CHIARA ★ she had a marvelous time ruining everything

Chiara pousse son premier cri. Chiara radieuse, Chiara tant attendue, Chiara bébé de la dernière chance pour deux parents qui tentent de sauver leur mariage avec un enfant miracle. Elle ne déçoit pas ; c'est une enfant facile, joyeuse, souriante, un peu bruyante, un peu trop extravertie mais profondément attendrissante, attachante. Mais ce n'est pas suffisant. Et puis, elle joue souvent toute seule pendant que les parents s'éloignent, évitent la maison et la compagnie l'un de l'autre. Chiara est parfaite, mais pas assez pour que ses parents continuent de s'aimer.

Quand elle supplie sa mère de l'emmener dans cette fête foraine, à l'âge de sept ans, Chiara ne sait pas encore que ça va changer sa vie. C'est là qu'elle entend Solal, qu'elle lui donne vie, quelque part. Et dorénavant elle ne sera plus seule. Elle a une soeur, une meilleure amie, une compagne de jeu, quelqu'un dont le seul but, le seul objectif, est de lui apporter tout ce qu'elle désire. Malheureusement, on y prend facilement goût.

C'est officiel, on signe un papier et on défait toutes ces années d'effort, toutes ces années à sourire pitoyablement et à donner le change. Ca fait bien longtemps que ses parents ne s'aiment plus, mais quand on a huit ans, on ne comprend pas que c'est pour le mieux. On ne voit que l'absence, l'échec, la déception. On ne voit que les faux sourires et les cadeaux de rattrapage, ceux qu'on fait lorsqu'on a manqué un récital de danse ou qu'on a oublié un anniversaire. Heureusement que Sol est là, heureusement que Sol est avec elle partout, qu'elle prend les photos, qu'elle confectionne les gâteaux, qu'elle l'aide à répéter les chorégraphies. Ca lui fait presque oublier qu'elle est devenue une monnaie d'échanges entre deux adultes qui veulent se faire du mal et qui utilisent leur fille comme arme plutôt que de l'aimer vraiment.

Pendant un temps, on a mis les difficultés de Chiara à l'école sur ce qui se passe à la maison, sur le déséquilibre subi. Mais finalement, on finit par comprendre qu'elle est sévèrement dyslexique et dysorthographique. Encore une fois, c'est Sol qui enfile sa cape de superhéroïne et qui la fait travailler, qui sèche ses larmes quand c'est trop difficile et qui lui bouche les oreilles lorsque les autres enfants se moquent d'elle.

C'est à son entrée au collège qu'elle découvre le plaisir du théâtre, qu'elle constate avec délice que le jeu lui vient avec facilité, qu'elle a du talent. C'est aussi le début des petits mensonges blancs, des mensonges qui ne font pas de mal mais qui vous font paraître un peu plus intéressant, qui évite parfois l'embarras, qui permet de gagner l'attention de quelques amis, qui redirige l'attention vers elle, trop invisible malgré son rire fort, trop seule malgré ses yeux qui brillent. Qui permet d'exister quand on est personne, finalement.

Le lycée sera la saison des découvertes, la saison des larmes, aussi. C'est là qu'elle coupe les longs cheveux qu'elle avait laissé pousser pour ressembler à Sol, parce qu'elle veut être belle comme elle, elle veut tout faire comme elle. Chiara part à la recherche d'elle-même, incertaine de ce qu'elle va trouver. Elle essaie tout, elle veut se sentir vivre, elle veut l'adrénaline. C'est là que commencent les vols, les mensonges un peu moins blancs. De vaines tentatives pour attirer l'attention de parents qui ne l'utilisent que comme prétexte pour se crier dessus, que pour se prouver l'un l'autre que sa vie est bien meilleure depuis le divorce. Sol peut passer pour une jeune femme de son âge maintenant, alors elle lui tient la main quand elles passent la porte du lycée et Chiara commence à sentir son coeur battre un peu plus fort. Sol est belle, Sol est radieuse, Sol est drôle et intelligente et elle lui doit tout. Tout ce qui la rend spéciale, Sol lui a donné. Mais elle veut plus que ça, et l'exploration de ce sentiment qui lui tord le bas-ventre peine à se démêler.

Bien sûr, Sol lui a dit, lui a partagé toutes les choses du surnaturel. Mais jusqu'à la guerre, jusqu'à ce qu'elle le voie de ses propres yeux, c'étaient des chimères qui ne dansaient que dans ses rêves, des créatures de songes et d'histoires. Chiara est brutalement précipitée dans les décombres, elle n'est qu'humaine. Elle ne peut pas aider ; elle assiste Solal quand elle le peut, mais elle subit deux ans de vide en espérant être quelqu'un d'autre. Elle continue d'inventer, de se rêver surnaturelle, elle aussi, de pouvoir faire une différence. Lorsque la paix revient enfin et que la vie reprend, elle est déjà différente.

