And I can't help, turning my love into pain ✵ bright flower star

Assis sur le rebord de la fenêtre, Aaren regarde les rayons du soleil qui se couchent. Enfin il ne regarde pas vraiment les rayons, il regarde Chiara qui se fait envelopper par leur belle lumière dorée. Chiara est craquante, Chiara est belle, il ne peut pas le nier. D’habitude il est pas très regardant, puis il préfère les mecs, mais elle a un truc, une étincelle, un charisme, qu’il ne saurait pas expliquer. Elle est sexy, c’est tout. Et quand elle lui sourit en soufflant la fumée de sa clope, il a envie de l’embrasser. Il se contente de lui rendre son sourire, il sait qu’elle va s'inquiéter s’il s’agite trop et qu’il fait le guignol sur la balustrade, déjà qu’elle tolère tout juste qu’il y reste immobile.

Elle va s'inquiéter pour lui.

Elle tient à lui, il le sait, alors qu’elle devrait pas. Et qu'il devrait pas non plus, il le sait pourtant, il devrait arrêter de s’attacher comme ça, de s’attacher trop fort.

À chaque fois qu’il vient la voir, il se dit qu’elle mérite mieux que lui. Surtout quand elle lui parle d’un truc plus sérieux que du sexe. À chaque fois iel se dit qu’il suffirait de pas revenir la voir, de la laisser continuer son chemin sans ellui, et tant pis si elle l’insulte et qu’elle le maudit ; ça serait une faveur pour elle qu’iel sorte de sa vie, il en est convaincu.

Et puis même sans ellui elle sera pas toute seule. Elle a sa djinn que le nymphe a jamais croisée, et elle a son autre mec qu’il connait pas non plus. Sans doute quelqu’un de meilleur qu’ellui, pas un connard qui a envie de crever dans une poubelle et de la laisser tomber.

Pourtant à chaque fois il revient la voir, à chaque fois il revient dans ses bras, il revient savourer son goût sucré et piquant à la fois. À chaque fois il se dit que ça sera la dernière, qu’après ça il laisse tomber, qu’après ça c’est terminé. Parce que sinon ça va mal finir, ça finit toujours mal. Ça finira comme toutes les autres fois, alors pourquoi, putain, pourquoi il y arrive pas ?

La réponse c’est qu’il est fatigué de faire ça. Il sait que ça finira mal, mais il en a pas envie. Alors il s’accroche secrètement à l’espoir que si ça reste ponctuel, que si ça reste exceptionnel, alors ça sera pas pareil, cette fois. Il veut pas que ça finisse comme les autres fois parce que les autres fois lui ont fait trop mal, et qu’il en a marre de laisser en arrière les gens qu’il aime, et que la culpabilité le grignote chaque jour un peu plus, profitant du moindre instant de sobriété pour l’attaquer et se rappeler à lui.

À force il ne sait même plus si ça valait le coup ; est-ce que ça aurait fait plus mal si c’était eux qui l’avaient abandonné finalement ? Il verra bien ça quand Chiara réalisera avec qui elle traîne et finira par le laisser sur le bord de la route, elle aussi.

Iel a pas le droit d’espérer, iel a pas le droit de s’attacher au gens, et pourtant iel peut pas s’en empêcher.

J’suis désolée, Chiara, pour quand tout finira mal.

Alors plutôt que penser à son futur qui veut plus rien dire, qui ne ressemble plus à rien, qui le punira bientôt d’avoir eu trop d’espoir, il préfère se concentrer sur le présent. C’est comme ça qu’il fait toujours de toute façon. Il se retourne la tête jusqu’à arrêter de penser à la suite.

La jolie jeune femme l’as invité à passer le week-end chez elle, alors que sa coloc n’est pas là, et il compte bien profiter des instants passé en sa présence. Iel aime passer du temps avec elle, iel aime faire l’amour avec elle et pas juste le sexe désabusé dont iel a l’habitude, iel aime lui demander de lui décolorer les cheveux de nouveaux quand on ne voit plus assez le blond même si ça lui fait un peu penser à London, iel aime se maquiller avec elle et essayer les vêtements qu’elle lui accepte de lui prêter ou qu’elle vole pour ellui parfois. D'ailleurs, s'iel est resté torse nu pour l'instant, iel porte la jupe à carreaux qu'elle lui a filé et le maquillage qu'elle lui a fait.

