Leurs coeurs frissonnants dans une prière égoïste. ❋ Caliban & Sully

Toujours cette météo étrange, lorsque le nymphe plongeait sans fin dans un portail pour Phoenix. Un peu trop chaud, un peu trop froid, la température jouait sans cesse avec ses nerfs et ses vêtements. Caliban s’était agacé. Le Conseil de la Nuit, encore, lui demandait d’aller tirer sur les bretelles des dissidents. Parce que oui, au lieu de se préoccuper de l’insécurité montante, de créer un traité de paix qui serait digne de ce nom sans vouloir laisser dans les ombres ramper le feu noir de la haine ; au lieu de pouvoir tempérer, de prendre toutes les décisions qui leur seraient trop nécessaires pour les mois et ans à venir … le Conseil ciblait les individus. Là, une sirène qui prenait plaisir à manœuvrer les cœurs humains. Ici, une nymphe de glace qui manquait de détruire une ville. Et ce jour-là … ce jour-là, un certain dragon de poison au patronyme imprononçable. Suileabhan Ó Dubhuir.
L’homme, semblait-il, était venu en touriste peupler les folles rues de Phoenix, et avait à plusieurs reprises utilisé son pouvoir toxique sur des autres êtres innocents. Innocents humains, innocents Surnaturels, innocent Caliban qui s’avançait les yeux perdus.
Par certains jours, il en avait marre. Marre de courir après des individualités quand sa position au Conseil devrait lui permettre d’œuvrer pour un bien commun plus global. Marre de se faire porte-parole de positions qu’il défendait sans trop les défendre vraiment. Marre que rien n’avance, que rien ne bouge, que ses réquisitoires placides deviennent souvent paroles en l’air, souffles de vent à l’inconnu qui ne venaient toucher personne. Il en avait marre par-dessus tout de devoir être juge, policier, avocat, lui qui se voulait seul témoin, lui qui se voulait simple greffier, à prendre en note les évènements sans devoir influer leur cours.
Cal passa une main sur son crâne, chassant du sommet de son être les noires pensées qui l’agitaient.
Suileabhan Ó Dubhuir. Dragon de poison. Il n’en savait pas plus, juste que l’homme avait par plusieurs fois failli faire partir aux urgences. Sa voix, au téléphone, avait manifesté doucement un accent irlandais terrible que le guide des airs par moments avait eu peine à déchiffrer. Cal avait donné rendez-vous dans un petit café de Phoenix, pas très loin du portail emprunté, où il se tenait désormais. Assis à une table ronde, une de ces tables de café donc la surface est recouverte d’un plateau en verre teinté.

Le nymphe observait les passants, les gens qui marchaient dans la rue avec leurs airs trop affairés. Les yeux rivés sur leurs smartphones, leurs pieds ou même leur propre crâne, oubliant de lever le nez pour admirer la ville immense qui se déroulait sous leurs pas. Quel gâchis.
Une serveuse blonde se présenta et demanda à son client qu’est-ce qu’il souhaitait commander. Caliban fit un signe de tête, dénégation de ses envies, en souriant à la jeune femme pour dire qu’il attendait quelqu’un. Parce qu’il attendait bien quelqu’un. Il attendait Suileabhan Ó Dubhuir, sans avoir une seule idée de ce à quoi il ressemblait. Un autre que lui aurait pu chercher sur les réseaux sociaux, pour se faire une petite idée, mais Cal n’était pas de ceux-là.
A quoi pouvait-il ressembler ? Le guide des airs l’imaginait jeune, peu en contrôle de ses pouvoirs, ce qui expliquait malheureusement les incidents survenus il y a quelque temps. Il ne pouvait concevoir que quelqu’un, surtout un dragon, utilisât de tels pouvoirs dans la seule intention de nuire. Nuire n’était pas dans la nature, surtout pas dans celle des dragons. Alors oui, un jeune, niveau 1 ou 2 sans doute, dont la maîtrise de ses pouvoirs demeurait encore difficile.
Pourtant à l’instant où ses yeux croisières le regard de cet homme, Caliban sut que c’était lui. Il se leva prestement, à sa hauteur, pour l’accueillir.
« Monsieur Ó Dubhuir ? »
La main droite tendue devant lui.
« Je suis Caliban Mandrake, représentant du Conseil de la Nuit. Asseyez-vous, je vous en prie. »