you poke that bear till the claws come out ☾ LASRHEA

Cela faisait déjà quelques jours que Rhea cherchait la perle rare. Même le Jardin Gris, dans lequel elle trouvait habituellement tout ce dont elle avait besoin, l’avait déçue. Pourtant, la Nouvelle Orléans ne manquait pas de babioles en tous genres liées au surnaturel – ou supposément liées au surnaturel. Mais ce jour-là, la dragonne cherchait quelque chose de spécial. Elle ne savait pas si une telle chose pouvait exister, mais si c’était le cas, les antiquaires de la Nouvelle Orléans étaient les mieux placés pour le savoir. Rhea cherchait un œuf de dragon fossilisé, changé en pierre par le temps et l’oubli. Depuis qu’Astra vivait au sanctuaire avec eux, la détective sentait son cœur se briser pour la toute jeune femme que Ariadne et Athena avaient ramenée chez les Riverwood. Encore aujourd’hui, elle luttait avec sa nature de dragon – tout ce qu’elle avait enduré aux mains de sa famille sous prétexte de ladite nature était à blâmer. Rhea avait remis beaucoup en question après avoir rencontré la jeune dragonne de la roche – après tout, elle n’avait jamais eu de famille, mais personne n’avait pu la détruire comme la famille d’Astra l’avait fait.

Lui offrir un présent lié à sa nature de dragon – et à la roche, qu’elle contrôlait – lui semblait être un geste adéquat pour la situation. Quelque chose de discret. Rhea n’aimait pas les effusions, et elle n’était pas particulièrement douée avec les gens dans le sens où elle ne prenait jamais les gants qu’il fallait pour les brosser dans le bon sens du poil. De l’avis de tous, la jeune femme était sûrement une des personnes les plus désagréables et bougons du quartier. Mais il y avait quelque chose d’attachant en elle, aussi. Quelque chose que les Riverwood avaient su voir, et qui par bien des aspects leur était encore réservé. Astra aussi avait appris à ne pas se laisser brusquer par les irrégularités ; leur clan était composé d’esprits libres dont le seul point commun était leurs fractures et leur solitude, qui s’étaient trouvés. Un vrai combo de gagnants.

La seule boutique qu’elle n’avait pas encore retourné dans sa recherche était le Crépuscule d’Argent. En se dirigeant d’un pas déterminé vers le Vieux Carré, Rhea songea qu’elle n’y avait même jamais mis un pied, après avoir pourtant passé des années à la Nouvelle Orléans. Elle aimait tout de cette ville, ses structures en brique, ses balcons en fer, ses fleurs continuelles et les parades qui défilaient sans cesse. Et surtout, l’énergie mystique indescriptible qui s’en dégageait. Nulle part ailleurs elle n’avait retrouvé ce formidable sentiment de liberté, de différence, de diversité. La ville ne l’avait jamais déçue. Du moins jusqu’à maintenant.

La dragonne poussa le lourd battant de la boutique et s’y engouffra, discrète. Elle n’avait pas une seule seconde à perdre et savait que les commerçants du Vieux Carré aimaient bavarder, si elle n’avait jamais rencontré la personne qui gérait la boutique, elle n’était pas disposée à prendre de risque non plus. Elle parcourut rapidement les premières étagères, sourcils froncés et regard concentré, quand celui se posa sur la silhouette qui tenait le comptoir, et se figea. Rhea eut un léger mouvement de recul, et ses lèvres se serrèrent. Des années après, elle aurait reconnu ces traits parmi cent. Après tout, c’était eux qu’elle avait vu la dernière fois avant de devoir se traîner jusqu’à un abri pour panser ses plaies. Elle se rendit compte qu’elle ne connaissait pas son nom. Pourtant son souvenir avait inspiré bien des séances d’entraînements et autres cris de rage au plus noir de la nuit. « Tiens, tu en as eu marre de tabasser des dragons plus petits que toi et tu t’es reconverti ? » Un ton trop détendu, trop casual pour le souvenir cuisant qui défilait en technicolor dans son esprit. Mais elle n’était plus ce petit dragon de niveau 1 pris dans une bataille plus violente qu’elle. Cette année là les avait tous changés, pour le meilleur ou pour le pire.  