Iel est presque sobre, là, enfin, plus que d’habitude en tout cas. Juste quelques bières et des cigarettes, c’est relativement peu pour ellui. Pas le droit de fumer des joints, même à la fenêtre, faut qu’iel descende pour ça et faut avouer qu’iel a un peu la flemme, sauf quand le manque commence à faire trembler ses doigts. Alors iel se drogue à Chiara. Ses lèvres, sa peau, son odeur, sa douceur. Sa voix et son rire, son sourire et ses haussements de sourcils, sa fermeté et son affection.

Bordel. Il le sait que c’est trop tard, que c’est foutu. Mais tant pis ; quitte à courir dans le mur une fois de plus, autant y aller à fond, et peut-être qu’à force de se fracasser dessus il se brisera pour de bon.

Chiara a fini sa clope et il ne va pas rester indéfiniment sur cette balustrade où le vide continue toujours de l’appeler un peu. Alors il redescend dans le salon, il lui dit ce qu’il pensait tout à l’heure. Pas tout ce qu’il pensait, mais c’est déjà ça. Il se sent toujours pas capable de lui dire qu’il l’aime, comme si ça allait tout briser, comme si à partir du moment où il allait le prononcer leur destin était scellé.

-T’es belle.

Iel commence à l’embrasser, à goûter ses lèvres noircies et à mélanger leur lipstick qu’iels se sont appliqués ensemble tout à l’heure. Mais soudain quelqu’un toque à la porte ; sans doute le livreur qui vient leur apporter ce que Chiara commandé tout à l’heure.

C'est pas le livreur.

Aaren ne savait pas à quoi il s’attendait quand il a ouvert la porte, mais il ne s’attendait définitivement pas à ça. Pas à le voir lui, pas à voir l’autre, pas à voir la trop insupportablement belle et hautaine silhouette de ce salaud dans l’entrée.

Tristan.

Tristan est là, et instantanément le corps d’Aaren se crispe. Il lui en veut, parce que s’il regrette, s’il s’en veut, c’est aussi de sa faute, à ce putain de tocard qui savait pas assumer, qui a fait la chose de trop et qui a dépassé les bornes. C’est aussi de la faute de Tristan, et ça, il peut pas lui pardonner.

-Qu’est-ce que tu fous ici, sale enfoiré ? jette le blond entre ses dents serrées.

C'est pas lui le livreur, c'est certain. Ça aurait pu mais Aaren connait trop bien Tristan, il sait qu'iel est bien trop mégalo et méprisant pour accepter un job ingrat où iel doit servir les autres. Il le connait trop bien, depuis trop longtemps.

Une bourrasque de vent traverse le couloir et le nymphe regrette que la porte s’ouvre vers l’intérieur, regrette d’être dans l’embrasure et de ne pas pouvoir la lui claquer au nez aussi facilement.

Et puis son poing se serre aussi. Il s’apprête presque à se jeter sur lui de nouveau.

Comme la dernière fois qu’iels se sont vus.

Pourtant Tristan n'as pas peur du poing serré ni du vent qui lui souffle à la figure. Iel n'as pas peur, ou du moins iel ne le montre pas. Iel s'avance bravement, avec son air superbement hautain, et Aaren serre les dents. Ça allait bien, putain, ça allait bien et il fallait que ce mec précis vienne tout gâcher, encore ? Comme s'il ne savait faire que ça. Un peu comme lui, dans un sens.

La pensée déstabilise le blondinet qui n'est pas assez vif pour réagir avant que le triton ne rentre dans la pièce. En le bousculant. Le contact entre les épaules est électrique, Aaren se tends, et la scène à laquelle il assiste lui fout un coup de poing dans le ventre.

C'est donc lui, le deuxième petit copain de Chiara.

