir ce que l’univers nous réserve. Mais il a toujours été plus courageux qu’elle, plus téméraire, du genre à foncer tête baisser. Elle est plus cérébrale, c’est sa place dans la fratrie et elle l’a accepté depuis longtemps. Mais parfois elle aimerait avoir son intrépidité et ne pas se soucier du futur. Vivre l’instant présent car personne ne pourra jamais savoir de quoi demain sera fait.

Orpheus & Cléophée

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Ca a toujours été facile de lui parler. Facile de tout lui dire, tout lui avouer et d’espérer qu’en face il sera capable de tout encaisser. Voir même de tout résoudre. C’est ce que font les plus petits. Ils attendent de leurs ainés qu’ils résolvent tout pour eux, avec la sagesse et l’expérience acquises au long des années. Orpheus a toujours aimé ça, en plus. Il aurait pu l’envoyer se faire voir il y a longtemps. Il aurait pu lui dire d’aller embêter quelqu’un d’autre avec ses questions et de le laisser vivre sa vie tranquillement. Mais il ne l’a jamais fait. Il a toujours été là, toujours été prêt à se plier en mille pour elle, pour la protéger et la faire sourire.

Et puis il y a son petit grain de folie. Son imprévisibilité, ses idées farfelues. Ca le frappe souvent par hasard, comme des illuminations divines. Et elle adore ça. C’est surement ce qui le fait bondir sur ses pieds et attraper sa main. Elle sourit mais se lève sans protester. Déjà elle se demande ce qu’il lui réserve. Mais elle n’est pas inquiète. Elle est en pleine confiance, comme toujours avec lui. Son grand frère ne ferait jamais rien qui pourrait lui faire du mal. Il se met à la faire tourner. Ca la surprend un peu. Elle ne s’attendait pas à ça. Mais elle se prend au jeu. Elle tourne facilement, son corps y est habitué. Pas de tournis, pas de sensation de se perdre. Elle fixe un point, le sourire d’Orpheus, et elle tourne. Un tour. Deux tours. Trois tours. Quatre tours. Cinq tours. Il s’arrête brusquement mais elle ne perd pas l’équilibre. Cinq ans. Il lui dit. Cinq tours pour cinq ans. La voilà cinq and plus vieille, lui aussi, mais ils n’ont pas changé. Elle le regarde faire, amusée. Il ne tient pas très droit, on pourrait croire que c’était lui qui venait de tournoyer dans les airs. Il titube un peu, mais il lui décrit le monde qui sera le leur dans cinq ans. Le monde extérieur. Puis le leur. A chaque nouvelle affirmation elle rit un peu plus. Un peu plus longtemps. Un peu plus fort. Un peu plus sans y réfléchir. Elle se tient le ventre, il en joue et elle en rit. Pourquoi s’inquiéter ? Avec un frère comme ça à ses côtés, elle devrait savoir que rien de grave ne pourra lui arriver.

Quand il finit par se taire, elle rit encore quelques temps, saluant son public imaginaire en effectuant quelques pirouettes à sa descente de fusée. Première danseuse étoile parmi les étoiles. Voilà un horizon qui lui plait. Voilà un objectif à atteindre qui pourra la maintenir dans le droit chemin pendant longtemps. « Notre vie a l’air plutôt cool dans cinq ans non ? » Elle finit par dire en le regardant, les yeux brillants. « Ca me donne presque hâte d’y être en tout cas. Vous trouverez du temps pour moi-même quand vous serez des supers rock star hein ? » Elle éclate à nouveau de rire, mime la réaction d’une fan en folie venant assister au concert du plus grand groupe de tous les temps. Son groupe à elle. Ses deux frères qu’elle pourra surveiller depuis les étoiles, si tout se déroule comme prévu.

L’effervescence commence à retomber alors qu’ils se retrouvent là debout, tous les deux. Mais la mélancolie s’est envolée, chassée par les rires et les projets. « Merci. » Elle dit simplement, avant de venir l’enlacer de ses bras qui commencent à devenir trop courts pour faire le tour complet de son corps d’adulte. Elle l’embrasse sur la joue, le serre un peu avant de se détacher. Tranquillement, elle vient s’accouder à la rambarde encore quelques minutes. Toujours souriante, elle se remet à fixer le ciel étoilé. Son objectif, son futur, si les prévisions d’Orpheus sont bonnes. Et dans la douceur de la nuit, elle se met à bailler. Des yeux qui la piquent et qu’elle frotte du revers de la main. « Je crois qu’il est l’heure, maintenant. » Elle le regarde, rayonnante. L’heure d’aller rêver de tous ces beaux projets, l’heure d’aller préparer l’avenir, une nuit à la fois. Il l’a bien mérité, elle ne sait même pas comment il tient encore debout. Surement par amour, car c’est ce qui le compose en grande majorité et elle est bien placée pour le savoir.