   

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Rhea laissa échapper un petit rire sans joie à la réponse – tout aussi détachée – du dragon. Tout occupés qu’ils étaient à se frapper et se griffer, ils n’avaient jamais eu le plaisir de la joute verbale, un art qu’ils semblaient pourtant tous les deux apprécier. Il était difficile pour la jeune dragonne, même après toutes ces années, de séparer l’homme qui était devant elle, avec son calme agaçant, de celui qui s’était dressé entre elle et la protection des humains à l’époque. La défaite de Dark Dragon l’avait-il forcé à se forger d’autres vues moins toxiques ? Pouvait-on seulement se repentir de tant de destruction – et le voulait-il ? La jeune dragonne fixait son interlocuteur avec intensité, suivant du regard le mouvement tracé pour récupérer une cigarette et l’allumer. Bientôt, la fumée se répandit entre eux – un geste anodin, mais si caractéristique du pouvoir de l’antiquaire.

Elle leva les yeux au ciel quand il lui proposa de prendre la porte d’un ton aussi plaisant qu’insupportable. Elle aurait sûrement considéré l’option si son échoppe n’avait pas été son dernier espoir de trouver quelque chose de substance pour Astra, mais quelque chose lui disait que la fierté l’en aurait empêché de toute manière. Elle était curieuse. Qu’est-ce qui avait changé depuis la guerre ? « Oh tu me connais je ne cherche jamais les ennuis. Ils me trouvent tous seuls la plupart du temps » tenta-t-elle de plaisanter en se dégageant du rayon de portée de la fumée de cigarette. Elle se détourna quelques instants pour observer les étagères remplies qui se trouvaient autour d’elle. Un mélange curieux de petits objets en verre, animaux empaillés, de boîtes en acajou et autres symboles étranges. Rhea faisait de son mieux pour se tenir informée, mais elle aussi, finalement, était plutôt novice dans le surnaturel, ses traditions et ses différentes origines. Après avoir passé des années à se sentir ostracisée par sa nature de dragon à laquelle elle ne comprenait rien et qu’elle ne maîtrisait pas, savoir que tout un autre monde, son monde, l’attendait depuis si longtemps avait été aussi surprenant pour elle que pour les humains. Cela expliquait que malgré ses efforts, elle ne sache pas reconnaître le quart des objets de la boutique.

Il devint rapidement apparent qu’effectivement, elle ne pourrait pas se passer de l’aide de l’antiquaire dans sa grande mission. L’air de ne pas y toucher, elle se retourna pour faire face au dragon qui l’observait toujours en silence. « Je suis plus intéressée par ce que tu aurais à l’arrière-boutique à vrai dire, non pas par les attrape-touristes » affirma-t-elle. Cela devait être une plaie pour lui autant que pour les autres commerçants du quartier de voir les humains débarquer pour des objets ridicules dans le seul but de se faire bien voir auprès de leurs pairs, de manier des artéfacts auxquels ils ne comprenaient rien. Bon nombre d’entre eux n’avaient pas la révérence et le respect adéquat pour ces objets-là, Rhea en convenait volontiers. Cela ne suffisait néanmoins certainement pas à justifier l’animosité que certains surnaturels leur portaient.

Rhea laissa échapper un léger soupir – elle allait devoir jouer cartes sur table, après tout, l’antiquaire ne pouvait pas deviner ce dont elle avait besoin. « Je cherche un œuf de dragon fossilisé. Ou ce qui s’en rapproche le plus. Quelque chose d’ancien, lié à notre peuple. Idéalement en pierre. » Notre peuple. Les mots avaient coulé de sa bouche tout naturellement, sans qu’elle n’y ait pensé. C’était d’autant plus douloureux de penser à leurs déchirures d’il y a quelques années, en songeant qu’ils étaient tous les deux du même peuple.
 