Il est pas jaloux, ça aurait été n'importe qui d'autres il aurait rien dit, il aurait même sourit et serait sans doute venu les rejoindre. Mais c'est lui, c'est l'autre, c'est cet autre qu'Aaren n'as pas réussi à sortir de sa tête parce qu'il le blâme autant que lui, et peut-être aussi parce que quelque part, il sait que ça aurait pu se passer autrement, entre eux deux.

C'est donc lui, le deuxième petit copain de Chiara.

Ça lui troue le cœur d'un coup cette réalisation - parce que s'il l'abandonne alors elle sera pas toute seule, elle sera avec lui, avec Tristan. Tristan. Toujours lui, hein, toujours le même, toujours ce trop beau connard. Tristan qui lui a parlé, qui a flirté, puis qui a snobé, qui a blessé, qui a voulu mettre en danger. Tristan qui détruit tout, comme lui. En tout cas, ils ont fait un bon job à s'entre détruire ses dernières années, visiblement. Mais c'est Tristan qui a gagné et c'est Aaren qui a perdu, qui a tout perdu, et il veut pas perdre encore une fois.

Il veut pas perdre encore une fois et c'est la seule chose qui le retient de tourner les talons, de les laisser tout les deux, parce que s'il abandonne Chiara elle sera pas toute seule, elle aura Tristan. Tristan qui est meilleur en tout, Tristan qui est supérieur à tout le monde et surtout à un déchet comme Aaren, hein ? Tristan qui est mieux, et qui ne se gêne pas pour le faire savoir.

Les pensées d'Aaren se brouillent. Sors.

Il essaye même pas de résister à l'hypnose, finalement, il laisse son esprit s'oublier, et puis peut-être que quelque part c'est mieux pour tout le monde ; il en a marre de se battre contre un type qui lui a déjà tout volé, qui lui a déjà tout coûté.

Sors, parce qu'après tout, ça l'étonne même pas que Tristan lui donne des ordres.

Sors, et il s'exécute, comme un robot.

Mais quand il reprends ses esprits la main de Chiara est dans la sienne, elle le ramène à l'intérieur, elle le ramène vers elle.

À quoi ça sert, Chiara ? Je savais que ça allait mal finir, comme les autres fois. Je pensais pas que ça arriverait si vite c'est tout, je pensais pas que ça serait à cause de lui encore une fois.

Pourtant il s'agrippe à sa main, presque sans le vouloir, il s'agrippe parce qu'il pensait pas la perdre aussi facilement que les autres, elle. Il a l'impression que ses lèvres noires sont un peu barbouillées, parce qu'elle vient d'embrasser Tristan qui vient encore tout gâcher.

Il s'agrippe sa main parce qu'il est en colère. Il est en colère contre lui-même d'accorder autant d'importance à Tristan, et il est en colère contre le brun parce que pour une fois il a enfin quelqu'un d'autre à blâmer que lui-même.

Alors il lâche sa main, un peu sèchement, quand elle commence à parler, qu'elle dit qu'il s'excuse. Il s'excuse ? C'est risible. Tristan ne s'est pas excusé une seule fois pendant cinq ans, c'est pas maintenant qu'il va commencer. Surtout pas face à un déchet comme Aaren.

Ça recommence. Ça recommence comme il y a un peu plus d'un an quand ce con à tout foutu en l'air, quand il a mis en danger les deux personnes qu'Aaren aimait le plus, et qu'en plus il a voulu se faire passer pour elles. Et tout ça pourquoi ? Pour le faire chier, pour lui faire mal ? Eh bien il a réussi à l'atteindre cette fois là.

Et il a réussi aujourd'hui aussi.

C'est une blague, c'est une putain de blague. Ça peut pas être autre chose qu'une blague. Y avait combien de chances que ça arrive ? Que de toutes les personnes que Chiara pouvait aimer, fallait que ce soit lui, précisément lui ?

Et maintenant elle veut lui faire croire qu'il s'est excusé ?

