What a slum | Erebos

Qui disait approche du printemps disait grand ménage de printemps. Enfin, à ce stade, il semble pertinent de préciser qu’Erebos n’avait aucune notion du temps qui passait, les jours comprimés l’un contre l’autre, et qu’il disait « grand ménage de printemps » sans avoir de réelle idée si c’était le printemps ou non. Toujours était-il que le sorcier, après avoir trébuché pour la troisième fois sur la même bouteille de lait entreposée là sur le sol et s’être égratigné la paume sans moyen de désinfecter, avait fini par décider de faire un petit peu de rangement.
Fenêtre grande ouverte -aérer, paraît-il, est bon pour l’oxygénation-, il évoluait en pyjama -c’est-à-dire t-shirt et caleçon- avec son balai à la main. Le principal problème de cela était son temps de concentration : le jeune Stonegold ne pouvait pas passer plus de quelques minutes à remettre en état l’appart sans être distrait par un bibelot, une araignée cachée dans son placard ou bien sans se mettre à chevaucher fièrement son balai dans l’appartement, feignant d’être un joueur de Quidditch dont le but était la poubelle. Jambes nues, chaussettes dépareillées, il empilait dans un sac déjà à demi éventré une quantité incroyable de bouteilles de jus de fruits moisies, de pansements laissés sur le sol et d’expériences culinaires douteuses.
Il lui fallut bien trois-quatre heures pour que le sol parût débarrassé de son millier d’objets divers, la vaisselle sagement à sécher, les coussins tout époussetés et la pièce globalement rangée, si l’on exceptait cette odeur de parfum bien trop entêtante parce qu’à défaut de désodorisant, Reby n’avait trouvé que du déodorant premier prix dont il ne se servait même pas.
Balai en main, planté au sol, tel le conquérant du ménage, Erebos s’imaginait là sur tous les tubes de Monsieur Propre, son visage malingre et bizarre remplaçant celui du grand chauve. Pour un peu il aurait sorti son smartphone pour prendre des photos, et les envoyer à Ezra pour qu’il admire la qualité de son travail trop matinal.

Lorsque l’on toqua à la porte, le sorcier faillit sursauter -en vérité, il sursauta et manqua lâcher son balai, mais monsieur ayant sa fierté, il a refusé que je l’écrive. Il n’attendait personne, pourtant une sereine joie se dégagea de ce visiteur impromptu. Au moins, quelqu’un verrait l’œuvre de sa vie, ménage pour lequel il avait tout donné, et tout ça ne serait pas vain.
Guilleret, il posa le balai contre le dossier d’un fauteuil et lança un puissant « J’arrive ! » avant d’aller chercher un jean. Il le passa sur son pyjama, sans même se soucier un instant du t-shirt Cthulhu très étrange qui effrayerait son visiteur. En tête de ses spéculations, le jeune homme pensa à Eira. Ce serait parfait ! Maintenant que tout était en place, la rousse et lui pourraient aller acheter de quoi faire à déjeuner, et ensemble ils cuisineraient dans la cuisine propre comme un sou ! Vraiment, sa voisine tombait à pic, et quand il revint au salon il ouvrit d’un fol geste la porte avec un sourire très radieux.
Sourire qui se figea sur place comme dans un arrêt sur image.
De l’autre côté du battant ne se situait pas Eira. Pas le moins du monde. Clignant violemment des paupières, Erebos détailla le regard sévère, les épaules carrées, la mâchoire volontaire qui faisaient face à ses prunelles. Pour un peu, il aurait couiné face à la crainte irrationnelle que lui inspirait l’invité.
S’il se trouvait ici, ça ne pouvait rien être de bon. Jamais il ne se déplacerait dans un immeuble aussi vétuste, et surtout pas un beau samedi où il aurait pu profiter d’un peu de temps avec sa femme pour parler de sujets sérieux. Alors oui, s’il était venu trouver Reby sur son temps libre, cela n’augurait rien de très agréable pour le sorcier indépendant. S’il avait été un chien, il aurait baissé les oreilles et eut un regard implorant. Mais les oreilles des humains ne peuvent pas se rabattre, et une peu trop fier pour implorer, Reby déglutit simplement en dédiant son sourire forcé à l’accueil du nouveau-venu.
« Bonjour, mon oncle. »