   

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Rhea s’autorisa un sourire en coin devant la remarque faussement offensée de l’antiquaire, comme une plaisanterie qu’ils partageaient aux dépends des humains – la seule, peut-être, sur laquelle ils pouvaient se retrouver. Elle ne s’offusqua pas de la rudesse de son ton lorsqu’il l’intima de le suivre, elle aurait sûrement été plus piquante si elle avait d’autres options mais elle n’avait pas exactement de retourner la planète à la recherche de l’artéfact en question, et si le vieux dragon bougon l’avait en stock, cela valait bien quelques minutes à se faire houspiller. Elle avait vu pire. L’arrière de la boutique était encore plus désorganisé que le local principal ; un vrai désordre cette fois, pas un paysage faussement dérangé pour donner une impression de bazar magique et mystique. Rhea haussa les sourcils – combien de trésors surnaturels gardait-il ainsi précieusement derrière ses fagots ?

La jeune dragonne s’était préparée à ce que l’antiquaire lui demande quel usage elle pourrait bien avoir d’un œuf de dragon fossilisé, mais manifestement il était habitué à ne pas poser de questions. C’était sûrement ce qui avait fait sa longévité, d’ailleurs. Moins on en sait, mieux c’est, certainement. Il déambulait parmi les étagères, les cartons et les piles d’objets comme s’il connaissait leur emplacement par cœur. Un accomplissement assez impressionnant d’un œil extérieur – Rhea aurait à peine pu retrouver la sortie sans trébucher sur un million de choses. Rhea fut quelque peu rassurée en entendant le dragon dire qu’il avait sûrement ce qu’elle recherchait – pourvu qu’il puisse le retrouver, elle se voyait déjà devoir quitter la ville et lancer une grande chasse au trésor et elle n’avait tout simplement pas le temps. Un rictus sarcastique étira ses lèvres alors qu’elle délogea un peu de poussière sur une étagère à l’aide de son doigt. « Quelle surprise, je découvre complètement le concept de l’acquisition de biens et services. » Il était évident qu’un artéfact d’une telle facture ne serait pas donné – elle n’était pas particulièrement d’humeur à négocier, et restait sur ses gardes quant au prix que l’antiquaire lui annoncerait. Il avait déjà essayé de la tuer, l’arnaquer semblait être the next best thing.

Rhea n’était pas particulièrement inquiète sur sa situation financière. Son travail ne payait pas très bien, mais elle dépensait peu. La dragonne ne goûtait que peu les plaisirs coûteux, ne voyait pas plus d’intérêt que ça au luxe et aux choses qui brillent. Par conséquent, elle avait amassé au fil des années un petit pécule – rien d’impressionnant mais assez pour retomber sur ses pattes en cas de souci, et elle savait qu’elle pouvait compter sur les fondatrices du clan Riverwood, qui venaient toutes les deux de familles très fortunées, si jamais elle en avait besoin. Non pas qu’elle considérait cela comme une option viable – Rhea avait trop de fierté, c’était un sacré problème.

La jeune détective s’arrêta de déambuler et d’observer les étagères autour d’elle pour faire de nouveau face à l’antiquaire. Elle prit quelques secondes pour détailler ses traits, sur lesquels les dernières sept années n’avaient pas eu le moindre impact. Il était effrayant de s’en souvenir si bien. Ironique, même, pour quelqu’un qui avait perdu toute trace de ses neuf premières années. Peut-être que c’était un mécanisme de compensation – pour garder à distance la peur d’oublier, encore, la peur de se perdre, de ne plus savoir qui elle était après avoir eu tant de mal à rassembler les pièces du puzzle biscornu qui constituaient son identité. « C’est drôle » commença-t-elle, d’un ton presque badin « tu as été le visage de nombreux punching-balls et tableaux de fléchette depuis 2013, pourtant je ne connais même pas ton nom ». Et de fait, ils avaient été un peu trop occupés à se taper sur la gueule pour échanger leurs numéros de téléphone, à l’époque.