Aaren éclate d'un rire sardonique et coupant. Le même rire qu'il a entendu de nouveau dans la bouche de London y a pas si longtemps. Le rire pour se protéger, le rire pour rire au lieu de pleurer ; c'est une technique qu'il maîtrise parfaitement, maintenant. Le rire quand on est blessé et que plus rien n'as de sens, quand c'est tellement con qu'il y a plus rien d'autre à faire. Le rire brisé et incontrôlable et blessé qui se veut blessant. Un rire qui se brise aussi net que des morceaux de verre quand il regarde Tristan à nouveau.

-Non, on se connait bien, t'inquiète.

Sa voix est cynique et amère, grinçante et grondante. Elle est tornade brûlante et ouragan glacé, elle est tempête comme le sont tous ses sentiments trop explosifs qui lui fusillent le cœur, et d'ailleurs des rafales souffle et font claquer la fenêtre, dans un bruit sec qui semble le tirer de ses pensées et le fait se lever rageusement.

-Même si on préférerait l'un comme l'autre que ce soit pas le cas, hein ?

Pendant un instant, il songe à se jeter sur lui de nouveau et finir de lui péter la gueule comme la dernière fois. Lui refaire le portrait pour qu'il arrête de ressembler à un putain de tableau de la renaissance, peut-être qu'il arrêtera de se prendre pour un prince qui peut jouer comme il veut avec la vie des autres.

Il a un ricanement presque désespéré et il se détourne, il a toujours du mal à croire que ce soit vraiment Tristan là en face, il a du mal à croire tout ce que celui-ci lui fait ressentir à cet instant, alors que ça fait plus d'un an qu'il l'a pas vu, c'est toujours aussi vif que s'il l'avait quitté la veille. C'est trop d'un coup et il a pas envie de faire le tri et d'y réfléchir. Il a un goût de gâchis dans la bouche et il préfère prétendre que c'est ce que le triton a gâché avec London et Serena, ce qu'il est en train de gâcher avec Chiara et pas qu'il a gâché autre chose. Pas qu'il a tout gâché entre eux deux aussi.

T'auras ruiné combien de mes liens, au total, Tristan ? À commencer par celui qu'on avait, toi et moi.

Il se détourne et il se dirige vers la fenêtre. Attrape la clope presque entière que Chiara vient d'éteindre et la rallume avec le briquet d'à côté. Commence à la fumer sans plus les regarder.

Le blond a envie de se laisser glisser par terre, d'un côté ou de l'autre de cette foutue rambarde, mais si Tristan a déjà gagné, il lui laissera pas cette victoire-là. Il va rester debout, juste parce que le triton serait bien trop content de le voir s'effondrer. C'est tout ce qu'il attend, Aaren en a est certain. Y a pas d'autres explications, Tristan veut juste le voir crever plus vite que les autres. Sinon, pourquoi il aurait fait tout ça ?

C'est à Tristan qu'il s'adresse, Aaren, ou peut-être à lui-même, il sait pas trop en fait. C'est à eux deux qu'il murmure entre ses dents serrées.

-Ça t'amuse de me gâcher la vie, hein ?

Il a envie de rajouter qu’il a pas besoin de son aide, qu’il se débrouille très bien tout seul pour faire ça. Mais sans lui il se serait pas fait virer, ou peut-être pas ce jour-là en tout cas. Il saura jamais de toute façon, en attendant le brun est trop coupable aussi.

Iel est trop coupable et maintenant quoi ? Maintenant le nymphe sait pas quoi faire, il a pas envie de s’énerver devant Chiara mais il transpire la colère par tous les pores de sa peau. Il se contient parce qu’il veut pas s'énerver devant Chiara, parce qu'il veut pas la perdre elle aussi même s'il se rends bien compte qu'il est déjà en train de le faire, mais quitte à la perdre il veut au moins qu'elle le méprise pas parce qu'elle l'a jamais fait, malgré tout. Pas comme l'autre et sa condescendance.

Une bouffée de colère le prends encore et c'est la jeune femme qu'iel interpelle cette fois.

-Alors c'est lui que t'aime, hein ? Tu sais pas qu'il aime que lui, et que les autres il fait que jouer avec ?

Aaren savait que ses petites sœurs, et lui, étaient loin d'être les seules à en avoir fait les frais. Alors pourquoi ça lui faisait si mal, que ce soit lui qui ait été visé ?