On ne peut pas regarder les étoiles pour toujours sans être aveuglé. Chiara n'est pas dupe, elle voit bien les regards que Sol attire, l'admiration qu'elle génère, et plus Solal brille, plus Chiara semble s'éteindre. Dans leur petit groupe, leur cosmos crew, Sol est la gravité qui les lie tous. Elle aurait voulu avoir Milo, au moins, au moins cette victoire là, ce garçon doux et tendre dont elle aurait pu tomber amoureuse si on leur avait laissé une chance, c'est sûr. Mais il l'a choisie elle, et comment peut-elle le blâmer? Elle l'aurait choisie aussi, sûrement. Mais alors que les deux supernovas forment leur propre constellation sans elle, son amour commence à pourrir à l'intérieur, de toutes ces années à ne pas oser. Quand Chiara arrive à la gare des aveux, son train est déjà parti.

Le cosmos implose une soirée d'été. En rentrant au petit matin après une longue nuit de néons et de tequila, Chiara trouve un autre homme dans le lit de Sol. Le sol se craquèle sous ses pieds ; elle découvre une partie d'elle-même qu'elle s'était toujours refusée à voir. La partie d'elle qui est garce. Elle jurera à Sol qu'elle n'a pas fait exprès de le dire à Milo, qu'elle pensait qu'il savait déjà, qu'il y a malentendu, qu'elle a mal compris, qu'elle n'a pas voulu mal faire. Et Sol lui pardonnera parce qu'elle est trop triste et trop éteinte et qu'elle ne peut pas perdre Chiara aussi. Mais c'est aussi là que l'humaine brille le plus ; quand le soleil s'éteint enfin. C'est l'horrible sensation empoisonnée qui s'insinue dans ses veines qui lui fait comprendre qu'elle est heureuse quand Solal est malheureuse, et qu'elle est probablement la pire personne de l'univers. Elle crève de jalousie, elle crève d'envie, elle crève d'attention. Elle crève d'amour.

Chiara ne perd jamais une bonne occasion de se mêler au surnaturel. Ca fait un moment déjà qu'elle rumine, qu'elle se dit qu'elle pourrait devenir sorcière, faire enfin partie de cette communauté qui la fascine tant. Ce n'est que la pensée de Sol au purgatoire qui l'arrête, qui soulage la fièvre dans ses moments les plus sombres, au plus noir de la nuit quand personne ne la regarde. C'est au refuge pour surnaturels de la Nouvelle-Orléans où elle se rend une fois par semaine pour faire du bénévolat qu'elle rencontre Aaren et Tristan. Deux écorchés vifs. Deux âmes complètement brisées, complètement tordues, qui se fondent si bien dans la sienne. Il leur faudra deux ans avant de l'accepter.

Chiara maquille les apparences avec une aisance folle. Si elle est paumée elle ne le laisse pas paraître. Au sein de la troupe de théâtre qu'elle a intégrée avec Sol, elle se bat pour briller. Elle tente de ne pas se laisser submerger lorsque Solal est meilleure qu'elle, lorsqu'elle a de plus beaux rôles, lorsqu'elle se sent luciole à côté de sa supernova. Elle se débat pour exister à ses côtés, elle sait très bien comment ça sonne quand elle parle d'elle, elle ne peut pas s'en empêcher, elle est toujours élogieuse sur son soleil, elle ne fait jamais exprès de l'éclipser, jamais exprès de la faire souffrir, ça lui briserait le coeur de le savoir, d'ailleurs. Mais tant qu'on la plaint, on la regarde, c'est le plus important. Qu'importe la vision endommagée que les gens ont de Sol, après tout, elle saura en charmer d'autres. Elle est amère, elle est terrible, elle est coupable, elle est malheureuse.

Elle a le goût du risque, Chiara, elle veut une victoire, au moins. Elle veut qu'on l'aime, et plutôt deux fois qu'une s'il vous plaît. Elle est gourmande, Chiara, elle papillonne de l'un à l'autre en butinant comme une abeille, laissant les dards frôler ses pétales. Elle ne veut pas choisir, et quand elle leur pose l'ultimatum, elle a l'impression de gagner. Puisqu'ils ne veulent pas se passer d'elle, qu'importe le prix, la partie peut reprendre de plus belle. Elle se débat pour trouver son équilibre. Pour faire taire la voix pernicieuse qui lui susurre qu'ils vont se choisir l'un l'autre, qu'elle va perdre ce qui la rend spéciale, que si elle ne se réveille pas elle va les perdre, eux aussi. Mais ça voudrait dire prendre ses responsabilités, assumer qui elle est. Et pour le moment, ce qu'elle voit dans le miroir est trop laid pour le reconnaître et poser son nom dessus.