Vulnerant omnes, ultima necat (Rhaegar / Amy)

Ce n'était clairement pas dans les habitudes de Rhaegar de se rendre dans les centres commerciaux populaires où pululait la masse. Il avait bien d'autres habitudes, bien d'autres lieux de prédilection où il allait lorsqu'il avait à faire les courses, à s'acheter des vêtements ou à faire tout autre activité que l'on pouvait, semblait-il, faire dans ce genre d'endroits. Mais lui, ça n'était pas sa tasse de thé. Déjà, parce qu'il y avait un monde fou dans ce genre d'endroits. Ensuite, parce qu'ils étaient conçus comme des labyrinthes, presque encore plus que les casinos, et il détestait qu'on se joue de lui avec des plans incompréhensibles ou des agencements de boutiques aléatoires et surprenants. Non clairement, se retrouver dans ce centre commercial aujourd'hui n'était pas une partie de plaisir. Mais il n'y couperait pas. Pourquoi ?

Parce qu'il était venu à la Nouvelle-Orléans pour voir d'anciens amis et qu'il s'était retrouvé, bien malgré lui, embarqué dans une quête d'alcool effreinée pour passer une seconde bonne soirée. Tous ses vieux amis de l'université n'étaient pas des gens fréquentables, il le savait bien mais il ne pouvait pas vraiment les ignorer. Et puis, il les appréciait malgré tout. Quoi qu'il ne le reconnaîtrait jamais en présence de sa famille. D'ailleurs, ce n'était pas pour rien qu'ils étaient partis à l'autre bout du pays pour faire la fête ensemble. Heureusement que l'un d'eux vivait à la Nouvelle-Orléans. Si ils avaient tous vécus à Phoenix, le dragon d'or aurait été bien plus embêté pour s'octroyer cette étrange et adolescente pause dans sa vie ! Une pause qu'il avait pourtant bien commencé la veille au soir, quand il était arrivé, mais qu'importait, la pause durerait un peu plus longtemps et voilà tout.

Ce fut donc avec un certain mal aux cheveux que le dragon d'or suivit ses amis dans les méandres du centre commercial à la recherche de ce liquor store que l'un d'eux fréquentait de manière plus qu'assidue. Et pour une fois, Rhaegar n'était pas vêtu d'un costume hors de prix sur-mesure. Pas vraiment besoin de ce genre de tenues avec ses amis, surtout quand on avait prévu de charger la mule deux soirs de suite. Mieux valait être à l'aise. Il avait opté pour un jean, un simple t-shirt d'un vieux groupe de musique et d'une veste en cuir pour parfaire le tout. On était très loin du Rhaegar qui se rendait au Conseil de la Nuit, fier et droit comme un i et il espérait, inconsciemment, que personne de sa connaissance ne le croiserait aujourd'hui. Il n'avait pas envie de s'embarquer dans de longues explications. Et il savait d'avance que sa bande d'amis d'univeristé allait faire les idiots et le mettre encore plus dans l'embarras. Il était trop embarqué dans l'histoire pour s'en plaindre encore et il savait qu'il ne pouvait que résister difficilement à cette bande de grands crétins qu'il appréciait pourtant énormément.

Mais alors qu'ils étaient sur le point de repartir, pour le plus grand bonheur du Stonegold, l'alarme incendie se déclencha. Il ne manquait plus que cela, vraiment. Le bruit vrilla les oreilles du dragon, réveillant son mal de crâne qui avait pourtant gentiment accepté de se calmer ces dernières heures. Les gens se mirent à paniquer, comme c'était de rigueur dans ce genre d'incident. Rhaegar essaya de garder son calme, mais entre les gens qui se mirent à courir, les flammes que l'on pouvait déjà apercevoir et la fumée qui commençait à se répandre dans le bâtiment, ce n'était pas évident. Il se fit bousculer, alors qu'il courait vers l'une des sorties, et repousser vers un couloir adjacent. Il aurait repris sa course si il n'avait pas entendu la petite voix. Elle criait à l'aide. Et si jouer les héros n'était pas franchement une chose à faire pendant un incendie quand on n'était pas un dragon de feu, il ne pouvait clairement pas laisser quelqu'un brûler vif pour éviter de se roussir les écailles.

Il remonta le couloir, sentant de plus en plus le feu sur sa peau et la fumée s'engouffrer dans ses poumons : il ne pourrait pas rester là à jouer aux inconscients très longtemps. Il tomba enfin sur une jeune femme, entourée dans ce qui semblait être une bulle d'eau. Nymphe, peut-être dragonne, pensa-t-il immédiatement, forcément liée à l'eau, pas vraiment le genre qui pouvait rester longtemps au milieu d'un brasier donc. Mais qui l'aurait pu en réalité, à part les dragons et nymphes de feu...? Rhaegar se hâta, approchant de la jeune femme, il l'attrapa pour la soulever de terre. « Ça va aller » souffla-t-il en portant la jeune femme dans ses bras. Elle était légère, heureusement, et il se dirigea tant bien que mal vers les signaux lumineux qui indiquaient des sorties de secours proches. Quelques mètres, quelques pas de plus, mais la fumée était épaisse et la chaleur étouffante. Le dragon toussait et crachait un peu. Si il avait pu, il aurait repris sa forme, ses écailles l'auraient protégé, mais il était bien trop imposant pour cela...