En tout cas, il comptait pas le laisser faire ça à Chiara… Pas à elle, aussi.

Le brun enfile un collier de capsule de bière, sans doute créé par ses soins et le nymphe ricane agressivement. C’est vraiment le moment de se la péter, là, maintenant ? Il peut pas s’en empêcher hein, jamais, il faut toujours qu’il essaye d’écraser les autres, et s’il arrive pas à les écraser alors il essayera de les blesser jusqu’à ce qu’ils ploient. Mais même si tu me marches dessus, je serais toujours un caillou dans ta chaussure comme tu le dis si bien, Tristan. Tu arriveras pas à me faire baisser l’échine, à me faire abandonner mon dernier moyen de défense qui est d’être le pire des emmerdeurs.

Les insultes de Tristan ricochent sur Aaren. Il a l’habitude, de se faire traiter de rat d’égout, de moins-que-rien, il a l’habitude de les entendre sortir de cette bouche qu’il a envie de frapper autant qu’il a autrefois eu envie d’embrasser. Pas qu’autrefois, d’ailleurs. Malgré tout ce qu’il s’est passé, tout ce qui est encore en train de se passer, il ne peut pas s’empêcher de glisser ses yeux sur son visage et de trouver le triton attirant. Et c’est encore pire, quelque part. Ça l’énerve encore plus, de pas réussir à le haïr tout à fait, alors qu’il le mériterait.

L’ambiance est chargée d'une tension presque électrique, balayée de courant d’air qui font claquer la fenêtre, jusqu’à ce qu’Aaren la ferme d’un mouvement rageur. C’est pas le moment de le faire encore plus chier. C’est pas le moment, pour tout, maintenant que Tristan est là debout au milieu de la pièce.

On dirait qu’iels sont sur un ring et qu’ils attendent que Chiara comptent les points pour les départager, mais elle n’a jamais voulu prendre ce rôle. Et ça transperce la carapace de colère d’Aaren comme une flèche. Elle n’a jamais voulu ça, et elle a pas à se retrouver coincée entre leurs rancœurs et leurs regrets, elle devrait pas avoir à enfiler un bouclier pour pas se retrouver touché par une des piques empoisonnées qu’ils s’envoient. Et pourtant c’est ce qu’elle fait, là, quand elle leur répond et que le silence résonne.

Le blondinet s’apprête à tourner les talons. Oui, ça serait peut-être mieux qu’il parte, qu’il se casse pour de bon comme il l’a toujours fait. Ça serait peut-être mieux qu’il aille s’éclater la tête ailleurs, que ce soit contre un mur ou avec de la drogue, pour oublier que Tristan a encore tout gâché. Ça serait peut-être mieux qu’il les laisse tous les deux comme il a laissé toutes les deux Serena et London, après tout c’est toujours lui qui traîne les autres vers le bas. Le triton lui a bien fait comprendre que c'était ça qu'il pensait de lui, ce jour-là. Il avait touché trop juste pour pas que ça explose.

Il est pas sûr de savoir ravaler son acide pour la soirée, d’être civil comme Chiara lui demande. Elle sait, pourtant, qu’Aaren est pas comme ça. Mais le blondinet sait quand elle est sincère, il sait quand elle veut réellement dire quelque chose parce qu’il est un des rares avec qui elle l’est vraiment, avec qui elle a pas peur de l’être. Et elle l’est quand elle dit qu’elle veut pas les voir partir.

Ça tords son cœur pendant un instant. Oui, t’as pas envie de le voir partir, pourtant c’est la meilleure chose à faire, Chiara, tu vois pas qu’il est bien meilleur que moi ? T’as pas envie de le voir partir non plus.

Il le voit bien qu’elle a pas envie de choisir, et ça le fait sourire autant que souffrir. Elle veut qu'il soit là mais pourquoi fallait qu'elle veuille aussi de son ennemi ?

J’suis vraiment con, putain, je savais que ça allait mal finir.

Mais peut-être que c’est pas encore fini.