 

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La situation était étonnante – malgré une tension discrète, tous deux semblaient enclins à parler du conflit qui les avait opposés il y a quelques années comme s’il s’était agi d’une bête confrontation sur les ingrédients à ne pas mettre sur une pizza. Rhea ne pouvait pas empêcher les petites piques de sortir, des piques auxquelles le dragon de fumée répondait sans mal et avec la même verve. A vrai dire, la jeune femme refusait de s’engager dans un nouveau conflit du genre sans avoir toutes les informations – après tout ils étaient en temps de paix, et si elle se doutait que les aspirations de l’antiquaire n’avaient pas changé plus que ça, elle ne pouvait pas supposer que ces sept dernières années avaient été statiques. Elle était impulsive, téméraire, peu disciplinée, mais s’il y avait bien une chose que son métier lui avait appris, c’était les mérites d’avoir une vision un peu plus complète du puzzle avant d’agir. Elle retourna même le sourire amusé du dragon tandis qu’il lui indiquait enfin son nom. Un nom qu’elle reconnaissait étranger sans mal. Enfin un nom à mettre sur les cicatrices qu’elle portait encore. « Rhea » répondit-elle quasi immédiatement en acquiesçant légèrement. Il lui fallut quelques battements de cœur pour réaliser qu’il manquait une information. « Riverwood » Ce n’était toujours pas un réflexe, malgré les quatre ans qu’elle avait désormais passé au Sanctuaire. Elle ne s’était pas appelée Riverwood à l’époque, évidemment. C’était un nom que Laszlo connaissait forcément – le clan Riverwood était gardien de la Nouvelle Orléans et du territoire qui l’entourait. Elle se demanda l’espace d’un instant si elle n’aurait pas mieux fait d’omettre cette information, mais après tout c’était qui elle était. Elle avait enfin une famille, ce n’était certainement pas pour les renier en fonction de ce qui l’arrangeait ou non.

Rhea prit quelques secondes pour réfléchir à l’aveu détaché de Laszlo, puis haussa les épaules. Il était vrai qu’elle avait souvent pensé au dragon de fumée qui l’avait mis hors course, mais il ne s’était jamais infiltré jusque dans ses os pour la ronger de l’intérieur – elle trouvait un certain réconfort dans le fait qu’elle n’était pas la même personne, qu’elle avait évolué depuis. Et la Rhea de vingt-sept ans, contrairement à celle de vingt ans, ne montait pas au créneau pour un oui ou pour un non. « Je sais choisir mes combats. Celui de 2013 valait la peine, malgré la manière dont il s’est terminé pour moi. T’attaquer dans ta propre boutique aujourd’hui… présente moins d’intérêt » De fait. En plus d’être stupide et irréfléchi, ce serait aussi inutile – il n’y avait rien à gagner à lancer l’offensive sur un terrain que Laszlo maîtrisait, avec des pouvoirs qui encore aujourd’hui dépassaient les siens. Elle était plus stratégique que ça, et elle n’avait pas été provoquée. Nouveau haussement d’épaules et regard pétillant. « Mais si on devait se battre aujourd’hui, je te donnerais peut-être un peu plus de fil à retordre, c’est déjà ça » Le combat serait moins évident, moins écrit d’avance, en tout cas. N’était-ce pas tout ce à quoi on pouvait aspirer, ne pas refaire les mêmes erreurs encore et encore en espérant un résultat différent ? Rhea avait eu de grands rêves, autrefois. Aujourd’hui, elle se contentait de plus petites victoires.


 

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A nouveau, un silence s’installa quelques instants. Rhea ne voulait pas particulièrement se projeter, elle savait que l’image des combats la travaillait en ce moment. Peut-être était-ce la pression pour accéder au niveau trois de sa puissance, ou bien la menace qui pesait de plus en plus bas sur leur communauté. Le climat devenait tendu – la jeune dragonne observait d’un œil acéré les échanges entre les humains et les surnaturels, et particulièrement les dragons qui semblaient fédérer à la fois l’admiration et un grand sentiment s’insécurité. Les agressions s’étaient faites plus nombreuses dernièrement, pas particulièrement à la Nouvelle Orléans qui était un terreau plus tolérant pour les choses du mystique que les autres territoires, mais chez les Lightstorm les choses commençaient à se compliquer. Rhea se faisait violence pour faire confiance à la famille ancestrale du feu, mais tant de responsabilités pesaient sur leurs épaules, encore aujourd’hui, associées à un passé plus que discutable…