Il faisait ce qu'il pouvait, le dragon d'or, mais cette fumée et cette odeur n'aidaient pas vraiment à progresser. Ses yeux le brûlaient, il sentait des aiguilles lui traverser les poumons chaque fois qu'il aspirait une bouffée d'air, pourtant si vitale, et la chaleur l'étouffait en même temps qu'elle l'oppressait. Il avait beau être en bonne santé, il avait beau être un dragon, il devenait pénible d'avancer et de porter le fardeau de la jeune nymphe. Il toussait et crachait, essayant de garder les yeux ouverts pour continuer de fixer les panneaux indiquant la sortie. D'un geste rapide, lâchant un instant les jambes de la nymphe, il remonta son t-shirt sur sa bouche et son nez. Pas grand chose mais tout de même, cela soulageait légèrement ses voies respiratoires en piteux état...

Fort heureusement pour les deux victimes de l'incendie, la nymphe n'était pas une bonne-à-rien et elle put aider, avec ses pouvoirs, le dragon à se frayer un chemin au milieu de la fournaise. Il ferait des remerciements plus tard, quand ils seraient sortis de cet enfer de flammes et de fumée. Il ignorait tout d'elle, de ses capacités, de ses difficultés, mais il se disait tout de même qu'elle aurait pu faire quelque chose contre cet incendie. Si elle était une nymphe aquatique comme il avait semblé le deviner, elle aurait sans doute pu essayer d'éteindre ce brasier avant qu'il ne prenne de telles proportions...Une dragonne d'eau l'aurait sans doute fait. Mais les nymphes...Fragiles petites créatures. Qu'importait, ses pensées ne devaient pas dériver trop loin de leur objectif : sortir d'ici sans trop de dommages.

Il fit quelques pas de plus, le dragon, quelques pas de plus jusqu'à l'escalier qu'il poussa, difficilement. Ouvrir une porte pendant un incendie, en voilà une idée qu'elle était grandiose, mais il n'avait pas vraiment le choix si il voulait s'en sortir. Se tournant pour pousser la porte avec son dos, le dragon sentit l'appel d'air s'infiltrer par l'ouverture, un souffle, un instant, avant que l'air s'enflamme, juste assez pour qu'ils soient projetés en arrière, avec la porte. Pas grand chose, juste quelques brûlures, quelques bleus, mais le dragon toussa quand même, essayant de retrouver ses esprits. Au moins, la porte était ouverte. Au prix d'un gros effort, il se releva, emportant toujours dans ses bras la nymphe. « Tout va bien...? » demanda-t-il en toussant un peu, très peu inquiet pour lui-même, bien plus pour la jeune femme qui ne semblait vraiment pas au mieux de sa forme...

Il fallut quelques instants au dragon pour retrouver ses esprits et s'intéresser, en particulier, à comment allait la jeune femme. Elle respirait difficilement, cela se voyait qu'elle allait mal. Entre la fumée, la chaleur et le choc, il était normal qu'elle aille mal, lui-même n'était pas franchement au mieux de sa forme. Il commençait à sentir ses forces arriver à leur limite, il s'épuisait à porter la jeune femme, il s'épuisait à essayer de respirer, il s'épuisait à vouloir sortir d'ici. Mais une chose était sûre : il ne crèverait pas brûlé vif dans un mall merdique de la Nouvelle-Orléans. Usant de toutes ses forces, Rhaegar souleva la femme qui s'accrochait désespérément à lui. Il dévala les escaliers, aussi vite qu'il le put, ralenti par le poids en plus qu'il portait et sa propre fatigue. Le signe indiquant la sortie de secours lui servait de phare, poussant le dragon à continuer à progresser inlassablement.

Soudain, l'eau se mit à tomber sur lui, le système anti-incendie s'était enfin mis en route et déversait l'eau partout dans le bâtiment. Si le liquide noyait les flammes, sur les deux survivants, il n'avait pas un effet très bon et ne faisait que les ralentir encore un peu plus. Rhaegar commençait à trébucher, vacillant par moment, lourd, épuisé et ayant les poumons encombrés par la fumée. Mais il n'aurait finalement pas à sortir seul. Passant par la porte de secours que visait justement le dragon apparurent des pompiers dans leur bel uniforme anti-feu. Ils se pressèrent en les remarquant, pour venir les soutenir. L'un d'eux lui prit la jeune femme des bras, soulageant grandement le dragon sans pour autant le rétablir, faible qu'il était de cette escapade mortelle. Il titubait, mais avec l'aide de l'un des secours, il put atteindre enfin la sortie et s'extirper du bâtiment en flammes.

Son esprit vagabondait, pendant qu'on le sortait du centre commercial. Il pensait à sa femme, à ses enfants, à toute sa famille en fait. Il aurait pu ne jamais les revoir, rester dans ce piège de feu, de verre et d'acier. Le dragon se sentait étrangement vulnérable, comme il ne l'avait jamais été de toute sa vie, et il n'aimait pas du tout cela. Il reprit peu à peu ses esprits, alors qu'il était assis dans une ambulance à se faire ausculter par les secours qui devaient sans doute faire de même avec tous ceux qui s'étaient retrouvés dans l'incendie. Il tenta de maugréer qu'il allait bien, que ce n'était rien du tout et qu'il allait se remettre rapidement si on le laissait rentrer chez lui simplement. Mais hors de question qu'on le laisse repartir aussi facilement, lui dit l'ambulancière qui s'occupait de lui. On emmena le dragon à l'hôpital, pour vérifier que tout allait effectivement bien, pour le garder en observation quelques heures, jusqu'au lendemain matin en fait...