Et puis y a un brin de fierté aussi - cette fois il a pas envie de s’écarter alors que Tristan non, il a pas envie que le triton soit toujours celui qui reste. Il le mérite pas mieux que lui.

Quelques heures. Elle demande juste quelques heures.

-J’l’ai supporté pendant cinq ans, alors j’devrais réussir quelques heures pour cette fois.

C'est un accord du bout du lèvre, un accord lancé sur un ton corrosif parce qu'iel est pas capable de faire autrement. Lae tolérer, oui. Mais abaisser ses défenses, être sympa, le laisser entrer ? Non, iel l’a déjà fait, et iel sait comment ça c’est terminé.

Il a même pas envie de lae regarder. Sauf qu’il est plus trop certain de savoir pourquoi.

Il a l'habitude d'entendre ce qu'il a dit, Aaren, alors pourquoi ça fait mal quand c'est lui ?

Les démonstrations d'affection, ça a jamais été son truc. Il a besoin d'une clope, d'un joint, mais ça serait cédé du terrain, et il est pas encore prêt à le faire face à Tristan. Alors il s'étale sur le canapé, à gauche de Chiara. Et il l'embrasse à son tour avec passion, il l'embrasse pour lui demander pardon et pour lui dire merci de bien vouloir encore d'ellui.

C'était peut-être vengeur quelque part, pour faire aussi mal au brun que ça lui a fait mal de les voir s'embrasser, mais il s'en fout finalement. L'autre devrait pas être aussi important. C'est pour Chiara qu'il est là, et c'est pour Chiara qu'il s'attarde. Uniquement pour elle, en tout cas c'est ce qu'il aimerait bien croire. Surtout pour elle, ça serait sans doute plus proche de la vérité.

-T'es sûre qu'tu veux que je reste ?

Iel l'a murmuré mais iel a pas pu s'en empêcher.

Donne moi une bonne raison de rester, parce que c'est plus facile de fuir.

Chiara a toujours cette manière de le regarder qui comble un peu ses blessures parce qu’il sait que quelque part celle de la jeune femme leur ressemble. Cette manière de lui dire avec les yeux qu’iel vaut vraiment quelque chose. Qu’elle le laissera pas tomber, aussi, mais ça il sait que c’est toujours lui qui le fait en premier. Mais iel se sent toujours un peu plus puissant quand elle est là, un peu plus vivant entre ses bras. Elle a un vide dans son cœur et c’est bien un des seuls endroits où le nymphe a l’impression d’avoir une place. Y avait bien avec London et Serena, aussi, sauf qu’il a tout gâché y a longtemps, et que c’est pas encore le cas avec son amante.

Pourtant sa main s’arrache de la sienne alors qu’elle se lève quand Tristan vient s'asseoir entre eux, et Aaren sert les dents. Il est pas le seul à gâcher tout ce qu’il touche ici, le triton est pas mal aussi dans le genre - et pourtant alors qu’il est à côté de lui, le blond doit se retenir de frémir, de respirer trop une odeur qu’il connaît déjà par cœur. Et il se rend compte que quelque part celle-ci lui a manqué. Le brun a un peu changé, mais il est toujours aussi sexy, il a toujours cet air de beau gosse trop sûr de lui, son menton relevé dans un geste méprisant. Toujours ses gestes maniérés et grâcieux, cette mâchoire carré et ses boucles noires qui ont envahi les rêves d’Aaren des tas de fois, cette taille fine autour de laquelle il a envie d’enfoncer ses doigts.

Mais la colère grimpe dans ses veines en même temps que le désir qu’il tente de repousser. Il a envie de rétorquer qu’il a pas envie de s’entendre avec un connard pareil, qu’il lui a déjà donné sa chance et que c’est trop tard maintenant, qu’avant ils s’entendaient bien oui mais que c’est Tristan qui a tout détruit entre eux. Ils ont pas mal de truc en commun oui, pas que Chiara, pourtant c’est elle qui les retient côte à côte aujourd’hui alors que tout en Aaren lui hurle de se jeter sur lui, pour le meilleur ou pour le pire.