Laszlo sortit Rhea de ses sombres réflexions et lui présenta enfin l’objet qu’elle était venue chercher, enfoui au beau milieu d’une myriade d’autres artéfacts. Elle plaignait le malheureux qui viendrait cambrioler cet endroit – peut-être était-ce encore plus sûr de planquer un objet de valeur ici que dans la banque Stonegold, et c’était dire quelque chose. L’œuf de dragon était superbe, dégageant une aura de gloire comme peu d’autres objets en avaient le pouvoir. « Incroyable » murmura Rhea, incapable de détacher son regard de la coquille légèrement orangée, assombrie par le temps et la pétrification. Elle osa à peine le toucher, effleurant du doigt sur les écailles en pierre, faisant écho à quelque chose de profondément enterré en elle. Rhea n’avait pas été élevée dans la tradition dragon et n’avait jamais pu grandir avec ce sentiment d’appartenance qu’elle cultivait encore aujourd’hui. Elle releva la tête et laissa malgré elle un sourire humble étirer ses lèvres. « Ça me revient parfois avec force, la grandeur et l’ancienneté des dragons… ça remet un certain nombre de choses en perspective » Pour quelqu’un qui avait grandi auprès des humains et leurs faux problèmes, c’était définitivement une belle opportunité de se rappeler d’où elle venait. Cette pensée la mettait mal à l’aise, quelque part. Cette dévotion et cet amour de sa nature dragon avec laquelle elle n’avait pas pu être en paix jusque récemment – n’était-ce pas cela qui avait poussé Sapphire Nightshade à agir ? La révérence pour sa race, son peuple ?

La limite était trop facilement franchie, et Rhea retira sa main avec un léger soupir. Elle ne pouvait que trop bien imaginer que Laszlo, lui, était tout à fait à l’aise avec cette partie de lui-même et avec son héritage – ce qui devait rendre la vente de ce type d’artéfacts d’autant plus difficile. « Et qu’est-ce que ce bel objet va me coûter, du coup ? » demanda-t-elle, sur ses gardes. Il semblait naturel que le prix à payer soit élevé pour quelque chose de si rare et de si intrinsèquement lié à leur nature, mais elle ne pouvait s’empêcher de se méfier. La dragonne avait assez traité avec les antiquaires – néo-orléanais et étrangers – pour savoir que la plupart d’entre eux n’hésitaient pas une seconde pour entourlouper et embobiner la clientèle. Si Laszlo ne semblait pas du genre à la mettre à l’envers aux siens, elle ne pouvait pas pour autant s’en prévaloir.


 

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Sa remarque sur la grandeur de leur peuple avait fait mouche, Rhea le sentit tout de suite dans le regard que l’antiquaire lui adressa. Elle ne l’avait même pas voulue comme une provocation – sachant pertinemment leur divergence l’avis sur la place des dragons dans la société, mais elle lui fut rappelée rapidement lorsque Laszlo reprit la parole. Rhea pinça les lèvres, si elle était dérangée par la formulation et l’implication d’une telle chose, de redevenir le plus grand des peuples, elle n’en restait pas moins fascinée par leur histoire et le poids qu’ils portaient dans les mythes. Leur ancienneté, leur pouvoir, qui pourrait y rester indifférent ? Elle ne répondit rien, soucieuse de ne pas souffler sur les braises, de ranimer de vieux débats, de vieilles querelles, tout ça pour ressortir sans son précieux œuf, mais elle n’en pensait pas moins. Le regard qu’ils échangeaient était intense, chargé de questions, de convictions – était-il toujours animé de cet esprit vindicatif qui l’avait fait partir en guerre la dernière fois ? Avait-il rejoint le jeune humain qui voulait le retour de Sapphire Nightshade ? Rhea ne pouvait en être certaine et préférait ne pas poser la question.