Le dragon d’or, sur le seuil, toisait son neveu d’un air sévère ; agité de tics nerveux, le sorcier manqua se décomposer complètement, bafouiller, se recroqueviller tant le regard dur de son oncle le renvoyait à ses démons. Tu n’es pas assez bien pour cette famille, Erebos. Avait-il prononcé ses mots, ou bien était-ce dans ses cauchemars, ses crises d’angoisse et sa folie que Rhaeger les lui disait ?
Clignement. Clignement. Clignement. Clignement. Clignement. Clignement. Clignement.
Dire qu’il s’attendait à voir Eira, dire qu’il s’attendait à passer du temps avec elle, la rousse qui l’aidait à ranger, avec qui souvent il riait dans les apparts ou les rues attenantes. L’ambiance aurait été différente alors. Différente de cet héritage qui venait frapper à sa porte comme une faucheuse du lundi soir.
Son oncle prit la parole.
Il était le seul à l’appeler encore Erebos. Pour tout le reste de la famille, il était Reby, le petit Reby, cousin Reby, Reby le pourfendeur de monstres, Reby le sorcier, Reby le croque-mort, Reby le sorcier, Reby le fils d’Eden, Reby le rejeton maudit. Mais non, Rhaegar l’appelait Erebos, instaurant une distance entre eux qui faillit le faire couiner tant la soudaineté l’assaillait.
« Oui, mon oncle, entre, entrez, bien sûr. »
Il bafouillait, il hésitait, sautait du tutoiement au vous, ses yeux roulant dans leurs orbites comme s’ils allaient se décrocher. Voir un membre de sa famille, et à plus forte raison le patriarche, là dans l’immeuble où il vivait le couvrait d’une angoisse terrible. Il se décala quelques peu, pour laisser entrer son parent. Intérieurement, le jeune homme se félicita d’avoir un peu fait le ménage avant cette visite impromptue. Il avait beau être bien à l’aise avec sa manière de ranger, une sorte de pressentiment lui indiquait que Rhaegar ne serait pas du même avis.
Les lattes du plancher crissaient sous le pas du dragon. Quand Reby referma la porte, il eut le soudain sentiment d’être un étranger chez lui-même, emprisonné avec un fauve venu lui faire des remontrances comme s’il ne restait qu’un enfant.

Rhaegar se tourna vers lui, avec sa morgue sur la lippe et un tel dégoût dans les yeux qu’Erebos eut cette impression que l’immeuble l’avait giflé. Pourtant, il n’avait rien de si terrible, son immeuble, si ? Le loyer qu’il payait était dérisoire, le voisinage très sympathique, l’emplacement plutôt idéal. Pourquoi ainsi le dénigrer ?
Clignement. Clignement. Clignement. Clignement. Clignement. Mouvement de tête. Mouvement de tête. Clignement. Clignement. Clignement.
Tentant de juguler sa panique, il eut un sourire tout contrit pour son invité intempestif.
« Ah bon ? Je vois pas pourquoi, non. » A part les rats dans l’escalier, peut-être.
Il s’avança vers le dragon, à peine un peu plus grand que lui, feu peu rassuré dans les prunelles. Incapable de dire vraiment ce qu’il avait fait pour mériter le regard pompeux de son oncle.
« Je peux te … vous … je … » Déglutition bien trop sonore. « Un truc à boire ? J’ai pas fait de courses depuis longtemps », trois semaines « alors il me reste que de l’eau » j’ai jeté trois litres de jus de fruits qui étaient là depuis si longtemps qu’encore une journée ou deux et leurs habitants inventaient la roue « ou bien de l’alcool, si tu veux … si vous voulez, mon oncle. »
La-men-table. Reby se sentait lamentable, et pour que lui-même en ait conscience, vous vous rendez bien compte, lecteur, qu’il était vraiment mal à l’aise.
« On peut … peut-être s’asseoir ? » sur mon canapé défraîchi, qui s’enfoncera de 20 centimètres quand vous mettrez vos fesses dedans.
Tout ce qui faisait son existence était décortiqué, analysé, dépiauté sous le regard de Rhaegar, tout ce qu’il avait construit tout seul réduit à l’état de néant, ou pire d’ignoble château de sable que son oncle avec amusement venait piétiner du talon.