Il est tendu, électrisé quand elle se colle à lui et vient chercher ses lèvres avec inquisition. Elle a quelque chose derrière la tête, il la connaît assez bien pour le savoir, qu’elle va pas s’arrêter là. Elle s’arrête jamais Chiara, et c’est ça qu’il aime chez elle aussi, cette absence de limite. Il en a pas non plus, d’habitude, alors qu’est-ce qui le retient aujourd’hui ? Le baiser de la jeune femme est tellement brûlant qu’il peut pas s’empêcher de lui rendre en retenant un râle au fond de sa gorge.

Elle quitte ses lèvres pour aller embrasser le triton et le spectacle est un peu trop attrayant. Un plaisir coupable envahit le nymphe alors qu’il ne peut pas s’empêcher de les regarder, de frissonner sous la main mutine de Chiara sur sa cuisse, presque déjà sous sa jupe. Il peut pas résister, il le sait. Ni à elle, et pas vraiment non plus au brun qui l’a hanté pendant des années. Logiquement, ils devraient aimer aussi, elle dit. Putain, oui, qu’est-ce qu’il aimerait ça, même si ça l’emmerde bien de l’admettre. Ce qu’elle est en train de faire, ça lui fait perdre la tête. Parce qu’elle joue avec eux et qu’il adore ça, parce qu’elle lui demande d’embrasser Tristan et qu’il a envie de le faire depuis trop longtemps. Les deux en même temps, c’est beaucoup trop tentant, beaucoup trop excitant.

Mais il avait espéré et le triton s’était toujours esquivé ; qu’est-ce qui est différent, aujourd’hui ? Est-ce qu’il va le faire si c’est Chiara qui demande, est-ce qu’il en a vraiment envie, alors qu’il s’est refusé si longtemps à ellui ?

Le nymphe veut autant se baisser vers elle et de se rouler sur le canapé avec, que de faire la même chose avec Tristan. Mais c’est le brun qui n’a jamais été d’accord. C'est peut-être ça le fond du problème aussi. Alors cette fois-ci ce n'est pas lui qui fera le premier pas. Si c’est ce que le triton attend, il n’a qu’à venir, lui, pour une fois. C'est le blondinet qui le provoquera.

Ça vient presque trop facilement, il a déjà imaginé la scène même si c'était jamais comme ça, même s'il l'avait mise de côté depuis deux ans. Depuis qu'il lui avait collé son poing dans les dents à défaut de pouvoir les sentir sur sa peau. Il en avait eu marre, et y avait de quoi. Mais là il a enfin l'excuse toute trouvée - c'est elle qui lui a demandé.

Y a toujours eu des chauds et des froids entre eux, mais ça a jamais été aussi brûlant que lorsqu'Aaren grimpe sur les jambes de son rival avec un regard insolent, en le repoussant sur le dossier du canapé. Qu'est-ce que ça te fait d'être enfin sous ma jupe, Tristan ? Parce que moi, je sens bien ce que ça me fait, de t'avoir entre mes cuisses.
   
Mais c'est pas parce qu'il est fébrile que ça l'empêche de chercher la merde. Ça se saurait sinon. Il se contente d'approcher son visage, les mains accrochés au tissu derrière lui ; mais il s'arrête à quelques centimètres à peine avec un air satisfait, laissant le souffle court à tout le monde dans la pièce.

-Dis-lui de le faire, alors.

Il défie le brun de son sourire narquois trop proches de ses lèvres, mais c’est à Chiara qu’il a lancé ça, c'est son corps à elle qu'il cherche d'une main à ses côtés, parce que c’est pas juste entre eux deux et que le nymphe ne compte pas l’oublier. Parce que ça passe par elle aussi,  qu'il la veut elle aussi, qu’elle rit et qu’elle irradie, et qu’elle n'attend qu’une chose et c’est qu’ils s’embrassent pour ses beaux yeux autant qu'ils le feront pour eux. Alors il veut bien lui faire plaisir, Aaren. Il va arrêter de se mentir, ça lui ferait plaisir aussi. Mais pas autant que ce soit l'autre qui fasse le premier pas.

Et peut-être bien qu'après ça, ils pourront enfin jouer à trois.