Rhea laissa échapper un petit rire amusé à l’appel à négociations du dragon de fumée. C’était une partie de l’échange qu’elle avait prévu mais qu’elle n’affectionnait que peu. Elle considéra pendant un court instant, mais compris rapidement que c’était un terrain miné. « Est-ce que cette technique marche vraiment ? » commença-t-elle, en s’accoudant à une étagère, désinvolte. « Quoi que je dise, tu vas me dire que mon offre est ridicule, sans nul doute » Elle en était persuadée – et Laszlo n’aurait pas forcément tort, par ailleurs. Quitte à se séparer d’un objet aussi précieux, autant en faire un vrai profit. Mais elle était plus intelligente que ça, il ne fallait jamais montrer ses cartes en premier. Que le dragon pense en centaines ou en milliers de dollars, il fallait l’entendre de sa bouche. « Tu peux aussi tout simplement me le donner avec l’assurance de le savoir extrêmement bien gardé par une merveilleuse représentante de ton espèce, ne fermons aucune porte » ajouta-t-elle en haussant les épaules, sourire solidement accroché aux lèvres, portée par une audace quasi insolente. S’il était évident que Laszlo ne la laisserait pas s’en tirer à si bon compte, leur petit jeu avait au moins le mérite de détendre un peu l’atmosphère. Il y avait quelque chose dans l’air sérieux de l’antiquaire qui poussait Rhea à titiller, taquiner, comme un chaton joue avec une pelote de laine, à la différence près que la pelote de laine ici présente avait des antécédents meurtriers. Mais tant qu’aucune griffe ne faisait son apparition, tout était bon enfant.


   

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Quand leurs regards se croisèrent, Rhea comprit sans qu’il n’ait besoin de le préciser qu’ils n’étaient pas sur la même longueur d’onde, qu’il avait cessé de plaisanter. Son air fermé et son ton dur ne vinrent que corroborer ses paroles, et la dragonne se tendit, hérissée. Elle détestait ce timbre de voix méprisant, comme un professeur qui s’adresse à une enfant qui se comporte mal en classe. Elle avait passé l’âge de se faire rabrouer par ce genre d’hommes arrogants et condescendants qui se croyaient mieux qu’elle. « As-tu songé que peut-être, il n’est pas nécessaire de me parler sur ce ton de vieux mufle patronisant ? » Les mots s’échappèrent de ces lèvres sans même y penser, sous le coup de l’agacement. Elle en avait déjà assez côtoyé pour ne pas avoir la moindre patience. Si son ton changeait, le sien changerait aussi. « Tu te doutes bien que je n’ai pas ce montant, j’ai dit Riverwood, pas Stonegold. Tu veux arrêter de tourner autour du pot ? Très bien » Rhea n’avait pas voulu révéler la raison de sa présence ici, car tout ceci était intimement personnel – mais puisqu’il fallait jouer cartes sur table, elle le ferait.

Elle savait quelque part que son impulsivité aurait raison d’elle, et que le simple fait de répondre ainsi à Laszlo clouait le cercueil de ses chances de repartir avec ce qu’elle était venue chercher, mais ça n’avait plus autant d’importance. « L’œuf n’est pas pour moi. La seule raison pour laquelle je suis ici, à échanger des civilités avec un dragon qui m’a presque tuée il y a quelques années, c’est parce que j’essaie de construire quelque chose qui vaut la peine de passer au-dessus de mes appréhensions. Parce que j’ai une gamine de dix-neuf ans à la maison qui lutte, qui a grandi en pensant qu’elle était un monstre, qui sort d’une famille qui l’a forcée à renier sa nature pour mériter une once de considération. Et que je voulais la rapprocher de son peuple – lui rappeler qu’elle a de la valeur aux yeux du Grand Dragon. Que quelqu’un la voit pour qui elle est » Sa voix était dure, ferme. Parler de Grace lui était pénible, mais quelque part, elle voulait montrer qu’elle n’était pas venue ici par caprice.

Elle se foutait royalement de l’idée qu’il avait d’elle, et probablement que lorsqu’elle sortirait de cette boutique, le vieux dragon la considèrerait toujours comme une gamine immature – elle ne pouvait rien y faire, et ne perdrait certainement pas le sommeil à essayer de lui faire changer d’avis. Mais lui qui était si fier de ses origines, de leur ancêtre, au moins une petite partie de lui devait être sensible à ce qui l’amenait ici. « Crois-moi, rien ne m’amuse dans cette situation, mais j’ai au moins fait l’effort d’essayer de rendre ça civil, à défaut d’être plaisant. Donc on peut trouver un accord qui se limite à un nombre de quatre chiffres, qui est littéralement tout ce que j’ai, ou bien je m’en vais dès maintenant et je trouverai autre chose, on aura tous les deux perdu notre temps mais tant pis. Ce sont les affaires, et on a pas toujours ce qu'on veut » conclut-elle, résignée. Elle n’avait pas précisé et ne préciserait pas, qu’effectivement la boutique de Laszlo était son dernier espoir, qu’elle avait déjà retourné ciel et terre pour quelque chose de digne de sa sœur, qui inspirerait l’idée qu’elle voulait inspirer. Sa fierté l’en empêchait. Toujours inflexible, yeux dardés sur le visage froid du dragon, elle attendait le verdict, prête à franchir les quelques mètres qui la séparaient de la porte d’entrée et reprendre ses recherches. On pouvait dire beaucoup de choses de Rhea Riverwood – mais certainement pas qu’elle abandonnait facilement.

   

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Ils se jaugèrent du regard pendant un moment, probablement aussi agacés l’un que l’autre. Cela n’aidait pas qu’ils semblent tous les deux aussi fiers, aussi bornés, aussi irritables. Rhea serra la mâchoire tandis que le dragon bougonnait sur la teneur dramatique de son histoire – elle ne se laisserait pas avoir par un commentaire aussi bas, s’il ne voulait pas laisser attendrir la moindre fibre de son être par son histoire c’était son droit. Elle ne renchérirait pas, ça ne la mènerait nulle part et elle n’avait pas de temps à perdre à essayer de convaincre qui que ce soit du bien-fondé de sa démarche. L’interprétation des autres de ses actions et ses dires était le cadet de ses soucis – ce qui lui avait apporté moult soucis par le passé. Si Laszlo pensait qu’elle avait simplement joué la carte sensible pour obtenir ce qu’elle voulait, tant pis. Le principal était qu’ils puissent se mettre d’accord et qu’ils se retrouvent au milieu, qu’importe la manière d’y arriver. Ils avaient des choses en commun, quoi qu’ils en pensent, et malgré les techniques de communication pas toujours optimales. « Deux mille, ça me va. Merci de tes efforts » Rhea s’en sortait bien, étant donné le montant astronomique qu’il avait commencé par lui annoncer – c’était effectivement un prix qu’elle était prête à mettre étant donné la nature de l’objet et sa rareté. Elle ne le laissa pas paraître mais elle était soulagée de pouvoir sortir de la boutique avec l’œuf – elle imaginait déjà la réaction de Grace en le voyant. Peut-être qu’ils pourraient trouver tous ensemble une place de choix pour cette relique qui leur rappellerait à tous pourquoi ils se battaient.

Elle se dirigea vers l’avant de la boutique, prête à compléter la transaction une fois pour toutes. Les paroles de Laszlo résonnaient dans son esprit – ses convictions étaient tellement différentes des siennes, mais il était pourtant évident qu’ils se retrouvaient sur au moins une partie du discours. « Tu as raison, je pense qu’on ne sera jamais d’accord sur la manière de procéder, mais je pense qu’au fond le but est le même. Honorer notre nature, protéger les nôtres… » Juste pas dans le sang, pas dans la violence. Rhea était convaincue que la haine de certains humains étaient motivés par la peur – elle avait été aux premières loges pour l’observer. Et peut-être que l’antiquaire avait raison, que leur société était vouée à répéter encore et encore les mêmes erreurs, à rejeter la différence. Mais il fallait bien essayer de briser le cycle, non ? « Mais je ne veux pas donner raison à ceux qui nous considèrent comme des monstres » ajouta-t-elle après un court instant de silence. Elle savait, quelque part, qu’au moins une partie de l’humanité était irrécupérable. Mais était-ce une raison d’abandonner tout le reste et de les réduire en cendres ? « Tu prends la carte ? » demanda-t-elle en fouillant dans son sac, distraite par ses réflexions. Laszlo avait-il raison quelque part ? Plaçait-elle trop d’espoir et de foi en ceux qui avaient démontré mille fois être incapables de tolérance ?

   

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